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1. Introduction et problématique

Au cours des dernières années, plusieurs études ont dénoncé les actes de discrimination envers les jeunes homosexuels et bisexuels des deux sexes en milieu scolaire (Taylor, Peter, McMinn, Elliott, Beldom, Ferry, Gross, Paquin et Schachter, 2011 ; Chamberland, Émond, Bernier, Richard, Petit, Chevrier, Ryan, Otis et Julien, 2011). Ces études mettent l’accent sur les attitudes des pairs d’étudiants appartenant aux minorités sexuelles. Toutefois, comme le signale Joca (2008), si l’on veut contrer efficacement la discrimination envers les étudiants dont l’orientation sexuelle se distingue de l’orientation dominante, le problème doit être également abordé à partir des compétences liées aux attitudes et aux connaissances du personnel enseignant, y compris les enseignants en formation initiale qui, par ailleurs, ont déjà montré des attitudes plus ou moins positives envers l’homosexualité aux États-Unis (Wyatt, Oswalt, White et Peterson, 2008). En outre, la même observation a été effectuée auprès de psychologues scolaires aux États-Unis (Savage, Prout et Chard, 2004). Selon certains auteurs, les attitudes négatives envers les minorités sexuelles sont, en partie, le résultat des construits intellectuels d’une société hétérosexiste qui, en présentant et en idéalisant l’hétérosexualité comme l’expression naturelle de la sexualité, a dénaturé la diversité d’expressions sexuelles chez les humains (Bagemihl, 1999 ; Lancaster, 2003).

De plus, divers auteurs ont identifié un manque de connaissances sur la sexualité et les expériences de vie des personnes homosexuelles et bisexuelles. Par exemple, si Alderson, Orzeck et McEwen (2009) ont constaté que des conseillers scolaires des deux sexes de l’Alberta (Canada) détenaient des connaissances suffisantes sur l’homosexualité pour travailler avec des personnes homosexuelles, Savage et al. (2004) ont observé, pour leur part, que les psychologues scolaires qu’ils avaient interrogés obtenaient des résultats faibles et moyens quant à leurs connaissances des réalités propres aux étudiants gais et aux étudiantes lesbiennes. De la même façon, Rondahl (2009) a constaté une nette insuffisance des connaissances sur l’homosexualité chez des étudiants suédois en soins infirmiers et en médecine : près de 60 % d’entre eux ne savent pas si l’homosexualité est, ou non, une maladie mentale.

Ainsi, étant donné que la relation entre les connaissances et les attitudes est établie par des études en psychologie sociale (Wilson et Hodges, 1992 ; Wood, 1982) et par des études, effectuées ailleurs, en dehors du Québec, dans différents milieux professionnels (Alderson et al., 2009 ; Eliason et Hughes, 2004 ; Wells et Franken, 1987), il y a lieu de s’interroger sur les attitudes et les connaissances relatives aux minorités sexuelles des enseignantes et enseignants en formation initiale au Québec. Cela permettrait de mieux les préparer, au besoin, à réfléchir sur leurs propres attitudes homophobes et à lutter contre l’homophobie présente dans les écoles québécoises. Du besoin de répondre à cette question est née la présente étude, qui vise à examiner les attitudes du futur personnel enseignant liées à ses connaissances sur la diversité des rôles et des comportements sexuels ainsi que sur les réalités des jeunes homosexuels et bisexuels des deux sexes.

Pour ce faire, après avoir décrit le vécu des jeunes homosexuels et bisexuels dans le milieu scolaire, nous présenterons le cadre de référence sur lequel s’appuie la présente étude, à savoir les théories issues des travaux de Bem (1974, 1981), de Kinsey, Pomeroy, Martin et Pomeroy (1948) et de Kinsey, Pomeroy, Martin et Gebhard (1953). Ces auteurs abordent respectivement les rôles et les comportements sexuels ainsi que le lien entre les attitudes et l’ensemble des connaissances et du comportement. Nous expliciterons ensuite la méthode de recherche, qui se situe dans une approche quantitative, avant de présenter les résultats, qui seront discutés selon la revue des écrits scientifiques.

1.1 Les réalités des jeunes homosexuels et bisexuels des deux sexes

En dépit de la loi en faveur des minorités sexuelles et d’une visibilité accrue des jeunes homosexuels et bisexuels des deux sexes dans les écoles, divers travaux de recherche montrent que l’hétérosexisme et l’homophobie sont des phénomènes réels dans la société (Aldrich, 2006), et particulièrement dans l’environnement scolaire (Chouinard, 2010). Par exemple, au Canada, le Rapport de recherche national sur l’homophobie en milieu scolaire révèle que les élèves homosexuels et bisexuels sont plus discriminés et violentés verbalement, physiquement et sexuellement que leurs pairs hétérosexuels (Taylor et al., 2011). En conséquence, les élèves homosexuels et bisexuels se sentent menacés, voire en danger, dans les écoles canadiennes. Un tel sentiment est d’autant plus compréhensible que ces mêmes étudiants dénoncent l’indifférence du personnel enseignant face aux propos homophobes, quand ce dernier ne les tient pas lui-même (Taylor et al., 2011).

Au Québec, la situation n’est pas différente. Chamberland et al. (2011) dévoilent la situation problématique des élèves gais, lesbiennes et bisexuels dans la province. Il convient de préciser que l’étude de cette équipe de travail a porté sur 2 747 élèves de 3e et 5e secondaires, provenant de 30 écoles publiques de toutes les régions du Québec, dont 220 étaient homosexuels, bisexuels ou en questionnement sur leur orientation sexuelle. Cette recherche a révélé que l’intimidation, l’insulte, la discrimination, la cyberintimidation, l’exclusion, le rejet et la violence physique (bousculade, coups, vandalisme, harcèlement et agression à caractère sexuel) font partie des expériences de vie des jeunes homosexuels et bisexuels des deux sexes dans le milieu scolaire québécois. Précisons ici que la non-conformité du rôle et de l’orientation sexuels aux stéréotypes sexuels de la majorité constitue respectivement les deuxième et troisième causes de violence homophobe dans les écoles secondaires. En effet, bien que la victimisation homophobe soit fondée sur la non-conformité de genre, significativement plus élevée chez les jeunes homosexuels et bisexuels, elle touche également les jeunes hétérosexuels (Boucher, Blais, Hébert, Gervais, Banville-Côté, Bédard et Dragieva, 2013).

Outre qu’elle a, elle aussi, permis de constater la présence d’actes homophobes dans des écoles secondaires de Montréal et de Québec, la recherche-avis du Conseil permanent de la jeunesse (2007) en souligne les conséquences désastreuses. Ainsi, les élèves interrogés disent entrevoir le décrochage scolaire comme une solution pour éviter la violence homophobe à l’école et, plus dramatiquement encore, ils évoquent le suicide comme la solution ultime à la situation infernale à laquelle ils sont exposés. Deux des jeunes interviewés ont d’ailleurs révélé avoir fait des tentatives de suicide en raison de l’homophobie dont ils ont été victimes. Si l’on peut s’étonner de constater que seules 22,2 % des victimes de gestes ou de propos homophobes ont mentionné ces incidents aux autorités scolaires, il faut comprendre que, pour la plupart, les étudiants victimes des gestes homophobes ont l’impression que rien ne sera fait pour corriger la situation, qu’ils craignent d’éventuelles répercussions négatives ou qu’ils perçoivent de l’hostilité envers l’homosexualité de la part du personnel scolaire (Chamberland et al., 2011).

Des études mentionnées ci-dessus, il ressort que, selon les étudiants homosexuels et bisexuels des deux sexes, une partie du personnel enseignant ne sanctionne pas l’homophobie ou, pire, la cautionne (Chamberland et al., 2011 ; Conseil permanent de la jeunesse, 2007 ; GRIS-Montréal, 2007 ; Taylor et al., 2011). Un tel comportement de la part du personnel enseignant pourrait résulter d’un manque de connaissances, associé à des attitudes négatives, à propos des minorités sexuelles. Étant donné que, comme nous l’avons mentionné plus haut, la non-conformité du rôle sexuel et la non-conformité de l’orientation sexuelles aux stéréotypes traditionnels constituent deux des trois principaux motifs de discrimination dans les écoles secondaires québécoises (Chamberland et al., 2011 ; Boucher et al., 2013), nous chercherons à mieux comprendre la problématique de l’homophobie en faisant état des connaissances disponibles à l’heure actuelle sur la diversité sexuelle, dans un premier temps, puis en examinant la question des liens entre les connaissances et les attitudes, dans un second temps.

2. Contexte théorique

Contrairement à l’idée généralement répandue selon laquelle il existe essentiellement deux rôles sexuels (féminin et masculin), les études de Bem à ce sujet (1974, 1981) incitent à poser un jugement plus nuancé.

2.1 Les rôles sexuels

Le rôle sexuel est lié à la masculinité et à la féminité, traditionnellement présentées comme les deux extrêmes opposés d’une dimension bipolaire (Bem, 1981). Cependant, Bem (1974, 1981) a remis en question l’idée ancrée d’une catégorisation dichotomique des rôles sexuels, et a créé en 1974 le Bem Sex Role Inventory (BSRI), dans le but de mesurer la masculinité et la féminité psychologiques des individus. Ce faisant, cette chercheuse a observé que certaines personnes étaient pourvues de traits psychologiques considérés comme masculins (l’esprit de commandement, la dominance et la puissance, entre autres) ; d’autres, pourvues de traits considérés comme féminins (la douceur, la tendresse et la compassion, entre autres) ; d’autres encore, pourvues de traits psychologiques tant féminins que masculins, qu’elle a nommées androgynes ; et enfin que d’autres, qu’elle a qualifiées d’indifférenciées, présentaient des traits neutres, c’est-à-dire ni féminins ni masculins (propension au bonheur, confiance et jalousie, entre autres). Bem (1974) a utilisé le Bem Sexe Role Inventory pour appuyer empiriquement le concept d’androgéniepsychologique, afin d’élargir la notion de rôles sexuels, en y intégrant des caractéristiques moins stéréotypées, de façon à tenir compte de la multiplicité des aspects de la personnalité. De cette façon, les travaux de Bem ont contribué à l’avancée des études de genre, dont les auteurs voulaient montrer que les rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes résultaient en fait de construits psychosociaux (Bajos, Bozon, Beltzer, Toumelon, Razafindratsima, Goulet, Warszawski, Levinson, Andro, Leridon, Le Van, Ferrand et Laporte, 2008). Le modèle de Bem (1974, 1981) propose donc une vision des rôles sexuels plus large et plus flexible que les stéréotypes dichotomiques transmis socialement, qui considèrent la masculinité et la féminité comme deux extrêmes opposés, et ce, en intégrant les aspects féminins et masculins d’une même personne sans qu’en soit affectée son identité sexuelle.

La deuxième partie de notre cadre théorique permettra de constater que, de même que les êtres humains ne peuvent être répartis en deux catégories opposées en ce qui concerne les rôles sexuels, il est tout aussi impossible de les répartir en deux catégories opposées en ce qui a trait aux comportements sexuels ; ce qui devrait, ici encore, nous inciter à porter un jugement plus nuancé à propos de la diversité sexuelle.

2.2 Les comportements sexuels

Au cours des années 1940 et 1950, Kinsey et ses équipes de recherche ont entrepris une vaste enquête sur la sexualité aux États-Unis. L’une des principales conclusions de ces études est qu’il est impossible de classer les hommes et les femmes, clairement et une fois pour toutes, dans des catégories sexuelles rigides (Kinsey et al., 1948 ; Kinsey et al., 1953). Selon Kinsey et ses collaborateurs (1948, 1953), il faut plutôt recourir à l’image d’une échelle continue pour avoir une bonne idée de la manière dont les humains vivent leur sexualité. À l’une des extrémités de cette échelle se situent les individus exclusivement homosexuels et, à l’autre, les individus exclusivement hétérosexuels. Entre ces deux extrémités se trouvent les individus qui combinent à la fois des expériences homosexuelles et hétérosexuelles, dans des proportions diverses. Plus précisément, une personne qui n’aurait des expériences sexuelles qu’avec des personnes du sexe opposé se situerait au degré zéro (0) de l’échelle. Inversement, une personne qui n’aurait eu des expériences sexuelles qu’avec des partenaires de même sexe se situerait au degré six (6). Un individu qui aurait le même nombre d’expériences sexuelles avec des hommes et avec des femmes se situerait précisément au milieu de l’échelle, au degré trois (3). Si le nombre d’expériences homosexuelles est majoritaire, mais que la personne a aussi eu quelques expériences hétérosexuelles, elle se situerait aux environs du degré cinq (5), et inversement. En effet, un bon nombre d’êtres humains ne sont pas enfermés dans une seule catégorie sexuelle, car une personne peut très bien avoir, à un moment ou à un autre de sa vie, un ou des rapports sexuels à l’opposé de ses préférences et contrairement à ses habitudes. Il est à noter que les résultats des recherches de Kinsey et de ses collaborateurs (1948, 1953), sur la diversité des comportements sexuels chez les êtres humains, ont été corroborés par des études plus récentes effectuées en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis (Bajos et al., 2008 ; Johnson, Mercer, Erens, Copas, McManus, Wellings, Fenton, Korovessis, Macdowall, Nanchahal, Purdon et Field, 2001 ; Sell, Wells et Wypij, 1995 ; Turner, Villarroel, Chromy, Eggleston et Rogers, 2005).

Ainsi, la diversité des comportements et des rôles sexuels se traduit par le fait que l’être humain, loin d’être limité à des dichotomies sexuelles, possède en fait une variété d’expressions sexuelles. Il convient d’ailleurs de préciser que cette diversité, outre qu’elle a été largement observée chez les animaux (Bagemihl, 1999 ; Lancaster, 2003), a également été largement documentée au cours de l’histoire (Aldrich, 2006). Toutefois, force est de constater que, malgré la diversité des comportements et des rôles sexuels observée respectivement par Kinsey et al. (1948, 1953) et Bem (1974, 1981), les attitudes envers les jeunes homosexuels et bisexuels des deux sexes restent négatives. Afin de mieux comprendre comment les attitudes influencent les rapports entre les personnes, nous préciserons ci-dessous ce que recouvre le concept d’attitude ainsi que ses liens avec les connaissances et le comportement humain.

2.3 Les attitudes

Le terme attitude est utilisé dans plusieurs champs d’études, dont la sociologie et la psychologie, et plus particulièrement la psychologie sociale (Droba, 1933). Contrairement aux tenants de la psychologie comportementale, qui considèrent les attitudes comme une forme de comportements (Droba, 1933), les chercheurs en psychologie sociale débattent encore de ce concept (Schwarz et Bohner, 2001). Certains définissent les attitudes comme les dispositions favorables ou défavorables de l’individu envers un objet (Bem, 1970 ; Eagly et Chaiken, 1993). En 1935, Allport définissait les attitudes comme des tendances à l’action qui influencent les comportements, et affirmait que la relation entre attitudes et comportement était de nature multidimensionnelle. En 1980, s’appuyant sur la théorie de l’action raisonnée, Ajzen et Fishbein développent une nouvelle théorie, celle du comportement planifié. Selon cette dernière, l’intention d’agir et de se comporter d’un individu est influencée par ses attitudes, favorables ou non, envers le comportement en question, leurs évaluations des attentes sociales (normes subjectives), et leurs perceptions du contrôle sur le comportement. Ainsi, certains sociologues et psychologues considèrent aujourd’hui que les attitudes correspondent aux probabilités qu’une personne affiche un comportement spécifié dans une situation déterminée (Schwarz et Bohner, 2001). Dans sa méta-analyse de 88 études visant à étudier les liens entre les comportements et les attitudes, Kraus (1995) a constaté qu’il existait une forte corrélation entre les deux. En fait, il semble que la relation entre attitudes et comportement aille dans les deux sens, c’est-à-dire que des attitudes ancrées influenceraient les comportements, et que les comportements influenceraient les attitudes peu ancrées (Holland, Verplanken et van Knippenberg, 2003 ; Wilson et Hoges, 1992). En somme, les résultats des recherches sur la relation multidimensionnelle entre les attitudes et les comportements établissent un lien très étroit entre les deux.

Pour ce qui est de l’influence des connaissances sur les attitudes, Wood (1982) a observé que les participants qui détenaient des connaissances sur la préservation de l’environnement se montraient plus enclins (attitude) à préserver l’environnement que ceux moins informés sur le sujet. À partir des écrits scientifiques sur cette question, des théoriciens ont conclu que les attitudes (positives, négatives ou mitigées) varient selon les connaissances que les personnes utilisent pour les construire (Wilson et Hodges, 1992), ou encore selon la quantité d’heures consacrées à l’apprentissage d’un sujet donné (Eliason et Hughes, 2004). Les attitudes sont en relation avec les comportements et les connaissances, au sens où les connaissances influencent les attitudes, qui se transforment elles-mêmes en actions, du moins lorsqu’elles sont des attitudes profondément ancrées (Ajzen, 2001 ; Holland et al., 2003).

En tenant compte de ce qui précède, nous pensons que la problématique des comportements homophobes en milieu scolaire québécois, dont certains enseignants et enseignantes sont partie prenante selon les étudiants homosexuels et bisexuels des deux sexes, pourrait prendre naissance dans les attitudes, elles-mêmes ancrées dans les connaissances (ou plutôt devrions-nous écrire dans le manque de connaissances) relatives aux minorités sexuelles. Bien que des recherches aient déjà été menées ailleurs (Alderson et al., 2009 ; Eliason et Hughes, 2004 ; Wells et Franken, 1987), il nous semble donc qu’une façon de mieux comprendre cette problématique consisterait à étudier ce lien dans notre contexte unique et spécifique, assez différent du reste de l’Amérique du Nord. Une telle étude concernant le futur personnel enseignant, la diversité sexuelle et les attitudes envers l’homosexualité et la bisexualité nous permettrait : 1) d’enrichir la discussion concernant la relation entre les connaissances et les attitudes ; 2) de préciser l’étude de cette relation en l’appliquant aux futurs enseignants et enseignantes appelés à oeuvrer dans les écoles secondaires québécoises ; 3) d’ajouter des connaissances sur la diversité sexuelle aux connaissances déjà testées en relation avec les attitudes ; et 4) de combler une lacune relativement à la bisexualité. Nous souhaitons donc répondre à la question de recherche suivante : Dans quelle mesure les connaissances tant théoriques qu’empiriques du futur personnel enseignant québécois sur les rôles sexuels, les comportements sexuels et les réalités des jeunes homosexuels et bisexuels des deux sexes sont-elles en lien avec leurs attitudes face aux personnes homosexuelles et bisexuelles ? Notre principale hypothèse est que plus les personnes ont de connaissances sur la diversité sexuelle (diversité des rôles et des comportements sexuels) ainsi que sur les réalités des jeunes homosexuels et bisexuels, plus leur attitude sera favorable aux personnes homosexuelles et bisexuelles, et inversement. Pour répondre à cette question, nous poursuivrons les objectifs spécifiques suivants : 1) identifier les connaissances du futur personnel enseignant québécois relativement aux rôles et aux comportements sexuels ainsi qu’aux réalités des jeunes homosexuels et bisexuels des deux sexes ; 2) évaluer les attitudes du futur personnel enseignant québécois envers les personnes homosexuelles et bisexuelles ; et 3) mettre en lien les connaissances du futur personnel enseignant québécois et ses attitudes envers l’homosexualité et la bisexualité.

3. Méthodologie

Notre étude s’inscrit dans une approche quantitative, puisque nous avons utilisé un questionnaire et soumis les réponses fournies par les participants à diverses analyses statistiques, que nous préciserons ci-dessous.

3.1 Sujets

L’échantillon se compose de 82 étudiants (28 hommes et 54 femmes), de la faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke, âgés de 19 à 35 ans (M = 23,96 ; É. T. = 2,58). La majorité des participants, soit 79 d’entre eux, s’est déclarée exclusivement hétérosexuelle (96,34 %) ; deux participantes (2,44 %), surtout hétérosexuelles avec des attirances pour d’autres femmes ; et seulement une femme (1,22 %) s’est dite exclusivement homosexuelle. Les participants étaient inscrits au programme de Baccalauréat en enseignement secondaire dans les profils suivants : Français (32,9 %), Univers social (25,6 %), Anglais langue seconde (17,1 %) et MathématiquesetSciences (15,9 %). Quelques rares participants (8,5 %) n’ont pas spécifié leur champ d’étude. Il est à noter que, grâce à la façon de procéder pour passer l’instrument et à la bonne volonté des participants, nous avons recueilli la totalité des questionnaires distribués.

3.2 Instrumentation

L’instrument de mesure est un questionnaire qui comprend deux parties. La première (items 1 à 51) permet de vérifier les connaissances sur la diversité des rôles et des comportements sexuels ainsi que sur les réalités des jeunes homosexuels et bisexuels des deux sexes. Comme nous n’avons pas trouvé de questionnaires déjà construits pour évaluer ces types de connaissances, nous nous sommes inspirés du questionnaire d’Alderson et al. (2009), dont la fidélité interne est bonne (a > 0,85) et dont la validité de contenu est confirmée par une corrélation significative (= 0,55 ; p < 0,01) avec celui de Wells et Franken (1987), pour construire cette partie de notre questionnaire. Ainsi, en nous appuyant sur le modèle que nous venons de mentionner, nous avons proposé aux participants un choix de réponses de type Vrai (V), Faux (F) ou Je ne sais pas (N), afin d’évaluer leur niveau de connaissances sur les trois thèmes abordés. Mentionnons l’item 41, à titre d’exemple : La sexualité humaine se situe sur un continuum allant de l’hétérosexualité pure et simple à l’homosexualité pure et simple. Nous nous sommes basés sur des études empiriques, dont celles présentées dans notre étude, à la fois pour élaborer notre questionnaire et pour déterminer les réponses des participants.

La seconde partie du questionnaire (items 52 à 65) porte sur les attitudes envers les personnes homosexuelles et bisexuelles. Pour identifier ces attitudes, nous avons construit un instrument inspiré étroitement de la version courte de l’Attitudes toward lesbians and gay men scale (Herek et McLemore, 2011). Il faut mentionner que cette version courte a obtenu une bonne corrélation de Spearman (rs > 0,80) avec la version originale, plus longue, ainsi qu’un coefficient de fidélité interne élevé (α > 0,85) avec la plupart des échantillons d’étudiants universitaires avec lesquels cette échelle a été utilisée. Ainsi, la deuxième partie de notre questionnaire est une échelle Likert, s’échelonnant de 1 (totalement d’accord) à 7 (totalement en désaccord), qui nous a permis d’évaluer les attitudes des participants envers l’homosexualité et la bisexualité tant masculines que féminines. Mentionnons, à titre d’exemple, l’un des items référant à une des attitudes positives : L’homosexualité masculine est une expression naturelle de la sexualité chez l’homme. Dans les deux parties du questionnaire, nous avons ajouté des items neutres, que nous n’avons toutefois pas pris en compte dans l’analyse de données. Enfin, l’instrument comporte également des questions visant à obtenir des données démographiques sur les participants (sexe, âge, champ d’étude et orientation sexuelle). Pour chacune des parties du questionnaire, les α de Cronbach sont de 0,67 pour la partie Connaissances et de 0,89 pour la partie Attitudes, ce qui indique un degré de cohérence interne modéré (Gliem et Gliem, 2003), pour la première partie, et tout à fait satisfaisant pour la seconde.

3.3 Déroulement

Nous avons pris contact avec les chargés de cours responsables du cours PHE 400 Éthique professionnelle en enseignement, de l’Université de Sherbrooke, qui nous ont cordialement invités dans leur classe, composée d’une cohorte entière du programme du Baccalauréat en enseignement au secondaire, pour passer le questionnaire. Les participants ont pris une demi-heure pour remplir ce dernier. Après avoir recueilli les questionnaires, nous nous sommes rendus disponibles pour répondre à toutes les questions suscitées par la lecture du questionnaire.

3.4 Méthode d’analyse des données

Les analyses statistiques ont été réalisées à l’aide de la version 17 du logiciel Statistical Package for the Social Sciences (SPSS). Nous avons d’abord effectué des analyses descriptives destinées à brosser le portrait démographique des participants, à évaluer leurs connaissances sur les trois questions traitées (objectif 1) et à identifier leurs attitudes envers l’homosexualité et la bisexualité (objectif 2). Puis, nous avons effectué des analyses de corrélation de Pearson entre les variables Connaissances (rôles sexuels, comportement sexuels et réalités des jeunes homosexuels et bisexuels des deux sexes) et la variable Attitude, afin de mettre en lien les connaissances et les attitudes du futur personnel enseignant québécois (objectif 3). Enfin, une série d’analyses de régression linéaires a été réalisée, afin de vérifier si les connaissances des participants permettent de prédire leurs attitudes. Nous avons choisi l’âge des participants comme variable de contrôle dans ces analyses, car, selon Kosciw, Greytak et Diaz (2009), les attitudes négatives envers l’homosexualité et la bisexualité en milieu scolaire sont influencées par l’âge.

3.5 Considérations éthiques

Avant de leur distribuer le questionnaire, nous avons informé les participantes du contenu de la recherche (nature, sujet, objectifs, retombées, etc.). En conformité avec les règles éthiques en matière de collecte de données (confidentialité et liberté de participation), nous leur avons en outre assuré que leur participation était volontaire et anonyme, et qu’ils pouvaient arrêter à tout moment de remplir le questionnaire. Cette étude a d’ailleurs fait l’objet de l’approbation du comité d’éthique de la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke. Quant aux résultats, ils ont été communiqués, sous forme d’affiche scientifique, aux participants et aux personnes intéressées à la Journée de la recherche de l’Université de Sherbrooke en février 2013. Ils ont également été communiqués, sous forme de présentation orale, au 81e Congrès de l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences - Savoirs sans frontières, tenu à l’Université Laval en mai 2013.

4. Résultats

Étant donné que les caractéristiques sociodémographiques des participants ont déjà été précisées dans la méthodologie, nous nous abstenons de les présenter ici et préférons consacrer cette partie aux résultats liés à nos trois objectifs de recherche. Ainsi, nous allons présenter tant le degré de connaissances des participants, leurs attitudes envers l’homosexualité et la bisexualité que les liens établis entre leurs connaissances et leurs attitudes.

4.1 Le degré de connaissances des participants

Dans un premier temps, nous avons calculé les pourcentages de réponses correctes pour chaque type de connaissances. Les résultats obtenus, tant pour les réalités des jeunes homosexuels et bisexuels des deux sexes (56,54 %) et pour les rôles sexuels (54,13 %) que pour les comportements sexuels (40,86 %), montrent que, de façon générale, les participants ont relativement peu de connaissances sur les trois thèmes à l’étude.

4.2 Les attitudes des participants envers l’homosexualité et la bisexualité

Selon Herek (2002), il convient d’étudier séparément les attitudes envers la bisexualité et l’homosexualité ainsi que de prendre en considération le sexe des personnes homosexuelles et bisexuelles. Des analyses descriptives séparées ont donc été effectuées pour chacune des attitudes en fonction des quatre catégories identifiées. Les résultats révèlent que les participants se disent plus ou moins en désaccord avec le dénigrement des personnes homosexuelles et bisexuelles (Tableau 1). En d’autres mots, ils ont une attitude plus ou moins positive envers l’homosexualité et la bisexualité.

Tableau 1

Moyennes et écarts types (É. T.) des attitudes de l’échantillon envers les personnes homosexuelles et bisexuelles

Moyennes et écarts types (É. T.) des attitudes de l’échantillon envers les personnes homosexuelles et bisexuelles

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Outre les résultats globaux précédents, qui permettent de définir l’attitude générale de l’échantillon envers les personnes homosexuelles et bisexuelles et qui ont été obtenus à partir de la moyenne des items décrivant les attitudes hostile, négative et positive, nous avons calculé les moyennes pour chacun de ces items. Ainsi, les trois sous-titres suivants correspondent à l’item spécifique pour lequel nous présentons nos résultats.

4.2.1 L’attitude hostile

L’attitude hostile a été évaluée à partir des affirmations qui définissent les relations homosexuelles et bisexuelles comme dégoûtantes. L’échantillon se dit plutôt en désaccord avec ces affirmations (Tableau 2), c’est-à-dire qu’il est plutôt tolérant envers la sexualité des personnes homosexuelles et bisexuelles.

4.2.2 L’attitude négative

Dans le questionnaire, les affirmations à l’effet que l’homosexualité et la bisexualité ne sont vraiment pas correctes visent à identifier une attitude négative, qui se situe entre les attitudes hostile et positive. Ici encore, les réponses des participants se situent à l’extrémité supérieure de l’échelle, soit plutôt en désaccord avec ces affirmations (Tableau 2), ce qui indique, ici encore, qu’ils se montrent plutôt tolérants envers l’homosexualité et la bisexualité.

4.2.3 L’attitude positive

L’attitude positive a été évaluée à l’aide de quatre items. Précisons ici qu’un score brut faible à l’échelle des attitudes montre une attitude favorable envers les personnes homosexuelles et bisexuelles, contrairement aux autres items de l’échelle d’attitudes. Nous avons donc inversé les réponses données à ces quatre items par les répondants, afin que les moyennes obtenues pour cette attitude indiquent que les personnes ont une attitude favorable lorsque leur score est élevé, comme pour le reste des items de cette échelle. Cette inversion étant faite, l’échantillon se situe au degré 3 de l’échelle, ce qui équivaut à être plus ou moins en désaccord avec les affirmations selon lesquelles l’homosexualité ou la bisexualité sont une expression naturelle de la sexualité humaine (Tableau 2).

Tableau 2

Moyennes et écarts types (É. T.) obtenus dans l’échantillon en ce qui concerne les attitudes hostile, négative et positive envers les personnes homosexuelles et bisexuelles

Moyennes et écarts types (É. T.) obtenus dans l’échantillon en ce qui concerne les attitudes hostile, négative et positive envers les personnes homosexuelles et bisexuelles

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4.3 Le lien entre les connaissances du futur personnel enseignant et ses attitudes au regard de l’homosexualité et de la bisexualité

Les résultats des analyses de corrélations bivariées montrent que les connaissances relatives aux rôles sexuels sont corrélées avec la majorité des attitudes identifiées comme telles, tandis que les connaissances relatives aux comportements sexuels le sont avec la totalité de celles-ci (Tableau 3). Il convient de noter que les coefficients de corrélation entre les attitudes envers l’homosexualité féminine et les connaissances sur les rôles (p < 0,050) ainsi que sur les comportements sexuels (p < 0,016) sont faibles. Il en est de même pour les corrélations entre les attitudes envers la bisexualité masculine et les connaissances sur les rôles (p < 0,013) ainsi que sur les comportements sexuels (p < 0,026). Par contre, on observe des corrélations modérées entre les attitudes envers l’homosexualité masculine et les connaissances sur les rôles (p < 0,004) ainsi que sur les comportements sexuels (p < 0,002), de même qu’entre les attitudes envers la bisexualité féminine et les connaissances sur les comportements sexuels (p < 0,001).

Tableau 3

Corrélations entre les attitudes et les connaissances de l’échantillon

Corrélations entre les attitudes et les connaissances de l’échantillon

* p < 0,05 (bilatéral) ; ** p < 0,01 (bilatéral)

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Nous avons effectué une série d’analyses de régression linéaires avec les attitudes envers l’homosexualité masculine, puis féminine, et la bisexualité masculine, et féminine, comme variables dépendantes ; et avec les trois types de connaissances (rôles sexuels, comportements sexuels et réalités des jeunes homosexuels et bisexuels des deux sexes), comme variables indépendantes, de façon à vérifier quelles sont les connaissances des participants qui permettent de prédire leurs attitudes. La variable sociodémographique âge a été ajoutée comme variable de contrôle. Les résultats de ces analyses sont indiqués ci-dessous.

4.3.1 La valeur prédictive des connaissances en ce qui a trait à l’homosexualité masculine et féminine

Le modèle de régression est significatif (F[4, 77] = 3,78 ; p < 0,007), c’est-à-dire que les variables indépendantes prédisent, dans une certaine mesure, l’attitude envers les gais. Toutefois, il faut préciser que cet effet s’observe uniquement pour ce qui est des connaissances relatives aux rôles et aux comportements sexuels (Tableau 4). De plus, les analyses montrent que les coefficients standardisés des variables explicatives sont significatifs, tant pour les connaissances relatives aux rôles sexuels (t = 2,08 ; p = 0,041) que pour les connaissances relatives aux comportements sexuels (t = 2,44 ; p = 0,017). Ces variables sont donc associées significativement à l’attitude envers les homosexuels. En outre, la valence du coefficient indique la présence d’une relation positive entre les variables. Quant au coefficient de corrélation (r = 0,405), il indique que le modèle de régression est moyennement ajusté aux données. Enfin, le modèle explique 16 % de la variabilité de la variable dépendante.

En ce qui concerne l’homosexualité féminine, le modèle de régression est lui aussi significatif (F[4, 77] = 2,27 ; p < 0,049) ; autrement dit, les variables indépendantes permettent de prédire, dans une certaine mesure, l’attitude envers les lesbiennes. Toutefois, il convient de préciser que seules les connaissances sur les comportements sexuels sont prédictives de l’attitude des répondants (Tableau 4). De plus, les analyses montrent que le coefficient standardisé de la variable explicative est significatif (t = 2,16 ; p = 0,034). Cette variable est donc associée à l’attitude envers les lesbiennes. En outre, la valence du coefficient indique la présence d’une relation positive entre les variables. Le coefficient de corrélation (r = 0,335) indique que le modèle de régression est moyennement ajusté aux données. Enfin, le modèle explique le 11 % de la variabilité de la variable dépendante.

Tableau 4

Valeur prédictive des connaissances sur les comportements sexuels, les rôles sexuels et les réalités des jeunes homosexuels et bisexuels des deux sexes quant aux attitudes envers les personnes homosexuelles

Valeur prédictive des connaissances sur les comportements sexuels, les rôles sexuels et les réalités des jeunes homosexuels et bisexuels des deux sexes quant aux attitudes envers les personnes homosexuelles

Note : R² = 0,16 ; Note : R² = 0,11 ; * p < 0,05 ; * p < 0,05

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4.3.2 La valeur prédictive des connaissances en ce qui a trait à la bisexualité masculine et féminine

Les résultats obtenus à cet égard montrent que le modèle de régression est significatif (F[4, 77] = 2,37 ; p < 0,049) et donc, que les variables indépendantes permettent de prédire, dans une certaine mesure, l’attitude envers les hommes bisexuels. Toutefois, cet effet s’observe uniquement pour les connaissances sur les rôles sexuels (Tableau 5). De plus, les analyses montrent que le coefficient standardisé de la variable explicative est significatif (t = 1,99 ; p = 0,050). Cette variable est donc associée significativement à l’attitude envers les hommes bisexuels. En outre, la valence du coefficient indique la présence d’une relation positive entre les variables. Le coefficient de corrélation (r = 0,331) indique que le modèle de régression est moyennement ajusté aux données. Enfin, le modèle explique le 11 % de la variabilité de la variable dépendante.

En ce qui concerne la bisexualité féminine, le modèle de régression est significatif (F[4, 77] = 3,18 ; p < 0,018), ce qui signifie que les variables indépendantes permettent de prédire, dans une certaine mesure, l’attitude envers les femmes bisexuelles. Toutefois, cet effet s’observe uniquement dans le cas des connaissances sur les comportements sexuels (Tableau 5). De plus, les analyses montrent que le coefficient standardisé de la variable explicative est significatif (t = 3,11 ; p = 0,003). Cette variable est donc associée significativement à l’attitude envers les femmes bisexuelles. En outre, la valence du coefficient indique la présence d’une relation positive entre les variables. Le coefficient de corrélation (r = 0,377) suggère que le modèle de régression est moyennement ajusté aux données. Enfin, le modèle explique le pourcentage de 14 % de la variabilité de la variable dépendante.

Tableau 5

Valeur prédictive des connaissances sur les comportements sexuels, les rôles sexuels et les réalités des jeunes homosexuels et bisexuels des deux sexes quant aux attitudes envers les personnes bisexuelles

Valeur prédictive des connaissances sur les comportements sexuels, les rôles sexuels et les réalités des jeunes homosexuels et bisexuels des deux sexes quant aux attitudes envers les personnes bisexuelles

Note : R² = 0,11 ; Note : R² = 0,14 ; * p < 0,05 ; * p < 0,05

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5. Discussion des résultats

Dans le cadre de la présente étude, nous avons évalué les connaissances (liées aux rôles sexuels, aux comportements sexuels et aux réalités de jeunes homosexuels et bisexuels des deux sexes), et identifié les attitudes envers l’homosexualité et la bisexualité de futurs enseignants, afin d’examiner dans quelle mesure ces connaissances et attitudes étaient liées entre elles.

Dans un premier temps, il en ressort que les participants ont relativement peu de connaissances sur les trois aspects évalués. Contrairement aux résultats d’Alderson et de ses collaborateurs (2009), qui ont constaté que les conseillers scolaires albertains des deux sexes détenaient des connaissances suffisantes sur l’homosexualité, nos résultats vont dans le même sens que ceux de deux études déjà mentionnées (Rondahl, 2009 ; Savage et al., 2004). En effet, selon Rondahl (2009), 82 % des étudiants suédois en soin infirmier et en médecine participant à son étude ne possédaient pas les connaissances nécessaires pour bien soutenir les personnes appartenant aux minorités sexuelles. Quant à Savage et ses collaborateurs (2014), ils ont conclu que les psychologues scolaires questionnés étaient insuffisamment formés pour travailler avec leur clientèle homosexuelle, compte tenu de leur manque de connaissances relatives aux réalités des étudiants gais et lesbiennes. Nous sommes du même avis que Rondahl (2009) lorsqu’il affirme que les professionnels ne peuvent pas comprendre complètement les personnes homosexuelles et bisexuelles, s’ils n’ont pas de connaissances suffisantes au sujet de la sexualité et des expériences de vie de ces dernières. Même si les rapports entre les professionnels du secteur de la santé avec leurs clients diffèrent, dans une certaine mesure, de ceux des professionnels du secteur de l’éducation avec les élèves, nous pouvons nous attendre à ce qu’un personnel scolaire doté de bonnes connaissances sur la diversité des rôles (Bem, 1974, 1981) et des comportements sexuels (Kinsey et al., 1948, 1953) soit mieux à même d’adopter des pratiques visant à développer un environnement positif pour les élèves gais, lesbiennes et bisexuels, ce qui profiterait d’ailleurs à l’ensemble des élèves.

De plus, nos résultats permettent de constater que, même si les attitudes envers les personnes homosexuelles et bisexuelles ne sont pas négatives, elles ne sont pas non plus entièrement positives. En ce qui a trait à l’homosexualité, les attitudes mitigées (plus ou moins positives) des participants envers les relations entre personnes du même sexe ressemblent à celles observées chez de futurs enseignants texans, aux États-Unis (Wyatt et al., 2008), et sont moins positives que celles identifiées chez les conseillers scolaires albertains (Alderson et al., 2009). Pour ce qui est de la bisexualité, il est à noter que notre étude comble une lacune dans les écrits de recherche scientifique, car il n’existe pas d’études en Amérique du Nord qui examinent les attitudes du futur personnel enseignant à l’égard des personnes bisexuelles. Bien que les participants ne manifestent pas d’hostilité envers les personnes bisexuelles, ils ne considèrent pas non plus la bisexualité (de même que l’homosexualité) comme une expression naturelle de la sexualité humaine.

Enfin, notre hypothèse est partiellement vérifiée, puisque nos résultats montrent des corrélations faibles et modérées entre les connaissances des participants sur la diversité des rôles ainsi que des comportements sexuels, et leurs attitudes envers les personnes homosexuelles et bisexuelles. En effet, lorsque les connaissances sur ces deux sujets sont plus élevées, les attitudes envers les personnes homosexuelles et bisexuelles sont plus positives. D’autres études ont également observé une telle relation. Par exemple, Alderson et al. (2009) ont constaté qu’il existait une corrélation significativement négative entre le manque de connaissances sur l’homosexualité et l’homophobie chez des conseillers en orientation scolaire. Eliason et Hughes (2004) ont, elles aussi, constaté cette relation, puisqu’elles ont observé que les attitudes négatives envers les personnes appartenant aux minorités sexuelles étaient corrélées à un moins grand nombre d’heures consacrées à l’étude de thèmes relatifs à ces populations. Par contre, le fait de connaître la difficile réalité des jeunes homosexuels et bisexuels des deux sexes n’est pas lié aux attitudes des participants.

De façon générale, les connaissances relatives aux rôles sexuels sont prédictives des attitudes envers les hommes bisexuels et gais ; tandis que celles relatives aux comportements sexuels permettent de prédire les attitudes envers les femmes bisexuelles et lesbiennes ainsi qu’envers les hommes gais. Il est vrai qu’elles ne le sont que modérément, voire faiblement, ce qui dans le fond n’est guère surprenant. En effet, il serait étonnant que des connaissances adéquates suffisent, à elles seules, à influer sur les attitudes des personnes. En effet, les valeurs prépondérantes dans une société sont d’autant plus puissantes qu’elles reposent essentiellement sur des non-dits (Raibaud, 2011) : elles sont à la fois extérieures aux personnes et intériorisées par elles (Rocher, 1995). Nous pouvons donc supposer que l’hétérosexisme qui imprègne les sociétés occidentales (Aldrich, 2006 ; Chouinard, 2010) est profondément ancré dans les valeurs individuelles et ne se laisse pas facilement déloger, même par des connaissances objectives. Il est d’ailleurs instructif de constater que le simple fait de connaître personnellement des personnes homosexuelles ou bisexuelles influe positivement sur les attitudes. Ici, ce sont des liens de nature individuelle qui modifient les attitudes, indépendamment des connaissances objectives (Ajzen, 2001). Nous reviendrons un peu plus loin sur les différentes variables susceptibles d’influencer les attitudes dans le cadre d’une réflexion plus globale sur la question, ainsi que sur les limites de notre étude.

Néanmoins, nos résultats contribuent, de façon intéressante et novatrice, à la compréhension du phénomène étudié : premièrement, aucun des auteurs consultés dans la revue des écrits scientifiques n’a établi la valeur prédictive des connaissances sur les attitudes envers les personnes homosexuelles et bisexuelles et, deuxièmement, nos résultats indiquent que ce sont les connaissances sur la diversité des rôles et des comportements sexuels, et non celles relatives aux difficultés vécues par les jeunes gais, lesbiennes et bisexuels des deux sexes, qui contribueraient à développer des attitudes plus positives envers les minorités sexuelles. Ainsi, la majorité des résultats de nos analyses de corrélation et de régression rejoignent ceux des recherches effectuées en psychologie sociale sur la relation entre les connaissances et les attitudes (Wilson et Hodges, 1992 ; Wood, 1982).

Nous avons vu que les participants de cette étude manifestent des attitudes plus ou moins positives. En fait, si leurs attitudes ne sont pas franchement positives, c’est qu’ils ne considèrent pas l’homosexualité et la bisexualité comme des expressions naturelles de la sexualité humaine au même titre que l’hétérosexualité. Selon les résultats des écrits de recherche, ces attitudes s’inscrivent, comme nous l’avons mentionné précédemment, dans la pensée occidentale où l’hétérosexisme constitue une attitude, voire une valeur, dominante dans notre société (Aldrich, 2006), et dans le milieu scolaire québécois (Chouinard, 2010). En fait, comme la majorité des personnes est hétérosexuelle et que les autres expressions de la sexualité sont rendues en quelque sorte invisibles, la plus grande partie de la population occidentale pourrait considérer comme évident ou logique que tout le monde soit hétérosexuel. Le fait de ne pas considérer l’homosexualité et la bisexualité comme des expressions naturelles de la sexualité humaine pourrait également être attribuable aux théories qui présentent la reproduction comme le but ultime des relations sexuelles (Lancaster, 2003). Mis à part l’influence de la religion, des construits intellectuels, tels que la sélection sexuelle et le gène égoïste, ont conduit à une conception selon laquelle les relations sexuelles entre personnes de sexe opposé sont naturelles et qu’au contraire, celles entre personnes de même sexe sont hors nature, puisqu’elles ne sont pas reproductives (Lancaster, 2003). Ces construits théoriques de lutte pour la reproduction aux fins de survie de l’espèce se sont fixés dans l’inconscient collectif – y compris dans la pensée du futur personnel enseignant – de telle sorte que la population en général considère l’hétérosexualité comme la seule expression naturelle de la sexualité (Bagemihl, 1999), en dépit du fait qu’il existe une grande diversité d’expressions sexuelles non reproductives dans la nature (Bagemihl, 1999 ; Lancaster, 2003).

5.1 Limites de l’étude et perspectives d’avenir

L’étude présente quelques limites. En premier lieu, l’échantillon est restreint à une seule université, et se compose essentiellement de participants hétérosexuels. Des recherches futures, portant sur un plus grand nombre de participants en provenance de plusieurs universités – incluant celles qui ont des cours spécialisés sur la diversité sexuelle –, d’une part, et appartenant aux minorités sexuelles, d’autre part, pourraient contribuer à préciser les données recueillies. C’est pourquoi nous devons rester prudents et éviter toute généralisation excessive.

En deuxième lieu, même si la deuxième partie du questionnaire a été conçue à partir des items construits et validés par Hereck et McLemore (2011) pour les gais et lesbiennes, il reste que la validation des items concernant les personnes bisexuelles devrait être consolidée par d’autres études. De plus, certains facteurs susceptibles d’influencer les attitudes envers les minorités sexuelles, tels que les tendances conservatrices, l’attachement à la religion et le fait de ne pas être en contact direct avec des personnes homosexuelles, devront être inclus dans les données démographiques des prochaines recherches pour mieux clarifier la compréhension du phénomène à l’étude. Enfin, l’item 14 du questionnaire (Les femmes se sont masculinisées au cours des dernières décennies) devrait être précisé, car les participants ont pu associer la masculinisation à des traits physiques, ce qui amènerait une réponse erronée de leur part. La formulation suivante : Les femmes se sont masculinisées psychologiquement au cours des dernières décennies, serait plus susceptible d’amener les participants à comprendre que l’item fait allusion aux traits psychiques et non physiques des femmes.

Outre les questions de la relation entre les connaissances et les attitudes dans le milieu québécois et de la relation entre les attitudes et les comportements (Ajzen, 2001 ; Allport, 1935 ; Eagly et Chaiken, 1993 ; Kraus, 1995 ; Holland et al., 2003), il serait utile d’étudier l’influence des attitudes envers les minorités sexuelles sur la nature des relations qu’entretiennent les enseignants québécois avec leurs élèves homosexuels et bisexuels. De telles études permettraient de mieux comprendre comment la relation entre les connaissances et les attitudes est en lien avec d’éventuels comportements homophobes chez les enseignants. En effet, il se pourrait que nos résultats soient en partie attribuables au fait que nos participants aient été influencés par le milieu universitaire, censé faire preuve d’une plus grande ouverture d’esprit et être capable de poser un regard critique sur les préjugés. Il ne faut pas sous-estimer, chez les participants, le souci de désirabilité sociale, en dépit de l’anonymat absolu dont ils ont bénéficié.

6. Conclusion

Pour cette étude, nous nous sommes donné trois objectifs : 1) évaluer les connaissances du futur personnel enseignant sur les rôles et les comportements sexuels, ainsi que sur les réalités de jeunes homosexuels et bisexuels des deux sexes ; 2)  identifier les attitudes des participants et participantes envers l’homosexualité et la bisexualité ainsi que 3) mettre en lien leurs connaissances et leurs attitudes. Pour ce faire, 82 étudiants de différents baccalauréats en éducation ont répondu à un questionnaire anonyme sur les connaissances et les attitudes en cause. Selon les résultats des analyses descriptives, le futur personnel enseignant a peu de connaissances sur les trois thèmes évalués, et des attitudes plus ou moins positives envers les personnes homosexuelles et bisexuelles. De plus, les résultats des analyses corrélationnelles montrent qu’il existe une relation positive entre les connaissances sur la diversité sexuelle évaluée et les attitudes identifiées dans la présente étude.

Il nous semble nécessaire que de futures études qualitatives soient effectuées afin de : 1) comprendre plus finement les connaissances et les croyances des enseignants en milieu scolaire ou en formation initiale face aux minorités sexuelles ; 2) préciser comment celles-ci influencent les attitudes ; et 3) vérifier si les liens observés en contexte universitaire se maintiennent une fois que les étudiants sont devenus enseignants en contexte scolaire. Il serait également pertinent de réaliser des études (quantitatives, qualitatives ou mixtes) visant à explorer la relation qui pourrait exister entre les connaissances relatives à la diversité sexuelle présente chez diverses espèces animales et les attitudes envers l’homosexualité et la bisexualité. Nous croyons que ces connaissances pourraient exercer un effet sur les attitudes, car elles permettraient de comprendre que l’homosexualité et la bisexualité font partie des expressions naturelles de la sexualité en général, et humaine en particulier.

De plus, les liens statistiquement observés entre les connaissances relatives à la diversité des rôles et des comportements sexuels et les attitudes apportent de nouvelles pistes pour créer des programmes, des ateliers ou d’autres activités de formation pertinents qui viseraient à lutter contre les comportements et les attitudes homophobes destinés au futur personnel enseignant. L’effet positif de la formation réalisée en milieu collégial par Chouinard (2010) est plutôt éloquent à cet égard. Le lien entre les connaissances et les attitudes pourrait également être étudié au sujet d’autres minorités aux prises avec l’intimidation et le harcèlement en milieu scolaire. En effet, peu importe la raison pour laquelle une personne est victime d’ostracisme (origine, religion, couleur de peau ou autre), elle en souffre nécessairement. En conséquence, la formation universitaire destinée au futur personnel enseignant devrait prendre en compte un maximum de connaissances concernant la diversité humaine, dont la diversité sexuelle. Pour cette dernière, la formation des futurs enseignants devrait porter sur l’hétérosexisme et, notamment, dissocier la sexualité humaine de la reproduction. De plus, plutôt que d’appuyer exclusivement une telle formation sur l’acceptation des relations sexuelles dans la nature, il faudrait la fonder sur l’éthique (Rainville, 1988), offrir davantage de connaissances sur la diversité des rôles (Bem, 1974, 1981) ainsi que des comportements sexuels des êtres humains (Kinsey, 1948, 1953), et des animaux (Bagemihl, 1999) ; il faudrait enfin étudier les mythes et l’histoire de la sexualité humaine (Aldrich, 2006). Une telle formation permettrait de comprendre que les relations sexuelles entre personnes du même sexe ne sont pas contre nature, et montrerait que la diversité sexuelle est aussi universelle et naturelle que l’humanité.