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Comme l’indique son sous-titre, cet ouvrage est dédié à un syndicalisme en campagne. Il est indicateur d’un changement de ton que l’on retrouve autant dans la littérature que dans les réalités syndicales : épuisées, insuffisantes, inappropriées ou illusoires les stratégies de partenariat, on assiste au regain d’un syndicalisme de combat.

Tiré d’une conférence intitulée « Global Companies – Global Unions – Global Research – Global Campaigns », tenue à New York au mois de février 2006 et qui réunit plusieurs centaines de chercheurs, syndicalistes et militants d’organisations non gouvernementales (ONG), cet ouvrage se veut délibérément pragmatique et didactique : il s’agit de produire un cadre de référence propre à la conduite de campagnes syndicales capables d’avoir un impact sur le capital transnational. Le premier chapitre rédigé par Tom Juravich « Beating Global Capital : A Framework and Method for Union Strategic Corporate Research and Campaign » est exemplaire du souci de produire un outil d’analyse pour l’action militante. Il s’agit de disséquer les structures des firmes transnationales, leurs centres de commande, leurs systèmes d’opération et leurs réseaux externes ; il s’agit de déterminer quels en sont les rouages et les faiblesses en vue de pouvoir établir un plan d’attaque stratégique au sens où il est à la fois ciblé et compréhensif.

« Compréhensif/Comprehensive » est le qualificatif clé qui renvoie au thème intégrateur de l’ouvrage. Le succès de ce type de campagne dépend de la capacité des syndicats à développer des stratégies à géométrie variable qui reflètent la complexité du circuit du capital et qui exigent la mise en place de réseaux multiples de solidarité. Selon l’éditrice, Kate Bronfenbrenner, le développement de solidarités concrètes, réciproques et durables entre syndicats du nord et du sud, entre syndicats et ONG, travailleurs et communautés, etc., est la condition essentielle à un rapport de force qui compte. C’est là l’argument central de l’ouvrage, de tels développements porteurs d’un nouvel internationalisme sont déterminants pour l’avenir du syndicalisme : « Global unions are the future » conclut l’ouvrage.

Les neuf chapitres qui forment le corpus empirique démontrent, chacun à leur manière, les difficultés inhérentes à la conduite de campagnes transfrontalières et à l’expression de telles solidarités. Ils en relèvent également les conditions de succès. Ces chapitres se consacrent à la fois au « Global South » et au « Global North ». Pour le sud, il s’agit d’Euromedical en Malaisie, d’Unilever en Inde, de l’industrie textile dans les zones franches d’exportation au Sri Lanka et du commerce équitable de la banane dans les Caraïbes. Au nord, il s’agit des dockers européens en lutte contre les directives de la Commission Européenne, des efforts de coordination des métallos européens puis des alliances transatlantiques du SEIU. Ces cas de campagnes transfrontalières sont suivis de deux chapitres qui s’intéressent aux conditions contrastées de l’action syndicale à l’international, du potentiel des nouveaux espaces de régulation (les accords-cadres internationaux) à la permanence de formes violentes de répression syndicale.

Il s’agit d’une collection éclectique de contributions, ce qui est normal pour un ouvrage issu d’une conférence et compte tenu de la problématique à l’examen. Ces contributions sont toutes individuellement de très bon calibre, pour le lecteur intéressé. Ensemble elles illustrent bien le contexte adverse et le caractère complexe de l’internationalisme syndical, mais elles illustrent aussi que la formation de solidarités élargies n’est pas non plus chose insurmontable, ce qui va dans le sens de la ligne d’édition de l’ouvrage.

Pour le lecteur hâtif qui veut faire l’économie des chapitres empiriques, Kate Bronfenbrenner produit un excellent travail de synthèse dans le chapitre de conclusion. Elle y discute l’importance de la régulation étatique et de ses manques, parfois complices, en ce qui a trait au respect des droits des travailleurs. Elle y souligne l’importance de l’éducation syndicale et de son rôle dans l’activation de réseaux de solidarité. Elle y réitère finalement l’importance de la recherche au service de campagnes syndicales ainsi informées des points de vulnérabilité du capital international, et la nécessité d’un syndicalisme global faisant front commun au nom de la justice sociale, seul moyen, selon l’auteure, pour que les solidarités parviennent à prendre le dessus.

En somme, il s’agit d’un ouvrage qui se veut constructif, et il y parvient – le site internet de la conférence indiqué dans le premier chapitre peut d’ailleurs s’avérer très utile pour l’enseignement ou pour l’éducation syndicale. Il s’agit aussi d’un ouvrage qui conjugue efficacement réalisme et idéalisme. Bien sûr, si l’on s’y attache, on pourra trouver des contre-exemples. On pourrait également questionner dans quelle mesure la crise qui vient de frapper l’économie mondiale va mettre les solidarités à l’épreuve, pour le meilleur ou pour le pire ? Mais que l’on partage ou non l’optimisme de l’éditrice, cet idéalisme, cette volonté d’optimisme reflète bien le changement de ton qui est dans l’air du temps.