Benjamin Franklin francophile ou l’état ultime du cosmopolitisme[Notice]

  • Leïla Tnaïnchi

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  • Leïla Tnaïnchi
    Université de Bourgogne Franche-Comté, Centre Lucien Febvre EA 2273

Franc-maçon, membre de la République des Lettres et des Sciences, Benjamin Franklin fait partie de ces philosophes cosmopolites décrits par René Pomeau dans L’Europe des Lumières. Le grand spécialiste de Voltaire y dépeint ces hommes, qui, parcourant l’Europe voire le monde, et adoptant dans leur périple un regard ouvert sur les pays qu’ils traversent, tendent à se libérer du carcan des idées et de la culture de leur sol d’origine. D’après Margaret C. Jacob, Franklin est également une figure éminente du cosmopolitisme protestant. Sans être totalement représentatif des mondes protestants, l’Américain ajoute à sa curiosité naturelle et à son ouverture d’esprit, un prosélytisme qui le pousse à diffuser ses idées politiques, économiques et philosophiques, directement issues de la moralité religieuse réformée. Tout d’abord représentant des colons américains auprès du gouvernement britannique, puis émissaire de la jeune république des États-Unis, Franklin voyage toujours chargé d’une mission politique. Soucieux de réussir cette dernière, l’Américain désire plaire à ses hôtes et leur démontrer son respect, en se conformant aux moeurs et aux usages des sociétés qu’il visite. Les facultés d’adaptation qu’il développe lui deviennent indispensables, lorsqu’en 1776, il arrive en France dans le but d’obtenir d’un gouvernement monarchique une aide financière et militaire pour une république en guerre avec l’Angleterre, alors que les cuisantes défaites de la guerre de Sept ans restent encore dans toutes les mémoires. Grâce à ses qualités de cosmopolite, les portes de nombreux salons parisiens s’ouvrent à Franklin, qui finit par devenir un véritable homme du monde à la française. Sa francophilie croissante, au coeur de sa stratégie de conquête de la haute société, devient réelle et ainsi dangereuse, risquant d’anéantir sa propagande savamment étudiée et son image d’homme aux goûts simples qu’il diffuse alors en France. Certains de ses contemporains se demandent alors si cet état ultime du cosmopolitisme n’a pas conduit Franklin à renier tous les préceptes à la base de sa construction identitaire. Le Congrès a envoyé trois émissaires plaider sa cause en France : Franklin, Silas Deane et Arthur Lee. Leur mission, fort délicate, consiste à convaincre un roi d’entrer en guerre contre un ennemi redouté et de cautionner la révolte d’un peuple contre son propre souverain. Lorsque Franklin et Lee arrivent en France en décembre 1776, Deane a déjà réussi à obtenir une aide officieuse du gouvernement français : une société fictive montée par le célèbre écrivain et dramaturge Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, fabrique et vend secrètement des armes aux Insurgents. Sa réputation et son âge avancé – soixante-dix ans – font de Franklin le chef de file naturel des commissaires américains. Le traducteur de la lettre officielle que le Congrès envoie au gouvernement pour présenter ses émissaires en est pleinement convaincu. Si, dans l’original, les trois hommes ont pouvoir de négociation, dans la traduction française, seul Franklin est détenteur de cette autorité. Louis XVI n’en semble pas étonné. Son secrétaire d’État des affaires étrangères, Charles Gravier de Vergennes, reçoit en effet le 28 décembre 1776, les instructions suivantes de son maître : « Vous pouvez voir Monsieur Franklin, je m’en rapporte à votre prudence sur ce que vous lui direz ». Malgré ses nouveaux titres d’émissaire et de diplomate, l’Américain sait cependant que sa position sociale détermine le regard porté sur lui par Louis XVI et son entourage. Or, à leurs yeux, il est resté ce qu’il était : un simple artisan. Conscient de ce handicap, il sait qu’il se doit d’obtenir l’appui d’hommes influents dans la société des salons parisiens. Les trois commissaires américains, puis John Adams et John Jay qui remplacent les premiers collègues de Franklin à partir de 1778, …

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