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Dans un contexte de crise économique sans précédent, l’identification des facteurs essentiels à la survie et au bon développement des PME constitue plus que jamais une voie de recherche majeure. Parmi les prismes théoriques susceptibles d’apporter un éclairage pertinent sur ce sujet, la théorie des ressources, et plus spécifiquement l’étude des capacités marketing (CM), fait l’objet d’une attention renouvelée depuis le début des années 90 (Kozlenkova et al., 2014). La possession de capacités marketing est en effet reconnue comme un facteur essentiel à la création d’un avantage concurrentiel et à l’obtention d’une meilleure performance (Krasnikov and Jayachandran, 2008). Mais plus que leur simple présence, l’importance de leur contribution dépend aussi, et surtout, de la capacité des entreprises à aligner l’organisation des capacités disponibles en fonction du contexte interne et externe dans lequel elles opèrent (Grewal and Slotegraaf, 2007; Kraaijenbrink et al., 2010). En ligne avec le concept de « fit organisationnel » (Venkatraman, 1989), les efforts se sont donc multipliés afin de mieux comprendre pourquoi et comment les entreprises diffèrent dans leurs manières d’organiser et exploiter leur portefeuille de capacités marketing (Moorman et al., 2016; Morgan, 2012). Cette voie de recherche intéresse tout spécifiquement les PME qui, malgré leurs limitations structurelles, parviennent à optimiser l’orchestration des ressources à leur disposition (Baker and Nelson, 2005). Répondant aux appels en faveur d’une plus grande utilisation de l’approche configurationnelle (Leischnig et al., 2017; Misangyi et al., 2016), en particulier en entrepreneuriat (Harms et al., 2009), les recherches visant à identifier de façon inductive les principaux profils d’alignement organisationnels en contexte PME, se sont multipliées, notamment sur les aspects marketing. Une analyse approfondie de la littérature révèle cependant que la plupart des travaux mobilisent sur ce sujet des construits complémentaires, mais conceptuellement distincts des seules capacités marketing. Ainsi, à notre connaissance, aucune recherche n’a pour l’instant étudié spécifiquement les configurations des capacités marketing en contexte PME (Alqahtani and Uslay, 2018; Bocconcelli et al., 2016). Afin de pouvoir contribuer à la littérature, et en nous appuyant sur un échantillon de 264 PME françaises, nous proposons donc d’identifier et de décrire trois profils de configurations marketing à l’aide d’une démarche structurée en deux temps. Dans un premier temps, nous proposons un modèle conceptuel général permettant d’étudier l’influence sur la performance de la mise en synergie de trois capacités marketing complémentaires : les capacités d’étude du marché et de la demande, les capacités de formulation de la stratégie marketing et enfin, les capacités de gestion de l’offre de valeur. Une fois le modèle conceptuel général validé, nous utilisons celui-ci comme réseau nomologique afin d’étudier l’influence de plusieurs facteurs de contingence reconnus pour influencer l’organisation des capacités marketing (Kamboj and Rahman, 2015). En ligne avec l’approche Structure, Strategy, Environment, nous étudions plus spécifiquement l’influence des facteurs suivants : la taille et l’âge de l’organisation pour le périmètre structurel, la stratégie générique et le degré d’internationalisation pour le périmètre stratégique et enfin le secteur industriel et le degré d’incertitude de l’environnement de marché pour le périmètre environnemental (Dess and Origer, 1987). Afin de mieux rendre compte des relations de causalité complexes qu’impose l’approche configurationnelle (Misangyi et al., 2016), nous adoptons une approche innovante via l’utilisation de l’algorithme de segmentation PLS Pathmox (Lamberti et al., 2016). L’algorithme PLS Pathmox permet de réaliser simultanément les trois étapes clés de notre analyse : (i) proposer une taxonomie de configurations en contextualisant notre modèle conceptuel général, (ii) évaluer le pouvoir explicatif de chaque facteur contextuel dans la construction de cette taxonomie et enfin, (iii) décrire les spécificités du comportement organisationnel de chacune des configurations identifiées. L’article est organisé comme suit. Dans la première section, nous présentons les spécificités de l’approche configurationnelle ainsi que les limites des travaux actuels en ce qui concerne l’étude des Configurations de Capacités Marketing. Dans la deuxième section, nous détaillons les hypothèses qui permettront d’étudier les effets de renforcement entre les trois capacités marketing complémentaires qui composent notre modèle conceptuel général, ainsi que les propositions relatives à l’influence des facteurs de contingence interne et externe sur le comportement de celui-ci. Dans la troisième section, nous présentons notre méthodologie. La quatrième section décrit successivement les résultats obtenus concernant (i) la validation du modèle général et (ii) la phase d’identification et de description des trois classes de configurations identifiées au sein de notre échantillon. Nous discutons ensuite des résultats avant de conclure en présentant successivement les contributions de notre étude ainsi que les limites et voies de recherche futures.

Revue de littérature

L’étude du fit organisationnel via l’approche « configurationnelle »

L’approche par les ressources repose sur le postulat que l’hétérogénéité des performances résulte de la capacité idiosyncrasique des entreprises à aligner l’organisation des ressources disponibles en fonction du contexte dans lequel elles opèrent (Kraaijenbrink et al., 2010). Un grand nombre de travaux empiriques se sont donc intéressé à la notion de « fit organisationnel » afin de mieux comprendre les effets sur la performance de la bonne orchestration des capacités disponibles (Newbert, 2007). Parmi les six perspectives évoquées par Venkatraman (1989), nous nous intéressons plus spécifiquement aux travaux sur les configurations de ressources en raison de leur nature particulièrement multicontingente des mécanismes d’alignement du « tout » organisationnel (Miller, 2018). Le caractère distinctif de l’approche configurationnelle repose sur trois principes fondamentaux (Fiss, 2011). Le principe de causalité essentielle postule, tout d’abord, que tout système organisationnel reflète une combinaison appropriée de facteurs complémentaires dont la synergie globale présente une valeur supérieure à celle que l’on obtiendrait de la seule somme de leurs contributions individuelles. Selon le principe de causalité conjoncturelle, ensuite, le fit organisationnel résulte de la capacité des entreprises à aligner leur organisation en fonction des contraintes imposées par le contexte, tant interne qu’externe. L’approche configurationnelle reconnait l’importance des effets de contingence mais récuse le principe cartésien du « one best way » selon lequel les modalités d’alignement sont identiques quelle que soit l’organisation. Elle propose au contraire d’identifier un nombre limité de profils organisationnels pour lesquels la combinaison des facteurs complémentaires s’avère plus appropriée pour un contexte donné. Enfin, le troisième principe, dit d’asymétrie causale, postule que la relation causale relative à la contribution à la performance de l’articulation de deux éléments organisationnels complémentaires, ou aux mécanismes par lesquels l’organisation s’aligne avec son contexte, peut être présente dans un cas et absente dans un autre, ou encore présenter des sens de causalités inversés. Appliquée à l’orchestration des ressources, l’approche configurationnelle nous invite donc à identifier des profils de configurations distincts mais homogènes dans leurs mécanismes d’alignement organisationnel (Miller, 2018; Misangyi et al., 2016).

État de l’art sur les configurations de capacités marketing

Définies comme “A complex bundles of skills and accumulated knowledge, exercised through organizational processes, that enable firms to coordinate activities and make use of their assets” (Day 1994 p.39), les CM présentent trois spécificités particulièrement congruentes avec les principes fondamentaux de l’approche configurationnelle. La maturité des travaux empiriques menés depuis le début des années 90 a tout d’abord largement permis d’étayer que les CM figurent parmi les capacités organisationnelles les plus contributives à la performance (Kamboj and Rahman, 2015; Krasnikov and Jayachandran, 2008). Au-delà de leur contribution individuelle, les CM présentent aussi la particularité d’être fortement complémentaires (Kozlenkova et al., 2014). Comme le rappellent Morgan et al. (2009), les effets de renforcements réciproques obtenus de la mise en synergie des CM complémentaires disponibles sont d’autant plus importants pour la création et le bon développement de l’avantage concurrentiel que ces phénomènes organisationnels sont difficilement observables :

“Capabilities are complementary when the returns to one capability are affected by the presence of another (…) Such complementarities can be valuable because the interaction between the two capabilities can increase the firm’s effectiveness and/or efficiency, as well as limit rivals’ ability to successfully imitate the source of this advantage”

p. 286

Comme toute capacité organisationnelle, l’organisation et l’exploitation du portefeuille de CM est particulièrement sensible au contexte interne et externe dans lequel évolue l’entreprise (Short et al., 2008; Sirmon et al., 2011). Le potentiel de contribution des CM repose donc sur la capacité des entreprises à aligner l’orchestration des capacités disponibles en tenant compte à la fois des orientations stratégiques de l’organisation et des contraintes internes et externes auxquelles elle fait face (Kamboj and Rahman, 2015; Moorman et al., 2016). Si l’adoption d’une perspective configurationnelle s’avère donc particulièrement pertinente pour étudier les conditions nécessaires à la bonne orchestration des CM complémentaires, une étude de la littérature sur les configurations marketing révèle deux limitations que nous souhaiterions adresser. À notre connaissance, aucune étude n’a tout d’abord proposé une taxonomie de configurations à partir de la seule prise en compte de capacités marketing. L’analyse approfondie des travaux existants révèle en effet qu’au-delà des seules CM, les taxonomies proposées reposent aussi sur la prise en compte de construits complémentaires mais fonctionnellement et/ou conceptuellement distincts (cf. synthèse en Annexe A). Les recherches mobilisent, en plus des CM, des catégories de capacités organisationnelles fonctionnellement distinctes, voire des construits qui ne relèvent pas de la théorie des ressources. C’est notamment le cas des nombreux travaux impliquant le concept d’Orientation Marché qui, bien que conceptuellement proche de celui des CM, relève de la théorie de l’économie de l’information (Hult, 2011). On constate aussi le peu d’attention portée aux enjeux spécifiques auxquels font face les PME. Compte tenu des limites structurelles auxquelles elles sont confrontées, l’adoption d’une perspective configurationnelle s’avèrerait pourtant particulièrement adaptée à l’étude des mécanismes d’alignement et d’exploitation du potentiel de synergie existant au sein de leur portefeuille de CM (Merrilees et al., 2011; Miles et al., 2014; Sok and O’Cass, 2011). Fort de ce constat, nous souhaitons répondre aux appels émis à la fois dans le champ marketing (Leischnig et al., 2017; Moorman et al., 2016) et dans celui de l’Entrepreneuriat/PME (Debrulle et al., 2020; Harms et al., 2009; Steffens et al., 2009) en identifiant et en décrivant une taxonomie de configurations fondée (i) exclusivement sur la seule prise en compte des CM pour ce qui a trait à l’explication de la performance et (ii) qui serait révélatrice du comportement organisationnel des PME (Alqahtani and Uslay, 2018; Bocconcelli et al., 2016).

Développement conceptuel

Afin de pouvoir étudier les différences de comportements en ce qui concerne la contribution des capacités marketing sur la performance, tout en tenant compte de la complexité causale, nous proposons de déployer une approche en deux étapes (Misangyi et al., 2016). Dans un premier temps, nous proposons un modèle conceptuel général pour lequel la logique nomologique est déjà bien établie empiriquement. Une fois la validité externe et interne de celui-ci confirmée, nous proposons dans un deuxième temps d’identifier et de décrire une taxonomie des configurations des capacités marketing en contextualisant le modèle général.

Hypothèses et modèle général

Afin de rendre compte des mécanismes de complémentarité causale, notre modèle conceptuel général est construit afin de refléter les relations de synergies entre trois CM intrinsèques à toute organisation marketing et dont la contribution à la performance est empiriquement avérée : les capacités d’étude du marché et de la demande (ML Cap), les capacités de formulation de la stratégie marketing (MSF Cap) et les capacités de gestion de l’offre de valeur (CVP Cap). Le choix de ces trois capacités nous permet d’intégrer les trois axiomes fondamentaux sur lesquels est fondée l’approche managériale du concept marketing (Morgan, 2012; Webster, 2005) : une culture centrée sur l’accumulation et l’exploitation des connaissances concernant les attentes de la clientèle et le positionnement concurrentiel (les ML Cap), un processus décisionnel stratégique fondé, a minima, sur le triptyque Segmentation-Ciblage-Positionnement (les MSF Cap) et enfin la capacité de l’entreprise à délivrer une offre de valeur qui puisse répondre à la diversité des attentes tout en restant différenciée sur le plan concurrentiel (les CVP Cap).

Le développement des travaux sur les ML Cap prend appui sur les premières propositions émises, entre autres, par Day (1994) concernant le rôle crucial joué par l’Orientation Marché (OM). En ligne avec la théorie de l’Économie de l’Information, les travaux sur l’OM s’intéressent en effet à l’impact sur la performance des activités marketing relatives à la collecte et à l’exploitation des connaissances sur le marché et la demande (Hult, 2011). La maturité des travaux menés sur le concept d’OM a largement fertilisé le développement de la littérature sur les ML Cap sur le plan conceptuel et a aussi contribué à confirmer empiriquement la dimension absolument essentielle des capacités d’études marketing pour la construction de l’avantage concurrentiel des PME (Bocconcelli et al., 2016; Raju et al., 2011). La présence des ML Cap permet de réduire le niveau d’incertitude dans le processus décisionnel marketing, en particulier en ce qui concerne les choix concernant le développement de l’offre de valeur. L’articulation entre les ML Cap et les CLV Cap permet notamment aux entreprises de formuler une proposition de valeur attractive aux yeux de la clientèle cible et différenciée sur le plan concurrentiel (Payne et al., 2017). Cette complémentarité nourrit tout d’abord la gestion du portefeuille produits et la détermination de la politique tarifaire compte tenu de l’arbitrage effectué par la clientèle entre les bénéfices attendus, d’une part, et la contrepartie financière demandée, d’autre part (Morgan, 2012). La bonne exploitation des informations relatives au marché et à la concurrence est également essentielle pour délivrer une offre dont les attributs sont clairement différenciables de ceux des concurrents (Morgan, 2012; Payne et al., 2017). De nombreux travaux viennent ainsi confirmer qu’en contexte PME, les CLV Cap, en plus de contribuer directement à consolider la performance, sont directement renforcées par les ML Cap (Bocconcelli et al., 2016; Carson et al., 2020). Les MSF Cap, enfin, jouent un rôle essentiel dans la mesure où elles reflètent la capacité des entreprises à expliciter leurs décisions concernant le triptyque Segmentation-Ciblage-Positionnement (Dickson and Ginter, 1987; Kotler and Levy, 1969). Bien que moins souvent étudiée, cette partie du processus décisionnel est considérée comme le socle de la stratégie marketing permettant le développement d’une offre de valeur adaptée et différenciée (Hooley et al., 2001; Payne et al., 2017) et, in fine, le développement de l’avantage concurrentiel (Heirati et al., 2013; Sirmon and Hitt, 2009). Les MSF Cap permettraient notamment d’expliquer comment les PME, fortes de leur bonne connaissance du marché, réussissent à formaliser des stratégies marketing permettant d’offrir une offre de valeur adaptée et différenciée à leurs clientèles cibles (Gilmore and Carson, 2018; O’Cass and Morrish, 2016). Enfin, nous arguons que la mise en synergie de ces trois capacités marketing complémentaires contribue à renforcer la performance des PME (Bocconcelli et al., 2016; Kamboj and Rahman, 2015). Les effets de renforcement attendus concernent, notamment, les processus marketing relatifs à la gestion du portefeuille d’offres de valeur, au développement de nouveaux produits ou encore à la formalisation de la politique tarifaire (O’Dwyer et al., 2009; Theodosiou et al., 2012). Au regard de ce qui précède, notre modèle conceptuel (cf. figure 1 ci-dessous) intègre les hypothèses selon lesquelles une plus grande capacité d’étude du marché et de la demande renforce à la fois les capacités de formulation de stratégie marketing (H1) et celles relatives à la gestion de l’offre de valeur (H2). Nous nous attendons également à ce qu’une plus grande capacité de formulation de stratégie marketing renforce les capacités de gestion de l’offre de valeur client (H3). Enfin, considérant que leur contribution directe à la performance est désormais reconnue, nous formulons les hypothèses selon lesquelles les capacités d’étude du marché et de la demande (H4), les capacités de formulation de stratégies de marketing (H5) et les capacités de gestion de l’offre de valeur client (H6) renforcent directement et positivement la performance.

TABLEAU 1

Définitions des concepts clés

Définitions des concepts clés

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Figure 1

Modèle conceptuel général

Modèle conceptuel général

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Influence du contexte interne et externe

Afin de pouvoir étudier comment les trois CM qui composent notre modèle structurel s’auto-alignent en fonction du contexte, nous proposons d’étudier six facteurs contextuels représentatifs de la perspective Strategy-Structure-Environnement (Dess and Origer, 1987; Sirmon et al., 2011). Nous supposons tout d’abord que l’organisation tend naturellement à s’aligner sur les grandes orientations stratégiques assignées à l’entreprise, en particulier, la stratégie générique et le degré d’internationalisation. En ce qui concerne la stratégie générique, nous nous intéressons à l’influence du profil stratégique, tel que défini par Miles et Snow (1978), ce facteur étant largement reconnu comme déterminant, tant dans les travaux sur les configurations (Short et al., 2008) que dans ceux sur les capacités marketing (Desarbo et al., 2005; Frambach et al., 2016; Olson et al., 2005). L’influence du degré d’internationalisation sur l’orchestration des capacités est également un facteur important à considérer. Confrontées à certaines spécificités culturelles et économiques, les entreprises qui développent leur activité internationale sont en effet confrontées à des conditions de marché plus complexes que celles qui prévalent dans les marchés domestiques, ce qui impose un effort d’adaptation plus important sur le plan marketing (Kouropalatis et al., 2019). Pour les PME, cela requiert notamment une capacité accrue dans la collecte et l’exploitation des informations marketing afin d’être en position de formuler et mettre en oeuvre une stratégie adaptée aux spécificités des différents marchés ciblés (Catanzaro et al., 2015; Chetty and Hunt, 2003; Paul et al., 2017). Nous supposons également que la maturité organisationnelle, en termes de taille et d’âge, conditionne fortement l’orchestration des capacités organisationnelles, celles-ci étant par nature très sensibles au phénomène de dépendance de sentier (Grewal and Slotegraaf, 2007). En raison des contraintes structurelles auxquelles elles font face, l’importance de ces facteurs sur le développement et l’exploitation des CM est particulièrement notable pour les PME, comparativement aux grandes entreprises (Coviello et al., 2000; Merrilees et al., 2011; Siu and Kirby, 1998). Enfin, nous supposons que le contexte externe est également un facteur important à considérer lorsque l’on s’intéresse aux mécanismes d’alignement organisationnel (Sirmon et al., 2011). On sait notamment que les PME, lorsqu’elles sont confrontées à une pression concurrentielle accrue et/ou une forte instabilité de la demande, tentent de défendre l’attractivité et la différenciation concurrentielle de leur offre de valeur en optimisant les relations de synergies potentielles entre les trois CM complémentaires qui composent notre modèle conceptuel (Bocconcelli et al., 2016). Il est également admis que le secteur industriel conditionne fortement l’organisation des CM (Kamboj and Rahman, 2015), notamment lorsqu’il s’agit de PME, cette catégorie d’organisation ayant plus spécifiquement tendance à aligner leur organisation marketing sur les bonnes pratiques et normes en vigueur dans leur domaine d’activité (Aragón-Sánchez and Sánchez-Marín, 2005; Bocconcelli et al., 2016). Afin de pouvoir identifier et décrire la présence latente, au sein de notre échantillon, de comportements organisationnels distincts en ce qui concerne l’organisation et l’exploitation des capacités marketing, nous nous proposons donc de contextualiser notre modèle de recherche à l’aide de ces six facteurs (cf. figure 2 ci-dessous).

Figure 2

Contextualisation du modèle général et identification des modèles locaux

Contextualisation du modèle général et identification des modèles locaux

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Méthodologie

Opérationnalisation des capacités marketing et de la performance

L’opérationnalisation des différentes variables latentes présentes dans notre modèle conceptuel a été réalisée à partir d’emprunts à la littérature (Bollen and Bauldry, 2011) traduits et adaptés afin de tenir compte du contexte très spécifique des pratiques marketing des PME (Deacon et al., 2007). Le construit ML Cap a été opérationnalisé comme un concept formatif de second ordre afin de refléter les deux principaux périmètres d’informations nécessaires pour la création de valeur : la collecte des informations relatives au marché et à l’environnement concurrentiel et la collecte d’informations relatives aux attentes, exprimées ou non, de la clientèle (Payne et al., 2017). Le construit MSF Cap a été opérationnalisé comme un concept formatif de premier ordre afin de refléter le processus de segmentation-ciblage-positionnement. Enfin, le construit CVP Cap a été opérationnalisé comme un concept formatif de second ordre afin de refléter la capacité des entreprises (i) à gérer le portefeuille de produits et services existants, (ii) à développer de nouvelles offres de produits et/ou services et (iii) à décider d’une stratégie tarifaire qui tienne compte de la contrepartie financière acceptable (Morgan, 2012). La performance organisationnelle a été évaluée au travers du prisme de l’efficacité (Combs et al., 2005) en demandant aux répondants d’évaluer le degré d’atteinte des objectifs concernant quatre périmètres de performance associés à la performance marketing des PME : la performance financière, commerciale, des innovations et enfin relationnelle (Raju et al., 2011). L’importance accordée à chaque dimension de performance n’étant pas homogène, nous avons également évalué le degré de priorité assigné à l’atteinte de chaque objectif (Gupta and Govindarajan, 1984). Pour chaque répondant, quatre scores ont été calculés en multipliant le score obtenu pour l’item « degré d’atteinte de l’objectif » par celui relatif à l’item « degré de priorité assigné à cet objectif » puis utilisés comme variables manifestes dans le modèle de mesure de la variable dépendante. Afin de limiter le biais de statu quo susceptible d’être rencontré avec une échelle impaire incluant une option neutre (Alexandrov, 2010), la modalité de réponse proposée pour l’ensemble des indicateurs utilisés afin d’opérationnaliser les trois capacités marketing, la performance et le degré d’incertitude de l’environnement de marché est une échelle de Likert en quatre points, allant d’un plus grand accord (noté 4) à un plus grand désaccord (noté 1). Compte tenu du risque de non-réponse toujours possible avec les dirigeants de PME, nous avons ajouté une cinquième modalité « ne sait pas » afin de limiter le risque de réponses aléatoires.

Opérationnalisation des facteurs contextuels

La taille de l’entreprise a été opérationnalisée à l’aide de deux indicateurs complémentaires (le nombre d’employés à temps plein et le chiffre d’affaires annuel) afin de corriger la présence d’éventuelles disproportions dans notre échantillon entre le nombre d’employés d’une part et le chiffre d’affaires, d’autre part (Brooksbank, 1991). L’âge de l’entreprise a été calculé en tenant compte de l’année de création de l’entreprise. Le profil de stratégie générique a été mesuré par ”self typing approach” à l’aide du questionnaire développé par Olson et al. (2005). En ce qui concerne le degré d’internationalisation, nous nous sommes plus spécifiquement intéressés au degré d’exportation dans la mesure où il s’agit de la voie la plus souvent privilégiée par les PME (Game and Apfelthaler, 2016; Jones, 2001). Pour ce faire, nous avons capté le degré d’internationalisation en combinant (i) la propension à l’exportation (oui/non) et (ii) l’intensité à l’exportation ( % du revenu qui vient des exportations) et en distinguant les répondants ayant une intensité d’exportation « faible » (part du revenu issu de l’export ≤ à 20 %) ou « modérée à forte » (> à 20 %) (Musso and Francioni, 2014). Le degré d’incertitude de l’environnement de marché a été opérationnalisé afin de refléter les deux principales sources d’incertitude susceptibles d’influencer les pratiques des PME : celle relative à l’instabilité de la demande et celle relative à l’intensité concurrentielle (Sok and O’Cass, 2011). Enfin le secteur industriel fut identifié à partir des données secondaires de la liste de sondage.

Méthode d’échantillonnage

Afin de limiter les possibles biais liés à une trop forte hétérogénéité des activités, nous avons restreint notre échantillonnage à neuf secteurs industriels (Armstrong and Shimizu, 2007). Afin de nous assurer de la validité des réponses apportées sur les questions touchant aux aspects organisationnels et aux capacités marketing, nous avons plus spécifiquement ciblé les dirigeants de PME (O’Cass and Ngongang, 2007). Deux questions filtres ont été insérées en début de questionnaire afin de vérifier (i) que le répondant était soit le créateur ou le dirigeant de l’entreprise ou, à défaut, une personne en charge de la direction des services marketing ou commerciaux (« Quelle est votre fonction au sein de l’entreprise ? ») et (ii) que l’entreprise interrogée respectait un des principaux critères requis par le législateur français pour être considérée comme une PME[1] (« Votre entreprise est-elle une filiale d’une grande entreprise ou une entité d’une grande entreprise, c’est-à-dire qui emploie plus de 250 personnes ? »). Les PME étant reconnues pour leur réticence à répondre aux questionnaires qui leur sont envoyés (Gilmore et al., 2013), la collecte des données a été confiée à une société d’études de marché spécialisée dans la conduite d’entrevues téléphoniques assistées par ordinateur. Bien que coûteuse, cette méthode de collecte apporte une meilleure qualité d’échantillonnage et une meilleure stimulation de l’interviewé (MacKenzie and Podsakoff, 2012). Une fois le questionnaire testé auprès d’une vingtaine de PME, la collecte a été menée à l’aide d’une liste de sondage de 6.325 PME jusqu’à atteindre l’objectif de 300 observations. Nous avons adopté une approche dite « stratifiée et non-proportionnelle » afin de limiter la surreprésentation naturelle des microentreprises de moins de 10 salariés au sein de la population des PME françaises[2] (Sarstedt et al., 2018). Après avoir retiré les observations affichant des taux de non-réponse trop élevés ou des valeurs anormales (en termes de performance et/ou de taille), l’échantillon final de 264 observations est principalement composé d’entreprises de 10 à 49 salariés (57 % de notre échantillon). Pour les PME qui déclarent avoir une activité à l’international (38 %), la part des revenus tirés de l’export reste majoritairement en deçà des 20 %[3].

TABLEAU 2

Principales caractéristiques de l’échantillon

Principales caractéristiques de l’échantillon

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Analyses et résultats

Analyses préalables

Les analyses ont été effectuées avec le logiciel R (Team, 2015), d’abord avec le paquet psych R (Revelle, 2018) pour les analyses factorielles exploratoires puis avec le paquet plspm R (Sanchez, 2013) pour l’identification et la description de la taxonomie de configurations. L’analyse du test de facteur unique de Harman (EFA) et de la matrice de corrélation entre toutes les variables observées dans le modèle (MacKenzie and Podsakoff, 2012) confirme l’absence de biais lié au recours à un répondant unique (common method bias). Le premier facteur résultant de l’analyse factorielle exploratoire appliquée à toutes les variables observées représente seulement 24,11 % de la variabilité totale. L’analyse de la matrice de corrélation ne démontre pas non plus de valeurs excessives, le score le plus élevé (0,616) étant bien inférieur au seuil recommandé de 0,90 (Pavlou et al., 2007).

Validation du modèle de mesure du modèle conceptuel général

Comme le démontrent les tableaux 3, 4 et 5, l’ensemble des résultats confirme la bonne validité convergente et discriminante de notre modèle de mesure. Pour les trois variables indépendantes, chaque variable manifeste contribue fortement et significativement à la formation de son construit de référence (Diamantopoulos and Winklhofer, 2001). Le modèle de mesure est stable avec des poids significativement différents de zéro et au-dessus du seuil recommandé de 0,1 (Bollen and Lennox, 1991). L’analyse des VIF associés aux indicateurs des construits de 1er ordre (tableau 3) et aux scores des variables latentes (tableau 4) confirme l’absence de problème de multicolinéarité, les scores restant inférieurs au seuil recommandé de 5 (Menard, 2002).

TABLEAU 3

Analyse de la validité convergente et discriminante du modèle de mesure

Analyse de la validité convergente et discriminante du modèle de mesure

VIF : variance inflation factor; No. of bootstrap replications = 500.

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TABLEAU 4

Matrice de corrélation, scores de VIF et d’AVE

Matrice de corrélation, scores de VIF et d’AVE

* Racine carrée de l’AVE de la mesure de la performance organisationnelle (construit réflectif).

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TABLEAU 5

Validation de la mesure de la performance organisationnelle

Validation de la mesure de la performance organisationnelle

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La mesure de la variable dépendante présente également une bonne validité et une bonne fiabilité avec. des loadings supérieurs à 0,628 pour chaque dimension et un alpha de Cronbach’s de 0,728, supérieur à la valeur seuil recommandée de 0,7 et dans les limites d’un intervalle de confiance à 95 % (Trinchera et al., 2018).

Validation du modèle structurel du modèle conceptuel général

L’analyse du comportement du modèle général permet d’expliquer respectivement 15,2 % de la variance de la performance organisationnelle, 16,7 % de la variance des capacités de formulation de la stratégie marketing et 18,5 % de la variance des capacités de gestion de l’offre de valeur (cf. tableau 6). L’analyse des coefficients de régression non standardisés démontre que les ML Cap ont une influence positive et significative sur les MSF Cap (b=0,408****) ainsi que sur les CVP Cap (b=0,218****), confirmant ainsi les hypothèses H1 et H2. Nos résultats attestent également que les MSF Cap ont une influence positive et significative sur les CVP Cap (b=0,293****) confirmant ainsi l’hypothèse H3. Enfin, les ML Cap (b=0,208***) ainsi que les MSF Cap (b=0,230***), ont une influence positive et significative sur la performance, confirmant ainsi les hypothèses H4 et H5. À l’inverse, l’influence des CVP Cap n’est pas significative (b=0,046). Par conséquent, l’hypothèse H6 n’est donc pas confirmée.

TABLEAU 6

Validation du modèle structurel modèle général et des trois modèles locaux

Validation du modèle structurel modèle général et des trois modèles locaux

* p < 0,1; ** p < 0,05; *** p < 0,01; **** p < 0,001

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Identification des modèles locaux

Afin d’identifier de façon inductive la présence latente de comportements organisationnels distincts au sein de notre échantillon, nous mobilisons une méthode de segmentation PLS dite « non supervisée » (Becker et al., 2013), l’algorithme PLS Pathmox, en utilisant notre modèle général comme filet nomologique (Lamberti et al., 2016). Par itérations successives, l’algorithme PLS Pathmox teste l’influence de chaque facteur contextuel sur le modèle structurel initial, sélectionne celui dont l’influence s’avère la plus significative et propose une partition de deux modèles locaux présentant une hétérogénéité de comportement. Le processus de partition de modèles locaux se poursuit de façon hiérarchique en échelonnant l’influence des facteurs contextuels selon un ordre de significativité décroissant jusqu’à ce que le nombre d’observations devienne insuffisant. Appliqué à notre échantillon, l’arbre de segmentation Pathmox permet de faire émerger deux partitions et trois modèles locaux.

Figure 3

Arbre de segmentation

Arbre de segmentation

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La première partition révèle que l’alignement organisationnel du modèle conceptuel dépend tout d’abord du degré d’incertitude de l’environnement de marché; le comportement des 41 entreprises du modèle LM1 évoluant dans un contexte stable étant significativement différent de celui des 223 entreprises confrontées à un contexte de marché très incertain[4]. Pour ces dernières, la deuxième partition révèle des différences significatives selon que le chiffre d’affaires annuel est en deçà (LM2) ou supérieur (LM3) à 1 million d’euros. Le nombre d’observations disponibles n’a cependant pas permis de développer davantage le processus de classification, les autres facteurs contextuels envisagés n’ayant pas émergés avec un niveau de significativité suffisant[5].

Interprétation des modèles locaux

L’analyse du comportement des trois modèles structurels locaux met en évidence des différences significatives en ce qui concerne les relations de renforcement entre les trois capacités marketing complémentaires (cf. tableaux 6) et en ce qui concerne leurs contributions respectives à expliquer la variabilité de la performance (cf. figure 4). Les résultats indiquent tout d’abord qu’il n’y a aucun effet de renforcement significatif entre les ML Cap et les CVP Cap. On constate également l’absence de contribution des CVP Cap à la performance contrairement à ce qui était attendu, et ce, là encore, pour les trois modèles locaux.

Figure 4

Pouvoir explicatif des construits de chaque modèle local (en % du R2)

Pouvoir explicatif des construits de chaque modèle local (en % du R2)

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Pour le comportement du modèle LM1, que nous proposons d’appeler configuration statique, il semble qu’en raison d’un contexte de marché peu volatil et peu concurrentiel, la contribution des capacités marketing soit faible, voire inexistante. Nous émettons l’hypothèse qu’il peut s’agir de PME potentiellement en situation de quasi-rente, confiantes dans la solidité de leur avantage concurrentiel (Nagy et al., 2018). La littérature suggère que de tels profils sont susceptibles de se concentrer sur leur capacité de production et de R&D et plus largement sur l’exploitation des actifs stratégiques disponibles (Ingram and Silverman, 2002; Theoharakis and Hooley, 2003). Sur le plan marketing, la culture est alors davantage orientée « produit » que « marché », l’adaptation de l’offre s’effectuant plutôt en réaction par rapport aux actions des concurrents et non de manière proactive (Day, 2011).

Le modèle LM2, que nous proposons d’appeler configuration dynamique-agile reflète davantage des petites entreprises dont la performance bénéficie beaucoup des effets de synergie obtenus de l’articulation de leur capacités marketing complémentaires, les ML Cap renforçant les MSF Cap qui, elles-mêmes, renforcent ensuite les CVP Cap. Le rôle pivot que jouent les MSF Cap est particulièrement notable puisqu’elles présentent la plus forte contribution directe et indirecte, comparativement aux deux autres capacités qui ne contribuent qu’indirectement à la performance. Nous émettons l’hypothèse que ces PME, malgré leurs limites structurelles, parviennent à optimiser l’exploitation des ressources disponibles en étant très efficaces dans leur stratégie de segmentation-ciblage-positionnement. Ces synergies renforceraient notamment leur capacité à « saisir » les opportunités d’affaires en s’appuyant à la fois sur leurs connaissances du marché et sur leur aptitude à maintenir une offre de valeur adaptée et différenciée (Day, 2011). Enfin, le modèle LM3, que nous proposons d’appeler configuration dynamique-proactif est le profil pour lequel l’orchestration des capacités marketing contribue le plus à l’explication de la performance avec un R2 de 0,306. La performance de ces entreprises bénéficie en effet non seulement des synergies apportées par les effets de renforcement entre capacités complémentaires, mais aussi de la contribution essentielle apportée par les ML Cap et par les MSF Cap. Cette complémentarité semble contribuer à améliorer les capacités de l’entreprise à détecter et à saisir les opportunités du marché via un meilleur processus de développement de produits et une meilleure mise en phase avec les attentes du marché (Day, 2011). Cette maximisation constatée des potentiels de synergies obtenus de la mise en articulation de capacités complémentaires suppose un fort degré de coordination interfonctionnelle, une caractéristique organisationnelle que l’on retrouve effectivement davantage dans les organisations de grande taille (Teece, 2010). Pour ces deux profils de configurations, les résultats révèlent que les PME confrontées à une plus grande incertitude de marché cherchent à optimiser l’orchestration des capacités marketing disponibles afin de mieux aligner l’offre de valeur avec la demande et le contexte concurrentiel (Fredericks, 2005). Cette optimisation repose notamment sur une plus grande attention portée à la collecte et au traitement de l’information sur les marchés (Day, 1994) ce qui leur permet d’anticiper l’évolution de la demande et d’adapter plus efficacement l’offre de valeur (Blocker et al., 2010).

Conclusion

Contributions

Sur le plan conceptuel, l’analyse du modèle général confirme tout d’abord la contribution essentielle des capacités marketing, tant individuellement que collectivement, à la bonne performance des PME (Bocconcelli et al., 2016; O’Cass and Morrish, 2016; Sok and O’Cass, 2011). Nos résultats soulignent en particulier l’importance des MSF Cap qui jouent un rôle central dans la capacité des entreprises à adapter leur offre de valeur en fonction de l’hétérogénéité des attentes et de la dynamique concurrentielle (Day, 2011). Cette catégorie de CM étant encore peu abordée (Edelman et al., 2005), notre recherche contribue ainsi à répondre aux appels en faveur d’une meilleure intégration de la dynamique de marché dans les travaux relevant de l’approche par les ressources (Barney, 2014). À l’issue de la démarche de classification, l’analyse du comportement des modèles locaux a également apporté des éclairages inédits en ce qui concerne les mécanismes d’alignement des CM en contexte PME. Les résultats démontrent que l’orchestration dépend d’abord d’un facteur externe (le degré d’incertitude du contexte de marché) puis d’un facteur structurel (le chiffre d’affaires), contribuant ainsi potentiellement à éclairer les débats existants entre les différentes écoles de pensée sur le fit organisationnel (Donaldson, 2001). Le comportement de la configuration « dynamique-agile » illustre notamment l’aptitude de certaines PME à faire « au mieux » avec les ressources disponibles pour protéger et développer leur avantage concurrentiel (Baker and Nelson, 2005). Ce profil illustre aussi la dimension cruciale que revêtent les MSF Cap pour les organisations qui, bien que contraintes sur le plan structurel, doivent pouvoir faire face adéquatement à un environnement de marché instable et fortement concurrentiel. Sur le plan méthodologique, le recours à la méthode de segmentation PLS Pathmox contribue potentiellement aux efforts pour mieux saisir les relations de causalité complexes inhérentes à l’approche par les configurations en permettant d’étudier simultanément les relations de complémentarité causales entre les variables indépendantes, ainsi que leur contribution à la performance tout en tenant compte de l’interaction avec les variables contingentes (Miller, 2018; Misangyi et al., 2016). Sur le plan managérial, et dans un contexte de crise socio-économique majeure, nos résultats prônent pour un renforcement de l’attention que les dirigeants de PME portent au renforcement de leur organisation marketing, surtout lorsqu’elles sont confrontées à des conditions de marché très incertaines. Cela nécessiterait un effort de sensibilisation et d’accompagnement important car une majorité de PME sous-estiment encore trop souvent l’importance de développer une réelle perspective stratégique sur les enjeux marketing (Alqahtani and Uslay, 2018; Massiera et al., 2018). Loin de réduire la contribution des activités marketing aux seules décisions tactiques concernant les investissements de communication, notre recherche confirme la nécessité pour les dirigeants-entrepreneurs de développer leur capacité de recueil, d’analyse et d’exploitation des connaissances sur le marché et plus globalement l’ensemble du processus de formulation de la stratégie marketing (Agic et al., 2016; Bocconcelli et al., 2016; Miles et al., 2014).

Limitations et voies de recherche

Notre recherche présente plusieurs limitations qu’il conviendrait d’adresser. Il faut souligner, tout d’abord, les limites induites par le choix d’une méthode « stratifiée et non-proportionnelle » pour la collecte des données. Dans la mesure où notre échantillon se concentre surtout sur des entreprises de 10 à 50 salariés et issues de six secteurs industriels bien spécifiques, il convient donc d’être prudent dans l’extrapolation des résultats, notamment en ce qui concerne le degré d’internationalisation des PME (propension et intensité à l’export). L’orientation internationale étant généralement fortement dépendante du secteur d’activité (Paul et al., 2017), il serait pertinent de pouvoir reproduire l’analyse à plus large échelle afin de confirmer avec un niveau de confidence plus important l’influence conjointe de ces deux facteurs sur l’organisation des capacités marketing. Il serait également intéressant de répliquer l’analyse dans différents contextes culturels et/ou géographiques afin de mieux tenir compte de l’existence de différences nationales dans la manière d’assigner certaines priorités aux activités marketing (Cortez and Johnston, 2018), notamment en comparant nos résultats avec des pays où la demande intérieure est plus faible qu’en France et où les PME comptent davantage sur l’exportation. Dans la même veine, il serait intéressant de mieux comprendre l’impact qu’une « diversité » accrue des marchés cibles ferait peser sur l’organisation marketing. Il est en effet reconnu que la multiplication des exportations, en particulier lorsqu’il s’agit de pays à forte « distance psychologique », s’accompagne d’une complexité croissante et nécessite donc une mobilisation des compétences marketing plus importante (Obadia and Vida, 2019; Paul et al., 2017). La méthodologie d’analyse en coupe transversale constitue également une limite dans la mesure où elle ne permet pas de tenir compte de l’effet temporel, ni d’étudier les relations de causalité récursive. Or, il est vraisemblable que les effets de renforcement étant véritablement mutuels, les relations entre deux capacités complémentaires soient circulaires (Hancock and Mueller, 2013). Il serait donc intéressant de répliquer l’analyse sur la base d’une approche longitudinale en vue de mieux comprendre les effets de renforcement réciproques et, surtout, de saisir si l’alignement organisationnel des PME suit une séquence linéaire ou séquentielle. Dans le contexte de crise actuel, et alors que les PME sont confrontées à une évolution brutale et non linéaire de leur environnement de marché, cela permettrait de mieux comprendre comment certaines activités marketing relatives, comme la vigilance à l’égard des évolutions du marché, les routines d’expérimentation et la mutualisation des ressources avec des partenaires externes, seraient de nature à favoriser la bonne adaptation du modèle économique des PME et ainsi leur permettre de surmonter la crise actuelle (Day, 2011).