Recensions

Reclaiming the Discarded : Life and Labor on Rio’s Garbage Dump, de Kathleen M. Millar, Durham, Duke University Press, 2018, 248 p.[Record]

  • Emanuel Guay

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Jardim Gramacho est un quartier situé au nord-est de l’État de Rio de Janeiro, qui a accueilli entre 1978 et 2012 l’un des plus vastes dépotoirs au monde. Environ 70 millions de tonnes de déchets ont été déversés dans cette décharge durant ces 34 années, dont la grande majorité provenait de la ville de Rio de Janeiro (p. 18). En se basant sur un travail de terrain réalisé entre 2005 et 2012, l’ouvrage de l’anthropologue Kathleen M. Millar offre à la fois une riche description ethnographique des activités menées par les catadores – des personnes qui collectent des matières recyclables dans des décharges brésiliennes pour ensuite les vendre – et une analyse tranchante de plusieurs propositions courantes en sciences sociales sur des enjeux tels que la précarité, le travail et l’économie. Millar commence son étude en critiquant le concept d’humanité surnuméraire, qui est souvent utilisé en anthropologie et en sociologie pour désigner les personnes dont le travail n’est pas nécessaire à la reproduction du capital et qui ne disposent pas de protections sociales garanties par un État. Millar souligne que son terrain avec les catadores de Jardim Gramacho lui a permis de découvrir un monde social qui n’était pas régi strictement par la rareté et la survie, et auquel prenaient part de nombreuses personnes qui ne pouvaient pas être définies sommairement comme des êtres superflus (p. 4). Les femmes et les hommes qui collectaient des matières recyclables dans cette décharge menaient une vie marquée par la précarité et l’urgence, mais il·elle·s y développaient aussi des projets et des complicités, des savoir-faire et des stratégies. Ces personnes avaient des motivations pour travailler, et parfois vivre, dans la décharge qui ne relevaient pas d’un simple manque de ressources ou de droits. Surtout, elles trouvaient dans la collecte de matières recyclables une manière de vivre en dehors du salariat, ce qui leur permettait de mieux affronter les défis du quotidien tout en s’acquittant de leurs différentes obligations à l’endroit de leurs proches. Le premier chapitre prête attention aux rapports que les catadores entretenaient avec la décharge, en se concentrant plus particulièrement sur l’arrivée à Jardim Gramacho. Millar affirme que cette arrivée n’était pas un événement isolé, qui coïnciderait avec la première journée de travail d’une personne dans la décharge, mais plutôt un processus qui menait éventuellement cette même personne à réfléchir et à agir comme un·e catador·a, en apprenant comment trier et départager rapidement les déchets récupérables et ceux qui ne le sont pas, comment reconnaître au toucher différents types de plastique, de papier, de carton, de métal ou de caoutchouc, et ainsi de suite (p. 59). Ce chapitre nous indique aussi que la relation des catadores à la décharge était ambivalente plutôt qu’entièrement négative, Jardim Gramacho étant conçu à la fois comme un espace où se créaient de nouvelles formes de vie et un lieu renfermant des traces de mort (p. 61). Le deuxième chapitre souligne que le travail dans la décharge assurait aux catadores une possibilité de développer ce que Millar appelle une autonomie relationnelle. La collecte de matières recyclables permettait effectivement aux catadores de contrôler leur horaire, de travailler autant qu’il·elle·s le désiraient tout en pouvant cesser de travailler pour des périodes plus ou moins longues au besoin. Les activités menées par les catadores à Jardim Gramacho pouvaient ainsi s’ajuster aux urgences du quotidien, ce qui s’avérait particulièrement utile dans un contexte marqué par la pauvreté et la violence, tout en facilitant l’entretien des relations sociales à l’extérieur du travail (p. 89-90). Le troisième chapitre se concentre sur les manières dont les catadores dépensaient les revenus qu’il·elle·s obtenaient avec …