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Introduction

Au printemps 2021, le directeur de la Bibliothèque Roger-Maltais (BRM) à l’Université de Sherbrooke a voulu entreprendre une mise à jour de la politique de développement de collections de cette bibliothèque. Toutes les bibliothèques et le service des archives se retrouvent ensemble dans un même service administratif de l’université et une politique de développement générale existe pour l’ensemble des bibliothèques. Chacune des bibliothèques peut toutefois aussi avoir sa propre politique qui définit plus en profondeur certains aspects particuliers de la gestion des collections pour les disciplines qu’elle dessert. C’est le cas de notre bibliothèque qui a développé il y a plusieurs années une politique s’attardant à décrire avec plus de détails les critères à respecter et les outils à utiliser pour la gestion des collections de monographies. C’est donc sur cette politique spécifique qu’a portée notre projet et dont il est question dans cet article. La BRM dessert les disciplines qui se retrouvent dans les facultés des lettres et sciences humaines, d’éducation et des sciences de l’activité physique ainsi qu’à l’École de gestion, à l’École de musique et au Centre d’études du religieux contemporain. Elle représente ainsi les sciences humaines et sociales ainsi que les arts et les lettres. Le but de cette mise à jour est de prendre en compte les nouvelles technologies et les nouvelles façons de faire du développement de collections qu’elles entraînent, d’avoir plus de détails sur les spécificités disciplinaires et de voir quelles sont les meilleures pratiques en termes d’élagage.

Ce projet nous a été assigné en partie en raison de notre présence récente à la BRM. En effet, l’une de nous a réalisé ce projet dans le cadre de son stage de maîtrise à l’été 2021 et l’autre y occupe son premier poste de bibliothécaire de référence depuis l’été 2020. Avec ce regard neuf, notre directeur espérait que nous pourrions remettre en question les façons de faire actuelles et proposer des solutions basées sur ce que nous allions apprendre plutôt que sur ce que nous connaissions déjà. En tant que nouvelles venues dans cette bibliothèque et de façon générale dans la bibliothéconomie universitaire, nous étions aussi bien placées pour comprendre l’importance d’avoir une politique à jour et d’avoir accès à des connaissances spécifiques sur les disciplines afin de prendre des décisions de développement de collections éclairées.

En plus de provenir d’une demande de notre directeur, ce projet nous a semblé important à réaliser puisque même si la gestion des collections est un sujet provoquant moins de débats par les temps qui courent, il s’agit malgré tout de l’une des responsabilités traditionnelles des bibliothécaires qu’il ne faudrait pas mettre de côté. Considérant la situation actuelle des bibliothèques, où les technologies accomplissent de plus en plus de tâches à la place du personnel, où les espaces sont désirés pour autre chose que l’entreposage des collections physiques et où la lecture se fait de plus en plus en ligne, il peut être tentant de justifier la pertinence des bibliothèques grâce à de nouveaux services, tous tout aussi à propos et intéressants les uns que les autres. En revanche, comme l’ont souligné McAllister et Scherlen (2017), il est aussi important de se demander comment faire pour que les bibliothèques restent d’actualité dans leurs fonctions traditionnelles.

C’est donc dans cet état d’esprit que nous avons débuté nos travaux et que nous partageons, grâce au présent article, nos découvertes et les conclusions auxquelles elles nous ont emmenées afin de nourrir la réflexion sur la gestion des collections dans notre contexte particulier où le français et l’anglais se côtoient autant que les livres imprimés et numériques. Les disciplines touchées par ce projet qui se concentre sur la gestion des collections de monographies peuvent aussi apparaître comme étant plus exigeantes que d’autres puisque les livres occupent encore une place très importante dans la recherche en humanités, en art et en sciences sociales. Nous trouvons donc important de partager notre processus afin d’inspirer d’autres projets du genre qui pourraient potentiellement bénéficier de notre expérience et de nos réflexions. Nous présenterons ainsi la recension des écrits que nous avons réalisée puis l’analyse des politiques de gestion des collections d’autres universités que nous avons réalisées et nous terminerons en présentant les démarches concrètes que nous avons commencé à réaliser à la suite de ces recherches.

Revue de littérature

Les effets du numérique sur les collections des bibliothèques en milieu francophone

Les bibliothèques universitaires francophones au Québec se distinguent des bibliothèques rattachées à des institutions anglophones par la grande importance du français dans leurs collections. Même si la majorité de la communication scientifique se fait en anglais au niveau international, dans les institutions francophones, les cours se donnent en français. Les lectures en français sont donc favorisées et les membres de la communauté étudiante ont presque toujours une préférence pour des documents rédigés en français. Notre projet se concentrant sur les sciences humaines et sociales, il est aussi important de noter que la prépondérance de l’anglais est un peu moins forte dans ces disciplines. Comme l’explique Larivière (2018), le contexte local étant souvent primordial dans ces recherches, il n’est pas rare que le français soit choisi pour mieux rendre compte de l’état d’avancement des travaux à la population locale, et ce, même si l’anglais continue d’être de plus en plus choisi. Se procurer de la documentation en français est donc doublement important : pour répondre aux préférences de langue de la communauté et pour s’assurer de bien couvrir les publications.

Dans le monde actuel de l’édition, la langue de publication des ouvrages n’est pas anodine. En effet, celle-ci influence de plusieurs façons la disponibilité et l’accessibilité de l’écrit : la disponibilité en format imprimé ou numérique, la présence dans les grandes collections préparées par les éditeurs et la possibilité de les retrouver dans les programmes d’achats déclenchés par le public ou basés sur l’utilisation. La langue de publication a aussi un effet sur des éléments qui influencent la prise de décision quant à l’achat d’un livre, notamment le nombre d’exemplaires disponibles ailleurs et la possibilité de le retrouver sur le marché d’occasion.

Dans le cadre de notre recension des écrits, nous avons donc d’abord voulu identifier des textes francophones qui auraient pu nous aiguiller quant à des pratiques de gestion des collections adaptées à notre contexte particulier. Nous avons réussi à trouver plusieurs textes intéressants, mais rien ne peignant un portrait similaire au nôtre. La grande tendance qui se dégage de nos lectures est l’analyse des changements dans les collections apportés par l’avènement du numérique. Epron et Burgy (2019) s’intéressent au repositionnement professionnel des bibliothécaires par rapport au développement des collections numériques en France. Les caractéristiques particulières des livres électroniques comme le fait que leur offre peut changer sans avertissement, que celle-ci est de plus en plus large et leur grande diversité obligent les bibliothécaires à revoir leur façon de faire. Epron et Burgy soulignent aussi l’importance des politiques en tant que guide des décisions et soulèvent plusieurs éléments en lien avec les caractéristiques des collections numériques qui posent de plus grands défis.

Ces éléments, comme la particularité des licences, l’intégration des collections aux catalogues, et la variété des documents numériques, sont à prendre en considération dans nos réflexions de mise à jour de notre politique.

Un peu dans le même ordre d’idée, Lapointe, Pelbois et Luckerhoff (2021) s’attardent à décrire les enjeux liés à l’utilisation des livres numériques : l’offre n’est pas encore aussi importante en numérique qu’en imprimé, beaucoup moins de livres sont offerts en français qu’en anglais et cela est pire pour certains secteurs, plusieurs modèles d’achats compliquent le travail des bibliothécaires et les multiples formes d’accès complexifient la situation pour le public, entre autres. Le but premier de leur article est de décrire le point de vue des bibliothécaires quant à l’utilisation des livres électroniques par le public. Un des éléments soulevés importants pour nous est l’obligation par certains éditeurs de se procurer des livres numériques en bouquet, c’est-à-dire en grande collection à prendre en entier ou à laisser. Ces obligations se posent en quelque sorte contre les pratiques de choix à la pièce que les bibliothécaires ont l’habitude de faire. Il est ainsi important d’incorporer l’existence de ce type de collections et les choix que cela nous oblige à faire dans la politique de gestion des collections pour permettre aux bibliothécaires d’expliquer adéquatement leur décision au besoin. Il peut en effet être nécessaire de justifier qu’il nous est impossible d’acheter un livre puisque celui-ci ne peut pas être acquis individuellement et qu’il faudrait acheter la collection complète pour y avoir accès ou au contraire d’avoir à prendre toute une collection, même si tous les titres n’y sont pas aussi intéressants que désiré.

L’avènement du numérique a aussi modifié le comportement du public par rapport à l’emprunt des livres imprimés. Comeau (2019) s’attarde ainsi à décrire comment l’emprunt des monographies imprimées varie selon les disciplines à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Les livres en sciences naturelles ne représentent que 12 % des emprunts alors que les sciences humaines, les sciences sociales et les arts et la littérature se partagent tout le reste. Les sciences de la santé n’étant pas représentées à l’UQAM, cette étude ne permet pas de savoir quelles sont les habitudes d’emprunt pour ces disciplines. Cependant, comme le mentionne Comeau, pour les sciences naturelles, les sciences humaines et sociales ainsi que pour les arts et la littérature, les schémas d’emprunts correspondent très bien aux modèles de comportements de citations observés dans les différentes disciplines. Il est ainsi raisonnable de croire que l’emprunt de livres en sciences de la santé dans les bibliothèques universitaires qui desservent ce type de facultés doit être relativement similaire à celui de l’emprunt des livres en sciences naturelles, c’est-à-dire peu élevé, puisque ces deux champs ont aussi des habitudes de citation similaires. La place des monographies imprimées est donc toute particulière pour les disciplines desservies par notre bibliothèque et même si les collections numériques prennent de plus en plus de place, il faut impérativement garder en tête les habitudes de notre public lorsque vient le temps de mettre à jour notre politique de gestion des collections.

Les projets d’élagage

Les meilleures pratiques concernant l’élagage faisaient aussi partie de nos préoccupations, puisque comme dans presque toutes les bibliothèques universitaires québécoises, l’espace est une denrée rare et précieuse. Nous avons donc élargi nos recherches pour inclure de la littérature scientifique internationale. L’une des premières tendances observées est que les auteurs et les autrices plaident souvent pour que le processus d’élagage soit fait en continu plutôt qu’aux moments où une crise survient. Deux articles soulignent que travailler ainsi permet de mieux démontrer, et ce, plus rapidement, la valeur des collections et de savoir en quasi-permanence si les collections répondent aux besoins des usagers et des usagères (Johnson, 2016 ; Lantzy, Matlin & Opdahl., 2020). Plusieurs articles expliquent aussi l’importance d’impliquer le corps professoral le plus rapidement possible lors d’un projet d’élagage massif (Agee, 2017 ; DeMars, Roll, & Phillips, 2019 ; McAllister & Scherlen, 2017 ; Snyder, 2014). Ces textes valorisent la collaboration entre bibliothécaires et les membres du personnel enseignant plutôt que de les voir comme des obstacles à la réalisation du projet d’élagage et ils soulignent les points positifs tels que l’approfondissement des connaissances sur les critères de conservation et de sélection et l’amélioration de la confiance envers les bibliothécaires pour les processus d’élagage et pour d’autres projets.

Quelques articles traitent aussi de projets d’élagage massif. Ces derniers soulignent l’importance de prendre en compte plus que les critères « objectifs » du nombre de prêts et de la dernière date de circulation des livres pour choisir si un livre doit être élagué ou non. McHale, Egger-Sider, Fluk et Ovadia (2017) proposent de se fier aussi au contenu du livre, à son importance pour la discipline et à sa valeur pour la mission de l’institution ainsi qu’à son coût de remplacement et à sa disponibilité en de nouvelles éditions ou via le prêt entre bibliothèques. Leur texte souligne toutefois que cette façon de faire requiert énormément de temps et qu’il peut être pertinent d’envisager le recours à des services d’une compagnie externe qui peut colliger toutes ces données. Snyder (2014) mentionne aussi environ les mêmes critères subjectifs à prendre en considération et ajoute que de tels projets peuvent être une bonne occasion d’ajouter une mention de conservation importante aux documents ayant été identifiés comme étant essentiels dans leur discipline pour éviter d’avoir à les réévaluer lors d’un projet d’élagage subséquent. Enfin, McAllister et Scherlen (2017) expliquent un projet d’élagage massif qui a eu lieu dans une bibliothèque universitaire en Caroline du Nord en 2015. Ce projet a inclus la révision subjective d’une liste de livres candidats à l’élagage identifiés par des critères objectifs. Cette révision de la liste a été faite par les bibliothécaires, mais aussi par la communauté desservie par la bibliothèque. Cette inclusion du public dans leur processus s’est entre autres faite via l’envoi de la liste à l’ensemble du corps professoral pour qu’elle soit révisée. 215 réponses ont ainsi été obtenues, la grande majorité provenant des facultés d’anglais et d’histoire. Cette grande implication du corps professoral en littérature et en sciences humaines souligne l’ampleur que les livres prennent dans la recherche dans ces domaines et la prudence dont il faut faire preuve au moment d’élaguer dans ces disciplines. McAllister et Scherlen ajoutent ainsi que les livres ont le même niveau d’importance pour les humanités que les laboratoires en ont pour les sciences naturelles. Cette remarque un peu extrême permet tout de même d’illustrer le contexte délicat dans lequel se trouve notre bibliothèque qui dessert les départements de littérature, d’arts et de sciences humaines et sociales. Si un projet d’élagage massif était à entreprendre, il faudrait utiliser l’ensemble des critères proposés par les articles mentionnés ici et trouver les façons les plus efficaces d’inclure le corps professoral dans les décisions à prendre.

Une autre tendance intéressante à noter est la collaboration de plus en plus grande entre les bibliothèques pour éviter d’avoir à faire ce genre de projet d’élagage massif, ou pour que ceux-ci aient le moins d’impact possible sur l’accès aux documents. En effet, dans les dernières années, plusieurs groupes de bibliothèques se sont unis pour construire des sites d’entreposage commun. Les bibliothèques peuvent alors faire une analyse commune de leurs collections pour que seulement un ou deux exemplaires ne soient conservés et envoyés au site d’entreposage. Cela permet de préserver l’accès à ces livres, qui bien que moins populaires, peuvent toujours être très utiles. La mise en commun des ressources financières permet de développer des projets qui n’auraient pas pu voir le jour autrement et de garder des livres qui auraient peut-être dû être élagués s’il n’y avait pas eu ces autres options d’entreposage (McMullen et al., 2021 ; Obrig et al., 2006).

La solution du prêt entre bibliothèques

Le prêt entre bibliothèques (PEB) peut sembler être une solution presque magique pour pallier les manquements des bibliothèques. La collaboration de plus en plus grande entre les bibliothèques universitaires québécoises permet de donner encore plus facilement accès aux livres des collections du Québec. Les bibliothécaires peuvent ainsi parfois justifier certaines décisions d’élagage ou de non-ajout d’un titre à une collection puisqu’il se trouve facilement ailleurs. En revanche, comme le souligne Woolwine (2014), si toutes les bibliothèques des plus petites institutions se tournent toujours vers celles qui ont de plus grandes collections, il pourrait arriver que ces dernières commencent à appliquer des restrictions pour ne pas se faire constamment « voler » leurs collections. Pour ce qui est des bibliothèques universitaires du Québec, la collaboration grandissante entre elles est rassurante et nous espérons que l’entraide n’ira qu’en grandissant au fil des années. Woolwine soulève toutefois un autre enjeu que même les meilleures collaborations ne pourraient pas surpasser. En effet, même en améliorant la collaboration entre les bibliothèques et en ayant des stratégies de conservation communes, il est important de se rappeler que les licences des livres numériques ne permettent simplement pas de faire des PEB.

Machovec (2021) adresse plus en profondeur plusieurs enjeux liés au PEB des livres numériques. Il relève notamment que les programmes d’achats déclenchés par l’usage ou basés sur les preuves d’utilisation pourraient être perçus comme des remplacements aux PEB des livres numériques puisqu’ils donnent accès à de plus grandes collections pour de moindres coûts. Cependant, ce sont seulement les plus grandes institutions et les bibliothèques qui font partie de consortiums qui peuvent se permettre de participer à un nombre assez important de ces programmes pour réduire leurs besoins en PEB. Machovec note aussi les défis associés au partage de ressources électroniques : authentification, partage de sections seulement et limites du partage pour les livres appartenant à certains programmes.

Et il est question ici seulement des limites techniques des PEB, nous n’adressons même pas la question de la nécessité pour certaines personnes de pouvoir avoir le livre dans l’immédiat pour que celui-ci reste intéressant. Bref, le recours au PEB n’a jamais été une solution miracle et elle semble le devenir de moins en moins avec l’avènement du numérique. Il ne faudrait donc pas se leurrer et compter sur les collections de nos collègues pour diriger nos choix.

Les programmes d’achat déclenchés par l’usage ou basés sur l’utilisation

Les nouvelles façons de faire des acquisitions grâce aux développements technologiques qui permettent de faire l’achat de livres sélectionnés par les usagers et les usagères (en anglais les Patron Driven Acquisition ou PDA) et l’acquisition fondée sur des données probantes (en anglais l’Evidence-Based Acquisition ou l’Evidence-Based Selection ou EBS) ne sont pour le moment pas intégré à notre politique. Comme il s’agit de méthodes d’acquisition qui semblent être là pour rester et qu’elles diffèrent grandement des méthodes traditionnelles, il nous semblait important de les incorporer dans la nouvelle mouture de notre politique de développement de collections. Pour le faire de la manière la plus appropriée possible, nous voulions donc faire une brève revue de la littérature à ce propos.

L’article que nous avons trouvé le plus marquant à ce sujet est celui de Jensen (2017). L’autrice y pose la question de savoir quelles sont les conséquences pour le public de mettre la totalité du budget de développement de collections dans un programme d’achat de livres sélectionnés par le public lors d’une situation de crise budgétaire. C’est ce qui a choisi d’être fait dans une université en Alaska qui a subi des coupes budgétaires sans précédent en 2014. L’ensemble des bibliothécaires de référence, qui s’occupaient aussi des collections, a été mis à pied. Cela a amené une multitude d’impacts, mais Jensen se concentre à décrire l’impact sur le développement de collections. Avant d’en arriver à cette décision drastique, une évaluation des collections a eu lieu pour savoir à quel point les livres choisis par les bibliothécaires étaient utilisés. Des rapports annuels ont été créés pour les nouveaux titres et les statistiques d’utilisation de ces livres ont été compilées. Les résultats étaient assez révélateurs : pour aucune des disciplines, plus de 50 % des livres avaient été utilisés dans les deux premières années suivant leur achat. De plus, seulement le tiers de la collection avait circulé. Ces statistiques montrent que la sélection de titres par les bibliothécaires n’était pas des plus efficaces et c’est ce qui a justifié le choix de placer presque l’entièreté du budget d’achat de livres dans un programme d’achat de livres sélectionnés par les usagers et les usagères. Une portion du budget fut préservée pour l’achat de livres pour certaines thématiques telles que les recherches sur l’Arctique, puisqu’il s’agit d’une spécialité de recherche que la bibliothèque tenait à continuer de représenter le plus exhaustivement possible. 962 titres ont ainsi été ajoutés à leur collection grâce à un programme de déclenchement d’achat après le 4e usage. Un questionnaire effectué un an après le début de ce changement a permis de révéler que la communauté trouvait les collections tout aussi satisfaisantes qu’avant le changement.

Ce cas est toutefois exceptionnel et il ne faudrait pas qu’il nous amène à penser que les programmes de ce genre peuvent remplacer les bibliothécaires. Cette profession est en changement et ses tâches, mêmes celles qui sont décrites comme étant traditionnelles, telle que la gestion des collections, sont en constante évolution. Comme le souligne Le Torrec (2014), « face à l’éclatement des sources de livres numériques et à la technicité des usages de ces collections, la médiation demeure indispensable auprès des publics » (p. 108). Si moins de temps est consacré à faire des choix de titres individuels, les bibliothécaires peuvent alors consacrer plus de temps à la médiation, c’est-à-dire à faire des liens entre les titres qui sont disponibles et le public. Parce qu’il faut rappeler que les programmes d’achats déclenchés par l’usage ou basés sur l’utilisation donnent accès à une quantité incroyable de livres numériques et pour s’y repérer efficacement, nombre de personnes ont besoin des compétences et des connaissances des bibliothécaires. Ces programmes sont aussi de plus en plus populaires et il y en a donc de plus en plus. Ainsi, les bibliothécaires devront continuer à faire des choix parmi les offres qui se multiplient pour maximiser leur budget et avoir des listes de titres adéquates à proposer au public.

Ces changements importants devraient se refléter dans les politiques de développements de collections. Comme l’explique aussi Le Torrec (2014), « les projets réussi[s] de PDA s’intègrent à la politique documentaire des bibliothèques, dont ils complètent, affinent et recadrent les orientations. Le PDA est un outil pour comprendre les usages, pas une fin en soi » (p. 107-108). S’il n’est pas nécessaire de noter de façon exhaustive les programmes de ce genre qui sont en cours ou qui peuvent sembler intéressants dans la politique de gestion des collections, ni d’y inscrire quels types de formations, d’activités et de médiations sont prévues pour aider les usagers et les usagères à mieux utiliser ce nouveau type de ressources, il devrait être possible d’y lire quel usage est prévu pour ce nouveau type d’acquisition. Sans avoir à préciser très exactement quelle partie du budget sera consacrée à ce genre de programme, nous croyons qu’il est important de donner un ordre de grandeur et de spécifier les limites associées à ce type d’achat pour les livres francophones. Chaque discipline pourrait aussi avoir des critères de choix différents et des paramètres limitant encore plus ce type de programme ou donnant au contraire plus d’opportunités et ce sont ces critères qu’il faudrait pouvoir retrouver dans la politique.

L’exemple de l’université alaskaine qui a décidé d’investir la quasi-totalité de son budget dans un programme d’achat déclenché par l’utilisation révèle que pour une université anglophone un tel programme peut être tout aussi satisfaisant que les choix des bibliothécaires pour le public (Jensen, 2017). De plus, Le Torrec (2014) s’est attardée à décrire des cas d’achat en consortium aux États-Unis et en Ontario, qui sont des organisations qui regroupent uniquement des universités anglophones dans le cas des États-Unis et presque entièrement anglophones en Ontario. Il faut ainsi rappeler que les offres de ce type qui permettent d’offrir l’accès à un grand nombre de titres sans tous les acheter sont beaucoup moins fréquentes pour des titres en français. Les offres de collections préparées par les éditeurs qui permettent d’acquérir beaucoup de titres en même temps sans avoir à choisir livre par livre, sont aussi moins nombreuses dans le monde francophone. Comme expliqué plus tôt, la littérature scientifique s’attardant à ce problème en contexte bilingue se fait très rare. Pour avoir plus d’informations, nous avons donc décidé d’aller voir du côté des politiques de gestion des collections des autres bibliothèques universitaires québécoises pour connaître quelles sont leurs pratiques et leurs lignes directrices pour aider les bibliothécaires à faire des choix judicieux.

Analyse des politiques actuelles au Québec

En parallèle avec la revue de littérature, nous avons donc débuté l’analyse des politiques de développement de collections des autres établissements universitaires québécois. Notre premier constat est arrivé rapidement : nous avons d’abord noté un enjeu d’accès à l’information. Alors que certaines universités affichent publiquement leurs politiques en ligne (UQO[1], Polytechnique[2]), d’autres conservent ce document pour un usage interne seulement. Afin de compléter notre analyse, il nous a donc fallu communiquer avec plusieurs bibliothèques pour leur demander une copie de leurs documentations ainsi que leur autorisation pour utiliser celles-ci dans le cadre de notre analyse. Nous souhaitons d’ailleurs les remercier et souligner leur grande collaboration. Lors de nos échanges, plusieurs bibliothécaires nous ont d’ailleurs fait part de leur désir de revoir à leur tour leurs politiques respectives afin d’entamer une mise à jour bien nécessaire. Des observations similaires à celles faites dans notre bibliothèque semblent donc relativement fréquentes dans les autres institutions. Ceci rend donc nos démarches encore plus pertinentes, de même que notre désir de documenter celles-ci à travers le présent article.

L’analyse des politiques s’est révélée être un exercice beaucoup plus laborieux qu’initialement prévu. Tout d’abord, comme mentionné précédemment, l’accès à l’information s’est avéré assez complexe. Ensuite, l’analyse fût complexifiée en raison de la nature de l’information reçue. En effet, selon la forme, la nature et la structure de la politique, deux tendances peuvent être relevées quant à l’utilisation faite de ces documents. Dans certains cas, la politique est née d’un souci de structure justificative et de transparence décisionnelle dans le cadre d’une pratique courante d’acquisition et/ou d’élagage. Pour d’autres, elle provient d’un souci de transmission du savoir entre les membres du personnel. Finalement, comme c’est le cas pour notre bibliothèque, les deux tendances s’entrecroisent – voire s’entrechoquent. Bien qu’étant deux concepts essentiels pour la pratique de notre profession, il serait possiblement plus adéquat de parler de dichotomie que de complémentarité lorsqu’il est tenté de les faire cohabiter dans un seul et même document. Tant pour notre politique actuelle que pour celles d’autres établissements, ces deux concepts clés sont davantage en conflit l’un avec l’autre qu’en complément l’un de l’autre. Ceci prévaut tant sur le plan de l’accessibilité du document par le grand public que sur le contenu même de la politique, sur les sujets traités et sur la profondeur avec laquelle ceux-ci sont traités. Une politique publiée en ligne, comme celle de l’UQO, est un brillant exemple d’accessibilité de l’information. La politique de l’UQO est également très détaillée et complète, faisant du produit final un outil de travail pratique et un instrument de passation du savoir entre bibliothécaires de grande valeur. Cependant, la complexité de la composition d’une telle politique risque de réduire son accessibilité au grand public en impactant de façon négative le niveau de compréhension d’un individu ne travaillant pas dans le domaine des bibliothèques ou des archives. L’équilibre entre ces deux besoins est fragile et plus difficile à atteindre que l’on ne peut le soupçonner.

Il nous a été rapidement possible de constater que plus la politique est considérée comme un outil de travail interne, plus celle-ci aura tendance à être détaillée, exhaustive, longue et non directement accessible au public. Cependant, il est important de garder en mémoire qu’un outil de travail doit avant tout être pratique. Une politique trop longue devient rapidement trop lourde et celle-ci ne sera que mise de côté aux bénéfices d’outils plus adaptatifs, flexibles et plus faciles à mettre à jour. Une politique trop lourde peut donc rapidement devenir obsolète et risque de ne plus être utilisée.

Au terme de nos lectures et analyses, nous avons proposé quatre grandes pistes de réflexion pouvant apporter des modifications et/ou des ajouts à la politique actuelle afin d’améliorer parfois son accessibilité, parfois son utilité et d’autres fois les deux aspects à la fois. Ces pistes de réflexion se concentrent sur les quatre aspects suivants :

  • les tableaux de niveaux de développement (méthode Conspectus)

  • les critères d’acquisitions

  • les critères d’entreposage

  • les critères d’élagage.

Développer des tableaux de niveaux de développement (Méthode Conspectus)

La méthode Conspectus permet d’attribuer des niveaux de développement de collections pour un sujet. Dans un premier temps, les bibliothécaires peuvent déterminer quel est le niveau actuel de la collection par rapport à un sujet et dans un deuxième temps, il est possible de cibler le niveau de profondeur que la collection devrait atteindre pour ce sujet (Oulc’hen, 2009). Le niveau de profondeur peut désigner ici autant la quantité de documents sur le sujet, que leur niveau de granularité par rapport au sujet, mais peut aussi inclure les caractéristiques linguistiques et le type de support des documents. L’une des forces de cet outil est justement sa grande adaptabilité puisque les descriptions des niveaux peuvent être ajustées selon les besoins des disciplines. Plusieurs établissements l’utilisent encore - tels que l’UQO[3] et la Polytechnique[4], et avec raison puisque ses bénéfices sont reconnus (Gregory, 2019, pages 37 à 39 ; Oulc’hen, 2009). En tant que nouvelles professionnelles, la flexibilité et l’utilité de l’outil nous interpellent tout particulièrement. Chaque bibliothèque peut personnaliser les niveaux et la précision des descriptions selon ses besoins et ses capacités. Ceci demande un travail d’analyse qui peut être plus ou moins laborieux selon les désirs, mais le processus permet un travail d’introspection de la part des bibliothécaires duquel de nouvelles perspectives et idées peuvent naître. De plus, le produit final donne à l’équipe de la bibliothèque un outil de travail de qualité. Le personnel de la bibliothèque peut facilement se familiariser avec le contenu de la collection, l’évolution de celle-ci de même que les objectifs à atteindre. Pour l’arrivée de nouveau personnel au sein de l’équipe, un tel outil peut représenter une véritable boussole (Oulc’hen, 2009).

Développer les sections de la politique portant sur les critères d’acquisition

Une liste de critères généraux et disciplinaires permet d’assurer une réelle transparence envers le public puisque les critères décisionnels sur lesquels les bibliothécaires se basent pour assurer la gestion des collections sont connus de toute la communauté. À la suite de notre analyse, force est de constater que certaines disciplines ont tendance à avoir des critères beaucoup plus pointus et/ou nombreux que d’autres. Du fait de sa nature, la BRM regroupe les disciplines des sciences humaines, des sciences sociales, des arts et des lettres, des disciplines toutes très variées les unes par rapport aux autres. Les besoins sont donc grands, larges et très variables : l’importance accordée à la date de publication, à la langue et au pays d’origine des documents sera différente d’une discipline à l’autre et les besoins en termes de nombre d’exemplaires varient aussi selon la population étudiante de chaque faculté et école. Le coût d’acquisition et la disponibilité des titres sur différents supports changeront aussi en fonction du sujet des documents. En plus d’avoir conscience de tout cela, les bibliothécaires doivent aussi avoir de bonnes connaissances en termes de qualités des ouvrages et en ce qui concerne la réputation et l’autorité des maisons d’édition, des auteurs et des autrices. Par exemple, la documentation d’actualité est davantage recherchée en administration et en politique qu’en histoire et en littérature. De plus, des bibliothèques qui desservent des disciplines comme la musique ou le cinéma doivent gérer plusieurs supports de documentation – partitions musicales, disques, cassettes, microfilms, DVD, etc., ce qui apporte son lot de particularités et de défis.

Les ressources numériques s’imposent aussi de plus en plus largement au sein de nos bibliothèques, et ce, pour toutes les disciplines. Cependant, les enjeux liés à la gestion de ce type de ressources ne sont que très peu abordés dans les politiques actuelles des établissements universitaires. Heureusement, plusieurs bibliothèques ont débuté ou nous ont fait part de leur désir de débuter des démarches réflexives semblables à celle entamée à la BRM afin de remédier à ces mentions actuellement trop brèves. Nonobstant cette réalité, les critères disciplinaires peuvent être très variables d’un domaine à un autre. Étoffer une section de critères disciplinaires permet donc d’assurer la pérennité des connaissances professionnelles des bibliothécaires disciplinaires en poste. Il est ainsi judicieux, pour une saine gestion pérenne et transparente, d’établir des critères tant généraux que disciplinaires dans un contexte de bibliothèque universitaire comme celui dans lequel nous évoluons.

Développer la section portant sur les critères d’entreposage

L’entreposage est un enjeu de taille au sein des bibliothèques universitaires et notre bibliothèque n’y échappe pas. Bien que l’entreposage puisse sembler être une solution intéressante, les coûts associés à cette pratique à long terme peuvent être astronomiques. Évidemment, le mieux serait qu’une réelle réflexion sur la question ait lieu au sein de notre communauté professionnelle afin de trouver des solutions innovantes pouvant répondre aux besoins à court, moyen et long termes. Pensons, par exemple, au partage de lieux d’entreposage entre établissements comme l’ont fait l’Université George Washington et l’Université Georgetown (Obrig et al., 2006) aux États-Unis ou encore les bibliothèques de l’Université Queen’s, l’Université d’Ottawa, l’Université Western, l’Université de Toronto, l’Université Memorial de Terre-Neuve (McMullen et al., 2021) au Canada. Cependant, un tel processus est coûteux en temps et en ressources. Une façon plus directe et accessible d’éviter les répercussions négatives trop importantes de l’entreposage est d’établir des critères d’entreposage précis (Johnson, 2004, pages 150-151) jumelés à des critères d’élagage tels que mentionnés au point suivant.

Développer des critères d’élagage

La littérature sur le sujet est claire : ne procéder qu’à l’acquisition de documentation n’est pas suffisant pour attirer le public (Gregory, 2019, pages 111 à 113). La collection doit rester vivante. Pour ce faire, il faut assurer la mise en place d’un processus d’acquisition jumelé à un processus d’élagage efficace. Il s’agit de deux processus complémentaires permettant, finalement, de faire briller le contenu des collections. Combinés à des critères d’acquisitions et d’entreposage, les critères d’élagage viennent boucler la boucle et compléter le cycle de gestion de la collection. Toutefois, il est reconnu que l’élagage est un exercice riche en émotions qui peut mener rapidement à la discorde. Établir préalablement des critères d’élagage précis permet d’éviter de mauvaises surprises, que ce soit lors d’un élagage systématique ou d’un élagage occasionnel, en assurant que la démarche et la gestion de la collection soient faites avec transparence aux yeux de la communauté comme l’a fait l’Université Bishop’s[5] en établissant et publiant l’une des politiques d’élagage les plus complètes auxquelles nous avons pu accéder dans le cadre de notre analyse.

Mise en oeuvre pratique des constats et recommandations

À la suite des lectures des textes de la revue de littérature et de la formulation de ces conseils, nous avons opté pour une refonte globale de notre politique de développement de collections dans une optique générale d’abord, donc misant sur des pratiques interdisciplinaires. De façon parallèle, des outils spécifiques et plus détaillés pour chaque discipline seront développés pour répondre aux besoins. Nous croyons que cette division permettra de répondre à la fois au besoin d’avoir une politique claire et transparente et d’avoir des outils de transfert des connaissances formels. Cette façon de faire permettra aux bibliothécaires de formaliser leurs connaissances des besoins généraux de la communauté universitaire tout autant que les besoins spécifiques aux disciplines dont ils et elles sont responsables. Cela offre par le fait même l’opportunité de revoir les processus décrits dans la politique et de les mettre à jour pour qu’ils incorporent les changements dans les tâches des bibliothécaires et des autres membres du personnel qui surviennent depuis l’arrivée des livres électroniques et de toutes les façons possibles de les ajouter à nos collections. Rendre ces changements officiels nous paraît important puisque le processus nous permettra d’en rendre compte officiellement et de permettre aux bibliothécaires de faire des choix basés sur une politique d’actualité.

Le processus de révision de la politique est toujours en cours à la BRM au moment de la rédaction de cet article. L’équipe de bibliothécaires a déjà été sollicitée à quelques reprises afin de contribuer à ce projet mené de façon collaborative. Tout d’abord, les recommandations expliquées précédemment ont été présentées à l’ensemble des bibliothécaires et au directeur de la bibliothèque dans le cadre de réunions de travail en équipe afin de leur donner un aperçu des démarches ainsi que pour répondre à leurs interrogations. De telles rencontres de travail continuent d’être organisées de façon périodique afin de passer l’actuelle politique au peigne fin pour soulever les éléments communs à mettre à jour progressivement. Toutes les décisions sont prises dans le cadre de discussions permettant ainsi l’apport de l’ensemble de l’équipe. L’expertise et les compétences de tous et de toutes sont ainsi mises à contribution tout au long du processus afin d’obtenir une nouvelle mouture de la politique à l’image de l’équipe et respectant les valeurs et les objectifs de notre bibliothèque et du Service des bibliothèques et archives. Lorsque la mise à jour de la politique sera complétée, celle-ci sera le reflet des changements de la profession quant à la gestion des collections et nous comptons évidemment continuer à l’adapter et à la faire évoluer au fil du temps pour qu’elle continue à être d’actualité.

En parallèle, nous avons développé le questionnaire disciplinaire afin de sonder chaque bibliothécaire de référence sur ses pratiques concernant le développement de collections. Cet outil vise à assurer le transfert des connaissances en établissant les critères disciplinaires nécessaires pour la gestion de la collection, mais permet également d’établir des pratiques communes entre les bibliothécaires de la BRM qui pourraient être mises de l’avant dans les critères généraux de la politique afin d’uniformiser la méthodologie de travail de l’équipe.

Ce questionnaire a été basé sur un questionnaire préalablement créé par des bibliothécaires et des membres de la direction de la BRM afin de sonder le corps professoral en 2017 dans le but de recueillir leurs opinions et leurs connaissances expertes à propos des collections disciplinaires. Celui-ci comportait quelques questions concernant les maisons d’édition, les collections, les ouvrages, les auteurs et les autrices incontournables ainsi que des questions sur les critères à considérer pour choisir d’élaguer des livres. En nous inspirant de ces questions ainsi que des connaissances acquises à la suite de l’analyse des politiques des autres bibliothèques universitaires québécoises et grâce à la revue de littérature, nous avons élaboré un questionnaire pour les bibliothécaires. Les questions de bases ont toutes été conservées, puisque comme l’a démontré la revue de la littérature, le choix de titres de monographies est toujours très important pour les disciplines représentées à la BRM. Nous avons aussi ajouté des questions reflétant plus spécifiquement les éléments importants qui sont ressortis de la revue de la littérature et des conseils formulés grâce à la consultation des politiques des autres bibliothèques universitaires du Québec. Ces questions concernent ainsi les pratiques de gestion, les programmes d’achats basés sur l’utilisation ou sur les données probantes d’usage, les bouquets de collections, le prêt entre bibliothèques et l’entreposage. Nous avons aussi ajouté une section spécifique pour que les bibliothécaires puissent lister les sujets d’une discipline et y attribuer le niveau de développement actuel et celui désiré selon la méthode Conspectus.

Une première version du questionnaire a été distribuée aux bibliothécaires. Nous avons organisé des rencontres individuelles afin de faire un survol des questions, clarifier certains points et répondre à leurs interrogations. À la suite de ce premier essai, nous avons recueilli leurs commentaires et modifié le questionnaire en conséquence, tout particulièrement pour ajouter une section pour les livres rares et afin de clarifier les questions concernant les nouveaux types de programmes d’acquisitions qui étaient, aux yeux de plusieurs bibliothécaires, trop génériques et portaient à confusion. Les bibliothécaires ont donc à remplir une première fois le questionnaire pour l’une de leurs disciplines. En effet, il est important de noter que les bibliothécaires sont en charge de plus d’une discipline et nous ne voudrions pas surcharger leur emploi du temps en leur demandant de réfléchir en profondeur à toutes leurs disciplines à la fois.

Le questionnaire final est substantiel avec son total de 25 pages, dont 15 sont dédiées uniquement aux questions et 10 sont consacrées à des extraits de l’actuelle politique servant de référence. Le compléter demande du temps, de la recherche et de la concentration. Il s’agit d’un long processus. C’est pourquoi les bibliothécaires en sont encore à la complétion de leur premier questionnaire. Les résultats devraient être soumis d’ici quelques mois. Une fois ce premier exercice complété, une rencontre d’équipe aura lieu afin de récolter les avis, les commentaires et les opinions de toute l’équipe. Les bibliothécaires devront par la suite remplir un questionnaire pour chacune des autres disciplines dont ils et elles ont la charge. Une fois toutes les disciplines couvertes, les réponses pourront être analysées. Il sera alors possible de voir s’il y a des tendances générales et celles-ci pourront être ajoutées à la politique de notre bibliothèque. Surtout, nous détiendrons alors une documentation complète quant aux critères décisionnels des bibliothécaires, ce qui fera des questionnaires remplis un outil de transfert des connaissances précieux. Évidemment, il s’agit d’un processus laborieux et d’un projet à long terme. L’équipe de la BRM, tant de la part des bibliothécaires que de la direction, est cependant consciente de la nécessité du projet et enthousiaste quant aux résultats que celui-ci apportera.

Conclusion

À la lumière de nos lectures, nous nous rendons à l’évidence que les politiques de gestion de collections sont souvent sous-utilisées. Il semble qu’il arrive fréquemment qu’une politique soit développée puis qu’elle soit laissée de côté. Les bibliothécaires perdent alors l’occasion de les utiliser à leur plein potentiel et tous les avantages offerts par une politique sont alors non exploités. Ceci est en grande partie dû au fait qu’elles ne sont pas actualisées et ne reflètent donc plus la réalité des bibliothèques universitaires d’aujourd’hui. Le numérique s’impose et se développe à vitesse grand V et les espaces physiques sont de plus en plus occupés et prisés pour d’autres fonctions que les rayonnages de livres. Pour maximiser l’utilisation de nos collections, il faut que la communauté puisse être en mesure de se repérer dans leur bibliothèque physique autant que dans ses espaces virtuels. Les bibliothécaires peuvent ainsi devenir des guides pour arriver à comprendre les collections. Nous devons donc être des experts et des expertes des collections dont nous sommes responsables et les politiques de gestion des collections devraient nous permettre de le devenir et de le rester, en autant qu’elles soient mises à jour régulièrement pour refléter l’évolution rapide des ressources utilisées par nos publics.

À ces considérations s’ajoute un autre aspect que nous n’avons pas traité dans le présent texte et qui mériterait un article entier. Il s’agit des coûts écologiques associés aux collections, tant pour les documents physiques que numériques. L’espace occupé par les documents imprimés doit être maintenu dans certaines conditions et entretenu sur le long terme. Il est aussi possible d’oublier que les documents numériques ont tout de même une empreinte carbone puisqu’ils sont hébergés sur des serveurs informatiques. Même si leur nombre et leur poids sont invisibles à l’oeil nu des bibliothécaires et du public, ils consomment énormément d’énergie (Chowdhury, 2016). Il faudra inévitablement se pencher sérieusement sur ces préoccupations dans un avenir rapproché.

Nous souhaitons que nos démarches puissent inspirer d’autres bibliothèques à suivre le pas, que nos réflexions et nos expériences permettent d’engendrer des discussions et d’instaurer des processus de mise à jour de nos politiques de développement de collections plus fréquentes. Avec les changements technologiques des dernières années et ceux qui ne sauraient tarder, la gestion des collections peut être actualisée et cette tâche traditionnelle doit prendre en considération tous les défis que représente l’évolution du rôle des bibliothèques dans nos communautés et l’avènement du numérique. Les politiques pourront permettre de faire tout cela, tout en permettant aux bibliothécaires avec plus d’expérience de partager leurs savoirs et aux plus jeunes de pouvoir compter sur des lignes directrices aidant à leur transition dans leurs nouveaux rôles professionnels.

Le projet entrepris par la BRM en est à ses débuts. Le présent article ne fait état que des premières étapes entreprises. L’équipe de la BRM compte bien mener le projet à terme et nous restons ouvertes à répondre aux questions de la communauté pour ceux et celles s’intéressant à notre démarche.