Recensions

La religion woke, de Jean-François Braunstein, Paris, Grasset, 2023, 288 p.[Record]

  • Danic Parenteau

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Après son essai La philosophie devenue folle (Grasset, 2018), dans lequel il dénonçait les théories à la mode sur le genre, l’animal et la mort, Jean-François Braunstein poursuit sa réflexion sous la forme d’un nouvel essai titré La religion woke. Le professeur émérite à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne appelle à prendre au sérieux le « wokisme », en refusant de voir là « un snobisme passager et sans conséquences (Introduction 9/26) », car force est de reconnaître que les idées wokes « ne sont pas destinées à disparaître de sitôt » (ibid. 6/26). Dans cet essai d’un peu moins de 300 pages, l’auteur cherche à comprendre les raisons du succès de ce mouvement qu’il n’hésite pas à qualifier de véritable religion. Avec le wokisme, nous sommes « face à un changement extrêmement radical : il ne s’agit pas simplement d’une nouvelle idéologie, mais d’une nouvelle croyance, d’une nouvelle religion » (L’échec d’une prophétie 22/26). Difficile à circonscrire, le wokisme serait plus qu’un simple mouvement politique ou culturel, même si ses effets dans ces domaines sont bien visibles. Bien qu’il se montre critique, et parfois même très critique du wokisme, Braunstein refuse néanmoins, à l’instar d’autres essayistes, de catégoriser celui-ci de « maladie de l’esprit », comme le professeur Gad Saad, ou de pure « folie », tel que l’essayiste Douglas Murray. C’est qu’avec le wokisme, nous avons affaire à une véritable pensée religieuse, en ce que celle-ci repose essentiellement sur des « croyances » qui s’affichent de manière ostentatoire chez tous ceux qui embrassent cette nouvelle foi. C’est bien d’ailleurs précisément parce que le wokisme incarne une forme de conviction religieuse qu’il est si difficile d’opposer quelques réfutations rationnelles à des affirmations aussi absurdes que « les hommes sont enceints », « les femmes ont des pénis » ou « tous les Blancs sont racistes », qui tiennent lieu de véritables dogmes pour cette religion. Le wokisme s’accompagne aussi, comme le montre bien l’auteur, d’une conviction chez ceux qu’il rejoint d’avoir « découvert une vérité supérieure, inaccessible à l’homme du commun » (Je crois parce que c’est absurde 20/26) qui se manifeste par une volonté affichée de prêcher la nouvelle foi en (ré)éduquant le reste de la société. De ce point de vue, explique l’auteur, l’étonnement que l’on peut avoir face au wokisme « rappelle le désarroi qu’avaient éprouvé les derniers philosophes païens face à la montée de la religion chrétienne » (ibid. 20/26). D’emblée, Braunstein s’efforce de montrer que contrairement à une idée admise, notamment chez d’autres détracteurs du wokisme (tels James Lindsey ou Heleh Pluckrose), ce mouvement n’a en vérité aucune filiation conceptuelle avec ce que les milieux intellectuels anglo-saxons désignent comme la French theory. Pour le philosophe des sciences, les origines philosophiques du wokisme sont ailleurs. Elles pointent en direction de la pensée religieuse puritaine plutôt que de la philosophie postmoderne d’un Foucault, d’un Derrida ou d’un Lyotard. Il ne fait d’ailleurs aucun doute à ses yeux qu’un penseur tel que Foucault rejetterait très certainement la forte dimension identitaire à laquelle s’attache cette religion, lui qui, toute sa vie et dans son oeuvre, s’est efforcé de « troubler, voire d’effacer, les notions d’identité et de sujet » (Le retour du Boomerang de la French theory 14/26). Le wokisme se rattache en fait à la « grande tradition des “réveils religieux” protestants (awakenings), qui ont agité les colonies américaines, puis les États-Unis, aux XVIIIe et XIXe siècles » (Une religion américaine 9/87). Le deuxième chapitre (Une religion contre la réalité) est consacré aux théories du genre, lesquelles constituent en réalité …

Appendices