Hommage à Andrée Fortin

Passage du millénaire. Un pluralisme incertain (réédition)Andrée Fortin, Passage de la modernité. Les intellectuels québécois et leurs revues (1778-2004), 2e édition, Québec, Presses de l'Université Laval, 2006, chapitre 18, p. 375-397.[Record]

  • Andrée Fortin†

Dans les années 1990, exit la nouvelle culture, les pratiques et la vie privée. Le changement sous-jacent s’est révélé difficile à circonscrire car il ne s’agit pas d’un nouveau programme d’action intellectuelle ou sociale mais bien de l’émergence d’une « sensibilité » nouvelle, explicitement évoquée autant par une revue d'idées : Argument, une revue littéraire : Ebauches, que par une revue universitaire : Éthiquepublique. Aussi, je traiterai dans ce chapitre de l’ensemble des revues de cette période, sans égard à leur genre. Ce qui frappe de prime abord à la lecture des éditoriaux ou des textes de présentation des premiers numéros des revues naissant entre 1990 et 2004, c’est un formidable appel d’air! Celui-ci prend la forme tant d’une dénonciation du cynisme ambiant que d’un élan de folie présidant à la fondation de la revue. La liberté est un mot d’ordre que les revues ont souvent fait entendre au moment de leur fondation, et qui ne semble pas avoir perdu de son actualité; ce qui est nouveau, c’est ce par rapport à quoi se définit cette liberté. Dans le même sens, Zérodeconduite (1993) « entend rejoindre le plus large public possible et mettre en évidence la qualité et la diversité des activités littéraires contemporaines sans souci de mode ou tendance «post-néo-dada-revital-actuel» ». Hors d’Ordre (1992) dénonce en vrac « les alternative à la mode », « du vaporeux nouvel-âge au marxisme léninisme à « face-de-beu »; du technocratisme sensible au capitalisme social ». Cyclope (2000), revue de BD, s’en prend explicitement au cynisme et se pose comme « Manifeste de parias visionnaires »; dans cette charge, même une revue universitaire, comme les Cahiers d’histoireduQuébecau XXe siècle (1994) n’est pas en reste, déclarant vouloir« dépasser le cynisme facile ». Le contexte intellectuel est dénoncé; celui-ci ne tient pas qu’au discours, mais à la récession, comme le soulignent Lubie (1993) et L’Impossible (1992), pour qui elle constitue un « stimulant pour l’imagination ». Les deux composantes du malaise évoqué par les revues sont bien mises en évidence dans la déclaration suivante : « Ce n’est pas un hasard si RectoVerso apparaît à notre époque d’« économisme » gris et de pensée unique » (RectoVerso, 1997). L’appel d’air se fait entendre en réaction à un contexte économique et intellectuel morose; à la torpeur et au cynisme, s’opposent les risques et la folie du lancement d’une revue. « Pourquoi pas une revue qui, depuis Sherbrooke, solliciterait des textes d’écrivains de diverses régions, qu’ils soient essayistes, nouvellistes ou poètes? » (Jet d’encre, 2002). Lubie (1993) se définit comme « une folie, une idée saugrenue, capricieuse ». Liesse (1996) parle en éditorial d’un « rêve », Tableaux (1998) de magie, tout comme Pouèet-Cafee (2001) : « le café des poètes, la croisée des chemins des fées et des lutins de l’écologie, la Riviera où tous nos rêves s’écoulent ». Cette dernière revue est reliée à la main et les exemplaires sont numérotés, se posant ainsi comme oeuvre d’art en même temps que comme projet intellectuel. La Compagnie à Numéro (9054-7175 Québec inc.) présente pour sa part C’est çaquiestça (2002), dont le sous-titre est « Qui saigne signe »; les exemplaires sont également numérotés. Oeuvre d’art, également : Steak haché (1998). Il s’agit d’une revue « hors commerce et à tirage restreint [...] la plupart des auteurs produisent eux-mêmes leurs imprimés qui sont ensuite coupés et collés » (Desjardins et Pelletier, 2000, p. 12). Fonder une revue n’est en effet pas une entreprise de tout repos, et pas seulement à cause …

Appendices