Recensions

Anthony Feneuil, L’évidence de Dieu. Études sur le doute religieux. Genève, Éditions Labor et Fides, 2021, 208 p.[Notice]

  • Thierry Laisney

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  • Thierry Laisney
    Université Paris VII - Diderot

La thèse que défend l’auteur de cet essai d’épistémologie religieuse est qu’en matière de foi — contrairement à ce qui se passe pour les autres croyances — la certitude n’est pas fonction de l’évidence. Qu’est-ce que l’évidence pour Anthony Feneuil ? C’est « une croyance dotée d’une forme supérieure d’intensité » (p. 19), une croyance qui influe sur toutes les autres croyances de celui qui la détient. L’évidence (subordonnée à des justifications qui ne sont pas toutes rationnelles) concerne donc moins le contenu d’une croyance que sa position au sein d’un ensemble de croyances. Feneuil recourt à une analogie avec ce que dit Bergson de l’intensité d’un effort musculaire, dont l’accroissement se traduit par une modification, non de la sensation principale, mais de son rapport avec d’autres sensations contiguës. Plus une évidence sera fondamentale — au sens logique comme au sens psychologique —, plus elle sera forte : il peut s’agir d’une croyance d’intensité vitale. La certitude, quant à elle, caractérise le degré d’adhésion à une croyance. « En règle générale, écrit l’auteur, le degré de certitude d’une croyance est proportionné à son degré d’évidence » (p. 26). Mais ce n’est pas le cas pour la « croyance religieuse en Dieu », autre nom de la foi. Selon Anthony Feneuil, c’est l’évidence même de cette croyance qui conduit à en douter. L’auteur, pour conforter sa thèse, s’appuie d’abord sur Schleiermacher (Der christliche Glaube, 1821). Pour ce dernier, l’existence de Dieu n’a pas à faire l’objet de « preuves » : « La croyance théiste est en elle-même la manifestation de Dieu » (p. 34). Ce qui nous relie à Dieu est un « sentiment de dépendance absolue ». Cette croyance immédiate, Schleiermacher l’appelle la piété. Dans la connaissance en général, le degré de certitude est lié à la valeur épistémique de la croyance — il y a de bonnes raisons de croire. Les croyances religieuses, pour leur part, sont réflexives : elles ont cette particularité d’avoir pour objet leur propre certitude. Ainsi l’auteur peut-il trouver dans l’œuvre de Schleiermacher une confirmation de l’idée selon laquelle, en ce qui concerne la foi, la certitude ne coïncide pas avec l’évidence. En effet, pour Schleiermacher, la piété est une manière de douter. Si, de façon générale, nos croyances ne sont pas libres (nous ne sommes pas maîtres de nos perceptions), cette dépendance toute relative n’a rien à voir avec le sentiment de dépendance absolue défini par Schleiermacher : ma liberté est limitée aussi et surtout par le fait qu’elle n’est pas à elle-même sa propre source. Le « codéterminant » de ce sentiment ne peut être qu’infini, absolument libre, et créateur, ce qui, remarque Feneuil, est « une définition facilement acceptable de Dieu » (p. 46). Cette évidence, au sens de l’auteur, ne peut qu’affaiblir la certitude de nos croyances doctrinales, parce qu’elle est en soi un sentiment d’incomplétude, la reconnaissance que je ne suis pas la source de ma propre spontanéité. Pour Feneuil, Dieu est le nom de l’impossibilité de détenir une certitude. En matière de foi, donc, la certitude décline à mesure que l’évidence s’accroît. Cela implique, selon l’auteur, que le fanatisme — cette adhésion volontairement maximale à certaines croyances —, loin d’être la forme pure du religieux, n’en est qu’un dévoiement. Anthony Feneuil se réfère aux travaux d’Albert Piette, en particulier au « mode mineur » qui, d’après cet anthropologue, caractérise la croyance religieuse : pour adhérer à des contenus aussi contre-intuitifs que, par exemple, la vie après la mort, serait nécessaire un certain « flou cognitif », un exercice de la pensée ne dépassant pas un …