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L’association Archives du féminisme et le Centre des archives du féminisme (hébergé à l’Université d’Angers) ont été créés au printemps 2000. Les historiennes (surtout d’anciennes élèves de Michelle Perrot), bibliothécaires et archivistes constituant le « noyau dur » de l’association étaient alors pleinement conscientes que, sans efforts militants, les archives féministes étaient menacées. Elles connaissaient bien l’histoire de ces archives : les milliers de dossiers conservés par Eliska Vincent au début du XXe siècle n’avaient-ils pas disparu, même si elle les avait légués par testament à un organisme qui n’en a pas voulu? Le même sort n’avait-il pas été réservé à de riches bibliothèques d’autres féministes de la même époque? Soucieuse d’assurer la transmission et la conservation de la mémoire, l’association se donne alors pour mission de sauvegarder les fonds d’archives privées concernant les droits des femmes, qu’ils appartiennent à des personnes ou à des associations. « Elle les accepte sous forme de dépôt, de don ou de legs. Elle veille à leur conservation, à leur classement, à leur inventaire et à leur communication pour la recherche » (p. 437), le tout grâce à un fructueux partenariat avec le programme de formation « Histoire et métiers des archives » de l’Université d’Angers. Après leur acquisition, les fonds sont conservés sur place à Angers ou orientés vers d’autres dépôts ou bibliothèques.

Dès la formation de l’association naissait aussi un projet de guide des sources dans le domaine, car, sur l’histoire des femmes et encore plus sur le féminisme, les outils de recherche sont rares. Il fallait au départ adopter les balises méthodologiques du projet. Pour intéresser le plus grand nombre possible de spécialistes et ouvrir sur des pistes nouvelles de recherche, le choix a été fait d’une définition large du féminisme, soit tout ce qui informe sur l’émancipation des femmes : le mouvement féministe évidemment, mais aussi les formes politiques, syndicales, associatives et culturelles de cette émancipation. Aucun thème n’est non plus exclu au point de départ. La période chronologique adoptée débute avec la Révolution française, les sources relatives aux expériences féministes antérieures étant bien documentées sur le site Web de la Société internationale d’études des femmes de l’Ancien Régime (SIEFAR). Le guide allait porter principalement sur la France, tout en invitant à la découverte d’archives d’associations internationales (principalement européennes). Enfin, les auteures ont fait le choix d’inclure à leur inventaire des fonds audiovisuels et des sources orales, majeures pour l’histoire du féminisme contemporain, car elles compensent souvent l’absence de sources écrites qui demeurent malgré tout les plus nombreuses et les plus familières aux historiens et aux historiennes.

Ces choix faits, on pouvait alors commencer une vaste enquête auprès des archives, bibliothèques, musées, syndicats et associations. Le questionnaire précis qui leur a été expédié devait permettre de présenter des fiches détaillées sur chaque fonds. Cependant, les réponses ayant été très inégales et incomplètes, les auteures ont dû recourir à d’autres méthodes de collecte de l’information. Elles ont bénéficié, pour ce faire, de l’aide précieuse de personnes clés à l’intérieur des Archives nationales, ont utilisé les contacts directs avec les établissements et ont dépouillé elles-mêmes de nombreux catalogues imprimés et surtout en ligne. Malgré l’impressionnant travail accompli, les responsables de l’entreprise ne prétendent pas à l’exhaustivité et annoncent clairement que l’enquête reste ouverte. Lectrices et lecteurs sont ainsi incités à présenter leurs commentaires et à signaler erreurs ou oublis repérés. Tous les détails concernant l’association Archives du féminisme apparaissent à la fin de l’ouvrage, de même que ses coordonnées.

Le guide est divisé en cinq parties. La première concerne les services publics d’archives; la deuxième, les associations, bibliothèques, musées et centres d’archives privées. Viennent ensuite la troisième partie sur les sources audiovisuelles, la quatrième intitulée « Webographie » et, enfin, la cinquième partie, soit les annexes. Celles-ci consistent d’abord en une bibliographie comprenant des rééditions de sources imprimées sur le féminisme, des ouvrages utiles à l’histoire du féminisme et une sélection de témoignages, de biographies et d’essais contemporains. S’y ajoute une série d’index : des médias, des associations, mouvements, partis, syndicats et organismes et, en dernier lieu, des noms de personnes. Ces index sont évidemment d’une utilité majeure, car si chercheurs et chercheuses savent au point de départ d’une recherche sur quelle personne ou quel mouvement le travail portera, un grand nombre, surtout en début de carrière, ignorent vers quel dépôt se tourner.

Un schéma type est utilisé pour la présentation de chaque établissement mentionné : détails pratiques pour joindre les personnes responsables, conditions d’accès, historique et mission de l’établissement et liste des fonds qui y sont conservés. Pour chaque fonds indiqué, une fiche individuelle est fournie. Celle-ci comprend systématiquement les éléments suivants : la dénomination du fonds, les dates extrêmes des documents que l’on y trouve, le volume en mètres ou en nombre de cartons, le mode d’entrée des documents, leur origine et leurs détenteurs successifs. On y trouve aussi une notice historique ou biographique de l’association ou de la personne visée, une description du contenu du fonds, son intérêt historique et le signalement de pistes de recherche (s’il y a lieu), le renvoi à des sources complémentaires, la nature des documents (écrits, iconographiques, sonores ou audiovisuels, correspondances, tapuscrits, coupures de presse, etc.), l’état de classement du fonds, le ou les supports pour la communication, les instruments de recherche (inventaires), une bibliographie sur l’organisme ou la personne et, enfin, les conditions de communication des documents.

On ne peut que souligner la pertinence d’un tel ouvrage, son utilité et le sérieux avec lequel l’entreprise a été menée. Les chercheuses féministes du Québec expriment souvent leur fierté, avec raison, d’avoir été à l’avant-garde de la recherche et de l’enseignement féministes dans le monde francophone. On doit dire ici que les chercheuses françaises, qui estiment elles-mêmes être en retard sur leurs collègues d’autres pays européens (en particulier l’Allemagne et la Belgique) ont cette fois une bonne longueur d’avance sur le Québec. Elles proposent dans cet ouvrage le modèle d’un instrument de travail que leurs collègues du Québec peuvent leur envier et qui deviendra, souhaitons-le, source d’inspiration.