Hors-dossierRecensions

Éric Bédard, Le Québec. Tournants d’une histoire nationale, préface de Jacques Beauchamp, Québec, Septentrion, 2019, 153 p.[Notice]

  • Marc-André Éthier

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  • Marc-André Éthier
    Département de didactique, Université de Montréal

Le titre de l’ouvrage d’Éric Bédard est limpide quant à son projet : Le Québec, tournants d’une histoire nationale. Son contenu est à l’avenant : l’auteur présente avec clarté huit évènements du passé comme autant de révélateurs des changements et continuités qu’il voit dans l’histoire de la nation québécoise. Il réaffirme ainsi deux choses simples et qui semblent aller de soi, mais qui se trouvent pourtant au coeur d’âpres débats historiographiques aussi bien à travers le monde, dans le premier cas, qu’au Québec, dans le second : il est possible de faire une histoire nationale sérieuse et il y a une nation québécoise. Nous y reviendrons. Sobrement illustré, l’ouvrage se compose de huit chapitres d’une douzaine de pages chacun issus d’une émission de la radio de Radio-Canada. Avec le style alerte auquel l’auteur nous a habitués dans ses monographies comme dans ses ouvrages de vulgarisation, ces chapitres couvrent quatre siècles en ordre chronologique : deux sur le XVIIe siècle, deux sur le XVIIIe siècle, deux sur le XIXe siècle et deux sur le XXe siècle. Regardons-y de plus près. Le livre s’ouvre sur la Tabagie de Tadoussac, en 1603, une fête au cours de laquelle Anadabijou et Champlain nouent, d’après l’auteur, une alliance marchande et politique franco-amérindienne alors égalitaire qui satisfait les Innus et permet l’installation française dans la vallée du Saint-Laurent. Cette situation contraste avec le rôle des traités commerciaux et politiques que la métropole britannique conclut avec les Premières Nations au bénéfice de la colonisation de la Nouvelle-Angleterre. Bédard souligne que, faute de traces d’un point de vue autochtone, cette interprétation concordiste se fonde sur le seul témoignage de Champlain et que cet épisode est absent de la mémoire innue, au contraire « de la fondation de Québec, perçue, elle, comme une dépossession » (p. 35). Le deuxième chapitre s’intéresse aux Filles du roi, ces quelques 750 à 850 jeunes Françaises d’origine souvent modeste qui, de 1663 à 1674, débarquèrent en Nouvelle-France pour se marier. Après avoir déconstruit une série de mythes étonnamment tenaces qui ternissent leur souvenir, l’auteur souligne que « grâce à elles, un peuple de langue et de culture française a pu prendre racine en Amérique du Nord » (p. 52). Le troisième chapitre compare les décisions de deux politiciens, Choiseul et Pitt, qui présidaient aux relations internationales de la France et de l’Angleterre durant la guerre de Sept Ans et donc au destin de la Nouvelle-France. Bédard met de l’avant les tendances démographiques, géographiques, politiques et socioéconomiques séculaires et l’importance de la contingence et de l’individualité dans l’histoire pour montrer que le Traité de Paris (par lequel la France cédait sa colonie à la Couronne britannique en 1763) clôt un épisode décisif de l’histoire : la clarté de vue d’un Pitt a avantagé l’Angleterre à un moment pivot et cela a changé la donne géopolitique, car l’Angleterre aurait pu rétrocéder la Nouvelle-France à la France. Le chapitre suivant présente le cas de Pierre du Calvet, un homme imbu de principes moraux et politiques, malgré un changement d’allégeance opportuniste après la victoire britannique : il accepte de « s’assurer que les Acadiens n’interceptent pas les navires anglais » (p. 75). Il prospère ensuite dans l’import-export et gagne en influence, mais se met le pouvoir à dos en se rangeant du côté des esprits libres qui réclament des changements politiques au Canada. Victime d’une répression coloniale qu’il considère comme contraire à la tradition juridique britannique, il est incarcéré dans des conditions cauchemardesques. Il conteste ces abus de pouvoir et demande réparation aux autorités. Face à leur mutisme, il se tourne vers …

Parties annexes