Comptes rendus

Françoise Thébaud, Une traversée du siècle. Marguerite Thibert, femme engagée et fonctionnaire internationale, Paris, Belin, coll. « Histoire », 2017, 685 p.[Record]

  • Maude Savaria

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  • Maude Savaria
    Université du Québec à Montréal

Spécialiste de l’histoire des femmes et du genre, Françoise Thébaud livre, en presque 600 pages, sa première biographie d’une « illustre inconnue » (p. 555) : Marguerite Thibert (1886-1982). Femme aux nombreuses étiquettes (féministe, socialiste, intellectuelle, fonctionnaire, femme d’action, mère, veuve, experte, etc.), Thibert permet à Thébaud d’aborder l’histoire du xxe siècle occidental par l’entremise de cette actrice à la carrière impressionnante. En trois parties correspondant à différents profils du personnage public que Thibert se construit, l’historienne d’expérience exploite un corpus de sources variées et inédites, traversant les frontières et la vie de nombreuses personnalités. La première partie de l’ouvrage se concentre sur la formation intellectuelle de Thibert au début du xxe siècle, alors que les femmes bataillent pour leur entrée aux études supérieures. Il existe peu de traces de la vie personnelle de Thibert avant les années 20, moment où elle obtient le baccalauréat, se marie, devient mère, puis veuve sur fond de Première Guerre mondiale. Bien qu’ils soient dramatiques, ces événements l’amènent à être la douzième femme à obtenir le doctorat ès lettres de la Faculté des lettres de Paris en 1926, à l’âge de 40 ans. Au même moment, elle se fait recruter par le Bureau international du travail (BIT), institution genévoise créée dans la foulée de la Société des Nations. Employée de manière temporaire pendant cinq ans, elle y poursuit toute sa carrière. Dans la première partie, Thébaud trace le portrait idéologique initial de Thibert en tant que féministe, socialiste et pacifiste, mais surtout comme intellectuelle et experte. Sources particulièrement intéressantes pour l’historienne, les documents préparatoires à la thèse auxquels Thébaud a eu accès consistent en des notes rédigées par Thibert qui rendent compte de ses questionnements. Sa thèse, sur le féminisme dans les écrits saint-simoniens, se conclut par sa définition du féminisme comme « toute action tendant à élargir le champ d’action des femmes » (p. 57). Le troisième chapitre se termine par le constat de la posture militante choisie par Thibert, celle de l’experte dans le milieu des hommes, même si elle reste engagée tout au long de sa vie dans les réseaux féminins et féministes européens. Retraçant la carrière de Thibert, la deuxième partie de l’ouvrage fait plusieurs détours pour expliquer les fonctions diverses des organisations internationales. Officiellement en poste à partir de 1930 au BIT, momentanément suspendue au début de la Seconde Guerre mondiale puis transférée à Montréal et finalement réengagée après sa retraite pour de multiples missions, Thibert s’impose au service du travail des femmes et des enfants en tant que fémocrate, c’est-à-dire, selon Thébaud, qui a fait le choix d’intégrer l’appareil de l’État, experte pour les femmes, entre féministe et bureaucrate. Durant les années 30, Thibert négocie avec les différentes organisations féminines et féministes internationales afin de promouvoir le droit à l’emploi des femmes, tout en établissant des réglementations spécifiques. Sa position protectionniste basée sur l’essentialisme évolue après 1945. D’après l’auteure, Thibert fait une distinction de classe en voulant protéger, d’une part, les ouvrières contre l’exploitation, notamment avec l’interdiction du travail de nuit, et en prônant, d’autre part, l’égalité professionnelle pour les travailleuses des professions qualifiées, dont elle fait partie. Allant dans plusieurs directions et multipliant les références aux organisations internationales où la lectrice ou le lecteur se perd dans les sigles et les acronymes, Thébaud insiste sur la position centrale de Thibert dans les réseaux féminins enchevêtrés. Une anecdote particulièrement intéressante rapporte un souper, chez Thibert, avec la Mexicaine Palma Guillén et la Soviétique Alexandra Kollontaï. Elle démontre ainsi que la politique masculine de leurs pays respectifs, opposés pendant les années 30 alors que la France se …