Misère et splendeur de la traduction[Record]

  • Clara Foz

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  • Clara Foz
    École de traduction et d’interprétation, Université d’Ottawa, C.P. 450, Succ. A, Ottawa (Ontario) K1N 6N5
    cfoz@uottawa.ca

D'Ortega y Gasset, né à Madrid en 1883, et qui, avec Unamuno, son contemporain, constitue l'un des plus illustres représentants de la pensée philosophique espagnole, on ne saurait résumer l'oeuvre : immense et variée, elle n'a rien perdu de sa vivacité et par sa pertinence et sa modernité stimule qui prend le temps de s'y plonger. Marquée par la philosophie allemande, mais également par une certaine tradition littéraire française - les références à certaines de ses « oeuvres » les plus marquantes, qu'il s'agisse de Chateaubriand, Stendhal ou Flaubert, sont fréquentes dans les écrits orteguiens - l'oeuvre d'Ortega y Gasset échappe à toute tentative de catégorisation, et c'est bien ainsi. Le texte revêt la forme du dialogue (des références à Socrate et à Platon apparaissent à divers niveaux dans le texte), dialogue dans lequel un des participants joue en quelque sorte le rôle de narrateur. Au tout début, il est précisé que ce dialogue se serait déroulé au Collège de France : y auraient participé des universitaires et d'autres intellectuels et la discussion aurait porté dans un premier temps sur l'impossibilité de traduire certains penseurs allemands. Peu à peu cependant, dans le texte, la perspective s'élargit pour englober tout écrit « faisant oeuvre ». L'authenticité des faits importe peu, même si Ortega y Gasset ayant séjourné en France avant de s’installer en Argentine, il est permis de penser qu'il se fonde sur un événement réel ou qu'il s'en inspire et ce d'autant que certaines personnes mentionnées dans son texte faisaient effectivement partie de ses fréquentations. L'essentiel est que par cette « mise en place » Collège de France - Penseurs allemands sont introduits dès les premières lignes les deux pôles autour desquels la réflexion d'Ortega y Gasset sur la traduction s'articule, à savoir d'une part la critique d'une certaine manière ou tradition française et d'autre part la reconnaissance et l'affirmation d'une autre tradition incarnée par des auteurs comme Humboldt, Goethe et Schleiermacher entre autres. Le fait qu'il ait ancré son discours aux deux pôles représentés d'un côté par la vision assimilationiste et naturalisante propre à la première tradition et de l'autre par la vision différenciatrice et altérante de la seconde ne devrait cependant pas faire oublier tout ce que la problématique posée par Ortega y Gasset a de spécifiquement espagnol. Le raisonnement orteguien est bâti sur un thème, central au demeurant dans toute son oeuvre, celui de l'utopie : celle-ci est aussi inhérente à toute pratique traduisante (on pense ici au « traduire » envisagé par Schleiermacher comme une « folle entreprise » et dans une plus large mesure, à toute pratique langagière et même à toute activité humaine). Un principe en vertu duquel traduisibilité et intraduisibilité sont une seule et même chose, l'impossibilité absolue du traduire fondant sa nécessité même. Retournement dialectique par lequel la théorie de l'intraduisible se transforme en théorie du traduisible. Sont abordés dans ce texte un certain nombre des thèmes fondateurs du discours moderne sur la traduction : position du sujet traduisant, typologie des textes, idiolecte de l'écrivain, intraduisibilité linguistique, contraintes liées à l'anisomorphisme des systèmes linguistiques, question du rapport existant entre signe et référent, imperfection et opacité du médium linguistique, rapport de l'homme à la langue, mais aussi variété des visées traductives possibles et réception des traductions. La pratique de la traduction telle qu'envisagée par Ortega y Gasset se fonde sur la reconnaissance d'un rapport profond et unique aux langues : rapport qui lie l'auteur à sa langue - pour Ortega y Gasset tout acte d'écriture suppose un certain « écart à la langue » et rapport du traducteur à sa langue maternelle - …

Appendices