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Notre approche vise à saisir les dynamiques relationnelles interpersonnelles qui sont souvent oubliées dans nombre d’analyses des conflits au travail (Rondeau, 1990). Nous construisons un cadre conceptuel qui intègre les dimensions communicationnelle et psychosociologique avec des aspects sociaux et contextuels des conflits, dont les contextes nationaux.

La plupart des analyses de conflit considèrent les protagonistes comme des acteurs stratégiques, c’est-à-dire conscients de leurs buts et de leurs ressources et qui développent des démarches d’actions pensées et planifiées (Weeks, 1994, Deutsch, 1973, Deutsch et Coleman, 2012. Deutsch et al. 2006, Pondy, 1967). Nous considérons qu’une telle vision constitue une simplification excessive et une restriction de l’analyse de la perception des individus dans les relations interpersonnelles et particulièrement dans le cadre de conflits en situation de travail (Rondeau, 1990). C’est pourquoi nous construisons une approche du conflit comme un processus d’escalade basé en premier lieu sur les comportements communicationnels humains (interpersonnels), et non pas principalement sur des facteurs organisationnels ou sociologiques (Wittezaele, 2003).

Notre modèle conceptuel articule l’approche des comportements interpersonnels avec l’affirmation de leur nature socialement construite. Les comportements interpersonnels sont considérés dans notre canevas conceptuel d’abord par le cadre analytique de la communication interpersonnelle de « l’école de Palo Alto » (principalement Paul Watzlawick). Dans ce cadre, l’axe central de l’escalade conflictuelle sera interprété comme la disjonction dans les positionnements relationnels des protagonistes entre l’interaction symétrique et l’interaction complémentaire (Watzlawick et al. (1967-72[1]).

La construction sociale des comportements interpersonnels, dans laquelle ils sont intégrés mais dont ils sont dans le même temps facteurs d’évolution, est basée sur le concept d’habitus développé par Bourdieu (1979, 1980, 1987) mais dans une approche non déterministe et non monolithique (Lahire, 1998, 2004).

De plus, les processus de perception des protagonistes dans les relations interpersonnelles nécessitent de combiner ces deux principaux corpus conceptuels avec plusieurs phénomènes psychosociologiques : au niveau individuel, la dissonance cognitive (Festinger, 1959) dans la ponctuation des séquences des événements par les individus (au sens de Watzlawick et al., 1967‑72); mais aussi par des dynamiques de socialisation (Tajfel, Turner, 1979, 1986) et les forces structurantes des dynamiques de groupe telles que la facilitation sociale ou l’illusion groupale. Enfin, la socialité des comportements interpersonnels ne peut pas être complètement comprise sans intégrer des facteurs contextuels, que nous considérerons à l’aide de la notion de champs, ou « effets de milieu » telle que développée par Bourdieu (1984).

Nous avons conduit plusieurs études de cas approfondies à l’aide de notre modèle et nous présentons dans cet article un résumé très synthétique de trois de ces cas pour montrer comment notre cadre conceptuel permet de donner du sens aux dynamiques conflictuelles[2] : un centre social en France, une institution universitaire au Canada et un centre culturel en Russie. Nous menons ensuite une analyse des cas à partir des indices de chaque dimension de valeur culturelle nationale d’après Hofstede (1994). Le test des dimensions de valeurs culturelles nationales sur chacun des cas amène à conclure que leurs différences postulées par cet auteur ne sont pas des facteurs pertinents en termes analytiques pour la compréhension des dynamiques organisationnelles.

Une problématique communicationnelle des conflits

Une étude de la littérature sur les conflits au travail nous amène à développer une approche complexe de ceux-ci, qui vise à éviter les simplismes et les stéréotypes.

Nous réfutons la double dichotomie individu-organisation et changement radical-incrémental (Burrell, Morgan, 1979, Rojot, 2005). Nous optons pour l’hybridation de paradigmes qui intègre dans le même mouvement l’individu (la subjectivité) et l’organisation (l’objectivité), au sens de l’auto-éco-organisation d’Edgar Morin (2005, 2008, Morin et Le Moigne, 1999). Du point de vue de la subjectivité, nous cherchons à prendre en compte l’internalisation de l’externe : l’intériorisation des contextes dans les comportements actuels des individus (Corcuff, 2011, à partir de remarques méthodologiques de Sartre, 1960). Du point de vue de l’objectivité, nous cherchons à intégrer l’externalisation de l’interne : comment les individus projettent sur leurs environnements la situation relationnelle qu’ils vivent à un moment donné (Wittezaele, 2003).

Pour l’internalisation de l’externe nous utilisons la notion d’habitus de Bourdieu telle que complexifiée par la notion d’homme pluriel de Bernard Lahire (1998, 2004). En ce qui concerne l’externalisation de l’interne, nous nous appuyons sur les concepts des théories systémiques des relations humaines et des communications interpersonnelles de l’école de Palo Alto (notamment, Watzlawick et al, 1972 et Watzlawick et al, 1975).

L’externalisation de l’analyse par les concepts de l’école de Palo Alto : les systèmes de communication interpersonnelle construisent les relations y compris au travail

Une différence fondamentale constitue le coeur de l’analyse des relations interpersonnelles par Watzlawick et al. (1972) : la différence entre l’interaction symétrique et l’interaction complémentaires (Marc, Picard, 2002). Cette distinction est déduite par ces auteurs des propositions de Bateson (1936[3]). Ce cadre d’analyse est particulièrement approprié à l’analyse du management des personnes au travail[4].. Les « règles de la relation » (Watzlawick et al., 1972, p. 133) découlent de ce que « dans toute communication, les partenaires s’offrent mutuellement une définition de leur relation, ou pour dire les choses avec plus de force, chacun d’eux cherche à déterminer la nature de la relation qui les unit. » (Ibidem, nous soulignons).

Dans l’interaction symétrique, la relation est fondée sur l’égalité (relationnelle) : « Les partenaires ont tendance à adopter un comportement en miroir, leur interaction peut donc être dite symétrique. » (idem, p. 66, les auteurs soulignent). Une telle relation n’est pas en soi « harmonieuse » (non conflictuelle). Une situation de compétition peut se développer dans laquelle le comportement symétrique de chaque interlocuteur mène à une surenchère. (Watzlawick et al., (1972), p.66, à partir de Bateson, 1936, et p. 134), une « escalade symétrique » (Idem, p. 105‑106). « Le danger toujours possible d’une relation symétrique, c’est la rivalité. (…) Cette tendance rend compte d’une propriété spécifique de l’interaction symétrique : l’escalade, une fois qu’elle a perdu sa stabilité et que se produit ce qu’on peut appeler un “emballement” du système : scènes et conflits entre les individus, guerres entre les nations. » (Idem, p. 105).

Dans l’interaction complémentaire, la relation est fondée sur la différence : « L’un des partenaires occupe une position qui a été diversement désignée comme supérieure, première ou “haute” (one-up), et l’autre la position correspondante dite inférieure, seconde ou “basse” (one-down). Ces termes sont très commodes à condition qu’on n’en fasse pas des synonymes de “bon” ou “mauvais”, “fort” ou “faible”. » (Ibidem, p. 67). Là aussi, il faut être prudent pour ne pas tomber dans le pur « sociologisme », c’est-à-dire l’explication des comportements des individus à partir des seuls déterminants sociaux (y compris le niveau hiérarchique). Certes, « le contexte social ou culturel fixe dans certains cas une relation complémentaire », mais le cas le plus intéressant est que « ce style de relation peut être spécifique à une dyade déterminée » soulignent Watzlawick et al., (1967-72, p. 67) : c’est dans la relation elle-même que les positions se déterminent (Lemaire, 2010), une relation entre deux personnes de niveaux hiérarchiques inégaux n’est pas forcément complémentaire.

Dans la relation complémentaire, chacun des partenaires peut se positionner en relation haute et cela débouche alors sur un affrontement. Plus encore, un des protagonistes peut refuser la proposition de relation complémentaire elle-même : plus qu’un rejet de l’autre, c’est un déni de la relation complémentaire elle-même (pour continuer de proposer une position symétrique).

L’analyse des relations interpersonnelles par l’école de Palo Alto inclut une autre propriété fondamentale de la communication que nous intégrons dans notre propre canevas conceptuel, la ponctuation de la séquence des faits par chacun des partenaires de la relation (Watzlawick et al., 1972, p.52) : les protagonistes découpent leur communication en items qui peuvent être distingués les uns des autres, et ils les relient entre eux de manière logique. Les découpages sont donc, à priori, différents pour chacun des interlocuteurs. « Le désaccord sur la manière de ponctuer la séquence des faits est à l’origine d’innombrables conflits qui portent sur la relation » (Ibid., p. 54). Ce processus n’est pas sans rappeler celui mis en évidence par Festinger (1957), la dissonance cognitive, et son corrélat, la rationalisation perceptive.

Les modalités de relations interpersonnelles peuvent évoluer de différentes manières. La relation étant un système, elle relève des deux types de changements mis en évidence par les auteurs de Palo Alto (Watzlawick et al., 1975). Ces derniers soulignent la différence entre des « changements de niveau 1 », où la structure du système relationnel reste la même, et des « changements de niveau 2 » où le système relationnel se modifie de manière structurelle. De manière très synthétique « l’un prend place à l’intérieur d’un système donné qui, lui, reste inchangé, l’autre modifie le système lui-même » (Watzlawick et al., 1975 p. 28). Ces modalités de changements ont des conséquences importantes sur les escalades relationnelles.

Les relations interpersonnelles se construisent par intersubjectivité et ainsi elles contribuent à structurer les vies de groupe au travail : c’est ce que nous appelons l’externalisation de l’interne. Ce qui est vécu dans la relation actuelle au sein de chacune des dyades relationnelles (les positionnements relationnels interpersonnels) impacte les comportements des individus dans leur travail, dans leurs manières d’interpréter et d’utiliser les règles formelles, et donc dans leurs performances individuelles et de groupe. Mais les subjectivités des individus sont bien entendu marquées par leurs histoires de vie et les divers facteurs de contextes. Ces éléments sont internalisés dans les subjectivités individuelles, ce que nous appelons à la suite de Corcuff (2011) et de Sartre (1960) l’intériorisation de l’externe. Nous prenons en compte les histoires de vie par le concept d’habitus, et les contextes par le concept de champ.

L’internalisation de l’externe par l’habitus et les champs : histoires de vie et facteurs de contextes contribuent aux subjectivités en relations

Dans une définition des plus globales, l’habitus est un « principe générateur de pratiques objectivement classables et système de classement (principium divisionis) de ces pratiques » (Bourdieu, 1979, p. 190). Ce « principe générateur » est un « système de dispositions durables et transposables, structures structurées prédisposées à fonctionner comme structures structurantes, c’est-à-dire en tant que principes générateurs et organisateurs des pratiques et des représentations » (Bourdieu, 1980, p. 88, nous soulignons), un « système de schèmes acquis fonctionnant à l’état pratique comme catégories de perception et d’appréciation ou comme principes de classement en même temps que comme principes organisateurs de l’action » (Bourdieu, 1987, p. 24, nous soulignons). Ces dispositions sont structurantes, c’est-à-dire qu’elles constituent les manières dont l’individu tend à priori à se comporter dans des types de situation définies. En particulier, les styles de management sont de fait des expressions de ces dispositions.

Ces dispositions sont structurées, c’est-à-dire acquises par l’histoire de l’individu, d’abord au long de sa petite enfance familiale (Habitus primaire), puis de son éducation et sa socialisation scolaire et d’adolescence (habitus secondaire et tertiaire) (Bourdieu, 1984 et 1994 en particulier). Bourdieu indique cependant que ces dispositions sont actualisées dans les différentes situations (ibidem).

Dans notre canevas conceptuel, nous articulons les habitus aux dynamiques relationnelles : comment les dispositions des différents protagonistes sont à la fois des facteurs structurants des relations elles-mêmes (et de leur nature, symétrique ou complémentaire) et sont aussi modifiées par les dynamiques de ces relations.

Les dispositions issues de l’habitus s’expriment non seulement dans les relations interpersonnelles, mais aussi dans ce que Bourdieu appelle des champs. Bourdieu (1994, 2000) définit les champs comme « espaces structurés de positions (ou de postes) dont les propriétés dépendent de leur position dans ces espaces et qui peuvent être analysées indépendamment des caractéristiques de leurs occupants (en partie déterminées par elles). » Les champs de différentes natures définissent donc les positions que peuvent prendre les individus les uns par rapport aux autres. Cependant, comme le dit Bourdieu lui-même, les propriétés des positions dans les champs ne dépendent pas que de la structure du champ considéré, mais aussi des caractéristiques de leurs occupants. D’un point de vue sociologique, il est donc possible d’analyser les positions dans les champs indépendamment des caractéristiques des personnes occupant ces positions, mais d’un point de vue psychosociologique, les positions doivent être analysées aussi en fonction des caractéristiques de ces personnes. Bourdieu a insisté sur deux types de champs, le champ économique et le champ culturel. Pour l’analyse organisationnelle, nous pouvons considérer une liste plus précise de champs (nous les indiquons dans le tableau 2 plus bas).

Nous discutons ici un des champs particuliers propre au management international, le champ (ethno)culturel, du fait que nos cas se situent dans plusieurs pays et que notre étude vise à évaluer l’importance des différences entre cultures nationales.

Un modèle dialectique des relations interpersonnelles en milieu de travail

Notre canevas théorique est donc basé sur ces deux ensembles de concepts, les analyses des relations par l’école de Palo Alto et les habitus et champs au sens de Bourdieu. Ces deux ensembles de processus sont intriqués de manière indissoluble. Cette double approche ne postule pas conscience ou inconscience des acteurs a priori : les individus sont toujours plus ou moins conscients d’une partie des phénomènes en cours (Laflamme, 1995, 2012), mais nous rejetons deux visions extrêmes : celle de l’acteur (sous-entendu, acteur stratégique pleinement conscient); celle du sujet psychologique ou sociologique (sous-entendu, totalement inconscient, et incapable de maîtriser, au moins partiellement, les forces « héritées » de son passé et de ses environnements).

Nous proposons la représentation graphique suivante du coeur de notre canevas conceptuel[5] :

Notre question de recherche globale peut donc s’exprimer ainsi : par quels processus psychosociologiques s’expriment et s’articulent histoire personnelle, récente et de long terme (habitus), facteurs situationnels (contextes –champs), et conscience de soi des personnes dans les relations interpersonnelles de travail et en particulier dans des situations de conflit ?

Nous avons appliqué notre grille conceptuelle résolument interprétativiste sur trois analyses de cas qui présentent des situations très différentes : un centre social en France, une université au Canada, et un organisme culturel[6] en Russie. Nous les présentons brièvement dans les lignes ci-dessous[7] et menons ensuite une analyse comparée de ces cas quant aux cultures nationales.

Figure 1

La complexité des imbrications positionnement relationnel-habitus-champ

La complexité des imbrications positionnement relationnel-habitus-champ

Nota : Si nous indiquons, pour l’individu A, des « actions » (action 1, action2, etc.), c’est pour bien signifier que nous prenons en compte le comportement de cet individu, et non une « personnalité » ou des « dispositions » au sens statique des termes, pour les raisons indiquées ci-dessus. (Nous n’indiquons pas des « actions » pour l’individu B afin de ne pas surcharger le graphique.)

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La Méthodologie de nos études de cas

Nos analyses de cas sont basées principalement sur des séries d’entretiens approfondis avec plusieurs protagonistes dans chaque groupe de travail, autant des « cadres » que des salariés. Chaque série d’entretiens est basée sur un guide d’entretien construit à partir de notre canevas théorique. Ce guide d’entretien constitué d’environ 75 items passe en revue tous les éléments de travail y compris les éléments relationnel, les expériences passées de toutes les personnes, et les dynamiques et histoires de vie (nous tenons à la disposition des lecteurs la présentation de ce guide d’entretien). Pour chaque personne, trois à quatre séquences d’entretiens ont eu lieu, par séquences d’environ deux à quatre heures. Les entretiens ont fait l’objet d’un codage manuel à partir de notre grille théorique. Pour le premier cas (centre social en France), nous avons effectué des entretiens avec cinq animateurs (ceux au centre des conflits), la directrice, deux employées administratives, un consultant en ressources humaines du Centre, et deux membres du Conseil d’administration. Pour le second cas (l’université au Canda), nous avons mené des entretiens avec les deux personnes au coeur du conflit interpersonnel plus une autre personne du service, les deux responsables syndicaux, la/le DRH de l’université, la personne en charge des conflits et complaintes à la DRH de l’Université, le vice-doyen de l’université, cinq enseignants permanents et trois enseignants extérieurs. Enfin, pour le troisième cas (l’organisme culturel en Russie), nous avons mené des entretiens avec le directeur de l’organisme, un directeur artistique (ancien directeur) deux cadres senior, et six employés de l’organisme (deux « administratifs » et quatre acteurs culturels).

Nous avons complété les entretiens par l’accès à de multiples documents internes comme des rapports d’activité ainsi que de nombreuses notes internes, et par un dépouillement systématique de la presse le cas échéant (sources secondaires).

Trois cas dans trois pays et dans des situations variées

Nous présentons rapidement chacun des cas, synthèses d’analyses de cas menées pendant plusieurs années.

Un conflit destructeur dans un centre social en France

Le premier cas est celui du Centre social Meunier[8] en France

C’est un centre important par son rôle et son activité dans une ville moyenne du Nord de la France, dans un quartier populaire. La population est constituée majoritairement de catégories socio-culturelles ouvriers et employés. Les taux de chômage et de bénéficiaires d’aides sociales sont importants, ainsi que la proportion d’enfants et petits-enfants issus de l’immigration nord-africaine (ce que l’on appelle souvent « deuxième » et « troisième » génération). Le Centre a été ouvert sous l’impulsion de l’Etat (à travers son administration d’aide sociale, la CAF, Caisse d’allocations familiales, qui a un rôle important en France).

La directrice, personne principale du conflit analysé ici, assure la direction depuis la construction de ce nouveau Centre social, en 2000. Le Centre a un statut associatif selon la loi française. La direction connaît donc plusieurs interlocuteurs : en plus des relations avec les salariés et les animateurs (dont certains sont bénévoles), et avec les adhérents, elle travaille sous la supervision d’un Conseil d’Administration (CA), et avec son émanation, le bureau. Le CA est élu lors de l’Assemblée Générale (AG) annuelle de l’association, moment important de la vie de l’association.

Un conflit ouvert, collectif et socialisé y apparait en 2014, au terme d’une longue histoire. A ce moment-là, le Centre compte 26 salariés permanents, temps plein ou temps partiel, et une centaine d’intervenants vacataires à temps très partiel. Une proportion significative de salariés permanents a une forte ancienneté, de dix ans ou plus. Les deux-tiers des salariés sont des enfants de familles issues de l’immigration nord-africaine en France. Le nombre d’adhérent au Centre est, en 2014, de 750, qui représentent plus de 300 familles.

Le conflit social final résulte d’une longue histoire, et en particulier de relations difficiles entre la directrice du centre et certains salariés, avec l’un d’entre eux en particulier, Mounir. L’histoire du Centre est ainsi celle d’une montée en puissance de facteurs relationnels conflictuels, dont l’importance et les effets explosifs ne sont pas perçus par la directrice et l’équipe de direction (Bureau du Centre). Le conflit n’apparait, au sens où il est public et socialisé, qu’en 2014 et les événements explosifs se produisent de janvier 2014 à la fin 2015, et aboutissent à la fermeture du centre. De multiples étapes conflictuelles, surtout interpersonnelles, que nous avons analysées en détail, expliquent l’histoire du conflit.

Un conflit interpersonnel qui débouche sur une innovation organisationnelle dans une université au Canada

Le deuxième cas analysé est celui d’une université canadienne, l’université Clémence

C’est une grande université, d’environ 20000 étudiants inscrits, avec plusieurs dizaines d’enseignants permanents, et tout autant d’employés administratifs et en fonctions supports. Dans celle-ci, notre analyse est particulière, car si là aussi les choses ont évolué dans le temps, il y a deux épisodes et deux niveaux. Le premier niveau est celui d’un conflit interpersonnel au sein d’un service particulier, le service communication et des medias sociaux de la bibliothèque, qui comportait une petite dizaine de personnes. Le second niveau concerne les relations entre la direction du syndicat du personnel et le service des Relations humaines de l’université, où le conflit a rebondit à un niveau organisationnel. L’histoire commence par un cas de conflit interpersonnel entre une employée du service de la bibliothèque, Janet, et sa directrice, Eva. Ce conflit aboutit à un double échec dans sa gestion (l’une des protagonistes, Janet, a quitté son poste, et l’autre, Eva, sera finalement forcée de quitter l’université elle-même). Le conflit à ce niveau est typique d’un emballement symétrique relationnel. Les habitus assez similaires des deux protagonistes sont un facteur de l’emballement mais ce cas montre aussi, à l’instar du cas du Centre social français, comment chacune des deux personnes réactualise son habitus dans la relation pour se construire une « cohérence oppositionnelle » envers l’autre. Au « second niveau », ce cas montre comment les relations entre d’autres protagonistes organisationnels, syndicalistes et gestionnaires, notamment du service Ressources Humaines, vont faire évoluer les règles organisationnelles de gestion des conflits et aboutir à un changement de niveau 2 au sens de Watzlawick et al. (1975) et une solution gagnant-gagnant.

L’intérêt de ce cas réside dans les conséquences du conflit relationnel entre Janet et Eva. En effet la non-résolution de leur conflit de manière satisfaisante, tant du point de vue des protagonistes que du point de vue de l’administration de l’Université, va avoir une conséquence plutôt heureuse.

Deux facteurs vont y contribuer. D’abord, le taux important de conflits au travail (griefs) portés devant les tribunaux et que l’université perd presque toujours; mais aussi le changement de présidence (et de vice-présidence) du syndicat des personnels employés. La nouvelle équipe du syndicat va proposer à l’université de changer les modalités de gestion des conflits et en particulier les modalités informelles. La direction de l’Université, en particulier les personnes en charge des Ressources humaines, vont accepter cette proposition et entrer en communication symétrique avec l’équipe de présidence du syndicat. Les pratiques de gestion des conflits à l’Université vont ainsi pouvoir changer en profondeur. Il s’agit d’un réel changement de niveau 2 au sens de Watzlawick et al. (1975). Ainsi donc le conflit entre Eva et Janet, qui avait montré un emballement par des changements de niveau 1 (« toujours plus de la même chose », dixit Watzlawick), a abouti à un changement de niveau 2 mais au niveau organisationnel. Il apparait qu’une relation symétrique peut tout autant déboucher sur une spirale négative (Janet-sa directrice Eva) que positive (syndicalistes-DRH). Ainsi donc ce cas de l’université canadienne montre comment un « échec » dans la gestion d’un conflit interpersonnel aboutit à un « succès » dans le système organisationnel de gestion des conflits.

Des relations interpersonnelles articulées autour de non-dits engendrent un conflit larvé dans un organisme culturel en Russie

Le cas de l’organisme russe montre une configuration complètement différente des deux cas précédents. Mais dans ce cas-là aussi notre canevas d’analyse nous permet d’expliciter les réseaux relationnels ainsi que les multiples interactions de facteurs contextuels. Ce cas se caractérise par un conflit larvé, avec de très fortes tensions sous-jacentes mais qui ne débouchent ni sur une solution constructive, ni sur une socialisation ouvertes du conflit.

Dans cet organisme culturel[9] à l’histoire ancienne, avec un effectif d’une centaine de personnes (administratifs et acteurs culturels), le conflit est déclenché par la nomination par les autorités de tutelle (Ministère) d’un nouveau directeur de l’organisme, M. Potapov. Ce nouveau directeur est très négativement perçu par la plupart des employés du Centre. Sa nomination résulte d’une collusion de type clanique entre des responsables ministériels et certains employés de l’organisme (surtout des cadres à forte ancienneté, des « vieux cadres » à la mode soviétique), et de la stratégie de carrière de ce nouveau directeur. L’opposition conflictuelle de la part de beaucoup d’employés du centre envers le nouveau directeur ne se manifeste pas de manière ouverte et le conflit n’est pas explicite. Les réseaux relationnels très complexes dans l’organisme permettent au nouveau directeur de manipuler beaucoup de responsables administratifs et culturels de l’organisme. Des coalitions implicites de type claniques se forment autour de lui, sur la base de relations complémentaires acceptées. De plus, les employés ont entre eux des relations de symétrie relationnelle avec des emballements (compétition symétrique). Celles-ci les empêchent de former des groupes oppositionnels et ils sont tous isolés les uns des autres dans leurs relations au directeur. Une analyse des différents habitus de plusieurs employés de l’organisme montre que la manière dont ces personnes actualisent leurs passés personnels et professionnels dans la situation présente explique les relations de symétrie relationnelle avec leurs collègues ainsi que leur isolement dans le conflit larvé.

Les trois cas présentent donc chacun des dynamiques conflictuelles très différentes. Malgré ces différences, notre canevas conceptuel nous permet d’expliciter les dynamiques à l’oeuvre pour chacun d’entre eux en montrant leurs spécificités.

Nous présentons ailleurs l’analyse détaillée de ces cas (Besson, Valitova, 2019, 2020). Notre objectif plus précis dans le présent article est de discuter l’impact des différences culturelles nationales entre les trois situations, puisque chaque cas se situe dans un pays différent.

Quel effet des différences culturelles internationales dans nos cas ? Une revue critique des implications supposées des valeurs culturelles selon G. Hofstede

Les trois cas dont nous rendons compte dans cet article connaissent des dissemblances importantes à tous points de vue, tant dans la dynamique que dans les résultats des processus conflictuels. Peut-on expliquer ces spécificités par des différences de type culturel ?

Nous suivons une démarche comparable à celle de la vérification (ou plutôt de l’invalidation) par McSweeney (2016) de l’effet de la distance hiérarchique sur les conflits dans les entreprises, mais non pas sur des données macroéconomiques pour certains pays mais sur des cas dans 3 pays différents.

Dans ce travail comparatif, nous nous limitons à la prise en compte des valeurs culturelles selon Hofstede.

Nous utilisons ici les travaux de Hofstede sur les valeurs d’abord car il est l’auteur culturaliste de référence (Cardon, 2008, Piller, 2011, parmi bien d’autres). D’autres travaux « culturalistes » ont apporté des nuances parfois sensibles (pour les plus significatifs, Trompenaars et Hampden-Turner, 1997, 2008, House et al. 2004, et d’une manière différente, E.T. Hall, 1979, 1984 notamment, voir Besson, Valitova, 2018, 2019). Prendre en compte l’ensemble de ces travaux n’est pas notre objet, et fondamentalement les travaux de Trompenaars et Hampden-Turner (1997, 2008) et de House et al. (2004) sont cohérents avec les approches de Hofstede et ne remettent pas en cause la plupart des écarts dans les dimensions des cultures nationales (la différence entre valeurs culturelles et pratiques culturelles chez House et al., 2004, n’est pas pertinente en ce sens pour notre objet)

Nous prenons en compte les travaux de Hofstede (à partir de Hofstede 1991 principalement) dans la mesure où il propose explicitement les valeurs culturelles comme étant des facteurs explicatifs des comportements des personnes (softwareofthemind). Ses commentaires donnent souvent des exemples précis dans la vie sociale et économique, y compris par des anecdotes, sortes de mini cas dans lesquels il explique des comportements à partir des dimensions culturelles. Hofstede n’a pas remis en cause ses résultats ni leur capacité explicative dans des travaux récents (par exemple, Hofstede, 2016 en réponse à Baskerville, 2013).

Les indices concernant les 4 cultures pour chacune des cinq dimensions des valeurs culturelles selon Hofstede sont indiqués dans le tableau suivant. 

Tableau 1

Caractéristiques des cultures nationales/ethnologiques concernées par nos cas dans le modèle d’Hofstede

Caractéristiques des cultures nationales/ethnologiques concernées par nos cas dans le modèle d’Hofstede
Sources : Hofstede (1980, 1982, 1991)

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Nous passons successivement en revue chacune des cinq dimensions des cultures nationales d’après Hofstede pour discuter de leur capacité explicative des dynamiques conflictuelles et organisationnelles dans et entre chacun de nos trois cas. 

La distance hiérarchique

D’après les données culturalistes de Hofstede, la distance hiérarchique est particulièrement forte dans la culture russe et les cultures arabophones (nord-africaine ?), modérément élevée en France et plutôt faible au Canada (tableau 1). Ceci est-il cohérent avec la dynamique de conflit dans les trois cas pris en compte ici ? La réponse est globalement négative.

Elle est clairement négative dans le cas du centre social en France. Le comportement des animateurs d’origine nord-africaine n’est absolument pas cohérent avec une quelconque distance hiérarchique et un quelconque respect de positions formelles au sein de l’organisation. Les observations et les entretiens croisés montrent que les animateurs dénient la proposition de relation complémentaire faite par la directrice. Ils y opposent une volonté de relation symétrique basée sur leurs compétences professionnelles en manifestant celles-ci comme équivalentes à celles de la directrice. La directrice, française (culture nationale à distance hiérarchique modérément élevée d’après Hofstede), a d’ailleurs entamé ses premières années de direction du centre par l’acceptation de ces relations symétriques, par un style de management participatif. L’habitus et les processus relationnels sont ici bien plus explicatifs des comportements des personnes que leur soi-disant caractéristiques culturelles. Si nous nous basons sur les indices de distance hiérarchique d’après Hofstede, nous sommes ici dans un contre-exemple.

Apparemment le cas de l’organisme culturel russe est cohérent avec une force distance hiérarchique telle que postulée par l’analyse culturaliste, et en contraste le cas canadien est cohérent avec une faible distance hiérarchique. Mais les choses sont plus nuancées et surtout les comportements des personnes ne proviennent pas principalement de déterminants culturels.

Si le directeur Potapov adopte un comportement autoritaire en termes de prises de décisions, et au premier lieu par sa nomination elle-même, il faut noter qu’envers les « vieux cadres » de l’organisme, c’est par une manipulation qu’il crée un clan avec eux autour de lui, basé sur une connivence provenant de leurs habitus respectifs similaires (et de leurs intérêts matériels), et pas en manifestant une autorité hiérarchique univoque. Surtout, dans nos entretiens avec les membres du personnel, aucun respect de type distance hiérarchique culturellement déterminé n’apparaît, bien au contraire. Si les comportements du directeur sont bien des comportements qui manifestent une distance hiérarchique, en aucun cas on ne peut dire que celle-ci n’est culturellement acceptée, c’est-à-dire être une composante des valeurs au sein de l’ensemble du personnel de l’organisme.

Symétriquement la coopération qui se manifeste à l’intérieur de l’université canadiennes relève surtout de considérations pratiques en termes institutionnels et non pas en termes de valeurs. Les syndicalistes sont très critiques par rapport à la direction de l’université. Dans les entretiens ils soulignent le manque de considération et de participation de la part de la direction et le fait qu’ils doivent batailler pour imposer une solution coopérative. Celle-ci n’est pas une donnée, mais le résultat d’un combat. De même toute la pratique de la direction des ressources humaines de l’université tend à relever d’un autoritarisme affirmé. Si finalement il y a une coopération, elle ne provient pas d’une détermination (culturelle) a priori, mais elle est le résultat d’un processus qui commence par un affrontement. Plus que la culture, c’est la mise en place d’une réglementation institutionnelle, dans un cadre légal, qui aboutit à, effectivement, une pratique de faible distance hiérarchique effective.

Nos analyses de cas ne montrent donc pas une influence culturelle univoque d’après les indices culturalistes en ce qui concerne la dimension de distance hiérarchique. Qu’en est-il de l’individualisme versus valeur communautaire ?

Individualisme versus communautarisme

D’après Hofstede la Russie est bien moins individualiste et plus communautaire que la France et le Canada (tableau 1). Nos analyses de cas montrent nettement le contraire. Rien ne montre que dans notre cas russe il y aurait moins d’individualisme que dans les cas français et canadien.

Les personnes de l’organisme russe présentent tous des jeux très personnels, ils sont loin de présenter des caractéristiques communautaires. Il existe certes une structure de clans autour du directeur de l’organisme. Mais d’une part le phénomène clanique n’est pas général dans tout l’organisme culturel russe, d’autre part les clans ne s’expliquent pas d’abord par des caractéristiques culturelles mais par des intérêts personnels et des dynamiques proprement relationnelles. Le plus remarquable dans le cas de l’organisme culturel russe est l’éclatement des membres du personnel dans de multiples stratégies individuelles. Le cas révèle donc une dominance individualiste plutôt que communautaire, à contrario du postulat culturaliste classique sur la culture russe.

Le cas de l’université canadienne montre un phénomène symétrique du cas précédent en ce qui concerne la non-validation de (l’effet de) la dimension culturelle. D’après les données culturalistes la culture canadienne serait bien plus individualiste que la culture russe. Et pourtant dans le cas canadien le développement du conflit montre une coopération effective et réussie entre les syndicalistes et les membres de la DRH du service de gestion des conflits de la direction des ressources humaines. Loin d’une stratégie individualiste on y voit un fonctionnement de type communautaire puisque, d’une part les syndicalistes défendent avec succès l’intérêt bien compris de leurs membres mais aussi l’intérêt globale de l’Université, et d’autre part que les membres de la DRH, entrant en communication symétrique positive avec ces syndicalistes, visent à préserver un fonctionnement institutionnel positif pour toute l’Université.

On peut donc conclure que le cas russe et le cas canadien invalident directement les pronostics issus des caractéristiques culturalistes, surtout par comparaison. Dans une culture communautaire, russe, on constate surtout des stratégies individuelles et à base économique, et dans le cas canadien, dans une culture qui serait individualiste, on constate des jeux collectifs qui aboutissent à une solution institutionnelle positive au conflit.

Dans le cas du Centre culturel français coexistent deux cultures au sens de Hofstede, la culture française plutôt individualiste, et une culture arabe ou en tout cas d’origine nord-africaine, qui serait beaucoup plus communautaire. Mais l’analyse du cas montre que les animateurs d’origine nord-africaine entrent à la fois dans des pratiques de groupe communautaire et des stratégies individuelles très marquées. Ils se revendiquent de leur communauté, mais développent aussi des stratégies individualistes, de manoeuvres toutes personnelles pour développer leur carrière et leurs positions dans le champ de pouvoir et le champ économique du centre social. A contrario, la directrice, si elle manifeste parfois des intérêts personnels (par exemple elle demande une augmentation salariale au moment où le conflit se socialise) montre des comportements surtout marqués par la préoccupation de la survie du Centre et une certaine vision communautaire des intérêts des femmes dans ce Centre.

L’analyse concrète de nos cas ne valide donc pas des pronostics sur les comportements des personnes et des groupes de ces organisations tels qu’ils résulteraient des indices d’orientation individualiste ou communautaire d’après les statistiques de Hofstede.

Contrôle de l’incertitude versus tolérance à l’ambiguïté

Les commentaires de Hofstede et l’exemple qu’il donne (une anecdote concernant les armées britannique et allemande) sur cette dimension de contrôle de l’incertitude dans le travail indiquent, pour un fort degré de contrôle, l’importance des règles, le temps considéré comme une valeur ressource, les « besoins émotionnels » de forte activité au travail, le conformisme, la résistance aux innovations, et le fait que, plus que la réussite, c’est la sécurité, l’estime et l’appartenance qui sont importantes dans la motivation (élément qui se recouvrent aussi avec la dimension individualisme/communautarisme).

Sur cette dimension les écarts entre les cultures canadienne, française, russe et nord-africaine sont aussi relativement importants d’après les index de Hofstede (tableau 1). Les cultures russe et française seraient peu tolérantes à l’ambiguïté, les personnes y rechercheraient un fort contrôle de l’incertitude et seraient plus rétives à l’innovation, alors que la culture canadienne et dans une moindre mesure la culture arabophone (nord-africaine) seraient plus tolérantes à l’incertitude et à l’ambiguïté.

Ce que nous constatons en pratique dans nos cas n’est pas vraiment cohérent avec ces indices. Certes, à première vue il semble que l’organisme culturel russe est soumis à de nombreuses règles, plus que le cas du Centre social en France et que l’université canadienne, ce qui est cohérent avec les pronostics de Hofstede. Mais il s’agit d’une apparence, pour ce qui concerne la dimension proprement culturelle.

En effet, dans le cas russe, ces règles proviennent surtout des aspects réglementaires et bureaucratiques de l’État, et ne sont pas des valeurs culturelles. Ce ne sont pas des valeurs positives en soi, mais des contraintes bureaucratiques qui relèvent de l’organisation ou des niveaux hiérarchiques supérieurs, contraintes vécues de manière très négative par les personnels et même les cadres. Il est difficile de parler d’une imprégnation culturelle de valeurs sur ce point.

Dans le cas du Centre culturel français, par comparaison avec le cas russe (les indices de Hofstede sur cette dimension sont presque identiques pour la Russie et la France), les règles sont bien moins prégnantes - nous constatons donc de fortes différences de pratiques en regard d’indices culturels quasi identiques.

On peut certes remarquer qu’effectivement le respect des règles, du cadre temporel, ainsi que l’implication dans le travail, sont plus importants pour les membres administratifs et la directrice, français, que pour les animateurs qui sont pour la plupart d’origine nord-africaine (d’indice plus faible de contrôle de l’incertitude). Mais on peut souligner que ceci dépend plus de phénomènes liés aux marges d’incertitude des personnes que de quelconques valeurs culturelles. Comme l’ont théorisé Crozier et Friedberg (1977), les personnes en postes de responsabilités en haut de la hiérarchie sont beaucoup plus soumises au respect des règles et ont souvent des implications au travail plus importantes (requises ou volontaires), que les personnes situées plus bas dans les hiérarchies. On constate ici l’effet d’autres champs, au sens de Bourdieu, que d’un effet de valeurs culturelles.

Enfin le cas Canadien est particulièrement intéressant pour cette dimension. D’après les indices de Hofstede, le Canada serait nettement plus faible en contrôle de l’incertitude que la France et la Russie. Or tout le cas de cette université canadienne montre qu’au contraire les règles sont très fortement respectées, et l’ensemble des discussions et des négociations portent justement sur l’affinage précis des règles (fine-tuning), leur précision, leur application effective, etc.

On a donc ici des exemples qui sont en contradiction avec les indices de Hofstede concernant cette dimension de culture nationale. Qu’en est-il pour la quatrième dimension des cultures nationales d’après Hofstede, la dimension féminité-masculinité ?

Féminin/masculin (aplomb et modestie)

Selon Hofstede dans les sociétés masculines le travail serait marqué par un esprit de compétition, par la prise de risque et par le goût du challenge. Les managers devraient faire preuve d’assurance et savoir trancher, leurs attitudes seraient plutôt agressives. L’accent serait mis sur la concurrence et la performance, l’intuition serait refusée et les conflits seraient résolus par l’affrontement et non le consensus.

Les index de Hofstede montrent des différences peu nettes entre les indices concernant la dimension masculinité/féminité entre les quatre cultures que nous considérons ici. Les cultures française et russe sont très proches sur cette dimension d’après Hofstede (indices presque identiques, 43 et 45), et la culture canadienne serait un peu plus masculine (indice de 52), mais les choses sont différentes dans nos cas sur la manière dont le conflit est géré.

Le cas canadien, pour les relations entre syndicalistes et DRH, est celui de la recherche d’un consensus final. Globalement, l’université canadienne est bien plus coopérative, plus « féminine », que les cas français et russe. Dans le cas du centre social en France le conflit devient ouvert et extrêmement violent, typique d’un affrontement. Mais dans ce dernier cas les choses ont commencé d’abord par dynamiques de symétries relationnelles. A l’évidence, ce n’est pas la culture comme telle qui explique l’affrontement final.

Pour le seul cas où il y a présence de cultures plus nettement différenciées sur le plan de la dimension masculinité-féminité d’après Hofstede, le cas du centre social en France, ce qui se produit n’est pas vraiment cohérent avec les pronostics que l’on pourrait tirer des indices culturels de Hofstede (indice de 43 pour la culture française, et de 53 pour la culture arabophone). La directrice, de culture française, et une femme, donc a priori « doublement féminine », prend plusieurs fois des positions très tranchées en termes d’affrontement, notamment des sanctions sur des salariés. Certes elle a commencé par essayer d’instaurer un management participatif… Celui-là même revendiqué par des animateurs nord-africain, qui d’après Hofstede seraient d’une culture plus masculine. Une comparaison détaillée sur le cas de deux animateurs, de « bain culturel » (masculin) identique, avec deux trajectoires de vie comparables, montre qu’ils manifestent pourtant des valeurs et des comportements qui sont très divergents : l’un (Mounir) va constamment développer un comportement très masculin, d’affrontement vindicatif. L’autre (Amin), va constamment rechercher la coopération.

En synthèse globale sur l’ensemble de nos cas, sur cette dimension masculinité féminité aussi, nous pouvons donc doublement conclure, d’une part que les pronostics sur les comportements à partir des index de Hofstede ne sont pas constatés dans nos cas, d’autre part que les éléments comportementaux en termes d’aplomb ou de modestie sont bien mieux expliqués par les dynamiques relationnelles, les histoires personnelles des individus et certains champs tels que les champs de pouvoir ou les contraintes économiques et de relations aux parties prenantes, que par des valeurs culturelles.

Pour terminer ce parcours des influences possibles des dimensions des cultures d’après Hofstede dans nos trois cas, regardons ce qu’il en est de la cinquième dimension, l’orientation long terme/court terme.

Vertu et vérité ou orientation long terme/court terme 

Sur cette dimension, les index provenant des statistiques de Hofstede montrent que les cultures canadienne, française, russe et arabophones se situent plutôt dans l’orientation vers le court terme par rapport aux cultures à orientation vers le long terme qui ont amené Hofstede à prendre cette dimension en compte, les cultures asiatiques et indiennes (indice de 118 pour la Chine). On note cependant un écart assez significatif entre la culture russe à très forte orientation vers le court terme et les cultures française et canadienne un peu moins orientées vers le court terme (Indice de 10 pour la Russie contre 30 et 36 pour la France et le Canada respectivement). C’est la dimension où les propositions de Hofstede sont un peu plus pertinentes pour interpréter le comportement des personnes dans nos cas, à condition de la formuler en termes d’orientation vers le long terme (« orientation temporelle » chez House et al, 2004) plus que d’opposition entre vertu et vérité (titre d’un paragraphe de Hofstede).

Dans le cas canadien, on peut dire que les syndicalistes sont les premiers à adopter une vision coopérative des relations avec la direction de l’université en vue d’une soutenabilité de long terme des rapports sociaux dans cette organisation. Le fait que la direction de l’université entre dans cette coopération semble montrer aussi une orientation vers le long terme plus que la recherche de conflit qui relève d’une vision de court terme.

La directrice du centre social en France manifeste elle aussi une préoccupation de soutenabilité à long terme de la vie du Centre en évitant de laisser faire des comportements déviants des animateurs et en prenant en tant que manager des positions fermes contre ceux-ci. Par contre, les animateurs tendent plutôt à avoir des comportements orientés vers le court terme, liés à des intérêts personnels très particuliers, en étant prêts à mettre en péril l’existence même du centre social pour leur gain politique personnel, ou de prestige social. Ces animateurs de culture arabophone sont donc plus orientés vers le court terme que la directrice, française, ce qui n’est pas cohérent avec les pronostics qui découlent des indices culturels de Hofstede sur cette dimension.

Par contre, le cas de l’organisme culturel russe serait plus en accord avec ces pronostics par comparaison avec les cas Canadiens et français : cette préoccupation du long terme ne semble pas majeure ni parmi les personnels ni pour la direction de cet organisme russe, où sont bien plus déterminants les intérêts personnels de court terme.

Des effets peu significatifs et contradictoires des valeurs culturelles telles que définies par Hofstede

Ce parcours de nos trois cas aboutit à la conclusion que les effets de valeurs culturelles telles que définies par Hofstede ne sont pas significatifs face aux autres processus et dynamiques organisationnels et relationnels. Même en adoptant des visions globales des cas, les conclusions sont en contradiction avec les pronostics que l’on pourrait tirer des index sur les dimensions culturelles de Hofstede. Notre invalidation est convergente, quoique de de manière différente, avec le test macrosocial de McSweeney (2016), et avec les réfutations plus méthodologiques (McSweeney, 2013, Ly, 2013, Fang, 2003) ou conceptuelles (McSweeney 2002, Baskerville, 2003, Tung et Stahl, 2018).

On peut nous objecter que nous nous concentrons sur des petits groupes, et des comportements individuels et interindividuels et que ceci n’est pas ontologiquement compatible avec des analyses macrosociologiques telles que celles que mènent Hofstede et les autres culturalistes. Mais dans ce cas il devient très problématique de considérer que les dimensions des cultures nationales puissent être d’une utilité dans le management des personnes et des groupes au travail : si les analyses culturalistes ne sont pertinentes qu’en termes de moyennes statistiques, à quoi peuvent-elles donc servir pour l’analyse de pratiques managériales concrètes ? De plus, comme le rappel McSweeney (2002, 2013), Hofstede lui-même cite des exemples sur des comportements individuels ou de petits groupes pour illustrer ses résultats statistiques (voir aussi Ly, 2013). Les commentaires de Hofstede sont très explicites sur ce point : les valeurs, selon lui, expliquent aussi les comportements des personnes, et pas seulement des groupes.

À tout le moins on peut dire que dans le cas de pratiques managériales concrètes, il est au moins nécessaire d’être très prudent dans le maniement des stéréotypes culturels et que beaucoup d’autres facteurs sont bien plus pertinents pour (l’analyse de) la pratique managériale au quotidien dans les organisations -et tout autant pour son analyse dans des travaux de recherche. Pour ce qui est de notre objet, les différences internationales dans le management, on peut souligner que ces grands panoramas stéréotypés[10] ne sont pas pertinents pour l’analyse, et encore moins pour les pratiques, de management des hommes dans les unités de travail[11]. De plus, d’un point de vue concret les contraintes que posent certains champs au sens de Bourdieu sont bien plus effectives que les valeurs culturelles. Nous en avons esquissé l’utilisation dans l’analyse de nos cas, nous en montrons un résumé dans le tableau 2, page suivante.

Pour montrer les effets de ces autres éléments de champs et surtout l’effet des processus relationnels et d’habitus, il serait nécessaire de développer en détail chacun des cas[12] ce qui n’est pas l’objet de cet article.

Une autre objection que l’on peut faire à notre étude de ces trois cas est que ce ne sont pas des cas d’entreprise, et de plus, nos trois organisations sont différentes en termes de taille. Mais nous sommes bien dans le cas d’organisations productives, quand bien même de productions non marchandes, et nous analysons des comportements professionnels dans des milieux de travail. Les propositions de Hofstede (et des autres culturalistes) devraient donc s’y appliquer. De même, la taille des organisations est un facteur que nous prenons en compte du point de vue de la communication et des relations entre les personnels des organisations et avec leurs managers -et non en termes de variable isolée[13] (cf. La critique du « variable paradigm » par Pettigrew et al., 2001).

L’université Canadienne telle que nous la décrivons aurait finalement pu être une université dans le sud de la France et l’organisme culturel russe un théâtre dans le nord de la France (nous n’avons pas testé les effets climatiques de froid intense en hiver et de grosses chaleurs en été dans le cas de cette université canadienne, ni sur le cas russe : après tout, c’est un autre élément de similarité)… C’est effectivement la conclusion à laquelle nous pouvons arriver, à partir d’analyses concrètes de cas réels.

Quelles que soient les implantations nationales, un certain nombre d’éléments fondamentaux se produisent dans les relations interpersonnelles au travail et ils relèvent de structures générales qu’il est tout à fait possible d’utiliser de manière transculturelle. C’est une question centrale dans les débats ethnologiques depuis plus d’un siècle. Les différences culturelles vont-elles au-delà de certaines particularités dont on peut se demander si elles ne sont pas superficielles ?

Conclusion : Cultures nationales et dynamiques organisationnelles : nos cas ne valident pas les implications des indices concernant les dimensions de valeurs culturelles d’après Hofstede

Les analyses de cas, non décrites en détail ici (voir Besson, Valitova, 2018, 2020, ainsi qu’un article dans ce même dossier spécial) montrent que les conflits au travail nécessitent pour être compris la description fine des articulations entre histoire personnelle (habitus), facteurs situationnels (champs), et positionnements relatifs des personnes dans les relations interpersonnelles de travail.

Le principal résultat de nos analyses, en ce qui concerne le management international se décline en deux points. Les structurations relationnelles (et, partant, conflictuelles) sont structurellement comparables dans chaque cas dans la manière dont les organisations sont gérées. Les différences dans les cas relèvent plus des dynamiques locales et processus institutionnels spécifiques que de caractères sociologiques généraux et en particulier des caractères culturels nationaux.

Nous avons parcouru nos cas à partir des cinq dimensions de valeurs culturelles internationales selon Hofstede. Pour chacune des dimensions, dans chacun des cas, nous constatons que les comportements des personnes sont bien peu éclairés par les pronostics découlant des indices nationaux provenant des résultats de Hofstede. Les comparaisons entre les cas au niveau de leur caractérisation d’ensemble ne sont pas cohérentes avec les classifications de Hofstede.

Tableau 2

Impact des catégories d’analyse sur chaque cas

Impact des catégories d’analyse sur chaque cas

Nota 1 : dans ce tableau est indiqué le degré d’importance de chaque élément d’analyse, et non le « sens » de son effet (positif ou négatif) sur la résolution de conflit.

Nota 2 : pour le cas canadien, nous prenons en compte surtout le second temps du conflit, celui au niveau des relations entre les syndicalistes et les personnes du service Ressources humaines, et non le conflit entre Janet et sa directrice de service.

Nota 3 : Bourdieu ne constitue pas de listes systématiques de champs. Néanmoins, à travers les nombreux exemples données par Bourdieu et en suivant une logique organisationnelle, une liste de champs génériques peut être envisagée, que nous reprenons dans ce tableau.

-> See the list of tables

La divergence est très nette pour la distance hiérarchique : d’après les indices de Hofstede, la distance hiérarchique est particulièrement forte dans la culture russe et les cultures arabophones (dont nord-africaine), modérément élevée en France et plutôt faible au Canada. Mais le cas du centre social en France montre des comportements des personnes (animateurs nord-africains et direction et équipe administrative françaises) à l’inverse de cette hiérarchie de valeurs d’après Hofstede. Pour les cas russes et canadiens, les entretiens avec les protagonistes montrent de manière similaire que dans les deux cas, y compris russe, les individus n’incorporent pas de manière positive la distance hiérarchique en tant que valeur. A moins de confondre intériorisation d’une valeur culturelle avec des comportements d’obéissances, contraints et forcés, ces cas ne valident pas non plus les différences d’après Hofstede.

En ce qui concerne la dimension « Individualisme versus communautarisme », d’après Hofstede la Russie est bien moins individualiste que la France et le Canada. Nos analyses de cas montrent que ceci n’est pas pertinent : rien ne montre que dans notre cas russe il y aurait moins d’individualisme que dans les cas français et canadien. Les personnels de l’organisme culturel russe adoptent surtout des stratégies individuelles et à base économique, et dans le cas canadien, dans une culture qui serait individualiste, on constate des jeux collectifs qui aboutissent à une solution institutionnelle positive au conflit. De même, dans le centre culturel en France, les animateurs d’origine nord-africaine manifestent tout autant, et souvent plus, de comportements individualistes que les membres français de la direction et du personnel administratif du Centre.

En ce qui concerne la dimension de Contrôle de l’incertitude versus tolérance à l’ambiguïté, d’après les données de Hofstede les cultures russe et française seraient peu tolérantes à l’ambiguïté, les personnes y rechercheraient un fort contrôle de l’incertitude par le respect des règles, alors que la culture canadienne et dans une moindre mesure la culture arabophone (nord-africaine) seraient plus tolérantes à l’incertitude et à l’ambiguïté. Ce que nous constatons en pratique dans nos cas n’est pas cohérent avec ce que laisse pronostiquer les données de Hofstede. Le respect des règles n’est pas une valeur culturelle dans nos cas en Russie et en France. Au contraire, le cas canadien montre un fort attachement, presque moral, aux respects des règles. Les attitudes face aux innovations, autre implication de cette dimension selon Hofstede, ne sont pas faibles dans notre cas russe, ainsi que pour les animateurs nord-africains du Centre social en France, à contrario de ce que devraient impliquer les indices de Hofstede.

Les index de Hofstede concernant la dimension masculinité/féminité montrent des différences peu nettes entre les quatre cultures que nous considérons ici, les cultures arabophones et canadienne seraient un peu plus masculines que les cultures française et russe, très proches l’une de l’autre. Pris globalement, nos cas ne « respectent » pas les différences culturelles d’après Hofstede. Le cas canadien montre une coopération effective entre les protagonistes, signe plutôt « féminin ». Le cas russe dévoile un conflit larvé, avec un compromis (certes tendu), donc plutôt féminin, mais chacun(e) des protagonistes est très « masculin » dans son assurance et son aplomb. Dans le cas du centre social en France, de culture plus féminine qu’au Canada et d’indice comparable à la Russie dans les données de Hofstede, le conflit devient ouvert et extrêmement violent, typique d’un affrontement « masculin ». Une analyse de détail (non plus globale) du cas en France, où coexistent deux cultures, montre que les comportements des personnes ne sont pas discriminés par leur culture d’origine, et surtout, que ce sont les dynamiques relationnelles et les effets d’habitus qui expliquent les comportements des protagonistes.

Enfin, la cinquième dimension, si elle est interprétée en termes d’orientation temporelle, plus que de différence entre « vertu et vérité », est celle dans laquelle les indices de Hofstede sont les moins incohérents avec ce que l’on constate des comportements des personnes dans nos cas. Les préoccupations de long terme semblent effectivement plus présentes dans les cas français et canadien, d’indices « long terme » un peu plus élevés, que dans l’organisme culturel russe, de forte orientation court terme. Cependant, dans le cas du centre culturel en France, les différences de comportements entre la direction, française, et les animateurs nord-africains sont peu cohérentes avec les données de Hofstede (si nous assimilons la culture nord-africaine avec les cultures arabophones).

Notre conclusion finale est la faible valeur explicative des écarts de valeurs culturelles nationales sur les différences de dynamiques organisationnelles entre ces cas. Ces facteurs culturels sont inopérants en tant que de prédicteurs de comportements. Surtout, ils sont de peu de portée explicative par rapport aux éléments relationnels, d’habitus et même de champs. Nous questionnons donc l’importance donnée, dans nombre de travaux sur le management international et interculturel, aux différences culturelles nationales dans le management des personnes dans les organisations.

Notre propos doit rester nuancé. Nous avons mentionné plus haut certaines limites, ou du moins des pistes d’approfondissement, dans cette comparaison internationale. D’un point de vue méthodologique, les travaux des culturalistes relèvent de travaux sur des grands groupes, de nature statistique, alors que nous les testons sur des cas concrets. Cependant, Hofstede lui-même (et cela se retrouve chez les autres culturalistes) postule que ses résultats ont des effets sur le management des personnes au travail, ce qui légitime que nous les testions sur ces cas concrets. Par ailleurs, si ces travaux ne concernent que des grands groupes d’individus, ils sont alors d’une portée limitée dans le management des personnes au travail.

De manière plus circonstancielle, nos trois cas concernent des organisations non marchandes. Mais il s’agit bien d’organisations productives[14] quand bien même de productions non marchandes, et nous analysons des comportements professionnels dans des milieux de travail. Les propositions de Hofstede (et des autres culturalistes) devraient donc s’y appliquer. Une limite plus pertinente à prendre en compte concerne la taille des organisations de nos cas. La taille des organisations est un facteur à prendre en compte, comme les autres éléments, au niveau des dynamiques relationnelles, des phénomènes psychosociologiques comme des effets de champ au sens de Bourdieu. Cet article ne se donnait pas comme objet de présenter l’analyse détaillée, complète, de nos trois cas (ces analyses sont présentées par ailleurs, voir Besson, Valitova, et pour le cas du centre culturel en France, dans un autre article de ce dossier spécial).

Nos études de terrain nous amènent à postuler l’usage, en tant que catégories analytiques, et non comme pronostics ou prescripteurs de comportements spécifiques, des phénomènes de nature proprement relationnelle, des effets des histoires personnelles (de l’enfance aux expériences professionnelles les plus récentes) réactualisées dans les relations actuelles des personnes, et des différents types de champs existants - que l’on peut certes caractériser de manière sociologique mais dont les « effets » passent toujours par des incarnations spécifiques au(x) moment(s) présent(s) (Watzlawick et al., 1967). En comparaison, les écarts culturels nationaux, au sens des valeurs culturelles mesurées de manière statistique, d’après Hofstede et d’autres culturalistes, apparaissent analytiquement bien peu utiles et conceptuellement peu pertinents.