Recensions

Les think tanks et le discours expert sur les politiques au Canada (1890-2015) de Julien Landry, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 2021, 309 p.[Record]

  • Guillaume Lamy

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  • Guillaume Lamy
    Département de science politique, Université du Québec à Montréal
    lamy.g@outlook.com

Partis de rien au début du siècle précédent, pourquoi les think tanks se comptent-ils en centaines d’organisations dans autant de pays aujourd’hui ? C’est à cette question qu’entend répondre Les think tanks et le discours expert sur les politiques au Canada (1890-2015) écrit par Julien Landry, qui, en plus d’être la synthèse universitaire la plus récente et la plus profonde sur le thème, matérialise le premier livre en français sur le cas nord-américain. Plutôt que de se limiter à une étude stricte du paysage des think tanks contemporains au Canada, Landry a cherché à intégrer l’apparition de ces organisations dans l’essor historique de l’expertise en Amérique du Nord depuis la fin du XIXe siècle. Trois phases distinctes ont permis de jeter les bases qui servent désormais de fondation à l’infrastructure politique et économique qui permet à la centaine de think tanks canadiens de fonctionner aujourd’hui : 1) l’ascension de l’expertise jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale ; 2) saconsolidation jusqu’à la crise de l’État-providence durant les années 1970-1980 ; et 3) la généralisation du discours expert depuis lors. Cette approche n’a incontestablement que des avantages du point de vue explicatif, car ceux qu’on appelle aussi les laboratoires d’idées sont directement tributaires de cet élan qui dure depuis au-delà d’un siècle où l’expertise s’est intégrée aux processus des politiques publiques de manière irréversible à un point tel qu’il est n’est plus possible d’en déroger. C’est pourquoi ce livre insiste avec raison sur la professionnalisation de la fonction publique, l’essor de l’État bureaucratique et des politiques providentielles. En outre, ces processus expliquent les succès rencontrés par les sciences sociales dans les universités depuis l’après-guerre, au détriment des arts, des lettres et humanités lorsqu’il est question des politiques et des enjeux sociaux et qui ont fortifié l’écosystème politique dans lequel les think tanks ont depuis fait florès. En plus de cette sociologie historique de l’expertise qui couvre plus d’un siècle traitant des différentes vagues de policy institutes apparues successivement (universités sans étudiants, contractants de recherche, organisations militantes ou engagées), Landry n’évacue pas les principaux débats contemporains que ces organisations traînent partout où il est question d’elles. Au-delà des enjeux liés à la définition (courtiers d’idées, objets interstitiels, forums, relais, entreteneurs de communauté épistémiques), il prend position clairement quant à la nature de ces organisations. Sont-elles des équipes de mercenaires au service de ceux qui les financent – tel que l’avancent les critiques marxistes des élites – ou des organisations authentiquement vouées à des causes par la recherche ? Sans nier les nuances qui s’imposent lorsqu’on traite d’une faune de centaines d’organisations, l’auteur opte clairement pour l’interprétation pluraliste voulant que les think tanks soient le reflet des idées, des valeurs et des intérêts qui s’organisent en société. Même les think tanks les plus idéologiques et militants restent au service de leur vision de la société et ne doivent pas être réduits à des firmes qui se moulent corps et âme dans les intérêts de leurs bailleurs de fonds (p. 13 et 254). Landry évite d’autres écueils, comme cette ambition où une quantité de textes ont échoué en cherchant à démontrer l’influence de ces organisations. Car si quantité de gens dénoncent ou encensent leur capacité d’influence, bien peu ont réussi à en faire la démonstration dans un sens ou l’autre. C’est pourquoi tout au long du livre, Landry voit juste en affirmant que « l’étude des modalités d’intégration dans leurs communautés et leurs réseaux demeure la plus révélatrice sur la nature de ces organisations » (p. 37). Préférant la définition de Thomas Medvetz, devenue la plus pertinente et adéquate aujourd’hui sur le sujet, cette …