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L’approche la plus classique de l’immatériel dans l’entreprise (Lévy et Jouyet, 2007) consiste à considérer qu’existent, au sein du périmètre patrimonial de la firme, des ressources intangibles qui peuvent être considérées comme des actifs gérables. La reconnaissance et l’éventuelle valorisation de ces actifs dépendent de l’état du droit pour ce qui est des brevets et des marques. Elles dépendent de conventions ou de pratiques managériales pour ce qui est de la culture d’entreprise, des routines organisationnelles et des connaissances spécifiques (Dubois et Dupuy, 2007). La firme doit exercer un contrôle exclusif sur ces actifs immatériels afin de les activer comme autant de sources d’avantages compétitifs (Barney, 1991). Le contrôle exclusif des immatériels qu’ils soient relatifs à la coordination des ressources (routines) à la mobilisation des acteurs (culture) ou au produit lui-même (une identité matérialisée par une marque) permet aux responsables de la firme de pouvoir espérer définir et piloter la qualité de leurs productions de biens ou de services.

Du côté de la demande c’est la difficulté à matérialiser la qualité des produits (Akerlof, 1970) et plus encore la qualité des services qui retient l’attention des chercheurs et fait se poser à l’entreprise la question de sa signalisation ou de sa matérialisation. Incertaines pour l’acheteur potentiel, les qualités intrinsèques des biens et des services sont d’abord, pour lui, de l’ordre de la conviction intime. Elles transparaissent à travers des croyances, des jugements a priori, des anticipations. Lorsqu’il est mieux informé, par l’expérience ou par la puissance d’un signe, l’acheteur peut réviser ses croyances, attribuer une nouvelle valeur aux biens ou aux services et exprimer un consentement à payer à moindre risque ressenti. La valeur estimée par l’acheteur potentiel, qu’elle le soit sur une base purement individuelle ou de façon plus collective (Orléan, 2011) reste de l’ordre du jugement. Elle est une convention, une croyance qui peut être révisée par la perception d’un signal, un immatériel donc, que l’offreur peut espérer influencer par la matérialisation des qualités distinctives de son offre.

La question de l’immatériel peut donc être posée de deux manières. Au sein de la firme il s’agit de piloter des ressources intangibles pour obtenir un niveau de qualité. Sur le marché il s’agit de matérialiser la part intangible ou imperceptible de la qualité afin d’accroître la valeur perçue du produit ou du service. Les deux questions sont étroitement liées. La marque, attribut propriétaire exclusivement contrôlé en est la meilleure illustration (Kapferer, 2007; Keller, 2008). Elle impose en interne une maîtrise stratégique, une cohérence des choix, dont l’effectivité se vérifie sur le marché par l’expression d’un consentement à payer. Bien maîtrisée en interne, elle incarne la qualité en externe. Pour un signal moins maîtrisé comme un label dont il est question ici, la signalisation de la qualité est le fait d’une instance tierce supposée crédible.

Nous posons dans une première partie la problématique générale de la signalisation de la dimension immatérielle de la qualité avant de mettre l’accent en deuxième partie sur le rôle des labels comme support de sa matérialisation. Dans un troisième temps nous présentons une expérimentation portant sur la révélation des variations du consentement à payer en présence d’un label qui, généralement associé à une marque, vient en renforcer ou en diminuer les effets de signalisation.

Immatérialité, asymétrie d’information et signalisation de la qualité

Loin de considérer toujours les biens échangés comme homogènes (Debreu, 1965) la pensée économique a très tôt conçu la qualité comme une variable stratégique de différenciation et sa matérialisation comme une problématique centrale en situation d’échange marchand (Chamberlin, 1933, 1953). Les sciences de gestion ont approfondi cette vision en insistant d’une part sur le fait que l’échange ne pouvait naître de la seule information contenue dans le prix et d’autre part que l’information sur la qualité (ou les qualités) ne pouvait être considérée toujours comme symétriquement partagée. Les asymétries d’informations constatées entre un acheteur qui connait mal la qualité d’un bien et un offreur qui la connait bien mieux, peuvent remettre en cause le bon fonctionnement voire l’existence même d’un marché. Cette situation de défaillance potentielle du marché est mise en lumière dès l’article séminal d’Akerlof : « the market for lemons » (1970). La difficile estimation de la qualité par l’acheteur (Kirmani et Rao, 2000) en l’absence d’éléments permettant sa matérialisation se comprend mieux en distinguant les biens de recherche des biens d’expérience et des biens de croyance (Darby et Karni, 1973; Nelson, 1970). Lancaster (1966) en définissant un bien en fonction des caractéristiques ou attributs matériels et immatériels qui le composent, apporte une contribution majeure à cette vision des marchés comme lieu de recherche et de manipulation stratégique d’une information relative à la qualité. La sociologie économique analyse de façon complémentaire les mécanismes sociaux de construction des marchés et les conditions concrètes de coordination des acteurs. Le marché y est considéré comme le résultat de constructions sociales volontaires, une institution située plutôt qu’une abstraction. Ainsi : « Les marchés sont des dispositifs collectifs qui permettent d’atteindre des compromis, non seulement sur la nature des biens à produire et à distribuer, mais aussi sur la valeur à leur attribuer » (Callon et Muniesa, 2003, p.191). C’est sur cette conception que peut être construite une « économie des singularités » (Karpik, 2007). Selon les spécificités des marchés et en fonction des niveaux d’incertitude et de complexité qui les caractérisent, le recours au tiers s’impose plus ou moins. Citons parmi les traits distinctifs des marchés les plus à même de jouer sur la nécessité du recours à un tiers : la difficulté d’estimer la qualité d’un produit (biens ou attributs d’expérience et de croyance), l’évolution rapide du marché, le fort contenu technologique des produits, la complexité cognitive de l’offre (prestation médicale par exemple) ou encore un coût d’information élevé et un prix qui ne serait pas un indicateur crédible de qualité (Hatchuel, 1995). 

L’absence d’éléments matériels de validation ou autrement formulé le fait que le niveau de certaines des qualités du bien ou du service concerné soit simplement supputé par l’une des parties à l’échange se concrétise par l’anticipation de deux types de risque : le risque moral ou risque de comportement opportuniste (Arrow, 1968) et le risque de sélection adverse (Akerlof, 1970) ou risque d’antisélection (McCain, 1980). L’immatérialité est donc, et bien au-delà des situations marchandes, une source importante de difficultés lorsque deux parties cherchent à s’accorder. L’un peut supposer que l’autre va le tromper (risque moral) en ne tenant pas sa promesse ou qu’il est déjà en train de le faire en lui proposant un bien ou une prestation de peu de qualité (sélection adverse).

La nécessaire matérialisation-signalisation de la qualité

De l’ordre de l’immatériel pour l’acheteur, avant l’achat et l’expérience qui lui succède, les qualités intrinsèques du produit ou du service, leur capacité à procurer du plaisir et à satisfaire un acheteur, sont cependant partiellement accessibles par des expérimentations (démonstrations, essais, échantillons) ou des signalisations (marques, labels, certificats, normes). Les possibilités de signalisation de la qualité sont nombreuses : marque, investissements publicitaires, prix, réputation, garantie, apparence physique. Un nom de marque est un signal de qualité (Rao, Lu et Ruekert, 1999). Le prix, est un signal de qualité (Milgrom et Roberts, 1986) même si son efficacité est parfois remise en cause (Gerstner, 1985; Tellis et Wernerfelt, 1987). Selon Sirieix (1999, p.53), il est possible de classer les indicateurs de qualité en deux catégories : les indicateurs intrinsèques de qualité (apparence, couleur, forme, taille, structure) et les indicateurs extrinsèques (prix, marque, pays d’origine, magasin, information nutritionnelle et sur la fabrication) pour ce qui est du domaine des produits alimentaires.

L’existence et le développement des marchés, la discipline de la concurrence, le contrôle des fraudes, l’information du consommateur et sa protection sur le plan sanitaire sont les enjeux anciens de l’établissement des normes de qualité et de régulation de sa signalisation (Stanziani, 2005). La normalisation vise à réduire partiellement par la règle l’asymétrie de l’information relative à la qualité. Elle fixe un cadre partagé qui réduit l’incertitude liée aux transactions et les risques ressentis par celui qui est en situation d’être le moins bien informé de la qualité du produit et des intentions de son interlocuteur. Dans cette logique de normalisation, les fraudes et falsifications sont à l’origine en France du premier texte de loi le 1er août 1905 qui stipule que les produits, biens ou services, donnant lieu à des échanges commerciaux doivent répondre à un certain nombre d’exigences longtemps résumées par les trois qualificatifs « sain, loyal et marchand »[1]. Le respect de cette loi est confié au service de la répression des fraudes créé en 1907 qui deviendra la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Dans la même logique d’instauration d’un commerce loyal, certains produits comme les vins de champagne bénéficient dès 1911 d’une protection spécifique[2]. C’est en 1919, qu’est votée la loi concernant les appellations d’origine[3] pour les vins qui plus tard deviendront les AOC : Appellations d’Origine Contrôlées[4] (Fasquelle, 2011). Sont ainsi prises en compte les modalités de culture, l’énumération limitative des cépages autorisés, le taux d’alcool dans le vin final, mais aussi des spécificités liées au terroir, la nature étant considérée comme coproductrice du produit. Le processus de normalisation se développe avec la mise en place en 1926 de l’Association française de normalisation (AFNOR)[5] et la création du label NF[6], réellement officialisé en 1956. En 1994 est créé le Comité français d’accréditation (COFRAC) avec pour mission d’accréditer ceux qui normalisent[7]. En 2011, le rapport de l’ISO (International standardization organization) précise qu’il existe près de 700 000 normes et règlements techniques dans le monde[8] et le Comité européen de normalisation publie 2000 nouvelles normes chaque année[9]. Le consommateur est à l’origine absent du modèle. Il ne sera intégré dans ce processus que plus tard et parce qu’il justifie et permet de cautionner, en quelque sorte, les instances certificatrices intermédiaires. L’AFNOR se réjouit ainsi en 1966 de la création de l’Institut national de la consommation[10] : « Ce que nous attendons de l’Institut national de la consommation, c’est qu’il dirige sur nous une nouvelle pléiade de rapporteurs qui nous aident à nourrir nos normes » (Frontard, 1953). Cette logique perdure, ainsi certains chercheurs soulignent le fait que les certificateurs peuvent avoir tendance à utiliser les arguments relatifs à la protection de l’environnement et à l’éthique, très en vogue aujourd’hui, pour justifier et faire cautionner leur actions (Ben Youssef, Grolleau et Jebsi, 2005). La mise aux normes de la qualité des produits alimentaires correspond pour ses initiateurs à une volonté de protection du consommateur, elle doit pousser les producteurs à produire une qualité normée et garantir au consommateur un achat à risque réduit.

La réduction des risques perçus par l’acheteur potentiel est au coeur de la question de la normalisation. Risque de défectuosité, risque d’ineffectivité, risque d’insatisfaction, risque de perte de temps sont autant de variantes de l’anticipation d’une non-qualité susceptible de freiner l’intention d’achat et de réduire le consentement à payer (Kaplan, Szybillo et Jacoby, 1974; Roselius, 1971; Stone et Gronhaug, 1993). La nécessité de réduire le risque perçu est accrue pour les biens et ou attributs d’expérience et de croyance. Un label peut permettre de réduire les risques ressentis dans un contexte d’insécurité comme cela a été le cas lors de la crise alimentaire de la vache folle laquelle a entrainé un regain d’intérêt pour les signes de réassurance (Rochefort, 1997). Cela est confirmé par exemple par des travaux sur le label kasher : « Un tel label correspond de fait, fonctionnellement, à un signal de marché réduisant l’incertitude des consommateurs quant aux caractéristiques des produits. Cette démarche contribue à l’utilité espérée du consommateur en diminuant son risque perçu (en première instance, aux plans physique et de performance) en diminuant les coûts liés à la recherche et au traitement des informations permettant de réduire l’incertitude; en créant des perceptions favorables à l’égard des attributs des produits offerts » (Robert-Demontrond, 2009, p.25).

Le label comme élément de signalisation de « l’immatériel qualité »

A la logique de la normalisation et de la réduction du risque perçu vient très tôt se surajouter de la part des firmes une volonté de distinction qualitative. Celle-ci passe par la marque mais aussi par les récompenses, les classements, les prix et les labels. L’influence des situations et des stratégies de concurrence monopolistiques est perceptible au sein même des discours des institutions en charge de la labellisation : « Que jamais on n’abandonne cette politique de qualité. Nous ne sommes pas faits pour la fabrication standardisée. Non ! Nous sommes imbattables sur le plan des éléments pour lesquels l’artisan devient un artiste. La qualité est le propre du génie français » (propos du Baron Pierre Le Roy de Boiseaumarié[11]).

Dans cette logique de distinction par la qualité, le premier concours récompensant les « meilleurs » produits agricoles par une médaille d’or, d’argent ou de bronze est organisé en 1870[12] près de cinquante ans avant l’instauration de la première Appellation d’Origine Contrôlée. L’organisation de la première « exposition des produits de l’industrie nationale » a lieu à Paris le 15 septembre 1798, douze distinctions sont alors décernées (Redondi, 1988). Les distinctions et prix se développent fortement au cours du XXème siècle, citons le Prix Goncourt crée en 1903, puis le prix Femina en 1904 et plus d’une centaine de prix à aujourd’hui en matière littéraire.

Compétition, certification, labellisation, garantie, signes de qualité, normes. Au-delà des modalités de la distinction et de la variété des vocables, il s’agit de distinguer le produit par l’attribution extérieure d’un élément matérialisant de façon peu contestable sa qualité supposée. Le terme label n’étant plus, en France, défini sur un plan juridique, nous proposons la définition suivante : « le label est un signe non-propriétaire qui désigne un produit ou service comme appartenant à un espace de référence distinctif choisi. Il formalise l’évaluation et la caution d’un tiers de confiance sur l’une des dimensions du produit/service et/ou sur la façon de l’apprécier et ce conformément à un cahier des charges » (Chameroy, 2013). Cette définition situe le label en tant que matérialisation d’une qualité et permet d’introduire le tiers de confiance, sa mission et la matérialisation de son action.

Le label, un attribut de club

Le label peut être considéré comme un signal garantissant, en le matérialisant, un certain niveau de qualité au consommateur mais il est un attribut non exclusif (plusieurs concurrents peuvent avoir un label en commun) et non propriétaire (aucun des concurrents n’a la maitrise exclusive de l’attribution du label). Il est partagé par les membres d’un « club » (Torre, 2002) dont certains offreurs sont exclus car ne répondant pas au cahier des charges imposé par l’institution en charge de son administration. Ceux qui en bénéficient sont dans un système de rivalité partielle car au final en concurrence sur un même marché. Le label se distingue ainsi de la marque en tant que forme impure, forcément partagée, d’appropriation d’une distinction.

Il possède cependant un avantage potentiel sur la marque en tant qu’information extérieure échappant à l’influence du producteur. Les travaux réalisés sur les sources d’information accessibles aux acheteurs potentiels montrent que plus une source apparaît comme extérieure à la marque et dénuée d’intérêt commercial ou de connivence avec les offreurs plus elle est crédible (Eisend et Küster, 2011; Parkinson, 1975). Ceci positionne le label, sous réserve d’une véritable non exclusivité, comme une source d’information pertinente ayant plus de crédibilité qu’une information produite par une source intéressée (Larceneux, 2003; Swaen et Vanhamme, 2005).

La littérature montre qu’une source perçue comme crédible sera, à message équivalent, plus persuasive et donc plus efficace qu’une source perçue comme l’étant moins (Hovland et Weiss, 1951). Eisend (2002) définit la crédibilité comme une qualité perçue : « la crédibilité correspond à ce qu’une personne perçoit comme véridique d’une information ». Deux dimensions sont au coeur de la crédibilité : l’expertise et l’impartialité (Eisend, 2004) qui sont des caractéristiques fondamentales des tiers de confiance (Parkinson, 1975) impliqués dans la facilitation des transactions et dans la réduction du risque de défaillance des marchés. Le label comme émanation d’un tiers de confiance est un signal souvent jugé crédible par les consommateurs (Kamins et Marks, 1991; Laric et Sarel, 1981; Lirtzman et Shuv-Ami, 1986; Parkinson, 1975).

En conformité avec la théorie du signal, le label peut influencer le processus décisionnel du consommateur en lui apportant une information sur la qualité d’un produit. Le label contribue à transformer des attributs d’expérience et de croyance en attribut de quasi-recherche (Caswell, 1998; Jahn, Schramm et Spiller, 2005; Karstens et Belz, 2006). La qualité biologique d’un produit ne peut être estimée par le consommateur, le label le renseigne et lui permet, avant l’achat, d’en avoir une certaine connaissance.

Il est également possible d’estimer que les caractéristiques du label puissent être transférées à la marque ou au produit auquel il est associé par effet de halo. Celui-ci est défini comme : « la contagion des jugements concernant les différentes caractéristiques d’un individu par un halo appartenant globalement à cet individu » (Thorndike, 1920). Cet effet de halo est étudié dans les cas d’extension de marque (Cegarra et Merunka, 1993; Tafani, Michel et Rosa, 2009) ou en matière de perception d’étiquetage nutritionnel (Chandon, 2012; Chandon et Wansink, 2007).

Effets généraux et relatifs des labels comme signaux de qualité

Le travail de Parkinson (1975) constitue une bonne introduction à la problématique des effets relatifs des différents niveaux de signalisation de la qualité. Parkinson teste trois types de recommandations sur quatre catégories de produits. La première recommandation est concrétisée par un label émis par une tierce partie, la deuxième par un logo symbole d’une marque ingrédient[13], la troisième recommandation s’appuie sur un label fictif. Les effets de ces trois recommandations sont testés et comparés à une situation sans recommandation où donc la matérialisation de la qualité n’est facilitée par l’existence d’aucun signe particulier. Dans 75 % les cas les produits avec labels sont choisis de préférence à ceux ne portant pas de labels. Les labels provenant d’une tierce partie sont majoritairement sélectionnés sauf dans une catégorie de produit (les vêtements) ou l’association avec une marque ingrédient est préférée, résultat attribué par Parkinson à la forte notoriété de la marque ingrédient choisie. Dans une catégorie (bouilloire électrique), l’option avec le label fictif est préférée à l’option sans label. Ce travail fondateur, aux résultats plusieurs fois confirmés, permet d’écrire que la confiance accordée au label a une influence sur la qualité perçue et l’intention d’achat.

Les labels peuvent agir comme des réducteurs de risque dans le domaine alimentaire (Pichon, 2006). Les travaux de Robert-Demontrond (2009) sur la labellisation « kasher » le confirment en soulignant que ce signal contribue à l’utilité espérée du consommateur en diminuant son risque perçu (au plan physique et au plan de sa performance). Le label, à l’opposé d’une simple promesse commerciale, influence de manière positive trois dimensions immatérielles de l’intention d’achat, souvent traitées comme des variables médiatrices : la qualité perçue, l’unicité perçue, l’estime accordée au producteur (Larceneux, 2003).

Les labels peuvent agir plus profondément, matérialisant des éléments plus immatériels encore que la qualité elle-même, et véhiculer certaines valeurs symboliques associée à la consommation. C’est le cas des labels « AB, kasher » (Giraud, 2001; Grunert, Juhl et Poulsen, 2001; Robert-Demontrond, 2009; Tagbata et Sirieix, 2008) qui modifient l’appréciation gustative et nutritionnelle lorsque mentionnés et pour le label « kasher » qui est évocateur d’univers religieux, d’aliments « sacralisés ». Ils peuvent également correspondre à un acte engagé et citoyen (Thogersen, 2000).

Effets des labels sur le consentement à payer

Le label peut produire un consentement à payer plus élevé, en général défini comme le prix maximum qu’un acheteur consent à payer pour une quantité donnée d’un bien ou d’un service (Kalish et Nelson, 1991; Le Gall-Ely, 2009; Wertenbroch et Skiera, 2002). Il se différencie de l’intention d’achat qui peut être définie comme la déclaration d’un jugement sur une probabilité d’achat (Juster, 1966). L’effet du consentement à payer a été mesuré pour différents labels et notamment pour les labels « bio » et/ou « commerce équitable » (Canavari, Nocella et Scarpa, 2005; De Pelsmacker, Driesen et Rayp, 2005; Krystallis et Kryssohoidis, 2005; Loureiro et Lotade, 2005; Tagbata, 2006). Les effets sont principalement mesurés par la méthode de l’analyse conjointe (De Pelsmacker, Driesen et Rayp, 2005; Duong, 2006; Fotopoulos et Krystallis, 2003; Grunert, Juhl et Poulsen, 2001). Mais les résultats sont très différents suivant les catégories de produit.

L’effet de signalisation de « l’immatériel qualité » peut être modéré par le nombre de labels apposés sur le produit (Tagbata et Sirieix, 2008) et par la congruence du label avec la marque à laquelle il est associé (Aurier et Fort, 2005).

Les travaux académiques démontrent que certaines conditions doivent être remplies pour garantir plus fortement l’effectivité d’un label dans la matérialisation de « l’immatériel qualité ». Pour qu’un label produise ainsi des effets positifs, il faut qu’il combine notoriété, évocation et signification (Carpenter et Larceneux, 2008; Giraud, 2001; Giraud et Lebecque, 2000; Grunert, Juhl et Poulsen, 2001; Head et Hassanein, 2002; Lala et alii, 2002; Thogersen, 2000). Des confusions sont parfois constatées au niveau de leur perception par le consommateur qui peuvent entrainer soit des effets négatifs (Grunert, Juhl et Poulsen, 2001) soit une absence d’effet (Beltramini et Stafford, 1993). Le label entraine par ailleurs une modification de la qualité attendue du produit. Des travaux ont ainsi montré qu’il existe une différence entre la qualité attendue (avant la consommation) et la qualité expérimentée (après la consommation) inférieure à la qualité attendue. Dans les deux cas il s’agit de produits biologiques modifiant les attentes gustatives des personnes interrogées alors que le label ne certifie pas le goût du produit (Grunert, Juhl et Poulsen, 2001; Tagbata et Sirieix, 2008).

Les travaux de Hassan et Monier-Dilhan (2005) réalisés sur six catégories de produits alimentaires soulignent que les effets des labels sont plus marqués pour les marques distributeurs que pour les marques nationales; ces résultats sont toutefois analysés à un niveau agrégé sans distinction du détail des marques et des labels. A notre connaissance, la variation des effets d’un label en fonction de la force d’une marque sur le consentement à payer du consommateur, n’a pas fait l’objet de recherche particulière.

Nous nous intéressons en conséquence ici, au travers des variations du consentement à payer, aux effets d’un élément, le label, non maîtrisé par l’entreprise sur un capital immatériel, la marque, maîtrisé par l’entreprise. Nous formulons les hypothèses suivantes :

  • H1 : le label a un effet positif sur le consentement à payer d’un produit[14].

  • H2 : l’effet du label sur le consentement à payer diffère en fonction de la force de la marque.

  • H3 : l’effet du label sur le consentement à payer est plus élevé lorsque la marque est faible. H4 : l’effet du label sur le consentement à payer diffère en fonction du label.

Nous essayons de révéler la disposition à payer du consommateur pour la qualité d’un bien au moyen d’une approche plaçant le consommateur dans une situation la plus proche possible de la réalité : celle d’une expérimentation.

Méthodologie

La méthodologie utilisée respecte le fait qu’un label (matérialisation non propriétaire de l’immatériel qualité) est souvent présenté en complément d’une marque (matérialisation propriétaire de l’immatériel qualité) elle demande au consommateur d’exprimer un consentement à payer suite à la confrontation à un couple : « marque-label ».

L’effet différentiel de la présence d’un label sur les attitudes envers la marque est mesuré dans le cadre d’une quasi-expérience pour les marques et d’une expérience pour les labels. Grâce au contrôle de la force de la marque et du type de label nous pouvons observer les variations des réponses.

La manipulation s’appuie sur la visualisation d’une annonce presse où une marque et un label sont associés (annexe 1).

Au final le design de l’expérience réalisée repose sur un plan factoriel complet de type 4 × 4 (quatre marques; sans label et trois types de label) en inter-sujets. Quatre niveaux de marque sont opérationnalisés : une marque nationale forte[15], une marque nationale faible, une marque distributeur forte, une marque distributeur faible. Trois types de label sont choisis selon une typologie établie dans une phase de pré-test auprès des consommateurs. Une étude qualitative a ainsi été menée auprès de 18 consommateurs, l’analyse de contenu de leur discours a permis de souligner deux critères de classement des labels par les consommateurs. D’une part la confiance qu’ils suscitent et d’autre part la fonction remplie par le label : information, récompense, garantie. Certains labels donnent une information au consommateur qui complète sa connaissance du produit ou service, une deuxième catégorie correspond à une récompense temporaire accordée à un produit ou service (prix, médaille) qui se distingue des autres et est reconnu pour cette différence. Enfin une dernière catégorie correspond à des labels perçus comme des « garanties » qui rassurent le consommateur et en qui il a une grande confiance. Pour la phase d’expérimentation, un label de chaque catégorie, pré-testé dans la phase qualitative a été choisi : un label de type garantie « AB », un label de type récompense « Saveurs de l’année » et un label de type information « Max Havelaar ». Nous avons fait le choix d’une catégorie de produit alimentaire qui se prête bien à l’objectif de la recherche, puisque les marques et labels y sont fréquents ce qui permet d’éviter les risques de situation fictive limitant la validité de l’expérimentation.

Il n’existe pas une méthode mais plusieurs méthodes de mesure du consentement à payer qui peuvent être classées en trois catégories : l’utilisation de données réelles à un niveau généralement agrégé, les méthodes par enquête individuelle, les méthodes incitatives (Combris et Ruffieux, 2005; Le Gall-Ely, 2009). Elles présentent toutes des limites, nous avons privilégié une méthode qui permet de se rapprocher le plus possible de la réalité dans un cadre d’expérimentation. Ainsi, afin de mesurer le consentement à payer du produit marqué et labellisé, nous avons choisi une méthode de prix psychologique faisant partie des méthodes par enquête individuelle et plus particulièrement celle de la sensibilité au prix. Cette méthode est celle développée par Van Westendorp (1976) : Price Sensitivity Measurement (PSM) construite à partir des travaux de Stoetzel (1954) et Gabor et Granger (1961, 1964).

La méthode consiste à poser quatre questions qui vont permettre d’identifier des seuils de consentement à payer et des seuils de niveaux de prix soient trop bas pour que le produit soit perçu comme étant de qualité, soit correspondant à un prix « bon marché ». Les deux questions portant sur le consentement à payer sont les suivantes :

  • Question 1/ A quel prix diriez-vous que ce produit est cher mais que vous pourriez envisager de l’acheter ?

  • Question 2/ A quel prix diriez-vous que ce produit est trop cher pour être acheté, quelle que soit sa qualité ?

La première question correspond à un niveau de prix perçu comme élevé mais qui reste acceptable (cher). La deuxième question correspond à un niveau de prix trop élevé pour le consommateur, à ce niveau le produit ne sera pas acheté (trop cher). Afin d’éviter de se baser sur un souvenir du prix, des prix étaient proposés aux consommateurs, basés sur les prix moyens constatés en supermarchés et hypermarchés sur la période de l’étude. Les prix[16] s’échelonnaient de 1.60 euros à 4.60 euros par intervalle de 0.30 centimes, soit une échelle de 11 niveaux.

Résultats

L’étude empirique a été menée en 2012 auprès de 968 consommateurs de marques d’un produit de grande consommation : le café[17]. Les personnes interrogées n’étaient soumises qu’à un seul visuel. Seuls les acheteurs réguliers de chacune des marques concernées ont été interrogés (achat de la marque au moins une fois tous les deux mois). Les acheteurs ont été interrogés en face à face (59 %) et sur internet (41 %). L’échantillon interrogé présente les caractéristiques sociodémographiques décrites dans le tableau 1.

Tableau 1

Caractéristiques sociodémographiques de l’échantillon de 968 consommateurs

Caractéristiques sociodémographiques de l’échantillon de 968 consommateurs

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Le test de Levene est significatif, l’hypothèse d’homogénéité des échantillons est acceptée (p>0.05) comme présenté dans le tableau 2. La première hypothèse (H1) est validée, on constate un effet du label sur le consentement à payer pour chacune des 4 marques testées. Les moyennes sont toutes significativement différentes (p<0.01). Dans le cas de la marque distributeur faible la différence est de 1.013 pour le prix perçu comme élevé et 2.033 pour le prix perçu comme trop élevé. Si l’on convertit en euros ces différences cela correspond à 30 centimes d’euros pour le premier niveau et 60 centimes d’euros pour le deuxième. Soit pour un prix de 2.60 euros un consentement à payer de +11.54 % et un niveau de rejet qui passe de 2.94 euros à 3.54 euros soit + 20.41 %.

La deuxième et la troisième hypothèse sont également validées. Le label produit un consentement à payer supérieur et une diminution du rejet pour cause de prix trop élevé (tableau 2) pour les deux marques distributeurs et la marque nationale faible. Ce n’est pas le cas pour la marque nationale forte où le label n’engendre pas de consentement à payer supérieur et engendre une diminution du consentement à payer comme présenté en figure 1 et 2, pour les prix perçus comme élevés ou trop élevés. Les résultats sur la marque nationale forte peuvent s’interpréter comme un questionnement sur la qualité perçue et un éventuel changement de la qualité intrinsèque véhiculée par l’ajout du label.

Les résultats diffèrent en fonction du label (figure 3). La quatrième hypothèse est validée. Les résultats sur le consentement à payer un prix plus élevé sont plus marqués pour le label « AB ». Pour la marque distributeur faible le prix moyen perçu comme élevé sans label est au niveau de 4.84 (soit 2.75 euros) alors qu’il est au niveau de 6.10 (soit 3.13 euros) soit un consentement à payer un prix plus élevé de + 13 % (p<0.01).

Tableau 2

Comparaison des moyennes de prix « cher » et « trop cher » avec et sans label pour chaque marque

Comparaison des moyennes de prix « cher » et « trop cher » avec et sans label pour chaque marque

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Figure 1

Consentement à payer un prix élevé avec l’ajout d’un label, variable « cher »

Consentement à payer un prix élevé avec l’ajout d’un label, variable « cher »

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Figure 2

Consentement à payer un prix élevé avec l’ajout d’un label, variable « trop cher »

Consentement à payer un prix élevé avec l’ajout d’un label, variable « trop cher »

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Figure 3

Consentement à payer un prix élevé avec l’ajout d’un label, résultats par label pour la variable « cher »

Consentement à payer un prix élevé avec l’ajout d’un label, résultats par label pour la variable « cher »

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Conclusion

Comme le souligne Porter : « la différenciation la plus convaincante provient souvent de sources de valeur que le client peut percevoir et mesurer ou de sources difficiles à mesurer mais abondamment signalées » (1985, p.198). A condition également que cet élément de distinction ait un effet favorable sur le prix (Montebello, 2003). Notre recherche contribue à la formalisation des effets des labels lorsqu’ils sont associés aux marques. Il existe une interaction entre la marque et le label dans le processus de signalisation de « l’immatériel qualité ». Les effets du label sont différents en fonction de la force de la marque. Le label non-propriétaire produit des effets sur le consentement à payer d’un produit et, en ce sens, valorise le capital immatériel maîtrisé par l’entreprise. Les résultats obtenus ici mettent en évidence l’intérêt du recours à une stratégie de labellisation pour les entreprises et principalement dans le cas d’un signal principal faible ou affaibli ou lorsqu’il s’agit de signaler la qualité d’un bien ou attribut d’expérience ou de croyance. Ce travail souligne également les limites du recours à une stratégie de labellisation pour une marque forte. Il convient donc pour les entreprises de considérer le recours à un label comme relevant d’une décision stratégique nécessitant un travail approfondi de mesure de l’apport réel de ce signal à la valorisation de leur capital immatériel. En ce qui concerne les institutions dispensatrices des labels, la connaissance de leurs effets relatifs (sur une marque forte ou faible) est un préalable utile à la conception de leurs modalités d’attribution et de suivi.

A l’issue de cette réflexion, des perspectives de recherche s’ouvrent. Elles concernent d’une part l’approfondissement de la connaissance des effets de labels associés à la marque. Ainsi, les effets d’interaction entre marque et label constatés dans nos résultats mériteraient un développement sur d’autres marques et labels et sur d’autres catégories de produit où le risque perçu est plus élevé. Il nous semblerait d’autre part également pertinent de travailler sur la prise en compte du label dans le capital immatériel de l’entreprise aussi bien sur un plan managérial que financier. La mesure d’un capital label au même titre que le capital marque est déjà proposée (Carpenter et Larceneux, 2008) sa mesure comme actif de l’entreprise mériterait de plus amples recherches.