Recensions

Les excuses dans la diplomatie américaine. Pour une approche pluraliste des relations internationales, de Jérémie Cornut, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2014, 188 p.[Record]

  • Manuel Dorion-Soulié

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L’impulsion fondamentale du travail de Jérémie Cornut est un désir de dépasser les stériles « guerres de paradigmes » qui minent la discipline des relations internationales. Avant d’être une analyse des excuses dans la diplomatie américaine, son ouvrage constitue une proposition originale pour la théorie des relations internationales. En ce sens, le sous-titre de l’ouvrage, Pour une approche pluraliste des relations internationales, est peut-être plus révélateur de son essence que le titre lui-même. Les divers paradigmes de la discipline, se laissant trop souvent « guider par la théorie » dans leur approche des problèmes étudiés, entraînent une simplification systématique des phénomènes internationaux. Pour Cornut, la réalité sociale est toujours complexe, et sa compréhension exige donc des explications multi-causales que seul le pluralisme théorique peut fournir. À cette fin, il adopte une épistémologie pragmatique qui fait du consensus et de l’utilité les critères de la vérité. La vérité est donc intersubjective, et « une bonne connaissance est une connaissance dont il est possible de se servir pour agir » (p. 32). Ici, « agir » ne signifie pas agir politiquement, ou « conseiller le Prince », mais plutôt agir scientifiquement, une bonne connaissance étant une connaissance qui fait progresser la science. La vérité est contextuelle. De cette posture épistémologique initiale découle le rejet pragmatique des approches theory-driven : le choix d’une théorie doit dépendre du problème analysé et non l’inverse. Se laisser guider par la théorie revient à n’examiner qu’un seul aspect d’un phénomène. Le pragmatisme problem-driven, lui, cherche à combiner plusieurs théories, forcément partielles, dans le but de couvrir le plus d’aspects possibles d’un phénomène. Il sacrifie ainsi la parcimonie au profit d’une explication plus complète. L’horizon du pragmatisme problem-driven est le « texte explicatif idéal ». Conçu comme un objectif inatteignable car l’explication d’un phénomène social n’est jamais « finie », le texte explicatif idéal, en combinant diverses théories, permet cependant de donner une explication d’un événement (ou d’un phénomène) qui comprendra « toute information qui nous renseigne sur la façon dont cet événement s’insère dans le tissu causal du monde » (p. 38). Combattre le « paradigmatisme » exigera donc de combiner des théories. Mais pour ce faire, encore faut-il montrer que ces théories sont compatibles. Autrement dit, Cornut est amené à demander : comment réunir dans une seule analyse des explications différentes à une même question ? C’est ici que l’érotétique entre en jeu, en montrant que différentes explications concernant une même question répondent en fait à des problématisations différentes de cette interrogation. Chaque théorie posera différemment une question qui, de prime abord, est la même, fait révélé lorsque « l’espace contrastif » laissé implicite par chaque théorie est rendu explicite par l’analyse érotétique. Différentes réponses correspondent aux divers espaces contrastifs d’une même question et « lorsque l’espace contrastif des différentes questions n’est pas identique, les réponses ne peuvent pas elles-mêmes être identiques ou contradictoires » (p. 57). Concrètement, rendre l’espace contrastif explicite signifie rajouter une clause commençant par « plutôt que » à la question générale. Le cas analysé par Cornut en fournit un excellent exemple. La question générale qu’il pose est la suivante : « Pourquoi les États-Unis obtiennent-ils des excuses d’un autre État ou lui présentent-ils des excuses ? » Dans le but d’écrire le texte explicatif idéal de cette question, Cornut mobilise trois théories qui apportent des réponses différentes : l’école anglaise, le post-structuralisme et la théorie des jeux. D’abord Hedley Bull répond que les excuses diplomatiques sont des En termes d’espace contrastif, Bull répond en fait à la question « Pourquoi les États-Unis reçoivent-ils ou donnent-ils des excuses plutôt que …