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Introduction

Depuis quelques années, le gouvernement ontarien se préoccupe de la qualité des apprentissages en sciences. Cette attention émerge d'une part de l'importance qu'ont prise les sciences dans le développement industriel des pays (Conseil supérieur de l'éducation, 1990) et, d'autre part, du principe d'imputabilité qui rend les gouvernements redevables de la qualité de l'enseignement auprès des populations qui les ont élus (Torrance, 1993). En dix ans, le gouvernement ontarien a produit divers programmes et énoncés de politique visant l'enseignement des sciences au primaire (de la première à la huitième année) (Ministère de l'Éducation et de la Formation de l'Ontario, 1988; 1993; 1995; 1998) et a créé des cours de perfectionnement spécifiques à l'enseignement des sciences. L'Ontario participe également aux enquêtes nationales et internationales dont la troisième enquête internationale sur l'enseignement des mathématiques et des sciences de l'IEA (International Association for the Evaluation of Educational Achievement). L'IEA est une association internationale vouée à l'évaluation des apprentissages scolaires.

Quarante-cinq pays ont participé à cette enquête qui avait pour but de documenter la qualité de l'apprentissage des sciences et d'identifier les facteurs qui sont reliés à la performance des élèves (Beaton, Mulis, Martin, Gonzales, Kelly et Smith, 1996). Les populations visées par cette enquête étaient les élèves de 9, 13 et 16 ans. Les premiers résultats publiés visaient les élèves de 13 ans (Robitaille, Taylor et Orpwood, 1996), alors que ceux des élèves de 9 et de 16 ans ont été publiés en 1997. Le présent article s'intéresse aux résultats obtenus en sciences par les élèves francophones de l'Ontario âgés de 13 ans (Office de la qualité et de la responsabilité en éducation, 1997).

Le Canada a participé à cette étude grâce à une représentation proportionnelle de la population étudiante des provinces et des territoires telle qu'elle est définie par Statistique Canada. Dix-sept mille cinq cent quatre-vingt-huit (17588) élèves canadiens âgés de 13 ans y ont participé. Certaines provinces dont l'Alberta, la Colombie-Britannique, Terre-Neuve, le Nouveau-Brunswick et l'Ontario ont augmenté leurs échantillons pour permettre des comparaisons entre leurs élèves et ceux des autres pays. L'Ontario a même des échantillons suffisamment grands pour analyser de façon indépendante les résultats des anglophones (5254 élèves) et des francophones (2963 élèves).

Les instruments utilisés lors de l'étude incluaient un cahier de l'élève, qui comprenait des questions, principalement à choix multiples, portant sur les différents champs d'études en sciences, de même qu'un questionnaire visant à connaître les intérêts, les opinions et les attitudes des élèves face aux sciences. La trousse comprenait aussi un questionnaire destiné aux enseignantes et aux enseignants portant sur leur conception des sciences, le contenu enseigné et leurs méthodes d'enseignement et d'évaluation. Finalement, le questionnaire destiné aux directions d'écoles qui incluait des questions d'ordre administratif complétait cette trousse.

Les rapports de l'IEA décrivent la performance en sciences des populations visées et les réponses fournies aux divers questionnaires. Après avoir constaté la faible performance des élèves ontariens au test de sciences, l'Office de la qualité et de la responsabilité en éducation[1] a demandé à un groupe de chercheurs d'identifier les variables qui sont liées au rendement en sciences.

Cet article s'intéresse particulièrement à l'enseignement et à l'apprentissage des sciences en Ontario français. Dans un premier temps, il présente le rendement de la population francophone de l'Ontario. Puis, il s'intéresse aux données descriptives tirées des questionnaires destinés aux élèves et au personnel enseignant concernant trois champs d'information soit 1) les caractéristiques sociales et socioéconomiques des élèves, 2) les attitudes des élèves et de leurs parents vis-à-vis des sciences, 3) les pratiques pédagogiques des enseignantes et des enseignants. L'article examine également les relations entre le rendement en sciences et les variables de ces trois champs.

Les questions posées dans ces trois champs d'information offraient aux répondants un choix de réponses dont le nombre variait de trois à six (par exemple: souvent, parfois, jamais). Il a été possible de calculer le rendement moyen au test de sciences obtenu par les personnes ayant choisi la même réponse, créant ainsi autant de groupes de sujets qu'il y avait de choix de réponses à une question donnée. Les moyennes obtenus par ces groupes ont été soumises à des analyses de variance univariées ANOVA. Les variables indépendantes étaient les variables étudiées et le rendement au test de sciences constituait la variable dépendante.

L'Office de la qualité et de la responsabilité en éducation désirait également une comparaison entre les données recueillies en sciences auprès des francophones de l'Ontario et celles recueillies auprès des élèves de l'Alberta, population qui a obtenu le meilleur rendement au Canada. Lorsque la comparaison entre ces deux populations se faisait sur une variable continue (exemple, le nombre d'heures consacrées à une tâche), les analyses statistiques utilisées étaient des analyses de variance univariées ANOVA. Toutefois, lorsque les variables étaient dichotomiques (par exemple, la scolarisation des parents), nous avons utilisé des tests chi-carré () qui comparaient la répartition des sujets des deux populations au sein des diverses catégories de réponses offertes par la question. Le test permettait de déterminer si la répartition des deux groupes au sein des divers choix de réponses était statistiquement différente.

Finalement, l'article décrit certains aspects de l'enseignement des sciences indirectement couverts par l'enquête TEIMS comme le curriculum en sciences, le temps consacré à l'enseignement des sciences, et la formation et le perfectionnement du personnel enseignant.

Le rendement en sciences des élèves francophones de l'Ontario

L'IEA représente le rendement en sciences à l'aide d'un résultat international qui reflète des niveaux de performance définis par tranches de 100 allant de 0 à 1000. En sciences, les élèves francophones de 13 ans de l'Ontario ont obtenu un résultat moyen de 464. Il s'agit du rendement le plus faible au Canada et seuls quatre pays participant à l'étude obtiennent des résultats inférieurs à ceux des francophones de l'Ontario. Il existe également un écart significatif entre les francophones et les anglophones de cette province qui ont obtenu un résultat de 502. L'Alberta a réalisé la meilleure performance canadienne avec un résultat de 545. Celle-ci fait partie des cinq juridictions les plus performantes au test après le Japon, la Corée, Singapour et la Tchécoslovaquie. L'étude PIRS–sciences (Conseil des ministres de l'éducation du Canada, 1996) confirme la faible performance des élèves francophones de l'Ontario âgés de 13 ans qui ont obtenu des résultats inférieurs à ceux de l'ensemble des élèves canadiens.

En comparant ces résultats à ceux obtenus lors de la deuxième enquête internationale en mathématiques et en sciences (Lapointe, Mead et Philips, 1989), on constate que la situation de l'apprentissage des sciences en Ontario est restée la même au cours des dix dernières années, malgré les efforts répétés du ministère de l'Éducation et de la Formation de l'Ontario pour améliorer la situation. Lors de cette enquête, les francophones de l'Ontario obtenaient un résultat de 468, les anglophones de cette province un résultat de 514. La Colombie-Britannique était une des juridictions les plus performantes au test avec un résultat de 551 (l'Alberta n'a pas participé à la deuxième enquête internationale).

Il faut aussi souligner que la faible performance au test de sciences observée chez les élèves francophones de l'Ontario semble généralisée à l'ensemble des ordres scolaires puisque les moyennes obtenues par les élèves de neuf ans (Beaton, Mulis, Martin, Gonzales, Kelly et Smith, 1996) et de 16 ans (Conseil des ministres de l'éducation du Canada, 1996) sont plus faibles que la moyenne canadienne. Ces études confirment également l'écart entre les francophones et les anglophones de cette province.

Les caractéristiques sociales et socioéconomiques

L'analyse des réponses aux questionnaires des élèves a permis d'identifier un certain nombre de caractéristiques sociales et socioéconomiques liées au rendement au test de sciences chez les élèves francophones de 13 ans. Elles touchent la langue parlée à la maison, la scolarisation des parents, le nombre de livres à la maison et l'accès à un ordinateur.

La langue parlée à la maison

Dans un contexte francophone minoritaire, l'utilisation du français revêt une importance particulière. Celle-ci est confirmée par le fait que le rendement au test de sciences est lié à la fréquence d'utilisation du français à la maison. Les élèves qui parlent toujours ou presque toujours français à la maison ont de meilleurs résultats (472) que les élèves qui le parlent parfois (457) ou ne le parlent jamais (459) [F (2,2895) = 9,9; p<0,001]. Puisque seulement 45% des élèves interrogés parlent toujours français à la maison, cette variable revêt une importance particulière dans le cadre des résultats de la troisième enquête internationale sur l'enseignement des sciences. Toutefois, il est difficile de déterminer si c'est la fréquence d'utilisation de la langue qui est en cause ou plutôt la maîtrise de celle-ci que favoriserait une utilisation accrue du français. Ce lien entre l'utilisation de la langue et le rendement en sciences pourrait signifier que l'apprentissage des sciences est fortement lié à la maîtrise de la langue à cause des concepts et des processus de résolution de problèmes auxquels les sciences font appel (Astolfi et Develay, 1989; Balpe, 1991; Trabal, 1997). Il se pourrait également que la réussite des énoncés du test fasse appel à une maîtrise de la langue qui se trouve accrue chez les élèves qui utilisent toujours le français à la maison. D'ailleurs, lors de la deuxième enquête internationale, les élèves francophones de l'Ontario ont jugé moins facile que les élèves du Québec le français utilisé dans le questionnaire de sciences (Dussault, 1988), alors qu'il n'y avait pas de différence entre le Québec et les francophones des autres provinces canadiennes. Les questions sur la facilité de la langue utilisée dans les questionnaires n'ayant pas été posées lors de la troisième enquête internationale, il est difficile de généraliser les résultats précités, bien qu'ils puissent souligner une tendance générale.

Tout en reconnaissant que l'école a peu d'influence sur la langue parlée à la maison, elle doit cependant continuer à encourager les élèves et les parents à utiliser le français. Des actions concertées avec les partenaires de l'école devraient insister sur l'importance de la maîtrise de la langue dans des domaines autres que les cours de français. La population n'est pas toujours consciente de l'importance de la langue dans des matières comme les sciences. Ces actions sont d'autant plus nécessaires qu'elles visent un milieu francophone minoritaire. Cependant, les écoles françaises de l'Ontario ont la capacité d'influencer la qualité du français des élèves. Elles devraient continuer à promouvoir la qualité de la langue française et, dans bien des cas, à compenser la faible utilisation du français à la maison. L'école et ses partenaires doivent mettre en place des activités dans des domaines variés, scolaires et parascolaires, favorisant l'utilisation et la maîtrise du français. Finalement, les enseignantes et les enseignants de sciences devraient intégrer une composante langagière dans les activités qu'ils proposent aux élèves, notamment dans le cadre de la composante communication des apprentissages.

La scolarisation des parents

Il existe une relation entre le rendement au test de sciences et la scolarisation des parents [mère: F(5,2121)=14,5; p<0,0001; père: F(5, 2018)=19,5; p<0,0001]. De façon générale, les élèves dont les parents ont poursuivi leurs études au-delà du secondaire ont tendance à obtenir un résultat plus élevé au test de sciences que les élèves dont les parents ont interrompu leurs études à la fin du secondaire. Cette donnée est importante pour la communauté francophone de l'Ontario, car des études démontrent que les francophones de l'Ontario sont moins enclins que les anglophones à entreprendre des études postsecondaires (Herry et Levesque, 1992).

Le nombre de livres à la maison et l'accès à un ordinateur

Le nombre de livres à la maison [F(4,2889)=28,6; p<0,0001] de même que la disponibilité d'un ordinateur [F(1,2919)=50,5; p<0,0001] et d'un bureau de travail personnel pour l'élève [F(1,2919)=38,8; p<0,0001] sont d'autres indicateurs du niveau socioéconomique de la famille qui sont liés au rendement au test de sciences. De plus, la comparaison entre l'Ontario francophone et l'Alberta (province qui obtient le meilleur résultat en sciences) souligne que le nombre de livres à la maison est significativement plus élevé (près du double) chez les élèves albertains que chez les francophones de l'Ontario (χ2 =203; p<0,0001). Ce résultat peut laisser supposer des milieux familiaux et des comportements parentaux différents entre les deux populations.

Les sections précédentes ont présenté les résultats des analyses concernant des indicateurs du niveau socioéconomique de la famille. Ces analyses soulignent que la scolarisation des parents, la langue parlée à la maison, le nombre de livres à la maison et la disponibilité d'un ordinateur sont statistiquement liés au rendement au test de sciences. Cependant, à eux seuls, ils ne suffisent pas à expliquer la faible performance des élèves. Par exemple, le groupe des francophones de l'Ontario dont les parents possèdent le plus haut niveau de scolarisation obtient un résultat au test de 496. Ce résultat est inférieur à la moyenne obtenue par l'ensemble des élèves albertains (545) et même canadiens (515). De plus, il faut considérer ces variables comme des indicateurs du niveau socioéconomique et non pas comme une variable dont la modification entraînerait systématiquement une amélioration de la performance en sciences. En effet, ces variables pourraient représenter un ensemble plus vaste de variables incluant des modèles de comportements parentaux associés à la réussite scolaire, un milieu de vie stimulant et riche, etc.

Bien que l'école ait à court terme peu d'influence sur les caractéristiques socioéconomiques de sa clientèle, il n'en demeure pas moins qu'à long terme, elle peut influencer le comportement et les choix de ses élèves, et ainsi modifier les caractéristiques de la population qu'elle dessert. À court terme, les écoles françaises doivent offrir un milieu éducatif riche en mettant à la disposition de leurs élèves des ressources, du matériel et de l'équipement de qualité. Il est entendu que la disponibilité de ces ressources à l'école est grandement tributaire de son budget. Toutefois, afin d'atteindre cet objectif, l'école peut développer des partenariats avec des organismes publics dont les bibliothèques ou des organismes privés dont des compagnies.

Les attitudes des élèves vis-à-vis des sciences

Le questionnaire de l'élève incluait des questions portant sur ses attitudes vis-à-vis des sciences. Cette section traite de la perception des sciences, de la perception du rendement en sciences et de la valorisation de la réussite en sciences.

La perception des sciences et du rendement en sciences

Soixante-dix pour cent des élèves francophones de l'Ontario indiquent qu'ils aiment les sciences, mais cela ne les empêche pas de les trouver ennuyeuses (c'est le cas de 45% des répondants). Ceux qui aiment les sciences et ne les trouvent pas ennuyeuses réussissent mieux au test de sciences que les autres élèves. Les élèves francophones de l'Ontario sont nombreux à affirmer réussir bien – ou très bien – en sciences (90% des répondants). Malgré ce fort pourcentage, il est possible de dégager une relation entre le rendement en sciences et la perception qu'ont les élèves de leur niveau de réussite en sciences [F(3,2882)=7,0; p<0,001]. Les élèves qui disent très bien réussir en sciences ont effectivement de meilleurs résultats au test de sciences. La comparaison avec les élèves albertains, population qui obtient de meilleurs résultats au test que les francophones de l'Ontario, permet de constater qu'ils sont moins nombreux (37%) à trouver les sciences ennuyeuses (χ2 = 20,1; p<0,001) et qu'ils évaluent leur niveau de réussite en sciences moins positivement (82% disent bien réussir) (χ2 =37,1; p<0,0001).

La valorisation de la réussite en sciences

Les élèves francophones de l'Ontario pensent qu'il est important de réussir en sciences. Plus ils y accordent de l'importance, mieux ils réussissent au test de sciences [F(3,2887)=10,4; p<0,0001]. D'autres études dont celle du Conseil économique du Canada (1990) soulignaient également une telle relation.

La relation entre le rendement et l'importance accordée à la réussite en sciences peut sembler évidente a priori. Toutefois, la réussite en sciences est moins importante pour les élèves albertains (χ2 =48,5; p<0,0001), groupe qui obtient un meilleur résultat au test. De plus, le groupe d'élèves francophones de l'Ontario qui démontre l'attitude la plus positive face à la réussite en sciences n'obtient qu'un résultat moyen de 472 alors que le résultat moyen des Albertains est de 545.

Il faut aussi noter que la valorisation de la réussite en sciences par la mère (selon l'élève) est en relation avec le rendement en sciences de l'élève [F(3,2889)= 18,2; p<0,0001]. Les mères albertaines, tout en trouvant importante la réussite en sciences, la valorisent moins que les mères francophones de l'Ontario (χ2 =20,8; p<0,001).

Pourquoi réussir en sciences?

Les élèves francophones de l'Ontario veulent réussir en sciences surtout pour avoir accès à un choix d'écoles (89% d'accord avec l'énoncé). Ils veulent aussi réussir pour obtenir l'emploi désiré (75%) et pour se faire plaisir (73%). Faire plaisir à ses parents ne rejoint que 60% des élèves. En contrepartie, les élèves albertains veulent réussir en sciences surtout pour se faire plaisir (χ2 =77,4; p<0,0001) et faire plaisir à leurs parents (χ2 =184; p<0,0001).

Les élèves francophones de l'Ontario qui pensent qu'il faut réussir en sciences pour obtenir l'emploi désiré [F(3,2844)=3,2; p<0,05] et avoir un choix d'écoles [F(3,2841)=2,9; p<0,05] ont un meilleur rendement en sciences que les autres élèves. De plus, ces élèves ne réussissent pas dans un but marqué de faire plaisir à leurs parents [F(3,2839)=7,2; p<0,001].

Que faire pour réussir?

Les élèves francophones de l'Ontario et les élèves albertains disent que pour réussir en sciences il faut travailler assidûment. Respectivement 90 et 91% d'entre eux sont d'accord avec cet énoncé. Cependant, les élèves francophones de l'Ontario sont plus nombreux à penser que pour réussir il faut aussi un talent naturel (χ2 =56; p<0,0001), contrairement aux élèves albertains qui pensent qu'il faut mémoriser la matière (χ2 =292; p<0,0001). Les élèves francophones de l'Ontario qui ne lient pas leur réussite en sciences à un talent naturel [F(3,2882)=13,1; p<0,0001], à la chance [F(3,2880)=68,1; p<0,0001] ou à la mémorisation [F(3,2876)=32; p< 0,0001] obtiennent un meilleur résultat au test de sciences que les autres élèves.

Les sections précédentes ont présenté l'analyse des réponses des élèves francophones de l'Ontario aux questions portant sur les attitudes vis-à-vis des sciences. Elles font ressortir que ces élèves valorisent fortement la réussite en sciences, tout comme leurs parents d'ailleurs. Ces élèves pensent que la réussite en sciences leur permettra d'avoir accès à de bonnes écoles et, en bout de ligne, d'obtenir un bon emploi. Comparativement aux élèves albertains, les élèves francophones ontariens valorisent la réussite en sciences plus pour des raisons extrinsèques (obtenir un emploi, etc.) que pour des raisons intrinsèques comme se faire plaisir. De plus, la conception de la réussite en sciences de ces francophones repose sur un travail assidu et une bonne dose de talent naturel alors que celle des élèves albertains valorise le travail assidu et l'étude.

Malgré le peu de choix de réponses offert aux élèves par les énoncés visant à évaluer leurs attitudes, les informations recueillies permettent de formuler un certain nombre de constatations concernant l'importance des attitudes des élèves francophones de l'Ontario vis-à-vis du rendement en sciences. Dans un premier temps, l'importance accordée à la réussite dans ce domaine est élevée. Puisque cette attitude est liée au rendement en sciences, elle a un effet positif sur la performance moyenne de cette population. Toutefois, l'importance accordée à la réussite semble démesurée si on compare la performance des francophones de l'Ontario à celle de l'Alberta, de la Colombie-Britannique, ou même à celle du Canada. Laflamme et Dennie (1990) ont fait des constats semblables sur les choix de carrière des adolescents francophones de l'Ontario dans un ouvrage dont le titre L'ambition démesurée traduit les résultats de leur enquête.

Les raisons qui sous-tendent l'importance accordée à la réussite en sciences peuvent avoir un effet pervers sur la performance des élèves, lorsqu'elles sont jumelées à leur perception des sciences. En effet, près de la moitié des élèves trouvent les sciences ennuyeuses, mais ces élèves reconnaissent qu'il est important de réussir en sciences pour obtenir un emploi. La communauté se trouve donc à véhiculer un message selon lequel les sciences peuvent être ennuyeuses, mais il faut les réussir, car elles seront utiles plus tard pour avoir accès à une bonne école et pour décrocher un bon emploi. Cet argument peut parvenir à motiver un certain nombre d'élèves, mais il ne peut suffire à maintenir l'intérêt de ceux qui ne veulent pas faire d'études plus poussées ou qui jugent qu'ils n'ont pas le talent nécessaire pour réussir en sciences (cet élément fait partie de leur conception des sciences). Les sciences revêtent donc peu d'intérêt en soi, mais comportent plutôt des motivations extrinsèques futures. Même si cette conception est présente au sein des autres populations évaluées, elle demeure moins ancrée que chez les élèves francophones de l'Ontario. L'école française et ses partenaires devraient donc promouvoir une variété de sources de motivation. Outre une motivation extrinsèque à long terme, il faudrait développer des motivations intrinsèques à court terme qui rendraient les sciences moins ennuyeuses et plus valorisantes. De plus, le curriculum de sciences de 7e et 8e années devrait inclure les diverses conceptions des sciences afin de sensibiliser les élèves à la nature de leurs activités cognitives. Le curriculum de sciences devrait aussi traiter des croyances souvent «erronées» liées à l'apprentissage et à la réussite dans ce domaine. On doit cependant reconnaître que la nature du test administré lors de cette enquête contribue au maintien de plusieurs de ces croyances.

Les pratiques pédagogiques

Les questionnaires incluaient des questions sur les pratiques pédagogiques. Les réponses des enseignants et des élèves convergent et permettent de décrire les pratiques des enseignantes et des enseignants francophones de l'Ontario et de constater d'importantes différences avec celles des enseignants albertains. Les enseignants francophones de l'Ontario utilisent peu leur manuel scolaire, même si tous en ont un à leur disposition. Toutefois, ils compensent en invitant les élèves à prendre des notes. Ils vérifient les connaissances antérieures de leurs élèves et expliquent les principes, les concepts et la façon de résoudre des problèmes de sciences. Les problèmes proposés sont souvent liés à la vie de tous les jours. Les élèves francophones de l'Ontario travaillent souvent en petits groupes. Ils utilisent aussi plus souvent la calculatrice et l'ordinateur pendant les cours. Dans l'ensemble, les pratiques pédagogiques de l'enseignant francophone de l'Ontario se veulent concrètes et près de la vie de tous les jours. Les pratiques pédagogiques des enseignants albertains sont beaucoup plus livresques. D'ailleurs, pour préparer leurs leçons, les enseignants albertains se fient plus à leur manuel scolaire [3,2 contre 2,1: échelle de 1(jamais) à 4 (toujours)] [F(1, 92)=40,5; p<0,0001], ont plus souvent recours à des tests standardisés (1,6 contre 1,3) [F(1, 92)=4,6; p<0,05] et à des examens à choix multiples (2,9 contre 2,1) [F(1, 91)=32,5; p<0,0001] que les enseignants francophones de l'Ontario. Ces différences sur le plan des pratiques pédagogiques se reflètent aussi dans leur conception des sciences. Les enseignants francophones de l'Ontario ont une conception des sciences légèrement plus utilitariste que celle des Albertains.

Les données recueillies permettent également de relever que les devoirs assignés aux élèves constituent une différence marquée entre les enseignants francophones de l'Ontario et ceux de l'Alberta. Les enseignants francophones de l'Ontario donnent moins de devoirs à leurs élèves et les devoirs sont moins longs à réaliser. Les enseignants albertains exercent un contrôle plus strict des devoirs, les corrigent et les discutent en classe.

L'analyse des pratiques pédagogiques montre que les juridictions comme l'Alberta ou Singapour qui utilisent un enseignement plus livresque obtiennent de meilleurs résultats que la population francophone de l'Ontario dont les pratiques pédagogiques ont un caractère plus terre à terre (Bartley, Puk, Orpwood et Sanderson, 1998). Il est pourtant très difficile de généraliser cette tendance, car les données sur les pratiques pédagogiques des autres pays participant à l'étude n'étaient pas disponibles au moment de notre analyse. Peut-être aurait-on pu identifier des pays qui avaient recours au même type de pédagogie que l'Alberta, mais dont le rendement en sciences était bien inférieur à celui de l'Alberta.

L'évaluation systématique des apprentissages et l'imposition plus fréquente de devoirs constituent d'autres aspects controversés des résultats, car elles semblent encourager un retour ou un recours plus fréquent aux devoirs et aux tests à choix multiples. Cependant, l'examen des données laisse penser que les enseignants francophones et ceux de l'Alberta ont une conception différente des devoirs. Les devoirs donnés par les enseignants de l'Alberta sont en lien direct avec le travail couvert en classe et constituent souvent la continuité d'un travail débuté en classe et supervisé par l'enseignant. De plus, l'enseignant albertain discute plus souvent en classe des devoirs complétés que son homologue francophone de l'Ontario. En Ontario français, les devoirs seraient plutôt considérés comme du travail supplémentaire réclamant peu de supervision de la part de l'enseignant. Au lieu d'augmenter leur nombre ou leur durée, il faudrait mieux intégrer les devoirs aux autres activités d'enseignement. Quant au recours à des formes d'évaluation plus conventionnelles, il est vrai que le test de sciences administré était composé principalement de questions à choix multiples et on peut penser que des élèves qui, comme les Albertains, sont habitués aux subtilités de ce type de questions puissent obtenir de meilleurs résultats au test que des élèves qui y sont peu exposés (Bartley, Puk, Orpwood et Sanderson, 1998).

La tâche des enseignants

La tâche des enseignants a également fait l'objet de questions lors de l'enquête TEIMS. Les réponses aux questions indiquent que les enseignants francophones de l'Ontario doivent assumer une présence de 29 heures de classe, semblable à celle des 28 heures des enseignants albertains. En comparaison avec leurs collègues de l'Alberta, les enseignants francophones de l'Ontario consacrent un plus grand nombre d'heures à des tâches autres que l'enseignement comme la supervision d'étudiants [F(1,227)=6,2; p<0,05], le counselling [F(1,227)=9,7; p<0,01] et la planification de cours [F(1,227)=7,8; p<0,01]. De plus, les enseignants albertains consacrent plus de temps en dehors des heures d'école pour rencontrer les élèves (aide individuelle, etc.) (χ2 =28,9; p<0,0001). Soixante-quatre pour cent d'entre eux y consacrent de une à quatre heures par semaine. Ce nombre se situe à 32% chez les enseignants francophones de l'Ontario.

Le curriculum en sciences

Le programme en vigueur au moment de l'enquête internationale était le Programme d'études commun, de la 1re à la 9e année (Ministère de l'Éducation et de la Formation de l'Ontario, 1993). Ce programme n'incluait pas d'objectifs spécifiques, mais présentait des résultats d'apprentissage formulés dans des termes généraux à atteindre à la fin de la 3e, 6e et 9e année. Les conseils scolaires avaient la responsabilité de concevoir des situations d'apprentissage découlant de ces résultats. Conséquemment, les programmes de sciences mis en oeuvre par les conseils scolaires pouvaient varier grandement d'un conseil à l'autre. De plus, les sections ou les conseils scolaires francophones étaient souvent de petites unités qui n'avaient pas les moyens de générer de façon centralisée les activités prévues au programme d'études commun. Chaque enseignant devait alors préparer ses propres activités. Cela a contribué au fait que les enseignants francophones de l'Ontario consacraient deux fois plus de temps à la planification de cours que leurs collègues albertains qui avaient accès à un curriculum plus centralisé. Cette planification par les enseignants contribuait aussi à une plus grande variabilité du contenu enseigné à travers la province.

L'analyse de Bartley, Puk, Orpwood et Sanderson (1998) souligne que les juridictions comme l'Alberta qui obtiennent des résultats élevés au test de sciences de TEIMS ont des programmes comportant très peu de chevauchements entre les thèmes de 7e année et ceux de 8e année. Un thème prévu au programme de 7e année est alors traité en profondeur et ne serait pas repris en 8e année. Le curriculum prescrit s'assure aussi que tous les élèves suivent le même contenu. Le curriculum de sciences enseigné en Ontario présente un chevauchement important des thèmes abordés pendant la 7e et la 8e année. Un thème est enseigné en partie en 7e année et en partie en 8e année. De plus, les élèves d'une année donnée (7e ou 8e année) n'apprennent pas tous le même contenu. La majorité des thèmes enseignés au cours d'une année ne le sont qu'à 50% des élèves de la province (Bartley, Puk, Orpwood et Sanderson, 1998). Ces chiffres confirment la grande variabilité du curriculum enseigné dans les écoles ontariennes.

La répétition du contenu d'enseignement d'une année à l'autre peut avoir un effet de démotivation sur les élèves puisqu'ils ont l'impression de réaliser peu d'apprentissages nouveaux. Cela pourrait en partie expliquer pourquoi près de la moitié des élèves francophones de l'Ontario trouvent les sciences ennuyeuses à force d'être répétitives («On a déjà vu ça l'an dernier»). De plus, cette répétition n'offre pas de défis intellectuels intéressants. Il faudrait donc limiter cette redondance en augmentant la spécificité des thèmes de chacune des années (7e et 8e année).

Le temps consacré à l'enseignement des sciences

L'analyse des résultats de TEIMS (Bartley, Puk, Orpwood et Sanderson, 1998) s'intéresse au temps consacré à l'enseignement et à l'apprentissage des sciences. Les programmes d'études des juridictions qui obtiennent des résultats élevés au test de TEIMS précisent le temps à consacrer aux sciences et à chacun des thèmes étudiés. Le programme de l'Ontario ne précise pas de répartition du temps pour cette matière. Pourtant, une telle mesure imposerait la durée de l'enseignement et diminuerait la variabilité du temps d'enseignement consacré à ces matières dans les écoles ontariennes. Les programmes des juridictions qui obtiennent des résultats élevés au test imposent une répartition du temps à consacrer à l'enseignement des sciences et à chaque composante du programme.

Comme le programme ontarien ne précise pas le temps d'enseignement réservé aux sciences, il en découle que le temps consacré à l'enseignement des sciences varie grandement d'une juridiction à l'autre. Par exemple, l'Alberta consacre presque deux fois plus de temps à l'enseignement des sciences que l'Ontario. Dans les faits, l'Alberta accorde aux élèves de 7e année, 87 minutes par semaine de plus d'enseignement des sciences que l'Ontario (respectivement 220 minutes par semaine contre 133 minutes) et 43 minutes de plus aux élèves de 8e année. Les juridictions qui ont plus de 200 minutes par semaine obtiennent des résultats élevés au test de sciences de TEIMS. L'étude du Conseil économique du Canada (1990) a également établi une relation entre le temps d'enseignement consacré à l'enseignement des sciences et la performance dans ce domaine.

La formation et le perfectionnement du personnel enseignant

La troisième enquête internationale contient peu d'informations sur la formation et le perfectionnement des enseignants. Elle ne permet pas de décrire la formation et le perfectionnement en sciences des enseignantes et enseignants de l'Ontario, et encore moins une comparaison avec d'autres provinces canadiennes comme l'Alberta. Toutefois, Lacasse, Herry, Laveault et Thouin (1990) se sont intéressés à la formation et au perfectionnement du personnel enseignant francophone de l'Ontario dans le domaine de l'enseignement des sciences. Selon les résultats de cette enquête menée auprès de 186 enseignants, seulement 17% des enseignants du primaire (incluant 7e et 8e années) ont suivi au moins un cours de sciences après le secondaire. Dussault (1988) obtient le même pourcentage dans le cadre de la deuxième enquête internationale sur l'enseignement des mathématiques et des sciences. La plupart des enseignants se sont également contentés des cours de sciences obligatoires du secondaire et n'ont suivi aucun cours facultatif dans ce domaine. Moins du quart des enseignants de 7e et 8e années responsables de l'enseignement des sciences ont une spécialisation dans ces domaines (Lacasse, Herry, Laveault et Thouin, 1990). Ce phénomène est en partie imputable à la structure du système scolaire des écoles francophones de l'Ontario. À cause des petits effectifs des écoles françaises de l'Ontario, les classes de 7e et de 8e années sont généralement intégrées au sein des écoles primaires. Les enseignants sont alors des généralistes qui enseignent toutes les matières. Parfois, les enseignants de 7e et 8e années organisent un système de rotation qui leur permet de développer une spécialité, par exemple mathématiques-sciences ou langues-arts, et de l'enseigner tant aux élèves de 7e année qu'aux élèves de 8e année. Il reste que très peu d'enseignants de ces ordres ont une spécialisation en sciences, alors qu'au secondaire plus de 60% des enseignants responsables d'un cours de sciences ont suivi plus de 45 crédits de cours universitaires en sciences (Lacasse, Herry, Laveault et Thouin, 1990). Les écoles françaises de l'Ontario devraient adopter des modalités de fonctionnement des classes de 7e et 8e années qui se rapprocheraient davantage du système secondaire que du système primaire en visant la spécialisation des enseignants de ces ordres.

Quelles que soient les modalités d'organisation scolaire, la formation et le perfectionnement des enseignants jouent un rôle important dans la qualité de l'enseignement dispensé (Conseil supérieur de l'éducation, 1990; Conseil économique du Canada, 1990). Le peu de qualification des futurs enseignants pose des difficultés lors des cours de didactique des sciences pour le primaire. La formation des enseignants ontariens dure une année universitaire et n'inclut qu'un cours de trois crédits en didactique des sciences. Les faibles compétences et le peu de connaissances en sciences des futurs enseignants placent les formateurs dans une situation difficile dans laquelle ils doivent favoriser à la fois la maîtrise de la science et celle de sa didactique. Des chercheurs suggèrent que les facultés d'éducation exigent des candidats et candidates en enseignement qu'ils aient suivi au moins un cours de sciences à l'université. Toutefois, ces cours doivent être spécialement conçus pour cette clientèle, car les enseignants du primaire qui ont suivi des cours universitaires de sciences les trouvent souvent peu utiles pour leur formation à l'enseignement; ils les jugent trop spécialisés (Lacasse, Herry, Laveault et Thouin, 1990).

Discussion

À l'aide des données obtenues dans le cadre de la troisième enquête internationale sur l'enseignement des mathématiques et des sciences, cet article a tenté de décrire la situation de l'enseignement et de l'apprentissage des sciences chez les élèves francophones de l'Ontario âgés de 13 ans. Outre les défis que représentent l'élaboration d'un échantillon représentatif de la population visée et l'évaluation d'un curriculum correspondant au curriculum enseigné dans chacune des juridictions participant à l'étude, la nature et la qualité des données recueillies imposent des limites à l'étendue de ce portrait.

L'utilisation de questions à choix multiples pour établir la performance en sciences constitue une première limite de l'étude. Selon plusieurs auteurs, ce mode d'évaluation ne favorise pas l'évaluation des habiletés cognitives de niveau supérieur ni de la performance globale de l'élève (Arter et Spandel, 1992; Moss, Beck, Ebbs, Matson, Muchmore, Steele et Taylor, 1992; Gabrielson, Gordon et Engelhard, 1995; Novak, Herman et Gearhart, 1996). De plus, une grande standardisation des activités d'évaluation aurait tendance à diminuer la validité du test (Koretz, Stecher, Klein et McCaffrey, 1994). Birenbaum (1996) précise que l'utilisation de formes d'évaluation plus conventionnelles tend à isoler le processus d'évaluation, à diminuer le rôle de l'enseignant de même que son intérêt à modifier ses stratégies d'enseignement. Bien que cette limite soit imposée à toutes les juridictions qui ont participé à l'étude, certaines, comme les francophones de l'Ontario, s'en trouvent défavorisées, car leurs enseignants ont très peu recours à ces formes d'évaluation.

Une autre limite de l'étude repose sur l'utilisation de questions à choix multiples pour décrire les conceptions, les attitudes et les pratiques pédagogiques des enseignants et des élèves. Ces questions fournissent un aperçu de ces éléments, mais n'en permettent pas une description approfondie. Par exemple, les données nous apprennent que les élèves qui réussissent le mieux en sciences n'attribuent leur réussite, ni à la chance, ni au talent, ni au travail assidu, ni au recours à la mémorisation. Elles ne révèlent pas à quoi ils attribuent leur succès. De plus, l'interprétation des données recueillies dépend de l'interprétation faite par les enseignants des divers énoncés sur lesquels ils ont été interrogés. Par exemple, le questionnaire demande d'indiquer la fréquence à laquelle l'enseignant «démontre comment résoudre un problème de sciences». Toutefois, on ne connaît ni sa conception de la nature d'un problème de sciences ou de la résolution de problèmes ni sa façon de l'aborder en classe. Il aurait été intéressant de mener en parallèle des entrevues semi-structurées (Larochelle et Désautels, 1989) auprès de sous-groupes de personnes qui ont participé à l'étude. Ces entrevues auraient permis de jeter un éclairage complémentaire sur les données recueillies. Finalement, des chercheurs remettent en question la conception de la science que véhiculent de tels tests, une conception statique de la science composée de lois, de théories et de modèles présentés comme la réalité (Larochelle et Désautels, 1989; Larochelle, Désautels et Ruel, 1995).

Tout en gardant ces limites à l'esprit, la comparaison entre l'Ontario français et l'Alberta laisse entrevoir deux visions de l'enseignement des sciences. Les différences se manifestent autant dans les pratiques pédagogiques des enseignants, dans les tâches professorales, dans le curriculum de sciences que dans les attitudes des élèves vis-à-vis des sciences.

D'une part, les enseignants albertains enseignent selon un programme provincial très prescriptif et leur enseignement repose en majorité sur le contenu de leur manuel scolaire. Puisque les élèves soulignent l'importance de la mémorisation pour réussir en sciences, on peut penser que cet enseignement serait plutôt de type encyclopédique et accompagné d'un processus d'évaluation congruent avec ces pratiques d'enseignement, soit le recours à des tests standardisés et à des questions à choix multiples. Le caractère conventionnel de cet enseignement pourrait faire en sorte que les élèves considèrent les sciences sur le même plan que les autres matières et ainsi diminuer l'importance sociale de la réussite en sciences, qui réside surtout dans une satisfaction personnelle ou parentale.

D'autre part, les enseignants francophones de l'Ontario n'avaient pas, au moment de l'enquête, de programme provincial bien défini en sciences. Ces enseignants visent surtout à rendre le contenu scientifique signifiant et plus «terre à terre» en insistant sur le lien avec le quotidien des élèves. Cependant, malgré les efforts des enseignants, les élèves trouvent les sciences ennuyeuses et veulent réussir en sciences pour avoir un accès à une bonne école et à un bon emploi. Il est donc paradoxal de constater que l'enseignement plus conventionnel des enseignants albertains rend les sciences plus intéressantes aux yeux des élèves que ne le fait l'enseignement des enseignants francophones de l'Ontario dont la pédagogie se dit plus active et «centrée sur la vie de tous les jours».

L'explication de ce paradoxe est sans doute liée aux limites de la méthodologie retenue par l'enquête (des questionnaires à choix multiples). En effet, celle-ci permet de quantifier certaines pratiques pédagogiques, mais pas de les qualifier. Même si les réponses des enseignants albertains au questionnaire semblent décrire une pédagogie livresque, les questionnaires ne nous fournissent que très peu d'indications sur le type de relations qu'ils entretiennent avec les sciences et leur enseignement, ainsi que sur leurs conceptions de l'apprenant et de l'apprentissage des sciences. Celles-ci pourraient ne pas être congruentes avec les réponses fournies aux questionnaires. Ce raisonnement serait aussi valable pour les enseignants francophones de l'Ontario: les réponses aux questionnaires laissent paraître un enseignement plus actif, mais il se pourrait que, dans la pratique, les activités pédagogiques et la façon de les mettre en oeuvre ne soient pertinentes avec cette conception. Les données recueillies pourraient alors représenter beaucoup plus le curriculum en vigueur et ses orientations que ce qui se passe «réellement» en classe.

Il faut souligner que le programme de sciences ontarien décrit dans le Programme d'études commun n'a jamais fait l'unanimité, tant au sein du monde de l'éducation que de la classe politique. En effet, le développement de ce programme s'est fait dans un contexte hautement politisé. La rédaction de ce document a débuté sous un régime libéral. Le gouvernement néo-démocrate qui a suivi a imposé des modifications touchant, entre autres, la place de la science dans la société, ses effets et ses responsabilités. Puis, l'élection quatre ans plus tard d'un gouvernement conservateur, dont un cheval de bataille lors de la campagne électorale a été la qualité de l'éducation, a conduit à l'abandon du Programme d'études commun et à la publication en 1997-1998 d'une série de nouveaux programmes d'enseignement pour toutes les matières enseignées à l'élémentaire. Les faibles résultats des enquêtes TEIMS et PIRS-Sciences ont été un argument supplémentaire pour que le gouvernement abandonne le Programme d'études commun et le remplace en sciences par le Curriculum - Sciences (Ministère de l'Éducation et de la Formation de l'Ontario, 1998). Ce programme, entré en vigueur en septembre 1998, précise le contenu visé et comporte très peu de chevauchements entre les thèmes étudiés à chaque année du primaire. Cela permet au Ministère d'établir un curriculum provincial en sciences.

La publication de ce nouveau programme, dont les thèmes sont beaucoup plus précis que dans l'ancien programme, suscite une certaine angoisse chez les enseignants. Malgré l'importance du changement, le Ministère n'a pas élaboré de plan d'action pour la formation et le perfectionnement des enseignants dans ce domaine, laissant cette responsabilité aux conseils scolaires et aux universités. Un tel plan de formation nous apparaît crucial compte tenu de la faible formation scientifique des enseignants du primaire et du fait que les trois quarts d'entre eux préféreraient ne pas enseigner les sciences (Lacasse, Herry, Laveault et Thouin, 1990). Cette formation viserait le développement d'habiletés de résolution de problèmes scientifiques et technologiques, la modification des attitudes face à ces domaines, les fondements psychopédagogiques du développement de la pensée scientifique, les stratégies pédagogiques, les conceptions des sciences et de la technologie et l'histoire de la science et de ses conceptions. Cette formation devrait aussi développer chez les enseignants le goût de la rigueur car, même si le curriculum prescrit et le temps consacré à l'enseignement des sciences semblent être des facteurs importants, la rigueur dans l'enseignement l'est tout autant. La rigueur fait appel à la logique et à la justesse des raisonnements et de l'argumentation que l'enseignant encourage chez ses élèves, à la qualité des processus de résolution de problèmes qu'il préconise et à la recherche de sens par les élèves. Ce sont là des caractéristiques qui favorisent la qualité des apprentissages réalisés par les élèves. La rigueur de l'enseignement réside également dans une utilisation optimale du temps mis à la disposition de l'enseignement des sciences et dans un choix judicieux des stratégies et des pratiques pédagogiques.