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« Beauty is that which pleases the sight or delights the esthetic faculty. That only is really beautiful which answers the purpose for which it was designed. »

William Poole, Library Journal, VIII, 1883 : 271

Les architectes prêchent depuis toujours que l’aménagement des espaces doit répondre à leurs fonctions. Que ce soit Vitruve dans la Rome antique, Jean-Louis-Nicolas Durand dans la France révolutionnaire, Eugène Viollet-le-Duc à Paris ou Adolf Loos à Vienne, tous s’entendent sur le fait que la fonction d’un bâtiment est son but utilitaire (Lang et Moleski, 2010 ; voir aussi Bédarida, 2000). Cette opinion est partagée par les bibliothécaires pour qui l’octroi de nouveaux services et l’apparition de nouveaux besoins en bibliothèque universitaire (BU) doivent se refléter dans l’aménagement de nouveaux types d’espace. En 1960, le bibliothécaire Sidney Harland avançait que les BU devraient être des édifices fonctionnels pour héberger et donner accès aux collections utilisées en enseignement et en recherche, fournir de bonnes conditions pour l’étude prolongée, et être un espace où les bibliothécaires pourront soutenir les usagers et veiller au contrôle des prêts. Il écrivait même : « The people who use a university want a library which is as functionally efficient as a battleship ».

Mais qu’entend-on par un espace « fonctionnel » ? Le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française définit cet adjectif comme suit : « se dit d’un ouvrage d’architecture, d’un meuble dont les dispositions et les mesures conviennent parfaitement à la fonction à laquelle on les destine » (Mboudié, 1976). Une architecture fonctionnelle correspond ainsi à l’alignement des espaces et des usages qui y ont lieu (Lang et Moleski, 2010). Bien que ce concept parcoure toute l’histoire de l’architecture, les architectes modernistes ont été les premiers à le traduire sous forme de préceptes rationalistes. L’arrivée de nouveaux matériaux comme l’acier et le béton et l’industrialisation des techniques de construction permettait une esthétique dite « fonctionnaliste » (Lang et Moleski, 2010) qui se reconnaît essentiellement par une apparence de boîte dénuée d’ornements. Considérée comme un synonyme d’architecture de « style moderne », l’architecture fonctionnaliste a vu ses dogmes remis en question depuis (voir entre autres Blake, 1974). Néanmoins, l’appel à la fonctionnalité des espaces est demeuré.

Occupant une place prédominante tant dans la vie universitaire que sur les campus, BU se sont toujours démarquées par la polyvalence de leurs espaces et la variété de leur usage. Loin d’être de simples entrepôts de livres, elles sont des milieux communautaires dans lesquels étudiants et professeurs échangent, étudient et obtiennent des services documentaires spécialisés pour la recherche et l’enseignement (Beaudry, 2020). Au cours du xxe siècle, elles ont connu de nombreux changements dans leur aménagement non seulement à cause de la diversité et de la croissance de leur offre de services, mais également en raison de la numérisation de leurs collections.

Suivant le précepte de fonctionnalité mis de l’avant par Harland, comment la conception architecturale des BU a-t-elle évolué pour répondre aux changements des usages bibliothéconomiques ? Pour répondre à cette question, il est essentiel de recourir à une comparaison systématique des différents espaces qui les composent.

Revue de la littérature

L’histoire de l’architecture des BU québécoises – et, plus globalement, l’architecture des bibliothèques québécoises – n’a été jusqu’à présent l’objet d’aucune étude d’envergure. Comme le témoigne la bibliographie de Simon Mayer (2014), les historiens abordent le plus souvent l’architecture par des travaux portant sur un édifice, une institution ou un architecte en particulier. Très riches en informations, ces ouvrages décrivent essentiellement le contexte de la construction des BU québécoises, sans toutefois s’attarder à leurs caractéristiques spatiales. Bien qu’elle soit ancienne, la rétrospective de Philippe Turner (1931) présente brièvement les plans des BU majeures construites dans les différentes provinces canadiennes, incluant le Québec, depuis la fin du xixe siècle. Plusieurs BU apparaissent également dans des revues spécialisées en architecture, telles que le Journal de l’Institut Royal d’architecture du Canada, The Canadian Builder, Construction, The Canadian Architectand Builder ou, plus récemment, dans la revue ARQ de l’Association des Architectes du Québec où elles font l’objet de brèves présentations. Lorne Bruce fait aussi le survol de l’architecture des BU canadiennes de l’Après-guerre au pays (2018) parmi lesquelles celle de l’Université Laval. Cette dernière est le sujet d’une monographie de Richard Dufour qui retrace en détail les étapes de la construction du pavillon Jean-Charles-Bonenfant (2018). La bibliothèque Redpath de l’Université McGill a également joui d’une couverture incomparable et a même fait l’objet d’un article de fond de Peter F. McNally (1993). La bibliothèque centrale de l’Université de Montréal, en revanche, est peu évoquée dans l’ouvrage dirigé par Isabelle Gournay (1990) portant sur Ernest Cormier. Les livres portant sur l’histoire des universités relatent aussi, dans quelques passages, les grands jalons de la construction de leurs bibliothèques (Fournier et Antonat, 2012 pour l’UQAM ; Frost, 1980-1984 pour McGill ; Bizier, 1993 pour l’Université de Montréal ; et Hamelin, 1995 pour Laval notamment). Finalement, des BU sont brièvement évoquées dans des écrits plus généraux portant sur l’architecture des bibliothèques (notons, entre autres, Plante, 2013 ; Lajeunesse, 2016 ; et McNally, 2017). Tous ces ouvrages présentent essentiellement les étapes de construction des édifices ou décrivent ces derniers, sans toutefois évoquer les qualités et les caractéristiques de leurs espaces en fonction de leur usage.

La fonctionnalité des espaces des bibliothèques est fréquemment évoquée dans la littérature destinée aux professionnels. Rédigés sous forme de recommandations techniques et pratiques – habituellement par et pour des bibliothécaires – les guides portant sur l’édification des bibliothèques (Edwards, 2009 ; Deyrup, 2017) et plus précisément des BU (Bisbrouck et Renoult, 1993 ; Stewart, 2010) soulignent que les espaces en bibliothèque doivent être fonctionnels, polyvalents, ergonomiques et même rationnels. Ces guides s’inscrivent dans la continuité de traités théoriques plus anciens, tels que Della costruzione et del regolamento di una pubblica universale biblioteca du théoricien Leopoldo Della Santa (1816) ou les exposés des bibliothécaires Justin Winsor (1876) et William F. Poole (1881), qui appelaient déjà les architectes à créer des espaces fonctionnels pour protéger les collections documentaires précieuses et en favoriser la consultation. Dans son oeuvre monumentale de 1965, Planning Academic and Research Library Buildings, le bibliothécaire Keyes D. Metcalf mentionnait aussi l’importance de la fonctionnalité des espaces grâce à leur modularité et leur polyvalence.

La fonctionnalité des espaces des BU fait aussi l’objet d’études de cas. Par exemple, dans un article portant sur les travaux de rénovation à la bibliothèque centrale de la Ohio State University, Joseph J. Branin (2007) souligne l’importance d’aménager de nouveaux espaces et d’adapter les anciens afin d’offrir des espaces fonctionnels et flexibles pour répondre aux services émergents. Robert Coravu (2010) présente des conclusions similaires en contexte roumain. Similairement, quoiqu’en bibliothèque publique, Hermann Romer (2020) présente les travaux effectués à la bibliothèque de Winterthour, en Suisse, où ce sont les nouveaux services et besoins – et non des principes esthétiques – qui ont modifié les espaces.

Les qualités spatiales et la fonctionnalité sont davantage abordées des essais portant spécifiquement sur l’architecture fonctionnelle des bibliothèques. Dans un article publié en 2000, Marc Bédarida retrace les notions de fonctionnalisme et de beauté en architecture en évoquant des théories architecturales et des architectes notables comme Le Corbusier et Alvar Aalto. Prenant comme exemples quelques bibliothèques, il note que l’architecture dite fonctionnaliste faisait l’objet de débats entre les modernistes pour lesquels l’utilité et la beauté suscitaient différents échos dans la génération des espaces. C’est Ludwig Mies van der Rohe qui aurait porté « un coup final au fonctionnalisme » en proposant que les espaces doivent être entièrement flexibles pour accueillir n’importe quel usage. Ainsi, la construction deviendrait un « conteneur universel et polyvalent » où l’usage ne dicte plus la forme.

À l’instar de Bédarida, Karl-Heinz Schmitz (2018) décrit l’architecture de plusieurs bibliothèques des xixe et xxe siècles dans un essai récent intitulé Form und Funktion im Bibliotheksbau. Par l’examen d’un corpus de bibliothèques, il note que les anciennes typologies – aux allures de rotondes et de temples romains – ont graduellement disparu au début du xxe siècle. En effet, les modernistes proposaient déjà de nouveaux concepts basés sur les espaces ouverts et fluides. Bien qu’à partir des années 1960, les espaces intérieurs se soient fractionnés pour accommoder de nouveaux usages, il observe qu’au xxie siècle les espaces fractionnés cohabitent avec les espaces ouverts à la discrétion des architectes. Schmitz avance donc l’idée que les espaces n’évoluent pas nécessairement au même rythme que leur usage : certaines bibliothèques contemporaines emprunteraient des formes anciennes qui répondent tout à fait aux besoins actuels.

Question de recherche

Bédarida et Schmitz proposent une étude historique de l’évolution des espaces des bibliothèques en se basant sur les architectes, leurs théories et leurs oeuvres. Quoique ces auteurs parviennent à effectuer une lecture transversale de l’évolution de l’aménagement des espaces de bibliothèques, les corpus qu’ils utilisent sont néanmoins disparates. Les types variés de bibliothèques qu’ils ont retenues (publiques, universitaires, nationales) sont difficiles à comparer tant leurs échelles et leurs vocations sont diverses. De plus, plusieurs de leurs exemples sont strictement des oeuvres de « Starchitectes », présentées à cause de leur originalité, mais souvent peu représentatives et ayant suscité très peu d’émules : les tours de la bibliothèque François-Mitterrand de Paris, notamment, ont créé une polémique dès leur construction et elles n’ont jamais été reproduites depuis (Davies et Johnson, 1988). Notons aussi que Bédarida se concentre beaucoup sur les propos des architectes, mais n’analyse pas leurs bibliothèques, lesquelles ne servent qu’à illustrer des théories architecturales générales. Pour sa part, Schmitz ne compare pas les bibliothèques de manière systématique. Ses caractéristiques d’espaces diffèrent d’une bibliothèque à l’autre, portant quelquefois sur les magasins ou les salles de lectures, d’autres fois sur une appréciation plus globale du bâtiment.

Comment structurer les données que nous possédons sur l’architecture des BU pour que cela reflète l’évolution dans la conception de leurs espaces ? Le présent article propose de s’inspirer de la réflexion proposée par Bédarida et Schmitz dans un contexte universitaire québécois. Il s’agira d’examiner comment les espaces des BU québécoises ont évolué depuis la fin du xixe siècle jusqu’à aujourd’hui. En se basant sur un corpus d’édifice, plutôt que sur les théories architecturales, nous tâcherons d’y reconnaître, comme évoqué par Schmitz et Bédarida, une évolution des caractéristiques spatiales qui leur est propre.

Méthode

Dans son essai, Schmitz (2018) articule sa réflexion selon deux axes : (1) un axe chronologique en examinant un corpus de bibliothèques construites aux xixe et xxe siècles et (2) un axe architectural en identifiant des typologies et des caractéristiques liées aux bâtiments. Cette biaxialité sera considérée ici dans un contexte québécois.

Pour cela, nous nous appuierons sur une grille comparative issue de l’examen attentif de plans d’architecture et de photographies, ainsi que de visites in situ d’un corpus de BU québécoises. Cette grille sera le résultat d’un processus itératif basé sur la grounded theory, laquelle permet aux relations entre les données d’un corpus d’émerger naturellement, sans le biais induit par le recours à une théorie préexistante ou par l’opinion des acteurs de ce corpus (Corbin et Strauss, 2015) – ici, les architectes eux-mêmes. Ces données, compilées dans un tableau, permettront l’élaboration d’une réflexion sur l’aménagement de leurs espaces (voir Groat et Wang, 2002 : 181).

Axe chronologique - Trois époques charnières

Dans son ouvrage de 1997, David Kaser écrit l’évolution de l’architecture des BU étasuniennes depuis le début des treize colonies jusqu’à la fin du xxe siècle. Il parvient à regrouper les BU en différentes époques témoignant de l’évolution des conceptions architecturales. Dans leur analyse de l’histoire des BU canadiennes, Beckman, Dahms et Bruce (2006) proposent une division temporelle similaire par leur contexte nord-américain, sans être toutefois identique. Ces lectures nous ont permis d’identifier trois vagues de construction illustrant les changements relatifs aux espaces dans la construction de nouvelles BU.

  1. À la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle, l’Université McGill construit la bibliothèque Redpath en 1893, le premier édifice construit uniquement pour la vocation de BU au Québec (McNally, 1993). Celle-ci ouvre la voie à Ernest Cormier qui entreprend en 1924 la planification du pavillon principal de l’Université de Montréal, dans les murs duquel la Bibliothèque centrale ne fut ouverte qu’en 1945 (Gournay, 1990). La construction des BU s’essouffle pendant la première moitié du xxe siècle, alors qu’aucune nouvelle université n’est fondée. Les budgets alloués restent faméliques, tel que le corroborera le rapport Massey en 1951 (Stewart et Kallmann, 2006).

  2. Après un début de siècle tranquille, un nouvel élan s’amorce après la Seconde Guerre mondiale, que Lajeunesse et McNally (2007) qualifieront « d’âge d’or des bibliothèques universitaires au Canada ». À la suite des conclusions alarmantes de la Commission Massey (1947-1951) et de l’arrivée massive de nouvelles cohortes estudiantines, les gouvernements provincial et fédéral procèdent à des investissements massifs dans les universités du pays (Stewart et Kallmann, 2006). Au Québec, les gestionnaires investissent massivement dans l’aménagement de BU modernes dont les collections papier sont sans cesse grandissantes (Ayoub, 2017). L’Université Laval se dote en 1969 d’une nouvelle bibliothèque au pavillon Jean-Charles-Bonenfant (Dufour, 2018), l’Université McGill construit les bibliothèques Redpath (1952) et McLennan (1969), l’UQAM inaugure en 1979 le pavillon Hubert-Aquin où se trouve sa bibliothèque centrale (Fournier et Antonat, 2012), et l’Université Concordia termine en 1992 la construction du nouveau pavillon J. W. McConnell qui abrite la bibliothèque R. Howard Webster (MacLaurin, 1992).

  3. Finalement, le tournant du xxie siècle ravive l’intérêt envers l’aménagement des BU avec la généralisation des accès aux ressources numériques (Edwards, 2009). Alors que les nouvelles constructions, comme celle de la bibliothèque des Sciences du campus MIL de l’Université de Montréal, sont plus rares, plusieurs BU font l’objet de rénovations majeures selon de nouveaux préceptes bibliothéconomiques. Citons de nouveau la bibliothèque R. Howard Webster de l’Université Concordia en 2017 (Hénault, 2018), mais aussi le Carrefour d’apprentissage de l’Université Bishop’s en 2018 (Lacroix, 2021), le quatrième étage du pavillon Bonenfant de l’Université Laval (Lacroix, 2014) et le projet Fiat Lux de l’Université McGill (ékm architecture et Bulfinch, 2015).

Certes, l’ensemble des BU énumérées ci-dessus ne pourra être exploré ici, car elles sont trop nombreuses et leur examen dépasserait l’objectif exploratoire du présent article. Par ailleurs, l’accès aux services d’archives de plusieurs universités s’est complexifié à cause des directives sanitaires causées par la pandémie de COVID-19, nous empêchant un examen étendu au matériel archivistique. Néanmoins, nous avons eu accès à des plans, des photographies, des documents contemporains à la construction des bibliothèques, ainsi qu’à des publications dans des revues spécialisées. Nous avons donc établi un corpus de six BU québécoises, deux par époque charnière. Les BU suivantes seront ainsi considérées, car elles répondent à ces paramètres : l’ampleur de leur construction, la taille de leur collection, la diversité des services offerts, le nombre d’étudiants de leur institution d’attache ainsi que l’accessibilité de leur documentation.

  1. Bibliothèque Redpath de l’Université McGill

  2. Bibliothèque centrale de l’Université de Montréal

  3. Pavillon Jean-Charles-Bonenfant de l’Université Laval

  4. Bibliothèque McLennan de l’Université McGill

  5. Rénovations de la bibliothèque H. Howard Webster de l’Université Concordia

  6. Bibliothèque du campus MIL de l’Université de Montréal

Axe architectural - Trois éléments de comparaison spatiale

En 1816, le théoricien Leopoldo Della Santa publiait le traité Della costruzione et del regolamento di una pubblica universale biblioteca. Il y dénonçait les formes hétéroclites des salles des bibliothèques, non fonctionnelles et dont la variété n’était pas le fruit de la raison[2]. L’ouvrage était accompagné d’un plan de bibliothèque idéale, strictement utilitaire et jamais réalisé, pouvant accueillir 2 millions d’ouvrages (voir figure 1). Ce plan illustrait pour la première fois un aménagement des espaces selon les usages en proposant explicitement une division tripartite des espaces : les magasins, la salle de lecture et une zone de services destinée aux services, incluant les bibliothécaires et le catalogue (Schmitz, 2018).

Figure 1

Plan de bibliothèque idéale tirée du traité Della costruzione… de Leopoldo Della Santa (1816)

Domaine public, Wikimedia Commons

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Le concept de division tripartite a été repris par de nombreux auteurs pour expliquer l’importance d’aménagement fonctionnel pendant la construction de bibliothèques. Par exemple, dans un plan créé pour héberger une bibliothèque d’un million d’ouvrages, Justin Winsor (1876), divise les espaces en fonction de ces usages : le public consultait les livres dans une salle de lecture, les bibliothécaires s’affairaient à leur tâche de traitement documentaire dans des pièces spécialisées, et un magasin fermé hébergeait l’ensemble de la collection. Cette division est encore de mise aujourd’hui. Pizzetta (2017) parle de « patron spaces », de « collection spaces » et de « staff spaces », alors que Wong (2018) énonce trois secteurs « public spaces », « collection » et « staff ». C’est selon cette tripartition « lecteurs – collection – bibliothécaires et services » que nous entendons commenter le traitement spatial des bibliothèques de cet article. Très généraux, ces termes ne correspondent pas à des caractéristiques spatiales concrètes, mais guideront plutôt notre analyse afin d’y fournir une constance et une cohérence.

Examen du corpus de bibliothèques

Tournant du xxe siècle

Université McGill – Bibliothèque Redpath

Inaugurée en 1893, la bibliothèque Redpath de l’Université McGill est la première BU construite au Québec en tant qu’édifice autonome destiné à cette unique vocation (voir figure 2). Oeuvre de l’architecte Andrew Thomas Taylor et librement inspirée de l’oeuvre de l’architecte étasunien Henry Hobson Richardson (CUM, 1980 : 148), elle est un don du magnat du sucre Peter Redpath. Elle se présente sous les traits pittoresques d’une église qui, malgré ses formes néo-romanes extérieures, suit étonnamment les préceptes ecclésiologistes anglicans comme en témoignent sa nef unique, sa charpente apparente, son « choeur » plat tourné vers l’est et percé de trois lancettes, et son « clocher » asymétrique. À l’origine, son plan se présentait sous forme de deux ailes placées en « L », chaque aile correspondant à un usage : la salle de lecture et les magasins (Waag, 2013, 126). Le comptoir où prenaient place les bibliothécaires se trouvait près de leur jonction.

Figure 2

Vue extérieure de la bibliothèque Redpath, Université McGill, vers 1895

McGill University Archives, Photo #PR015232

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Lecteurs : L’entrée des étudiants s’ouvrait sur l’espace central de la bibliothèque, lequel correspondait au choeur plat et à la nef d’une église. Cet espace abritait une grande salle de lecture avec charpente apparente de chêne (voir figure 3). Il était éclairé par des fenêtres latérales ainsi que trois lancettes peintes orientées vers l’est. Quatorze tables étaient disposées perpendiculairement aux murs et chaque place assise possédait une lampe d’appoint. Des espaces de lectures supplémentaires étaient placés dans des alcôves. Un souci a été apporté à la décoration : les blochets de la charpente de chêne sont sculptés de figures fantaisistes et un immense foyer de pierre de taille occupe une portion du mur de la salle. Outre certaines salles de séminaires destinées à l’enseignement situées au sol, les lecteurs étaient restreints à cette unique section de la bibliothèque.

Figure 3

Salle de lecture de la bibliothèque Redpath, Université McGill, 1893

McGill University Archives, Photo #PR014558

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Collection : En plus de certaines étagères installées dans la salle de lecture, les livres étaient entreposés dans un magasin situé dans la seconde aile de la bibliothèque, accessible uniquement au personnel et à quelques lecteurs privilégiés (voir figure 4). Conçu à l’origine pour accueillir 35 000 livres (Turner, 1931 : 7), le rayonnage d’acier est structurel : les montants soutiennent à la fois les rayons des livres en chêne et des planchers perforés en métal. Le magasin était séparé de la salle de lecture par des portes coupe-feu. Il avait été aménagé en vue d’en faciliter les agrandissements, ce dont témoignent les rallonges successives le long de la rue McTavish en 1901, 1921 et 1937 (CUM, 1980 : 148).

Figure 4

Magasin structurel de la bibliothèque Redpath, Université McGill, [vers 1895]

McGill University Archives, Photo #PL037377

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Services : Le comptoir de services ainsi que les catalogues se trouvaient à la jonction du magasin et de la salle de lecture (voir figure 5). Les bibliothécaires agissaient comme point de rencontre entre la collection et les usagers. Taylor avait en outre conçu des espaces fermés au rez-de-chaussée et au sous-sol pour accueillir les activités journalières liées au livre : réception des ouvrages, traitement, etc. Ces espaces étaient divisés par des cloisons fixes. Le bureau du bibliothécaire et le catalogue étaient séparés de la salle de lecture par un écran de verre ornemental (Taylor, 1931).

Figure 5

Comptoir de services de la bibliothèque Redpath, Université McGill

McGill University Archives, Photo #PR37384

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Université de Montréal – Bibliothèque centrale

La bibliothèque centrale de l’Université de Montréal d’Ernest Cormier témoigne d’une nouvelle conception de la place qu’occupe la bibliothèque au sein de cette institution. Ayant acquis son autonomie de l’Université Laval en 1889, l’Université ne possède alors aucune BU digne de ce nom. Ce n’est qu’en 1893 qu’un nouvel édifice aménagé sur la rue Saint-Denis, dessiné par Joseph Venne, accueille une première bibliothèque. Celle-ci disparaît après les incendies successifs du bâtiment en 1920 et 1922. La bibliothèque Saint-Sulpice, ouverte depuis 1915, hérite alors de la collection de livres de l’Université et en devient d’office la nouvelle bibliothèque (Maurault, 1926 ; Taylor, 1931).

En 1924, Ernest Cormier entame la conceptualisation du plan d’un nouveau campus situé sur le flanc nord du mont Royal. La bibliothèque centrale apparaît sur les dessins dès 1926, mais aucun détail de construction, outre son emplacement, n’est spécifié[3]. Le chantier du pavillon principal (actuel pavillon Roger-Gaudry) est entamé en 1928, mais est arrêté dès 1931 pour des raisons financières. Les travaux seront repris en 1941 après l’adoption de la Loi 51 pour assurer le parachèvement de l’immeuble de l’Université de Montréal (CUM, 1980 : 292-295 ; Gournay, 1990). Inaugurée en 1945, la bibliothèque centrale était située au sixième étage de l’aile L, entre le vestibule d’honneur et la tour du pavillon principal[4]. Aujourd’hui consacrée à la Santé, elle a subi des rénovations importantes au cours des années 1970 qui l’ont dépouillée de sa décoration d’origine et de sa verticalité en lui ajoutant deux étages intermédiaires.

Lecteurs : Les lecteurs devaient emprunter des escaliers depuis le vestibule d’honneur pour accéder à la bibliothèque. La salle de lecture était un grand espace rectangulaire délimité par des murs de pierre massifs. Les lecteurs prenaient place sur l’une des petites tables de marbre placées perpendiculairement aux cinq grandes fenêtres donnant vers la cour d’honneur, au nord-ouest (voir figure 6). Une série de six piliers rectangulaires reprenaient en retrait le rythme des fenêtres. Un autre ensemble de piliers, circulaires cette fois, étaient placés en cercle. Leur nombre important s’explique par les charges causées par la maçonnerie de la tour dont la bibliothèque est le socle. À l’image du vestibule du pavillon principal, la salle de lecture était parée de plafonds suspendus aux cercles concentriques et de colonnes dallées de marbre. Une pièce attenante avait été aménagée pour les étudiants de droits, servant à la fois de salle de séminaire et de salle de lecture (Tanghe, 1942). À partir de 1953, les chercheurs pouvaient aussi occuper des places de travail individuelles aménagées dans le magasin situé derrière la salle de lecture (Leduc, 1956).

Figure 6

Salle de lecture de la Bibliothèque centrale, Université de Montréal, [1966 ?]

Archives Université de Montréal, Fonds Bureau de l’information, D0037/1fp03827

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Collection : Certains ouvrages de référence étaient disponibles dans les bibliothèques encastrées le long des murs de la salle de lecture. Dès les premières ébauches du projet, Cormier prévoyait de faire de la tour de l’université un dépôt de livres, surmonté d’un observatoire astronomique (Cormier, 1931). Ce magasin fermé visait à rentabiliser l’espace de la collection sur la surface de plancher (Cormier, 1947). La tour étant peu accessible, un magasin structurel de six étages en acier – les actuelles « mezzanines » – a été construit par la firme Snead & Co. en 1953 (Leduc, 1965) pour accueillir la réserve de livres (Tanghe, 1942) (voir figure 7). Le magasin n’était accessible qu’aux bibliothécaires, professeurs et étudiants des cycles supérieurs depuis la salle de lecture par une porte menant à l’aile H. Les étudiants de premier cycle devaient s’adresser aux bibliothécaires pour avoir accès aux ouvrages qui y étaient entreposés (Leduc, 1956).

Figure 7

Nouveaux rayonnages de la Bibliothèque centrale, [après 1953]

Archives Université de Montréal, Fonds Bureau de l’information, D0037/1fp08058-0002

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Services : Les meubles du catalogue étaient placés près du comptoir de services afin que les bibliothécaires et les usagers y aient facilement accès. Le comptoir de services, surplombé d’un immense crucifix, était près d’une porte menant au magasin (voir figure 8). Les ateliers voués au traitement étaient situés à un étage supérieur, à la base de la tour.

Figure 8

Salle de lecture et comptoir de services de la Bibliothèque centrale, [après 1943]

Archives Université de Montréal, Fonds Bureau de l’information, D0037/1fp08058-0001

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Après-Guerre – Université Laval et McLennan

Université Laval – Pavillons Jean-Charles-Bonenfant

Inauguré en 1969, le pavillon Jean-Charles-Bonenfant de l’Université Laval est une suite logique des recommandations du rapport Williams-Filion intitulé Vers une bibliothèque digne de Laval : rapport d’une enquête sur la Bibliothèque de l’Université Laval de 1962 (Dufour, 2018 : 50 ; voir Williams et Filion, 1962). En effet, tout comme l’avait observé le commissaire Vincent Massey près d’une décennie plus tôt (Stewart et Kallmann, 2006), des mesures devaient être entreprises pour répondre aux besoins de recherche et d’enseignement de l’université. Déposé en 1965 et rédigé par une équipe de bibliothécaires et de conseillers (dont Keyes D. Metcalf, l’auteur guide de construction des BU renommé), le Programme de construction de la Bibliothèque de l’Université Laval exposait les besoins et les attentes pour une bibliothèque centrale pouvant héberger 3 millions de volumes (Blanchet, 1972).

Le pavillon, conçu par St-Gelais Tremblay Tremblay Labbé architectes de 1967 à 1968, se présente depuis comme un bloc de béton placé au-dessus d’un rez-de-chaussée en retrait faisant office de socle (voir figure 9). Il est à la fois occupé par la bibliothèque ainsi que par certains services administratifs de l’université. Sa structure de béton est modulaire, formée de piliers placés à intervalles réguliers et soutenant les dalles des différents planchers, tous identiques. Ses quatre façades sont ponctuées d’unités de béton préfabriquées en forme de « V » entre lesquelles on peut apercevoir des fenêtres longues et étroites. La modularité de l’architecture du pavillon Bonenfant a rendu possible une rénovation majeure de son 4e étage en 2011. Cet étage, conçu à l’origine comme un magasin fermé, a vu ses rayonnages retirés en grande partie et remplacés par des espaces de travail. La qualité de cette rénovation a remporté une mention du Prix architecture de bibliothèques et de centre d’archives du Québec (Lacroix, 2014).

Figure 9

Vue extérieure du pavillon Jean-Charles-Bonenfant, Université Laval, 1968-70

367-1-003, CC-BY-SA 4.0, Yves Tessier, Kalos, Bibliothèque de l’Université Laval

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Lecteurs : Les places de lectures étaient dispersées aux étages inférieurs. Le regroupement le plus important de ces places était sans conteste la salle de lecture des étudiants de premier cycle, laquelle occupait plus du tiers du premier sous-sol. Les carrels y étaient alignés en groupe de quatre et étaient entrecoupés de rayonnages destinés à des ouvrages de référence. En l’absence d’éclairage naturel, l’éclairage y était assuré par des fluorescents. Au premier étage, d’autres carrels étaient groupés près du catalogue et des ouvrages de référence (voir figure 10). Des salles de lecture, l’une destinée aux périodiques et l’autre aux publications gouvernementales, étaient séparées de l’ensemble par des vides techniques réservés aux canalisations et aux escaliers. Certains cabinets de travail étaient aménagés dans les niveaux supérieurs pour les étudiants des cycles supérieurs. Le décor était sobre, outre une fontaine décorative à l’entrée et des tuiles de plancher bleues et blanches, lesquelles ont été recouvertes de tapis dès les premières années à cause le bruit qu’elles généraient (Dufour, 2017 : 74-75). Seul le rythme des lampes placées dans certains caissons du plafond rompait l’apparence brutaliste de l’intérieur.

Figure 10

Carrels de lecture du premier étage, pavillon Jean-Charles Bonenfant, 1968

Université Laval, Division de la gestion des documents administratifs et des archives. Fonds Service des relations publiques, U519/33203.16, photographe William Bertram Edwards

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Collection : Alors que certains ouvrages de référence étaient facilement accessibles aux étages inférieurs, la majorité de la collection de la bibliothèque était entreposée dans les étages 2 à 5 (voir figure 11). Jusqu’en 1974, elle n’était accessible qu’aux bibliothécaires, professeurs et étudiants des cycles supérieurs (Dufour, 2017 : 77). Le magasin se présentait comme de longues rangées de livres éclairées par des fluorescents. Les rayonnages, meubles métalliques indépendants, couvraient le plancher afin d’en rentabiliser l’occupation.

Figure 11

Bureau de services, pavillon Jean-Charles Bonenfant, 1968

Université Laval, Division de la gestion des documents administratifs et des archives. Fonds Service des relations publiques, U519/7850.80, photographe Michel Bourassa

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Services : Plusieurs comptoirs de services étaient placés à des endroits stratégiques : un premier à l’entrée de la bibliothèque des étudiants de premier cycle, au sous-sol ; un second, le plus important en termes de dimensions, près de l’entrée du premier étage ; et plusieurs autres près des collections spécialisées (périodiques, cartothèque, publications gouvernementales, etc.) (voir figure 12). L’imposant catalogue était placé en plein centre du premier étage (voir figure 13). Celui-ci était divisé en quatre blocs, près des bibliographies nationales et de places assises. Les ateliers de reliure, d’impression des fiches de catalogues et de préparation des volumes du prêt étaient situés au sous-sol. Les gestionnaires, les bibliothécaires, le service d’acquisition, le service de catalogage et le service des périodiques occupaient un peu plus de la moitié de la surface du premier étage. La plupart de ces espaces étaient isolés des espaces de lecture par des cloisons qui n’avaient aucune propriété de support.

Figure 12

Bureau de services, pavillon Jean-Charles Bonenfant, 1968

Université Laval, Division de la gestion des documents administratifs et des archives. Fonds Service des relations publiques, Archives Université Laval, U519/33203.10, photographe William Bertram Edwards

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Figure 13

Catalogue, pavillon Jean-Charles-Bonenfant, Université Laval, 1979

Université Laval, Division de la gestion des documents administratifs et des archives. Fonds Service des relations publiques, U519/7850.81, photographe Paul Laliberté

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Université McGill – Bibliothèque McLennan

Voué aux lettres et aux sciences sociales, l’édifice de la bibliothèque McLennan voit le jour suite aux réflexions amorcées par le dépôt en 1962 du rapport du University Library Committee et par l’enquête Survey of the McGill University Libraries de 1963 (Frost, 1984 : 298 ; voir aussi McCarthy et Logsdon, 1963). En effet, malgré la construction de la nouvelle bibliothèque Redpath en 1953, l’espace manque pour accueillir le nombre croissant d’étudiants et d’ouvrages. Plutôt que de miser sur la construction de nouveaux magasins, l’enquête de 1962 invite l’université à construire une nouvelle bibliothèque. Dans les premières phases du projet, cette bibliothèque devait servir de bibliothèque pour les étudiants des cycles supérieurs et les professeurs, alors que la bibliothèque Redpath devait desservir les étudiants de premier cycle (McNally, 1994).

Conçue par la firme Dobush Stewart Bourke et inaugurée en 1969, la bibliothèque McLennan se présente comme un bloc oblong de sept étages placé à l’intersection des rues Sherbrooke et McTavish (voir figure 14)[5]. La structure est faite de béton armé et de panneaux de béton préfabriqués. Tout comme le pavillon Bonenfant de l’Université Laval, cette bibliothèque est modulaire : les différentes dalles de béton sont soutenues par des piliers circulaires placés à intervalles réguliers. Tous les étages sont identiques et organisés autour l’espace central, lequel est réservé aux espaces techniques et de circulation. Les usagers pouvaient circuler aisément d’un étage à l’autre grâce à des ascenseurs et un escalier ouvert unique placé au centre de la structure. Après avoir subi quelques rénovations au fil des années, la bibliothèque est actuellement au coeur du projet Fiat Lux (Ékm architecture et Bulfinch, 2015).

Figure 14

Vue extérieure de la bibliothèque McLennan, Université McGill, 1965-66

McGill University Archives, Photo #PR034259

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Lecteurs : Les usagers de la bibliothèque y accèdent depuis l’entrée principale située au niveau de la terrasse commune avec la bibliothèque Redpath. Au moment de son ouverture, elle offrait 1500 places assises dispersées à tous les étages (RAIC, 1966 : 32). Celles-ci s’ajoutaient aux 1500 places nouvellement aménagées dans les différentes salles de lecture réservées aux étudiants du premier cycle de la bibliothèque Redpath. À McLennan, des carrels et des salles de travail sont situés à proximité du rayonnage afin que les étudiants puissent avoir un accès facile à la collection. Ils étaient placés en périphérie de chaque étage afin que les usagers puissent lire à la lumière naturelle traversant les fenêtres horizontales (McNally, 1994). Outre un nombre réduit de pièces fermées près des espaces techniques et quelques salles de travail individuel près des fenêtres, les différentes zones n’étaient délimitées par aucune cloison, si ce n’est par certains rayonnages qui pouvaient en faire office. Des salles de séminaire et des salles de lecture spécialisées, dont celle des périodiques située à l’étage principal et la collection de livres située rares au sous-sol, complétaient l’offre de places de travail. L’atmosphère était de toute sobriété : les planchers étaient couverts de tapis et l’éclairage était fourni par des lampes fluorescentes disposées dans certains caissons du plafond, alternant ainsi ombre et lumière. Plongés dans cette ambiance, les étudiants des cycles supérieurs pouvaient « se trouve[r] en contact intime avec les livres » et profiter des salles de lecture « où le calme et la concentration prédomin[ai]ent » (Architecture/Concept, 1970).

Collection : Les ouvrages de référence ainsi que les périodiques étaient disposés à l’étage principal de la bibliothèque, près de tables de travail réservées aux usagers. La collection occupait la majeure partie des étages supérieurs : les étagères métalliques étaient disposées en longues rangées entre les piliers de soutien autour de l’espace de circulation (escaliers et ascenseurs) situé au centre du plan. Les rayonnages étaient placés loin des fenêtres afin de limiter les effets dommageables du soleil sur les livres (McNally, 1994). Dès leur conception, les magasins devaient être accessibles aux étudiants des cycles supérieurs, un contrôle étant effectué à son entrée. Vu la modularité de la structure, la structure de l’édifice aurait pu accueillir deux étages supplémentaires pour héberger les collections grandissantes (McNally, 1994).

Services : L’imposant comptoir de services (research desk) était placé dans le hall d’entrée vis-à-vis l’entrée principale. À l’arrière de celui-ci prenaient place les commis ainsi que, près de la rue McTavish, le service de catalogage. Les meubles du catalogue, pour leur part, étaient situés derrière les ascenseurs et l’escalier principal. Toujours à cet étage, le service de prêt entre bibliothèques ainsi que les responsables de périodiques étaient isolés dans des bureaux. Les bureaux de l’administration étaient groupés dans la bibliothèque Redpath alors que ceux de la direction étaient près de l’entrée principale de McLennan, où ils sont toujours situés. L’école de bibliothéconomie et le service de la collection de livres rares se trouvaient au sous-sol. Finalement, des bureaux de bibliothécaires étaient dispersés dans les étages du magasin.

Tournant du xxie siècle – MIL et « Nouvelle » Webster

Université Concordia – Bibliothèque H. Howard Webster

La bibliothèque Webster est située au pavillon J. W. McConnell de l’Université Concordia. Ce pavillon, inauguré en 1992, est aménagé autour d’un puits de lumière central éclairant une « rue intérieure » au rez-de-chaussée (Plante et Boyer-Mercier, 1990). Le concept de Werleman & Guy Blouin & Associés, qui se démarque par la qualité de son intégration au tissu urbain, reprend plusieurs éléments proposés dix ans plus tôt dans un projet préliminaire, lequel avait remporté un prix d’excellence de la revue The Canadian Architect (1982). La structure modulaire de cet édifice post-moderne permet de « planifier rationnellement […] en ne sacrifiant rien de l’organisation de ses fonctions internes » (Blouin, 1987).

La bibliothèque Webster en occupe aujourd’hui quatre étages, le reste de l’édifice étant occupé par des bureaux administratifs, des départements, une librairie et même un cinéma. L’agence Menkès Shooner Dagenais LeTourneux Architectes, membre du consortium qui a réalisé le complexe des sciences du campus MIL de l’Université de Montréal, a revisité les espaces de la bibliothèque en 2018 (Canadian Architect, 2018). Piloté par Guylaine Beaudry, ce projet visait à accueillir les étudiants dont le nombre avait presque doublé en 20 ans (Hénault, 2018). La bibliothèque Webster a ainsi été agrandie et complètement réaménagée autour du puits central, notamment grâce à la modularité de sa construction.

Lecteur : La bibliothèque se démarque par le nombre et la diversité des places de travail offertes aux usagers. Ces 3 300 places sont réparties dans les dix-neuf environnements d’étude que l’on peut regrouper en quatre catégories : les salles de lecture, les environnements sociaux d’apprentissage, les espaces réservés aux étudiants des cycles supérieurs, et les espaces voués à l’enseignement ou aux activités de groupe (Beaudry, 2020). Les cloisons des salles de lecture et classes sont vitrées pour laisser entrer la lumière naturelle (voir figure 15). Une portion du 2e étage est réservé à un bac à sable technologique et le 3e étage accueille un studio de visualisation. Faites de parois de chêne enchâssées dans des cadres d’aluminium, certaines salles destinées au travail en équipe prennent la forme de cubes posés au centre du plancher. Comme les salles multifonctionnelles et dédiées à l’enseignement, elles sont munies d’écrans et de projecteurs.

Figure 15

Salle de lecture de la bibliothèque H. H. Webster, Université Concordia

MSDL Architectes © Adrien Wiliams, photographe

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Collection : La collection physique reste bien visible, sans toutefois occuper tout l’espace. Le rayonnage est concentré dans les espaces ouverts des moitiés occidentales de chaque étage (voir figure 16). Afin de maximiser le nombre de mètres linéaires par mètre carré de plancher, des étagères supplémentaires ont été ajoutées au-dessus des cadres existants. Bien que les salles de lectures soient dénuées de livres, ces derniers restent visibles à travers les cloisons vitrées. La collection numérique est accessible par wifi, ou sur des installations informatiques qui lui est dédiée.

Figure 16

Salle de lecture et rayonnage de la bibliothèque H. H. Webster, Université Concordia

MSDL Architectes © Adrien Wiliams, photographe

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Services : Le service de référence « Ask Us » est placé à l’entrée même de la bibliothèque afin de guider les usagers vers les différentes ressources et services de la bibliothèque (voir figure 18). Il s’agit de l’unique endroit réservé à cet usage dans la bibliothèque. Les bureaux de l’administration de la bibliothèque, des bibliothécaires et des systèmes de l’information occupent près de la moitié du 5e étage.

Figure 17

Entrée de la bibliothèque H. H. Webster, Université Concordia

MSDL Architectes © Adrien Wiliams, photographe

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Université de Montréal – Bibliothèque des sciences, campus MIL

Inauguré en 2019 sur le site de l’ancienne gare de triage d’Outremont, le Complexe des sciences – campus MIL de l’Université de Montréal accueille aujourd’hui les départements de chimie, de physique, de géographie et de biologie. La solution proposée par le consortium Menkès Shooner Dagenais LeTourneux Architectes – Lemay – NFOE se compose de deux pôles : l’un dédié à l’enseignement et l’autre, aux sciences, tous deux liés par une bibliothèque (MDSL, s.d.). La structure de béton est formée de piliers circulaires soutenant des dalles de béton, suivant les préceptes de l’architecture modulaire. Les différents espaces de la bibliothèque s’articulent autour de corridors en forme de « h ». Le projet a remporté plusieurs prix, dont le Architecture Master Prize – Architecture institutionnelle en 2021 (UdeM, 2021). La bibliothèque sera agrandie lors de la deuxième phase de construction de ce nouveau campus.

Lecteur : Près du trois quarts de l’espace de la bibliothèque est dédié aux usagers (Patry et Lavallée, 2019). Les salles de travail en équipe, le laboratoire de visualisation, la salle de lecture et la salle de formation sont cloisonnés, alors que les espaces de rencontre et certaines places de travail sont ouverts. Les cloisons de verre du mur-rideau laissent entrer une abondante lumière et offrent une vue sur le jardin intérieur (voir figure 18). Chaque type d’espace présente des meubles adaptés et, le cas échéant, de l’équipement technologique (ordinateurs, écrans, etc.).

Figure 18

Espaces de travail de la Bibliothèque des sciences, Campus MIL, Université de Montréal

MSDL Architectes, © Stéphane Brügger, photographe

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Collection : La collection papier se restreint à un coin de la bibliothèque et n’est accessible que par une seule porte située au fond du corridor. Les unités de rayonnages en cantilever sont alignées de manière compacte et sont restreintes à une seule section de la bibliothèque (voir figure 19). Aucune place de travail n’y est aménagée. La collection a été grandement élaguée et les ouvrages moins utilisés placés en entrepôt puisque l’essentiel de la littérature scientifique est maintenant sur support électronique. La cartothèque, qui comprend plusieurs classeurs, jouxte la section dédiée aux services.

Figure 19

Salle des collections de la Bibliothèque des sciences, Campus MIL, Université de Montréal, 2019

Direction des bibliothèques de l’Université de Montréal, © Amélie Elizabeth Lévesque, photographe

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Services : Les commis, les techniciens et les bibliothécaires ont été regroupés dans un espace situé au centre de la bibliothèque (voir figure 20). Un comptoir multiservice aux couleurs vives accueille les usagers s’y présentant. Plusieurs bureaux fermés ont été aménagés pour les différents professionnels.

Figure 20

Comptoir de services de la Bibliothèque des sciences, Campus MIL, Université de Montréal, 2021

Direction des bibliothèques de l’Université de Montréal, © Christian Fleury, photographe

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Grille comparative

La grille présentée ici émerge inductivement des observations rapportées dans la section précédente. Elle s’ordonne selon un axe chronologique et un axe architectural. Elle facilite la comparaison entre les différentes époques et les différents ensembles de bibliothèques de notre corpus (voir tableau 1). L’axe chronologique présente les trois époques que nous avons traitées : (1) le tournant du xxe siècle, (2) l’Après-guerre et (3) le tournant du xxie siècle. L’axe architectural s’oriente, quant à lui, selon la vision tripartite traditionnelle des composantes des BU : la collection, les usagers et les bibliothécaires/professionnels. La rangée « espace architectural » s’est ajoutée d’elle-même et fait office d’observations générales s’intégrant mal à l’analyse tripartite de l’espace.

Tableau 1

Comparaison des espaces de six BU québécoises du tournant du xxe siècle, de l’Après-guerre et du tournant du xxie siècle

Comparaison des espaces de six BU québécoises du tournant du xxe siècle, de l’Après-guerre et du tournant du xxie siècle

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Discussion

Les usages se distinguent d’eux-mêmes dans le plan des bibliothèques les plus anciennes : le magasin et la salle de lecture se présentent comme des espaces polarisés qui ne se rencontrent qu’au comptoir de service. Le choix de séparer le magasin fermé de la salle de lecture suit les préceptes décrits par Della Santa. À McGill, l’architecte Andrew T. Taylor (1893) explique son choix, inspiré des bibliothèques étasuniennes, par son efficacité : un tel magasin structurel pouvait accueillir un nombre important de volumes, être facilement agrandi, en plus d’être résistant au feu. À l’opposé, Ernest Cormier n’a laissé aucune explication. Néanmoins, ses voyages à l’étranger – et aux États-Unis, notamment – pourraient expliquer sa décision d’aménager le dépôt de livres dans la tour (Gournay, 1990), bien que cette solution ne permette pas l’ajout séquentiel de nouveaux espaces de rayonnage pour répondre à la croissance des collections papier. L’aménagement d’un magasin structurel à la base de la tour présente également des inconvénients similaires.

L’importance que ces deux architectes ont accordée aux magasins témoigne de l’intérêt qu’ils portaient avant tout à la collection, principal élément constituant la BU. D’ailleurs, comme le souligne avec raison Jordy (cité dans Waag, 2013, 125) : « the stack problem dominated the discussion of library architecture ». La littérature contemporaine souligne en effet l’importance des propriétés ignifuges de la construction, du classement des ouvrages et de la circulation rapides des ouvrages du magasin au lecteur (Winsor, 1876 ; Poole, 1881 ; Soule ; 1891 notamment). Quoique fonctionnels, ces magasins structuraux figent néanmoins des espaces pour un usage unique : la conservation de la collection. Les rayonnages ne peuvent être déplacés ni modifiés.

Bien éclairées par l’abondance de fenêtres faisant entrer la lumière naturelle, les salles de lectures sont aménagées comme de grands espaces où peuvent prendre place de nombreux étudiants. Leur aménagement s’inscrit dans la lignée des salles de lecture de grande taille du xixe siècle[6]. Véritables salles d’apparat, elles sont abondamment décorées afin de créer une atmosphère invitant au calme, au recueillement et à la réflexion, la salle de la bibliothèque Redpath rappelant même les formes d’une église anglicane. Liées à leur usage – la lecture – ces salles sont fonctionnelles, mais aucunement flexibles en raison de leurs murs porteurs. Il est donc impossible d’envisager des places supplémentaires sans modifier la structure du bâtiment. Notons par ailleurs que la salle de la bibliothèque centrale de l’Université de Montréal présente le même manque de souplesse à cause de ses nombreux piliers circulaires. Dans une envolée lyrique sous la plume de son oncle Baptiste, Armand Frappier raconte :

Voici la Bibliothèque, immense et haute nef, labyrinthe de piliers délimitant trois rotondes, vraie scène d’opéra, toute prête pour l’évolution d’un ballet ou la représentation d’un acte de Samson et Dalila. 

Frappier, 1942

Cette impression paraît d’autant plus étonnante qu’elle s’écarte du silence religieux attendu d’une salle de lecture.

Les lecteurs doivent consulter les ouvrages dans la salle de lecture et n’ont pas accès aux magasins. Ainsi, les bibliothécaires agissent comme point de passage entre la collection et l’usager. De grande taille, le comptoir occupe une position centrale dans la salle de lecture. Les magasins sont organisés de façon à optimiser l’espace et accueillir le plus d’ouvrages possible. Pour leur part, les responsables de la gestion et du traitement documentaire sont, au même titre que la collection, invisibles.

Les BU de McGill et de l’Université de Montréal occupent un symbolisme important au sein du campus : pittoresque, la bibliothèque Redpath est un édifice remarquable par la richesse de sa décoration, la bibliothèque centrale est considérée comme une salle d’apparat, et la tour s’érige comme le « phare de l’enseignement supérieur » au Canada français (Maurault, 1952 : 30). Malgré cette attention portée aux formes décoratives et la rigidité des espaces, ces bibliothèques suivent les préceptes fonctionnalistes promus par les théoriciens contemporains. Pour les architectes, le défi est de lier la beauté à l’utilité :

How to combine utility and beauty in harmonious relations without sacrificing the one to the other, is an interesting study.

Taylor, 1893 : 51

À partir des années 1950, les BU deviennent modulaires. L’utilisation de structures composées de piliers et de lattes de béton rend possible la création de boîtes qui se démarquent par leur fonctionnalité plutôt que par la sophistication de leurs formes. Dans un essai de 1953, Ralph Ellworth note en effet : « Perhaps the aesthetic justification of the modular building lies in the beauty of their fine functioning of services ». Ceci annonce un changement dans la façon dont on envisage les nouvelles bibliothèques : ces dernières ne sont plus pensées uniquement en fonction de la préservation et la consultation des collections, mais aussi en fonction des services des bibliothécaires.

Les auteurs du rapport William-Filion (1962) y ont listé les « caractéristiques d’une bonne bibliothèque ». Parmi celles-ci se retrouvent la compétence et le nombre d’employés, l’organisation de la collection, les services offerts aux étudiants et au corps professoral, et la place que doit occuper la bibliothèque dans l’organigramme administratif de l’université. Outre un bref passage invoquant l’urgence de construire un nouvel édifice dans la section portant sur les services[7], rien ne spécifie le type d’espace ou d’architecture devant se refléter dans sa construction. À McGill, l’enquête de McCarthy et Logsden (1963) évoque des thématiques similaires : la place de la bibliothèque dans l’organigramme universitaire, la gestion des collections, les employés et les services de bibliothèque. Une section porte également sur les « Physical Facilities for McGill’s Growing Needs ». Toutefois, comme à Laval, la nature et l’agencement des espaces ne sont pas abordés[8], alors que les services offerts par les bibliothèques sont mis de l’avant. Ces deux rapports dénotent ainsi de l’importance du rôle des architectes dans la création des espaces correspondant aux services octroyés en bibliothèque.

Tel qu’en témoignent leurs tailles imposantes, les magasins occupent toujours une place importante dans la bibliothèque de l’Après-guerre. Tout comme pendant l’époque précédente, ils sont aménagés pour rentabiliser le nombre de mètres linéaires sur le même plancher, en réponse à la croissance continue des collections papier et à l’apparition de collections technologiques (microfilms, microfiches, disques, cassettes, etc.). Néanmoins, les nouveaux magasins ne sont plus aussi rigides et rébarbatifs. Les nouveaux types de rayonnage créés par Snead & Co. sont plus éclairés et plus espacés, facilitant l’accès aux ouvrages. Basés sur un système de poteaux et de tringles mobiles, ces rayonnages sont plus légers, permettant de les déplacer sur les planchers avec une grande flexibilité d’agencements. Le rayonnage peut servir à isoler des portions de plancher pour créer des zones vouées à la lecture ou aux services spécialisés. La modularité de la construction permet aussi une extension quasi infinie. Finalement, le magasin accueille davantage des places réservées pour le travail : alors qu’elles étaient peu nombreuses à l’Université de Montréal, elles deviennent la norme à la bibliothèque McLennan. On constate donc une dissolution de la barrière entre la collection et les usagers, entre les lecteurs et les magasins.

Puisque les modules du bâtiment peuvent désormais s’empiler comme bon lui semble, la forme des espaces ne les restreint plus à des usages uniques. Le conteneur « universel et polyvalent » de Ludwig Mies, où les espaces peuvent servir à n’importe quel usage, prend vie. En effet, les étages sont structurellement identiques et composés de travées aménagées entre quatre piliers. Cela permet de créer des agencements spatiaux variés grâce à l’ajout ou le retrait de cloisons mobiles, ou à l’utilisation de rayonnages pour subdiviser des zones dans un espace standardisé et neutre. Cette flexibilité, fortement recherchée par les bibliothécaires pour sa pérennité et ses économies (Metcalf, 1965)[9] permet aussi la fusion de certains usages, comme en témoignent les places de travail installées dans les magasins. Spatialement, le modèle triparti devient moins bien défini et se superpose.

Au tournant du xxe siècle, les bibliothécaires agissent comme le point de jonction entre la collection et les usagers. Cette idée se perpétue jusqu’à l’Après-Guerre du fait que les étudiants de premier cycle doivent encore faire appel à ces derniers pour consulter les ouvrages qui ne leur sont pas accessibles. Le comptoir de services et le catalogue restent des éléments mis en évidence. Ce dernier devient même un point central de l’aménagement, car il est le point de rencontre de tous les publics, bibliothécaires et usagers (Harland, 1966). Vu la nature de leur travail, les bibliothécaires et les services techniques restent séparés des zones destinées à la collection et aux usagers.

Au moment de son inauguration, la bibliothèque de l’Université Laval était qualifiée « d’austère, de sévère et de froid[e] » (Dufour, 2017 : 74). Une même appréciation peut probablement être faite pour la bibliothèque McLennan, de style brutaliste (appelées UGLi, pour Undegraduate Library ; voir Guyre, 2008) au même titre que plusieurs autres bibliothèques canadiennes de la même période comme la bibliothèque John P. Robarts de l’Université de Toronto et la bibliothèque Killam Memorial de l’Université Dalhousie. Jugées sévèrement, ces bibliothèques plaisent rarement aux administrateurs et aux commanditaires, et perdent ainsi leur éclat symbolique sur le campus (Kaser, 1997). Plutôt que d’opter pour une ornementation détaillée comme à Redpath ou monumentale comme à l’Université de Montréal, les architectes des bibliothèques modulaires jouent avec les effets propres au béton : apposition des textures, effets de contraste ombre/lumière, volumes, rythmes et répétitions. Bien que minéraux, les espaces sont adoucis par l’ajout de tapis, de tuiles, d’art abstrait ou même de mobiliers exclusifs.

Les bibliothèques du xxie siècle ne se démarquent pas par une nouvelle approche : les BU sont toujours aménagées dans des bâtiments modulaires, caractérisés par la flexible de leur espace. La bibliothèque Webster est en cela similaire au pavillon Bonenfant de Laval et à la bibliothèque McLennan de McGill, qu’elle est organisée autour d’un espace unique dans lequel ont été érigées des pièces closes. Pour sa part, la bibliothèque du campus MIL se distingue par sa réduction à une suite de corridors autour desquels sont aménagées des salles spécialisées.

Sans jamais totalement disparaître, les salles de lecture restent d’importantes composantes de la BU du xxie siècle. Elles sont néanmoins plus nombreuses et de moins grandes dimensions. On voit également apparaître un nombre croissant de salles à vocations spécialisées, tels que les laboratoires de visualisation, les laboratoires informatiques, les salles de formation, les salles de travail en équipe, etc. Contrairement aux BU brutalistes, la BU du xxie siècle est un espace lumineux, baigné par la lumière du jour. À la bibliothèque Webster, Beaudry (2020) souligne d’ailleurs que « one of the keywords of the project is transparency ». Les cloisons des salles sont vitrées, permettant aux lecteurs d’avoir une vue d’ensemble de la bibliothèque, des collections et des usagers fréquentant les lieux.

L’attention est de moins en moins portée sur la collection physique. Passant de la logique de stockage à une logique de flux, la taille de la collection papier est un critère qui perd en importance au profit de l’accès aux ressources numériques (Cavalier, 2015). Ceci se traduit spatialement par une importante diminution des surfaces de plancher allouées aux ouvrages : les monographies papier de la bibliothèque Webster sont groupées dans des portions limitées, alors que celles du campus MIL sont restreintes à un espace isolé, visible depuis les cafés étudiants situés à l’extérieur de la bibliothèque. Les rayonnages sont devenus des symboles de la BU plutôt que le coeur de sa vocation. Les livres confèrent désormais une « ambiance » (voir Cohen, 2019).

L’omniprésence des technologies numériques a aussi un impact sur les services aux usagers. Les bibliothécaires, dont l’une des premières tâches était d’organiser l’information, accompagnent maintenant les usagers vers un comportement informationnel autonome (Reale, 2018). Comme le note Beaudry (2020) pour l’Université Concordia : « L’organisation de l’espace et des services doit se présenter de telle façon que la majorité des usagers puissent être en mesure de repérer et d’utiliser ce dont ils ont besoin, sans avoir à requérir l’intervention du personnel ». Les professionnels sont donc centralisés autour de comptoirs multifonctions, visibles et accessibles. Ces comptoirs ne dégagent plus une impression autoritaire ou hiérarchique comme celui trônant sous le crucifix de la bibliothèque d’Ernest Cormier. Ils deviennent des points de services facilement accessibles aux usagers.

La réduction de la place accordée aux collections physiques, l’essor et la diversification des espaces destinés aux usagers, ainsi que la présence bienveillante des bibliothécaires s’orientent vers un modèle d’information commons à la popularité grandissante (Allison et al., 2019). C’est en proposant des infrastructures accueillantes et pensées en fonction des besoins individuels des usagers que la BU québécoise retrouvera son rôle symbolique au sein du campus universitaire.

Conclusion

L’examen de notre corpus révèle que les espaces des BU québécoises suivent une évolution semblable à celle décrite par Schmitz et Bédarida. Alors que la bibliothèque Redpath et la bibliothèque centrale de l’Université de Montréal adoptaient une division tripartite traditionnelle, la bibliothèque de l’Université Laval et la bibliothèque McLennan présentent des espaces ouverts et fluides dans lesquels pouvaient coexister différents usages. Pour leur part, les bibliothèques du xxie siècle se retrouvent à mi-chemin entre ces deux conceptions, offrant aussi bien des espaces ouverts, comme la bibliothèque Webster, que des espaces fractionnés, comme la bibliothèque du campus MIL.

À cause de la rigidité de leurs plans, les BU les plus anciennes rendent impossible tout changement d’usage : leurs magasins structuraux ne peuvent être convertis ni les grandes salles de lectures modifiées sans perdre leurs qualités esthétiques et fonctionnelles. Seuls l’ajout d’extensions ou la transformation de la structure peuvent allonger la vie utile des bâtiments, comme en témoignent les agrandissements multiples du magasin de la bibliothèque Redpath ou la destruction de la salle de lecture de la bibliothèque centrale de l’Université de Montréal. Ces espaces avaient néanmoins été conçus en diapason avec les préceptes bibliothéconomiques de l’époque axés sur la préservation et la consultation des collections papier.

Grâce à leurs plans modulaires, les BU de l’Après-Guerre permettent l’ajout de cloisons amovibles pouvant être modifiées au gré des usages. Leur aménagement était néanmoins limité à cause de l’importante surface de plancher consacrée à la collection papier. Devenues utilitaires, et perdant du même coup leur charge symbolique au sein du campus, elles peuvent néanmoins facilement être agrandies par l’ajout de travées supplémentaires, ou rénovées par l’installation de nouvelles cloisons ou un changement de mobilier. Devenus des « conteneurs universels et polyvalents », ces espaces ne sont plus conçus pour leur fonctionnalité, mais davantage pour leur flexibilité.

Les bibliothèques du xxie siècle se démarquent par la multiplication de salles spécialisées. Les carrés de sable technologiques, les salles de visualisation, les laboratoires informatiques, les studios d’enregistrement et, dans une certaine mesure, les salles de travail en équipe ne peuvent convenir qu’à un seul usage par leur dimension et leur équipement technique. Cela semble a priori aller à l’encontre de l’idée de polyvalence pourtant préférée par les architectes et les bibliothécaires. Or, plusieurs de ces espaces sont munis de mobilier et même de cloisons mobiles n’entravant pas cette polyvalence. Apparaissant moins flexibles, ces espaces restent néanmoins conçus dans des édifices modulaires qui permettent l’aménagement de zones et d’espaces spécialisés pouvant évoluer au rythme des nouveaux modes d’enseignement et de recherche.

L’étude de notre corpus confirme que les espaces des BU ont évolué à travers les époques tout en démontrant un souci de fonctionnalité : de tout temps, elles ont été conçues pour être, en reprenant les mots de Sidney Harland, aussi efficaces que des « navires de guerre ». Certes, la croissance des collections numériques au profit des collections papier, l’apparition de nouveaux services spécialisés allant au-delà de la référence et les nouveaux besoins pédagogiques des étudiants ont influencé leur conception architecturale. Leur évolution traduit non seulement un mouvement vers une architecture polyvalente, mais aussi un mouvement vers une architecture fonctionnelle. Fort de ce constat, il nous sera possible de lier l’évolution des espaces conçus par les architectes aux pratiques bibliothéconomiques y prenant place. Vu que l’usage et l’espace sont intrinsèquement liés, cet examen nous permettra de poser les premiers jalons pour écrire une histoire de l’architecture des BU au Québec.