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Comme l’indique la quatrième de couverture « [c]e volume se veut un hommage au regretté Michel Ballard, qui a contribué à fonder la traductologie et à faire de l’étude de la traduction une discipline à part entière ayant peu à peu gagné son autonomie. » Les dix-huit articles qu’il contient ne sont pas consacrés au traductologue lui-même, mais s’inscrivent dans les champs d’intérêt et les travaux de ce dernier, à savoir l’histoire de la traduction, les théories traductologiques et la didactique de la traduction. Rappelons que l’ouvrage fait suite à un colloque organisé en juin 2016 en l’honneur de Michel Ballard.

L’introduction est articulée en trois sous-sections, dans lesquelles les responsables de l’édition présentent tour à tour une des facettes de Michel Ballard : l’historien (Lieven D’hulst), le théoricien (Mickaël Mariaule) et le pédagogue (Corinne Wecksteen-Quinio). Premièrement, en tant qu’historien, Michel Ballard se méfiait des idées reçues, considérant avoir la tâche d’analyser et de recontextualiser les sources et les événements. Deuxièmement, en tant que théoricien, il a placé le sujet traduisant au centre de ses préoccupations, c’est-à-dire que le produit fini permet de mieux comprendre la personne qui traduit et sa pratique. Troisièmement, en tant que didacticien, il s’est toujours efforcé de défendre l’importance d’enseigner la traduction à l’université en plus de contribuer à cet enseignement par la production de divers manuels pratiques.

Les différents articles du collectif suivent également cette progression de l’histoire vers la didactique, en passant par la théorie. Alors qu’il est évident que le premier article se consacre à la pensée historique de Michel Ballard et le dernier s’interroge sur l’enseignement de la traduction, il n’est pas nécessairement utile de chercher à enfermer chacun des articles de l’ouvrage dans une catégorie bien définie ; la traductologie ne s’épanouit-elle pas dans le tiers-espace où se brouillent les frontières ? Cette multitude de sujets et d’objets d’études est à la fois le point fort et le point faible de l’ouvrage : chaque personne l’approchant y trouvera certainement un article digne d’intérêt, mais cette multiplication produit un collectif quelque peu hétéroclite. Dans les lignes qui suivent, nous nous efforcerons de présenter brièvement chaque article afin que la personne consultant ce compte rendu puisse déterminer quels articles sont les plus susceptibles de contribuer à sa propre réflexion traductologique. En effet, nous sommes d’avis que la forme de l’ouvrage se prête davantage à une lecture ponctuelle des articles qu’une lecture d’un couvert à l’autre.

Dans le premier article, l’historien Claude Bocquet explique que Michel Ballard est le premier historien de la traduction à avoir appliqué une méthodologie scientifique dans le cadre de son travail en s’efforçant de réunir les sources de manière critique et en interprétant ces sources pour produire un discours. Le deuxième article, rédigé par Fernando Navarro-Domínguez, est une étude cas portant sur Juan Luis Vives qui se déploie en trois temps : une synthèse des publications à son sujet ; une analyse de De ratione dicendi (Sur l’art de parler) ; une étude de sa visibilité dans les anthologies et histoires de la traduction. Le troisième article porte sur les missions de Dominicains en Amérique au XVIe siècle (Mexique, Amérique centrale, Amérique du Sud). Antonio Bueno García examine, entre autres, l’importance de la langue dans l’évangélisation ; d’ailleurs ce n’est pas le latin, mais bien le castillan qui sera enseigné aux Autochtones. Le lecteur francophone sera peut-être surpris de lire le terme « indien » employé par l’auteur. Quoique d’usage courant en espagnol et bien que correct d’un point de vue historique, le terme « autochtone » aurait peut-être été préférable. Dans le quatrième article, Christian Balliu aborde la vision programmatique de la traduction dans le classicisme français, une époque marquée par la centralisation et l’élimination des parlers régionaux, qui fut également l’heure de gloire de la traduction en France. Dans le cinquième article, Myriam Salama-Carr présente son projet d’anthologie du discours arabe sur la traduction, qui repose sur deux axes de recherche : les approches et les méthodes historiographiques ; les traditions et les pratiques. Elle explique également que les critères de sélection des textes incluent non seulement des préoccupations concernant la représentativité et la canonicité, mais également un désir de donner une visibilité aux périodes, aux textes et aux traducteurs et traductrices moins connus. Le sixième article traite de la littérature française traduite en Roumanie et s’intéresse au rôle de la littérature traduite et à sa réception. Georgiana I. Badea se penche notamment sur les motivations et les programmes de traduction. Quant au septième article, il s’avère une histoire de la pensée traductologique depuis la révolution russe de 1917. Nikolay Garbovskiy effectue un survol – intéressant et instructif – de trois grandes périodes de la traductologie russe du dernier siècle : la traduction et la méthode littéraire ; le courant linguistique dans la théorie soviétique ; les approches interdisciplinaires en vigueur depuis les années 1980. Le huitième article propose un regard rétrospectif sur la fondation de l’École de traduction à l’Université de Beyrouth (au Liban). L’implantation d’un programme universitaire dans les années 1980 a permis l’émancipation de la traduction comme matière d’enseignement à part entière. Henri Awaiss brosse le bilan de ce programme : les réussites et les échecs.

La suite de l’ouvrage (articles 9 à 17) s’inscrit dans la continuité des réflexions davantage théoriques de Michel Ballard. Ainsi, le neuvième article porte sur la retraduction. Enrico Monti commence par une anecdote : lors d’une conférence, le traductologue de renom a comparé la traduction à une maladie et expliqué que la traductologie, comme l’étiologie, a pour objectif la recherche des causes. L’auteur se permet donc de pousser la métaphore et d’affirmer que la retraduction est une maladie chronique. Dans l’article, il pose sa définition de la retraduction et discute des idées de Ballard sur le phénomène. Dans le dixième article, il est question de la subjectivité. Alina Pelea postule que la traduction est une activité intrinsèquement subjective et invite à embrasser cette subjectivité. Elle se demande s’il est possible de cerner objectivement les objets d’études de la traductologie avant d’explorer la subjectivité à travers le prisme de divers courants théoriques, s’attardant aux idées de Ballard, dont les unités de traduction. Dans le onzième article, qui est ancré en grammaire différentielle, Anda Rădulescu se propose d’investiguer si la construction du sujet grammatical en traduction repose sur des contraintes linguistiques (ici le français et le roumain) ou si elle repose sur les choix du traducteur ou de la traductrice. Le douzième article, écrit par John D. Gallagher, explore le comportement des personnes qui traduisent face aux métaphores en prenant en compte les facteurs intratextuels (type de texte, qualité, rôle structurel et type des métaphores) et les facteurs extratextuels (écart entre les deux langues, l’objectif de la traduction, compétences et préférences idiolectales de la personne effectuant la traduction, manque de méthode). Le treizième article, qui met l’accent sur le transfert du sens implicite, porte sur la discipline de la sémiotraductologie. Il est question du non-dit et de l’implicite dans le transfert culturel. Astrid Guillaume s’appuie ensuite sur les concepts de « sphères d’existence » et de « realia de la traduction » afin d’examiner les contraintes traductionnelles à travers les époques. Les deux articles suivants traitent de la traduction des noms propres. Dans le quatorzième article, il est question de la traduction des noms propres lorsqu’il y a des grands écarts (entre les langues, les cultures, les époques). Olga Kostikova postule que la norme de non-traduction est une pratique réductrice. Dans le quinzième article, Christine Raguet s’intéresse à la traduction des noms propres dans ce qu’elle nomme la littérature de l’engagement, discutant par exemple de sa propre traduction du créole jamaïcain de John Williams et des traductions des écrits de Nabokov. Elle constate l’impossibilité de dégager des tendances dans la traduction des noms propres, car chaque transfert est l’objet d’une négociation. Le seizième article aborde la pseudo-traduction, ce phénomène qui attire l’attention sur l’activité de traduction. Catherine Anaïs Bocquet commence par définir la pseudo-traduction avant de se pencher sur les motivations des personnes qui les produisent, dont l’introduction de nouvelles idées et de nouvelles formes littéraires. Le dix-septième article allie unité de traduction et traduction audiovisuelle. Teresa Tomaskiewicz rappelle la définition posée par Ballard à propos du concept d’unité de traduction et les spécificités de la traduction audiovisuelle, puis applique le concept au sous-titrage des échanges rituels.

Le dernier article porte sur l’enseignement de la traduction dans quatre contextes distincts. Il est premièrement question de la traduction dans l’apprentissage d’une langue étrangère où la tâche de l’enseignant ou de l’enseignante est de déconstruire le mythe de la traduction comme activité de transcodage. Christine Durieux s’interroge ensuite sur la place de la traduction dans la formation des professeurs et professeures de langues étrangères. Il est ensuite question de la formation à la traduction professionnelle, contexte où la traduction n’est plus perçue comme un transfert interlinguistique, mais comme une communication interculturelle. Puis, l’autrice se penche sur la formation nécessaire pour enseigner la traduction, particulièrement dans l’optique d’un professeur ou d’une professeure de langue souhaitant changer de vocation. Il nous paraît que cette façon d’envisager l’enseignement de la traduction est étrangère à la réalité de plusieurs pays, notamment le Canada où les préoccupations se concentrent essentiellement sur les étudiantes et les étudiants des programmes universitaires et la manière d’enseigner cette pratique professionnelle.

Voilà donc un survol des multiples thématiques abordées dans ce collectif en hommage à Michel Ballard. Bien que l’ouvrage ne constitue pas en soi des actes de colloque, il est évident à la lecture de la majorité des articles qu’il s’agit de communications qui ont été retravaillées pour publication, en effet de nombreuses interventions sont relativement courtes (10 pages), laissant le lectorat avec le désir d’en savoir davantage sur les thématiques explorées. D’ailleurs, nous croyons que le public cible de l’ouvrage est large, tant les étudiantes et les étudiants des cycles supérieurs que les traductologues d’expérience y trouveront leur compte. Seule mise en garde : les autrices et les auteurs supposent parfois non seulement une connaissance des travaux de Michel Ballard, mais aussi du bagage théorique et historique entourant leur problématique précise.