Présentation[Record]

  • Roger Odin

…more information

  • Roger Odin
    Université Paris 3

À l’origine de ce numéro, une constatation navrée, voire agacée : alors qu’elle a été l’un des grands lieux de la pensée moderne (« among the liveliest sites in the humanities for the past half century » écrit, ici même, Dudley Andrew), la théorie du cinéma, dans l’espace dans lequel je travaille, soit les études cinématographiques et audiovisuelles à l’université en France, n’est plus guère à l’ordre du jour. Les seuls domaines où elle continue à vivre sont ceux de l’esthétique et de la philosophie ; les deux approches se confondent d’ailleurs souvent en une seule, les réflexions des philosophes s’inscrivant volontiers dans une visée esthétique (Rancière 2001 ; Nancy et Parham 2007 ; les deux volumes de Deleuze sur le cinéma [1983, 1985] sont fréquemment lus dans cette perspective ). Même dans ces domaines, rares, très rares sont les revues qui donnent à lire des textes frontalement théoriques (cela arrive parfois dans Trafic). On assiste au retour des vieilles critiques qu’il ne me semblait plus possible d’énoncer sans ridicule : contre le jargon, contre les « ravages » des grilles d’analyses, plus généralement contre toute tentative d’approche un peu scientifique (c’est évidemment le cognitivisme qui est ici visé). Certains n’hésitent pas à parler, à ce propos, de « mainmise fascisante » « en vue d’un contrôle doctrinal » à l’université et à citer Gombrowicz : « toute théorie est une erreur de la pensée ». La mode est à l’éloge du « je ne sais quoi », un « je ne sais quoi » qui fait, paraît-il, « le charme de l’université » (Tesson 2006, p. 57-62). Moi qui croyais que l’université se devait d’apprendre la rigueur de pensée, j’allais dire la rigueur épistémologique (mais c’est aujourd’hui un gros mot)… On voit bien ce qui se profile derrière ce « je ne sais quoi » : enseigner le cinéma, c’est former le goût des étudiants. Former le goût : on reconnaît, là, la « mission » que se donnent certains critiques de cinéma, les meilleurs… les autres se contentent d’être des rouages de l’institution cinématographique, de faire marcher la machine économique cinéma. Mais l’université n’est pas la critique. Que le critique cherche à faire partager son goût, pourquoi pas ? Mais enseigner le goût à l’université ? Cela peut (peut-être) se concevoir à l’école et au lycée, institutions intermédiaires entre l’enseignement et la formation — encore faudrait-il en définir les objectifs, car former le goût se réduit trop souvent à une simple transmission du « goût légitime » (Bourdieu) —, mais à l’université où l’on a affaire à des adultes, cette idée m’a toujours paru d’une incroyable prétention. On peut accepter que l’enseignant universitaire se place au-dessus de l’étudiant en termes de compétence, mais en termes de goût, de quel droit le ferait-il ? Cela ne veut pas dire que les questions de goût doivent être absentes de l’enseignement à l’université, mais il s’agit alors de tenter de conduire l’étudiant à s’interroger sur la façon dont se produisent, se forment et se transmettent les (divers) jugements de goût. En bref, ce sont des questions qu’il faut enseigner, pas des jugements. Une fois passé ce mouvement de mauvaise humeur, il faut se demander d’où vient cette crise de la théorie du cinéma ; il faut surtout tenter d’en tirer quelques conclusions. Car cette crise peut être une bonne opportunité pour faire retour sur ce qui s’est passé depuis la période de la théorie florissante (Christian Metz), pour s’interroger sur les manques, les impasses, les faux débats, plus généralement pour questionner le statut de la théorie face à un …

Appendices