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Féminismes autochtones d’Amérique latine : différents visages d’une même lutte de résistance aux structures coloniales[Record]

  • Otilia Del Carmen Puiggros

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  • Otilia Del Carmen Puiggros
    Chargée de cours, Département des sciences sociales, Université du Québec en Outaouais

Parler du féminisme autochtone n’est pas simple, particulièrement en Amérique latine. D’abord, parce qu’à l’intérieur même du mouvement autochtone, on remet souvent en question l’existence d’un tel féminisme. Ensuite, parce que plusieurs courants le traversent et, sans s’opposer totalement, divergent du fait de leurs stratégies de lutte. Les féminismes autochtones, souvent niés par les féministes occidentales parce qu’ils ne sont pas le produit des milieux universitaires, le sont aussi par plusieurs femmes autochtones qui considèrent qu’il s’agit d’un concept importé du discours des femmes blanches et ne représente pas la cosmovision des peuples autochtones d’Amérique latine. Pour comprendre les féminismes autochtones latino-américains, il faut prendre en considération qu’ils interpellent moins le patriarcat que l’ensemble des oppressions imposées par la colonisation, lesquelles sont toujours en place bien que de façon différente selon les contextes. Le féminisme autochtone, en tant que mouvement social et politique, émerge dans le contexte d’un projet de résistance, de décolonisation et d’opposition à la domination blanche amorcée en 1492. Rappelons que la conquête cherchait à imposer un système social basé sur la hiérarchie raciale et sexuelle où les autochtones et les femmes étaient au bas de l’échelle et, par la suite, au temps des indépendances, un modernisme eurocentriste qui méprisait leurs cosmovisions. Plus de cinq siècles plus tard, le féminisme autochtone poursuit ses luttes pour se démarquer du « féminisme eurocentrique », problématisant la relation néolibéralisme-colonialisme-identité autochtone et réagissant au racisme et au sexisme introduits par la conquête, de même qu’aux oppressions imposées par la colonisation dont le patriarcat, la « colonialité » (la persistance des structures coloniales après l’avènement des indépendances nationales) et les concepts occidentaux de « genre » et de « sexe ». Se basant sur une recension de recherches, d’études et d’articles produits par des intellectuelles reconnues dans le domaine du féminisme latino-américain et plus précisément, des féminismes autochtones et des luttes pour les droits des femmes autochtones, notre article vise à présenter une introduction aux féminismes autochtones. De ce fait, nous présentons un portrait des principales caractéristiques et des controverses qui traversent ces féminismes. Les féminismes autochtones cherchant à se démarquer des féminismes occidentaux comme une manière de décoloniser le concept, nous mettons l’emphase sur ces différences telles que soulignées par des chercheures féministes autochtones. Nous avons divisé notre article en trois parties : dans la première, nous réfléchirons sur les principales différences entre les féminismes autochtones et les féminismes occidentaux en mettant en relief les structures héritées du colonialisme; dans la deuxième partie, nous aborderons quelques féminismes autochtones d’Amérique latine et, dans la troisième, nous conclurons avec une réflexion sur la diversité des féminismes et sur les féministes autochtones d’Amérique latine. En Amérique latine, les oppressions patriarcales peuvent être perçues comme un résultat de la colonisation. Lors de la présentation de son livre « Feminismos desde Abya Yala », Francesca Gargallo (2012) soulignait que le féminisme autochtone interprète les efforts des femmes pour le « mieux-vivre » (el Buen Vivir) en harmonie avec soi-même et en dialogue avec les autres femmes de sa communauté, tout en visant l’amélioration des conditions de vie des femmes et des filles de leurs peuples. L’auteure faisait référence également aux « théories du féminisme autochtone », mettant ainsi en relief l’existence de différentes tendances et nuances (Gargallo 2012 : 7). Les chercheures Forciniti et Palumbo (2012), comme d’autres auteures avant elles (Scott 1993; Braidotti 2000; Butler 2004), soulignent également l’impossibilité de catégoriser « la femme autochtone » comme portrait d’une femme unique, en raison des multiples croisements du sexe et du genre avec d’autres variables comme la race, la classe, l’ethnie et le territoire, …

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