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Introduction

En France, l’importance des PME/TPE[1] n’est plus à démontrer auprès des milieux académique, économique et politique. Selon l’Insee[2], les PME/TPE marchandes non agricoles sont au nombre de 3,81 millions et constituent l’essentiel du tissu économique français avec plus de 99 % des entreprises. Elles emploient plus de 6 millions de salariés et réalisent 43 % de la valeur ajoutée nationale. Au vu de leur poids dans l’économie française, l’un des enjeux des politiques publiques est de favoriser leur croissance et cela passe, entre autres, par un accès aisé au financement.

Aujourd’hui, la banque demeure pour beaucoup de PME/TPE le seul partenaire financier. Les prêts bancaires représentent 95 % de l’endettement des PME/TPE françaises (Raspiller, 2017). Seulement, comme le soulignent Bendriss, Lavayssière et Tilden (2014), les banques ne peuvent pas prêter aux entreprises autant qu’elles le souhaiteraient, notamment du fait des règles prudentielles. Bien que leurs effets soient atténués par la politique conciliante de la Banque centrale européenne, toutes les parties prenantes des PME/TPE ont intérêt à voir émerger de nouveaux modes de financement pour couvrir les besoins non financés par les banques.

Depuis 2007, la succession de crises couplée aux difficultés d’accès des PME/TPE aux financements traditionnels ont conduit les pouvoirs publics, les régulateurs français et européens à encourager leur désintermédiation bancaire, afin qu’elles puissent diversifier leurs sources de financement. Le placement privé, l’assouplissement des règles d’émission obligataire pour les PME ou, encore, la création de fonds de prêt à l’économie témoignent de cette volonté d’inciter les PME à recourir à des financements autres que le financement bancaire, mais toutes ces nouveautés ne sont accessibles qu’aux grosses PME, car elles permettent d’emprunter des montants supérieurs à 10 millions d’euros (Lesur, 2015). En revanche, le crowdfunding offre la possibilité aux PME/TPE d’accéder à des financements de moindre montant et répond ainsi à des besoins non couverts, notamment par les banques (Golić, 2014 ; Fraser Bhaumik et Wright, 2015 ; Lesur, 2015 ; de La Pallière et Goullet, 2018). Le crowdfunding, terme anglo-saxon utilisé pour désigner le financement participatif, permet à un porteur de projet d’obtenir son financement auprès d’un large public, en le lui soumettant le plus souvent via une plateforme en ligne dédiée, moyennant éventuellement une rétribution définie au préalable.

Selon l’association professionnelle Financement Participatif France (FPF) et KPMG[3], le financement participatif ne représente encore qu’une faible part du financement global des PME/TPE, estimé à plus de 100 milliards d’euros par an en France. Le montant des fonds collectés par crowdfunding a augmenté de 20 % en 2018 par rapport à 2017. Sur 402 millions d’euros collectés en 2018, 68 % le sont par le prêt, 20 % par le don et 12 % par l’investissement en fonds propres.

À partir des informations disponibles sur Internet, nous recensons un peu moins de cent plateformes françaises actives permettant de financer des projets d’entreprises (PME/TPE) sur le territoire français. Ces dernières années, des plateformes ont vu le jour en province. Nous observons que sept d’entre elles sont situées sur le territoire breton et permettent de financer en grande partie des projets d’entreprises présentes sur ce territoire.

Ce phénomène de régionalisation des plateformes interroge. L’identité régionale constitue-t-elle un facteur d’attractivité pour les porteurs de projet et les contributeurs, et un levier de développement pour les plateformes ? Les proximités, qu’elles soient géographiques, avec la réduction des distances entre les différentes parties prenantes du crowdfunding, ou non géographiques (Torre et Rallet, 2005), avec le partage de valeurs et une culture commune, sont-elles des éléments constitutifs du fonctionnement des plateformes, voire de leur développement ? Soulignons par ailleurs que le fait de s’appuyer sur l’identité régionale n’est pas nouveau pour les acteurs économiques. En Bretagne, l’émergence d’organisations, comme Produits en Bretagne, ou encore la mise en place de la marque Bretagne, réunissant sous la même bannière une pluralité d’entreprises et d’organisations partageant un ancrage régional prononcé, en témoignent. D’autre part, la Bretagne connaît un maillage urbain important et une forte densité de réseaux économiques (Marinos, 2015).

Cela nous amène à un questionnement sur ce qui lie un territoire régional à une plateforme de crowdfunding en prenant comme exemple le territoire breton. Est-ce que les plateformes ont besoin d’un ancrage territorial régional pour réaliser leurs activités ? Est-ce que la région, comme zone de chalandise, suffit à assurer la pérennité du modèle économique des plateformes ? Est-ce que le crowdfunding renforce et/ou révèle des dynamiques proximistes ?

Le territoire breton, que nous délimitons aux quatre départements bretons (Côtes-d’Armor, Finistère, Ille-et-Vilaine et Morbihan) ainsi qu’à la Loire-Atlantique, présente un attrait en termes de population (la foule) et d’entreprises (projets à financer) pour les plateformes. Il représente un bassin de population d’environ 4,7 millions d’habitants et autant de contributeurs potentiels dans un rayon proche, celui du territoire. Quant au potentiel économique, selon la base Sirène de l’Insee, le nombre de PME/TPE (au sens du siège social) sur le territoire breton est d’environ 605 000, dont presque 490 000 sont des établissements n’ayant aucun salarié, regroupant les entreprises libérales, commerçants et artisans à statut d’affaire personnelle. Environ 115 000 entreprises ont un effectif compris entre 1 et 249 salariés, ce qui représente 6,24 % des PME/TPE françaises.

Pour répondre à notre questionnement sur l’importance du territoire régional pour les plateformes de crowdfunding, notre recherche s’est déroulée en deux temps, tout d’abord par une phase permettant de caractériser le crowdfunding sur notre territoire d’étude puis par une phase compréhensive. La première phase a consisté à établir une cartographie des plateformes de crowdfunding, hébergeant des projets de PME/TPE, et des entreprises du territoire breton financées par crowdfunding. À cette fin, nous avons constitué deux bases de données, l’une sur les plateformes et l’autre sur les entreprises du territoire breton financées par crowdfunding. Seules les entités ayant le statut juridique d’entreprise ont été conservées, éliminant ainsi les projets d’associations et de particuliers. À partir de ces deux bases de données, nous avons dressé un panorama du crowdfunding sur le territoire breton. Dans un second temps, pour la phase compréhensive, nous avons réalisé une étude qualitative à partir d’entretiens semi-directifs menés auprès de représentants de plateformes, situées en Bretagne et dans la région parisienne, hébergeant des projets bretons.

Après une revue de la littérature, la méthodologie de recherche est présentée, puis les résultats sont analysés avant d’être discutés et une conclusion est proposée.

1. Le crowdfunding : usages, territoire et proximités

1.1. Définition et caractérisation du crowdfunding

Plusieurs auteurs ont proposé une définition du crowdfunding (Lambert et Schwienbacher, 2010 ; Ordanini, Miceli, Pizzetti et Parasuraman, 2011 ; Schwienbacher et Larralde, 2012 ; Valanciene et Jegeleviciute, 2013 ; Onnée et Renault, 2013 ; Mollick, 2014). Dans l’ensemble, ils s’accordent sur les points suivants : le crowdfunding permet au porteur d’un projet de le soumettre à un large public, désigné sous le terme de « foule », le plus souvent par le biais d’une plateforme en ligne dédiée, afin d’en obtenir son financement, contre éventuellement une contrepartie définie au préalable.

Différents modèles économiques de crowdfunding coexistent. Selon les chercheurs et les praticiens, ils sont classés en fonction de la nature des contributions et des rétributions. Pour Mollick (2014), Onnée et Renault (2014), Frydrych, Bock, Kinder et Koeck (2014), ou encore l’association Financement Participatif France, le crowdfunding recouvre trois catégories principales de financement : le don, le prêt et l’investissement en fonds propres. Chaque catégorie recouvre des sous-catégories. Ainsi, le don comprend le don sans contrepartie, le don avec récompense (non financière) et le préachat. Le prêt réunit quatre sous-catégories, à savoir le prêt non rémunéré, le prêt rémunéré, les minibons et les obligations. Enfin, l’investissement en fonds propres se subdivise en investissement en capital et en royalties. Certains auteurs, entre autres Calmé, Onnée et Zoukoua (2016a), distinguent deux modèles de crowdfunding, l’un qu’ils qualifient de « communautaire » (don, prêt solidaire ou non rémunéré, contrepartie, préachat) et l’autre à « retour financier » (prêt rémunéré, financement en fonds propres). Renault (2018) propose une autre approche classant les différentes formes de crowdfunding en fonction de leur caractère spéculatif (production communautaire, prêt rémunéré, investissement contre prise de participation) ou non spéculatif (don, prêt non rémunéré/prêt solidaire et don moyennant contreparties tangibles ou non).

Le financement par crowdfunding ne résulte pas de la décision d’un petit groupe de financeurs professionnels, mais d’un grand nombre de contributeurs (particuliers et/ou personnes morales), et sans autre intermédiaire qu’une plateforme spécialisée (Schwienbacher et Larralde, 2012). Les plateformes mettent en relation les entreprises, à la recherche de financement, et les contributeurs, à la recherche de placement. Pour Belleflamme, Omrani et Peitz (2015), les plateformes ont créé un nouveau marché en faisant interagir le porteur d’un projet avec un grand nombre de contributeurs afin d’obtenir un financement. Selon, entre autres, Agrawal, Catalini et Goldfarb (2011) et Onnée et Renault (2014), elles facilitent la création d’un réseau pour le porteur de projet. Les plateformes de crowdfunding jouent donc un rôle d’intermédiaire financier (Cieply et Le Nadant, 2016). Bien que le porteur d’un projet fasse appel à une plateforme pour collecter les fonds nécessaires à la réalisation de son projet et ne s’adresse pas directement aux contributeurs potentiels, il échange des informations avec ces derniers pour les mobiliser. Cet échange est un élément essentiel à la réussite de la levée de fonds comme le montrent Guenther, Hienerth et Riar (2015).

Ce mode de financement s’est développé avec Internet et l’essor des réseaux sociaux, qui ont permis de rapprocher les porteurs de projet des contributeurs potentiels. Agrawal, Catalini et Goldfarb (2011, 2015) précisent que les plateformes de crowdfunding, en desserrant les contraintes temporelles et géographiques, permettent à chacun de sélectionner un ou des projets à financer et de fixer le montant de sa contribution dans les limites fixées par la réglementation. Ainsi, les contributeurs ont la possibilité de choisir la destination finale de leur argent (entreprise, projet créatif, social, solidaire, etc.) en fonction de leurs motivations (altruistes, financières, ludiques, morales, sociales, etc.), et ce, sous diverses formes (dons avec ou sans contrepartie, préachats, fonds propres, prêts rémunérés ou non rémunérés) (Bessière et Stéphany, 2014 ; Gerber, Hui et Kuo, 2012 ; Pierrakis et Collins, 2013). Le crowdfunding s’inscrit dans une logique de transformation sociale favorisant l’émergence du « consom’acteur » (Cieply et Le Nadant, 2016).

Cieply et Le Nadant (2016) expliquent que ce nouveau mode de financement repose sur le principe de la collaboration et de la connaissance partagée. Notamment, il dépend de l’interaction entre le réseau, la communication et l’échange de compétences (Schwienbacher et Larralde, 2012). Bessière et Stéphany (2014) montrent que contrairement aux financements traditionnels, où la décision d’investissement revient à une personne experte en financement, la décision d’investissement par crowdfunding revient à un grand nombre de contributeurs ayant des opinions diverses. Ceci est facilité par Internet et l’essor des réseaux sociaux qui rendent l’information peu coûteuse. Les auteurs indiquent également que le choix des contributeurs pour tel ou tel projet est fortement influencé par celui des investisseurs experts, capables de fournir un signal sur la qualité d’un projet. Ils en concluent qu’il y a une certaine définanciarisation dans l’évaluation des projets financés par crowdfunding, puisque la décision des contributeurs se fonde sur des informations publiques moins fouillées que celles que peuvent obtenir les financeurs professionnels. Cela engendre un risque opérationnel plus élevé. Alors que certaines plateformes de crowdfunding parient sûrement sur l’intelligence collective et la sagesse des foules, d’autres plateformes la redoutent (Cieply et Le Nadant, 2016 ; Deffains-Crapsky et Daniel, 2018).

Par ailleurs, Moussavou (2017) et Onnée (2016) insistent sur le fait que les contributeurs potentiels ne sont pas uniquement des internautes, plus ou moins éloignés géographiquement, mais sont également des proches (famille, amis, connaissances), et que ces derniers jouent un rôle majeur dans la réussite de la collecte. Ce sont eux qui émettent le premier signal, auprès de leurs réseaux relationnels, pour intéresser et crédibiliser le projet. Les contributeurs, dont la proximité relationnelle et/ou géographique avec le porteur de projet est faible, n’apportent leur contribution que plus tard en fonction du signal informationnel relayé par les contributeurs proches, censés détenir une meilleure information sur la qualité du projet (Agrawal, Catalini et Goldfarb, 2011 et 2015 ; Belleflamme, Lambert et Schwienbacher, 2014 ; Ordanini et al., 2011). Les plateformes de crowdfunding participent à la réduction de l’asymétrie d’information et des coûts liés sans pouvoir totalement les éliminer, rendant ainsi la diffusion de l’information sur la qualité des projets toujours nécessaire (Lehner, 2013 ; Agrawal, Catalini et Goldfarb, 2015). Elles peuvent faire appel à des experts et des acteurs territoriaux traditionnels proches du porteur de projet (Banque publique d’investissement, chambres consulaires, réseau des experts-comptables, réseau Initiative, etc.) pour réduire l’asymétrie d’information.

En définitive, pour les PME/TPE, le crowdfunding tend à faciliter ou à permettre l’accès au financement en élargissant les cercles de financeurs potentiels, mais encore faut-il que les projets attirent des contributeurs, donc que les porteurs de projet et les plateformes soient capables de mobiliser autour du projet. Le développement d’Internet et des réseaux sociaux a permis de réduire les asymétries d’information et certains coûts liés à la distance géographique (Le Béchec, Dejean, Alloing et Meric, 2017). Pourtant, certains coûts, comme les coûts « culturels » (langage, mode de paiement) liés à la distance géographique subsistent.

1.2. Le crowdfunding : liens entre le territoire et la dimension proxémique

Le crowdfunding a été étudié sous plusieurs angles dans la littérature, notamment, en mettant en exergue le lien entre les parties prenantes du crowdfunding, le territoire et la dimension proxémique.

Ces recherches montrent que la proximité entre le porteur de projet, les contributeurs et la plateforme est un critère important dans le financement d’un projet par crowdfunding (Renault, 2018). Comme le souligne Talbot (2015), il n’existe pas une seule dimension de la proximité, mais plusieurs, qui permettent d’apprécier l’influence de la localisation des acteurs sur leurs relations économiques (Gilly et Torre, 2000 ; Talbot, 2008 ; Booba-Olga et Grossetti, 2008). Cette proximité peut concerner autant l’espace géographique que l’espace social. Bien que le nombre de dimensions diffère selon les auteurs, tous présentent une grille d’analyse reposant sur deux formes de proximité, l’une géographique et l’autre non géographique, qui est parfois qualifiée de proximité organisée (Torre et Rallet, 2005). Pour notre part, comme Renault (2018), nous retiendrons trois dimensions : géographique, électronique et relationnelle. Selon Talbot (2015), la proximité géographique fait référence à la distance métrique qui sépare deux acteurs. Bien qu’elle offre la possibilité aux différents acteurs d’établir des contacts physiques, elle n’est pas toujours suffisante pour nouer des liens et créer une relation. Bien souvent, cette dernière naît au sein d’activités organisées. Si la définition de la proximité géographique fait consensus, celles des proximités non géographiques sont diverses et font débat. Aussi, à l’instar de Chevallier, Dellier, Plumecocq et Richard (2014), nous définissons la proximité relationnelle comme la faculté d’entrer en contact avec différents acteurs et de nouer une relation d’intensité variable avec eux. Enfin, selon Loilier et Tellier (2000), la proximité électronique offre aux membres d’un réseau la possibilité de consulter, de partager et de concevoir des données informatisées. Ainsi que Lundvall (1988) et Torre (1993) l’estiment, celle-ci permet de suppléer une distance géographique par un échange électronique.

Selon Lin et Viswanathan (2016), les préférences des apporteurs de fonds pour le financement d’entreprises locales persistent via une plateforme de crowdfunding. Cette préférence s’explique principalement par un besoin de réduire l’asymétrie de l’information. Selon Guenther, Johan et Schweizer (2018), les contributeurs locaux sont plus sensibles, que les contributeurs très éloignés, à la distance géographique. Passé un certain seuil, la proximité géographique entre les contributeurs et les porteurs de projet cesse d’être pertinente dans le coût d’acquisition de l’information et, donc, dans la décision de financement. Agrawal, Catalini et Goldfarb (2011, 2015) expliquent que les contributeurs éloignés du porteur de projet apportent leurs contributions en fonction du montant déjà collecté. Plus ce dernier est important, plus le projet serait de qualité et plus il permettrait de diminuer l’asymétrie d’information. Comme les plateformes de crowdfunding permettent de réduire l’asymétrie d’information sans y parvenir totalement, des signaux sur la qualité des projets restent nécessaires. Aussi, même si les technologies numériques, créatrices d’une proximité électronique, permettent d’atténuer l’effet des distances géographiques et de compenser l’isolement géographique de certains porteurs de projet, il semble que la proximité relationnelle soit essentielle pour diminuer les coûts liés à l’information et à l’incertitude. Ainsi, des liens sociaux seraient nécessaires, voire plus importants que les proximités géographique et électronique, dans la réussite d’une campagne de crowdfunding. Dejean (2019) suggère que les liens sociaux, mais aussi l’attachement à une région ou l’engagement envers une communauté particulière, influencent la géographie du crowdfunding. De plus, il convient de souligner que selon Cardon (2010), les communautés virtuelles rassemblent bien souvent des inconnus proches géographiquement et pas forcément des individus éloignés les uns des autres. La proximité électronique permettrait donc d’accroître les relations locales (Rallet et Torre, 2007).

Mollick (2014), un des premiers auteurs à avoir étudié la géographie du crowdfunding, et Le Béchec et al. (2017) montrent que certaines caractéristiques liées au territoire conditionnent le dénouement d’une campagne de crowdfunding. Il s’agit, entre autres, de la densité de la population, de la proximité géographique entre les porteurs de projet et les contributeurs et de la nature du projet. Ces auteurs mettent en évidence que plus la concentration de la population est forte, plus la dynamique entre les porteurs de projet et les contributeurs est importante et plus la collecte a des chances de réussir. Cependant, ils constatent, également, que certains projets situés dans des zones peu urbanisées, où la densité de la population est faible, peuvent tout autant attirer des financements du fait de leur spécificité liée au territoire. Enfin, ils soulignent que les réseaux sociaux, facteurs de proximités électronique et relationnelle, réduisent l’importance des contraintes géographiques traditionnelles et jouent un rôle essentiel dans la réussite d’une collecte de crowdfunding. Giudici, Guerini et Rossi-Lamastra (2018) montrent que certaines caractéristiques propres à la région où réside le porteur de projet peuvent être déterminantes dans la réussite d’une campagne de crowdfunding. Selon ces auteurs, l’altruisme local et le capital social de la région peuvent expliquer l’engagement des contributeurs dans le crowdfunding.

Cuénoud (2015) et Cuénoud, Glémain et Deffains-Crapsky (2018) soulignent, quant à eux, le rôle que les plateformes jouent dans les coopérations entre les acteurs locaux, notamment dans la perspective « d’impulser une appropriation citoyenne du rôle de l’épargne sur un territoire » ou, encore, d’animer et de fédérer les réseaux de création d’entreprises. De leur côté, Calmé, Onnée et Zoukoua (2016b) étudient l’émergence d’un collectif portant sur la cocréation d’une plateforme dédiée à l’économie régionale et visant à renforcer les dynamiques de coopération. Ils précisent que « les acteurs traditionnels y voient une occasion d’ajouter de la valeur à l’offre qu’ils proposent aux porteurs de projet » tandis que « les plateformes enrichissent leur proposition de valeur à destination des deux groupes d’acteurs qu’elles mettent en relation ». Dans cette optique citoyenne du crowdfunding, les proximités, notamment la proximité géographique (Davies, 2014), peuvent être déterminantes dans la réussite de la campagne.

Brimont (2017) et Renault (2018) mettent en avant un autre versant des rapports entre le crowdfunding et le territoire. Ils estiment que les plateformes deviennent un instrument de politique territoriale avec, par exemple, le recours au crowdfunding par les collectivités locales pour financer des projets et des équipements publics au service des habitants, notamment, en faveur de la transition énergétique (éoliennes, panneaux voltaïques, etc.). Dans la même perspective, Perret et Gagnon (2016) montrent comment le crowdfunding peut contribuer à une réappropriation citoyenne du développement territorial en s’appuyant sur l’exemple d’un secteur industriel en déclin, où la mobilisation de l’épargne de proximité, via une plateforme, a permis de revitaliser un bassin d’emploi. Là aussi, la dimension proxémique joue un rôle non négligeable dans le financement par crowdfunding des projets de nature citoyenne.

Enfin, Attuel-Mendès, Bonescu et Sila (2018), dans une étude sur le modèle d’affaires de quinze plateformes de crowdequity, concluent, entre autres, que peu de plateformes se contentent d’une audience régionale.

En définitive, nous constatons que la littérature met en évidence, à différents niveaux, le rôle que jouent les différentes formes de proximité dans le processus du financement participatif. Nous pensons que les proximités mobilisées ne sont pas systématiquement les mêmes en fonction des parties prenantes de l’opération de crowdfunding, de la nature du projet et du mode de financement. De plus, peu de travaux, à notre connaissance, abordent la question de l’intérêt spécifique du territoire régional pour les plateformes de crowdfunding quelles qu’elles soient. Aussi, l’importance de cette dimension régionale couplée à la dimension proxémique pour ces plateformes constitue l’originalité de notre recherche.

2. La méthodologie de recherche

L’objectif de cette recherche est d’étudier l’importance du territoire régional pour les plateformes de crowdfunding, notamment dans le développement de leurs activités, en prenant comme exemple le territoire breton, qui regroupe cinq départements, à savoir les Côtes-d’Armor, le Finistère, l’Ille-et-Vilaine, la Loire-Atlantique et le Morbihan. Pour satisfaire cet objectif, notre recherche se déroule en deux phases. La première consiste à collecter des données afin de caractériser le crowdfunding sur notre territoire d’étude, en adoptant la classification proposée par l’association Financement Participatif France (don, prêt et fonds propres). La seconde phase, compréhensive et relative à notre questionnement, permet de proposer une taxonomie des plateformes en lien avec le territoire et leur modèle d’affaires. Concernant la première phase, nous avons constitué deux bases de données, l’une listant les plateformes françaises finançant des projets de PME/TPE, et l’autre recensant les projets des entreprises bretonnes financées par crowdfunding. L’exploitation de ces bases a permis de proposer différentes cartes. Ensuite, pour la phase compréhensive, nous avons sélectionné un échantillon de plateformes et réalisé des entretiens semi-directifs auprès de représentants de ces dernières.

2.1. Les caractéristiques du crowdfunding sur le territoire breton

2.1.1. La base de données « Plateformes »

L’objectif initial était de constituer une base de données recensant l’ensemble des plateformes de financement participatif françaises actives sur le territoire français, au 31 décembre 2017. Pour ce faire, le point de départ a été les annuaires du crowdfunding des sites de l’association Financement Participatif France[4] et d’Alloprod[5]. Nous avons complété notre base à partir de sites dédiés au crowdfunding, tels que Crowfunding.com, Crowdlending.fr, Avise.org ou Juliepoupat.com.

La base initialement constituée comportait plus de 130 plateformes. Comme notre étude porte sur le financement par crowdfunding des entreprises, seules les plateformes y étant dédiées ont été conservées. Du fait de leur spécificité, notamment en matière de montages financiers, les plateformes dédiées à l’immobilier ont été éliminées. Au final, notre base de données compte 86 plateformes.

À l’instar de l’association Financement Participatif France, nous avons retenu trois modèles de financement, à savoir le don, le prêt et les fonds propres. Le don réunit le don avec ou sans contrepartie et le préachat. Le prêt regroupe le prêt rémunéré, les obligations et les minibons. Les fonds propres rassemblent l’investissement en capital et contre royalties. Pour chacune des plateformes, nous avons identifié le mode ou les modes de financement proposés, ce qui nous a permis de les classer dans l’une des catégories suivantes : « don », « prêt », « fonds propres » ou « mixtes ». Si certaines plateformes se concentrent sur un seul mode de financement, d’autres sont mixtes. Ainsi, le terme « mixte » désigne les plateformes qui proposent au moins deux catégories de financement.

La spécialisation sectorielle de la plateforme a été étudiée afin de la catégoriser en « généraliste » ou « spécialiste » (hôtellerie, santé, sport…). Le rayonnement géographique de la plateforme a été examiné. Alors que certaines plateformes permettent de financer des projets sur l’ensemble du territoire national, voire à l’international, d’autres privilégient les projets régionaux. La localisation du siège social de la plateforme a également été renseignée, notamment pour analyser son ancrage territorial. Cependant, pour les représenter sur une carte, nous avons fait le choix d’agréger les données à l’échelle régionale pour plus de visibilité. Enfin, nous avons identifié, pour chaque plateforme, les projets situés sur le territoire breton.

2.1.2. La base de données « Entreprises »

À partir de la base de données « Plateformes », nous avons constitué la base de données « Entreprises », qui recense l’ensemble des projets des entreprises du territoire breton financés par crowdfunding au 31 décembre 2017. De même que pour la base de données « Plateformes », les projets immobiliers ont été éliminés. Au final, 315 projets ont été financés par crowdfunding, en face desquels nous trouvons 33 plateformes, dont sept situées sur notre territoire d’étude.

Pour chaque projet financé, nous avons identifié le nom de l’entreprise, sa structure juridique et la localisation de son siège social. Par souci de clarté, pour représenter les projets sur une carte, nous avons retenu, comme zonage d’étude, l’intercommunalité-métropole. D’autres données concernant l’entreprise, comme sa date de création, son chiffre d’affaires et son effectif, ont été collectées lorsque les données étaient disponibles.

Concernant plus précisément le projet financé, nous avons relevé le nom de la plateforme, le mode de financement, le montant demandé, le montant obtenu, le nombre de contributeurs, la portée géographique du projet et l’objet du financement. Pour les prêts rémunérés, nous avons noté le taux d’intérêt et la durée du prêt.

Toutes ces données ont été recueillies à partir de plusieurs sites internet, notamment ceux des plateformes, des sociétés, societe.com, infogreffe.fr et verif.com.

2.2. La phase compréhensive

Cette deuxième partie de l’étude, fondée sur des entretiens semi-directifs, s’inscrit dans une démarche qualitative inductive à visée exploratoire, qui se justifie par le caractère récent du crowdfunding et d’un questionnement sur le pourquoi et le comment (Blais et Martineau, 2006 ; Yin, 2014). La méthodologie retenue repose sur les trois étapes classiques de l’analyse qualitative, décrites par Miles et Huberman (1994) ou Bardin (2013), consistant à condenser les données (réduction, codage), à les présenter et à formuler et vérifier les conclusions. La production de connaissances émanant de la démarche inductive se fonde sur un processus de codage rigoureux. Pour y parvenir, nous avons tout d’abord repéré les idées significatives (thèmes généraux, codage axial), que nous avons ensuite classées par catégories d’idées récurrentes (codage sélectif) avant de les analyser.

Rappelons que l’objectif principal de notre étude consiste à comprendre l’importance du territoire régional pour les plateformes de crowdfunding au regard des proximités géographique, relationnelle et électronique. À cette fin, nous avons retenu quatre plateformes nationales et quatre plateformes régionales. Celles-ci ont été sélectionnées, car elles ont financé, entre autres, des projets bretons et sont représentatives de tous les modes de financement proposés par les plateformes. Leurs principales caractéristiques sont présentées dans le tableau 1. Nous avons interviewé neuf représentants de ces plateformes et un partenaire local de Tudigo (Tableau 1). Les entretiens, d’une durée moyenne d’une heure, se sont déroulés entre février et avril 2018. Ils ont été enregistrés et entièrement retranscrits. Le guide d’entretien était structuré autour des thèmes suivants : la connaissance de la plateforme (origine de la création, structuration, spécialisation, croissance de la plateforme et lien avec le territoire) et le processus de financement des projets (sélection, collecte, remboursement et suivi des projets, attentes des porteurs de projet, publicité, effet réseau et rôle du territoire).

Tableau 1

Principales caractéristiques des plateformes retenues et personnes interviewées

Principales caractéristiques des plateformes retenues et personnes interviewées

* depuis 2018.

** depuis 2017.

*** depuis 2015.

(a) La plateforme Unilend a cessé ses activités en octobre 2018. Un jugement du tribunal de commerce de Paris du 4 décembre 2018 a désigné PretUp comme repreneur des actifs d’Unilend, à l’issue de la procédure de liquidation judiciaire.

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3. Les résultats

Nous présentons un état des lieux des plateformes de crowdfunding dédiées aux PME/TPE et des financements par crowdfunding des TPE/PME bretonnes. À partir de ces constats et de nos entretiens, nous présentons, sous forme d’une synthèse, l’intérêt du territoire pour les plateformes et la façon, dont elles le mobilisent dans leur fonctionnement et leur stratégie.

3.1. Le panorama des plateformes

En France, au 31 décembre 2017, 86 plateformes permettent aux entreprises de financer leur projet. La figure 1 illustre leur géolocalisation et le tableau 2 précise leurs principales caractéristiques.

Dans l’ensemble, nous constatons naturellement une concentration des plateformes sur la région parisienne (54). Inversement, toutes les régions limitrophes de l’Île-de-France sont sous-représentées (sept plateformes pour cinq régions). Cette sous-représentation peut s’interpréter par un rayonnement des plateformes parisiennes sur ces régions. Sur l’arc atlantique, nous dénombrons quinze plateformes, dont sept sur notre territoire d’étude. Auvergne-Rhône-Alpes en compte six, toutes situées dans le bassin lyonnais. Dans ces régions, l’importante présence des plateformes pourrait s’expliquer par leur dynamisme économique et leur éloignement de l’Île-de-France. Ainsi, ce constat soulève un questionnement sur la nécessité et la volonté d’établir une proximité géographique entre les plateformes, les contributeurs et les entreprises.

Figure 1

Plateformes françaises permettant de financer des PME/TPE

Plateformes françaises permettant de financer des PME/TPE
Source : base de données « Plateformes ».

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Tableau 2

Principales caractéristiques des 86 plateformes françaises permettant de financer des PME/TPE

Principales caractéristiques des 86 plateformes françaises permettant de financer des PME/TPE
Source : base de données « Plateformes ».

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En France, le financement des entreprises par crowdfunding s’est plus particulièrement développé à partir de 2014, date d’entrée en vigueur de la réglementation sur le financement participatif. Le marché du crowdfunding réservé aux entreprises se répartit à peu près équitablement, en nombre, entre les types de financement. Nous constatons une prédominance des plateformes généralistes. Cette non-spécialisation leur permet d’envisager un marché plus vaste (Attuel-Mendès, Bonescu et Sila, 2018). Leur rayon d’action est essentiellement national, ce qui peut s’expliquer par le besoin de structurer et consolider leur modèle économique, avant d’envisager des développements hors des frontières nationales. La réglementation française en vigueur, jugée relativement contraignante en comparaison de celle anglo-saxonne, et la jeunesse du crowdfunding en France peuvent expliquer leur moindre développement à l’international.

Sur les 86 plateformes recensées, 33 ont permis de financer au moins un projet situé sur le territoire breton (Tableau 3).

Tableau 3

Principales caractéristiques des 33 plateformes finançant des projets situés sur le territoire breton

Principales caractéristiques des 33 plateformes finançant des projets situés sur le territoire breton
Source : base de données « Plateformes ».

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Ces 33 plateformes présentent des caractéristiques, pour ainsi dire, identiques à celles des 86 plateformes, à savoir une prédominance de celles créées après 2014, une non-spécialisation sectorielle et un rayon d’activité principalement national. Ces deux dernières caractéristiques expliquent probablement la volonté des plateformes d’ouvrir le plus possible leur marché, afin de satisfaire leur modèle économique par un volume d’activité important. Parmi ces 33 plateformes, sept d’entre elles se situent sur le territoire breton (Tableau 4).

Tableau 4

Principales caractéristiques des sept plateformes du territoire breton

Principales caractéristiques des sept plateformes du territoire breton
Source : base de données « Plateformes ».

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Ces sept plateformes ont été créées après 2014. En analysant leurs activités, nous constatons qu’une même plateforme peut proposer plusieurs types de financement. Trois d’entre elles proposent du don, quatre du prêt et quatre des fonds propres. Elles sont généralistes pour l’essentiel et leur rayon d’action reste, actuellement, principalement régional. L’avantage de l’ancrage régional, par la proximité entre les plateformes, les contributeurs et les porteurs de projet, peut permettre de communiquer plus facilement et de s’appuyer sur le sentiment d’appartenance à la région, particulièrement sensible en Bretagne. Selon le cabinet NewCorp Conseil, la Bretagne arrive en tête du classement avec un sentiment d’appartenance régional plus fort qu’ailleurs, qu’il s’agisse de la région natale ou de celle de résidence. Ainsi, la régionalisation de la plateforme peut être un atout pour financer des projets régionaux. Mais, à terme, le territoire breton peut être insuffisant pour assurer la viabilité du modèle économique des plateformes, conditionnée, entre autres, par des volumes importants d’activité.

3.2. Le financement des PME/TPE sur le territoire breton

Les 315 projets financés par crowdfunding sur le territoire breton, dont 40 % l’ont été par une plateforme bretonne, sont analysés par type de financement.

Sur le territoire breton, 56 % des entreprises financées par crowdfunding le sont par le don, dont environ la moitié via une plateforme bretonne. Ce sont en grande partie des TPE sans salarié. Leurs activités sont très diverses et restent majoritairement sur un périmètre local ou régional. La figure 2 montre que les projets sont répartis sur tout le territoire, avec une plus forte concentration dans les plus grandes agglomérations (Auray, Brest, Lorient, Nantes, Quimper, Rennes, Saint-Brieuc et Vannes). Cette répartition géographique suit peu ou prou l’armature urbaine régionale. Nous constatons, à l’instar de Mollick (2014) et Le Béchec et al. (2017), que plus le territoire est peuplé, plus le nombre de projets est important. Les fonds collectés servent principalement à financer des investissements matériels liés à la création d’une activité. En moyenne, les montants financés sont de 5 897 euros par 66 contributeurs.

Figure 2

Entreprises financées par crowdfunding sur le territoire breton

Entreprises financées par crowdfunding sur le territoire breton
Source : base de données « Entreprises ».

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33 % des projets sont financés par le prêt (89 % par un prêt rémunéré, 10 % par un prêt obligataire et 1 % par des minibons). Seulement 15 % sont proposés par une plateforme bretonne. Les entreprises ont une ancienneté d’environ douze ans, réalisent un chiffre d’affaires moyen de 3 079 000 euros sur des activités variées, essentiellement, locales et régionales. La plupart d’entre elles sont des TPE. En moyenne, le montant financé est de 127 390 euros par 331 contributeurs. Le taux d’intérêt et la durée sont en moyenne respectivement de 6,96 % et de 41 mois. Les collectes contribuent prioritairement à financer le développement et la diversification des activités. Comme le montre la figure 2, les projets se concentrent surtout sur les deux grandes métropoles, Nantes et Rennes, et sur la côte sud du territoire breton, où la concentration de la population et des entreprises est plus importante que sur le reste du territoire, exception faite de la métropole brestoise où aucun projet n’a été recensé. En dehors de cette exception, trois propositions sont susceptibles d’expliquer cette géographie du prêt. Le nombre d’entreprises disposant de la surface (financière et technique) nécessaire pour emprunter via ce canal apparaît plus important dans les grands pôles urbains que dans les zones rurales. La moindre connaissance par les dirigeants de ce mode de financement dans les territoires moins denses peut être un autre élément d’explication. Dans les territoires non métropolitains, la faible importance des réseaux économiques, permettant de faire circuler l’information, peut expliquer une moindre mobilisation de ce dispositif.

11 % des entreprises financées par crowdfunding sur le territoire breton, le sont par les fonds propres (91 % par crowdequity et 9 % par royalty crowdfunding), dont 76 % par des plateformes bretonnes. Pour représenter les contributeurs, il arrive que la plateforme siège dans les organes de gouvernance de l’entreprise, justifiant ainsi la nécessité d’une certaine proximité géographique entre la plateforme et le porteur de projet (Bessière et Stéphany, 2014 ; Fasshauer, 2016 ; Deffains-Crapsky et Daniel, 2018). Les entreprises, dont un peu plus des deux tiers sont des TPE, réalisent un chiffre d’affaires moyen de 1 573 600 euros. La portée géographique de leurs activités est principalement régionale et internationale. En termes de maturité, la moitié des entreprises sont très jeunes (deux et demi d’existence en moyenne) et l’autre moitié plus matures (treize années d’existence en moyenne). Les jeunes entreprises sont quasiment toutes des start-up. En moyenne, le montant financé est de 312 744 euros par 67 contributeurs. Pour les jeunes entreprises, les collectes de fonds servent en grande partie à structurer l’activité. Ce sont pour l’essentiel des entreprises qui débutent la commercialisation de leur produit ou service. Pour les moins jeunes, ce sont des entreprises plus structurées, qui poursuivent leur développement stratégique de production et/ou de distribution sur le territoire national ou à l’international. Les fonds financent bien souvent des investissements immatériels. La figure 2 montre que les projets sont pour l’essentiel situés dans les deux grandes métropoles, Nantes et Rennes. Inversement, ils sont quasiment absents dans les territoires ruraux. Les justifications avancées pour le prêt semblent encore plus vraies pour le financement par fonds propres (technicité et surface financière). La nature des entreprises, notamment des start-up, jouerait également en faveur des plus grandes villes. L’existence d’écosystèmes accueillants dédiés aux jeunes entreprises (incubateurs, accélérateurs, espaces de coworking, événements, laboratoires de recherches universitaires et formations[6]) pourrait l’expliquer.

Nos résultats mettent en évidence que, selon le type de financement mobilisé, des différences notables apparaissent au niveau de la dispersion géographique des projets. Le don est le plus dispersé avec des projets recensés dans la plupart des bassins de vie de la région. Le prêt se concentre sur une partie limitée du territoire. Quant aux fonds propres, ils sont géographiquement concentrés dans les principaux pôles urbains.

3.3. L’analyse des entretiens

Les entretiens portent sur trois grands thèmes en lien avec le territoire : la localisation du siège social de la plateforme, l’évolution de son marché et l’importance de la localisation de ses contributeurs. À partir de ces thèmes, nous cherchons à répondre aux trois questions suivantes pour étudier le lien entre le territoire régional et la plateforme dans une logique de dynamiques proximistes. Quels sont les déterminants de l’implantation géographique des plateformes ? Comment évolue l’activité des plateformes par rapport à leur marché d’origine ? Est-ce que la localisation des plateformes a un lien avec celle des contributeurs ?

3.3.1. La localisation des plateformes

Finple, MyOptions et We Do Good sont situées dans les deux grandes métropoles du territoire breton, Nantes et Rennes. Kengo, dont le siège social est implanté près de Brest dans le Finistère, est une plateforme régionale qui s’appuie sur des projets à fort ancrage régional. Tudigo, dont le siège social est à Paris, est une plateforme nationale, mais qui finance des projets à fort ancrage local via des relais locaux comme les chambres consulaires. En revanche, Credit.fr, Sowefund et Unilend, situées en région parisienne, ont un rayon d’action national sans représentation locale.

Selon les plateformes, différents facteurs expliquent leur implantation géographique. La présence historique des fondateurs sur le lieu du siège, les écosystèmes locaux ouverts et dynamiques, les réseaux d’influence locaux ainsi que la stratégie de conquête de marché sont les principaux facteurs évoqués lors des entretiens (Tableau 5).

Tableau 5

Facteurs liés à l’implantation géographique des plateformes

Facteurs liés à l’implantation géographique des plateformes

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Les fondateurs de certaines plateformes ont, dans le prolongement de leur précédente activité, jugé opportun de s’établir au même endroit. D’autres ont utilisé leurs réseaux d’influence pour se réunir. Enfin, la dynamique des écosystèmes locaux a contribué au choix de l’implantation.

Pour Finple, Aude Vinet précise que « si nous sommes basés à Nantes, c’est pour plusieurs raisons. Le fondateur est originaire d’une région proche, la Vendée, et Nantes est un écosystème dynamique ». Susan Nunes explique que We Do Good est « implantée à Nantes, car c’est l’incubateur d’Audencia qui nous a rassemblés. L’Ouest est très dynamique et ouvert. Nantes reste à une taille suffisamment modérée pour qu’on puisse se connaître et s’intégrer facilement ». En ce qui concerne la localisation de MyOptions, le groupe rennais Asteryos, dont MyOptions fait partie, accompagne des entreprises innovantes dans la recherche de solutions globales de financement. La plateforme, nommée à l’origine Options.bzh[7], a été créée pour compléter l’offre de financement proposée par Asteryos. De plus, Stéphane Bunouf souligne que « la Bretagne est dynamique. On est une terre du numérique présente dans les fintechs et la finance. Donc, forcément chez nous on a des atouts ». Serge Appriou de Kengo explique l’origine du projet comme suit : « j’aiproposé au Crédit Mutuel Arkéa, ainsi qu’au groupe Le Télégramme, de créer une plateforme de financement participatif sur la base du don pour la Bretagne, avec un périmètre géographique de cinq départements ».

En revanche, certaines plateformes ont cherché un lieu d’implantation centrale, la région parisienne, dans une optique de conquête de marché national. Thomas de Bourayne de Credit.fr justifie son siège parisien par le fait que « nos entreprises viennent de toute la France et de tous les départements. Paris c’est central ». De plus, George Viglietti de Sowefund ajoute qu’« il n’y a pas de limite géographique ; 60 % de nos investissements sont en Île-de-France, 20 % en Nouvelle-Aquitaine et les 20 % restant dans le reste de la France. Il y a plus de dossiers en région parisienne ». En revanche, d’autres plateformes ont voulu éviter la concurrence parisienne en s’implantant en région. À titre d’exemple, Aude Vinet de Finple précise que « sur Paris, il y a déjà un certain nombre de plateformes, qui se situent sur le même marché que nous. »

En somme, deux logiques concourent au choix de la localisation des sièges sociaux des plateformes. La première est liée à l’encastrement social (Granovetter, 1985) des responsables et des dirigeants dans les réseaux et écosystèmes locaux, en ligne avec leur trajectoire individuelle et professionnelle. La seconde, plus rationnelle, relève d’une priorité donnée au rayonnement national et à l’acquisition de parts de marché, sans frontière géographique fixée ex ante.

3.3.2. L’évolution géographique du marché des plateformes

Toutes les plateformes cherchent à développer leur volume d’affaires afin d’assurer leur pérennité. À cette fin, elles déploient diverses stratégies, dont les principales sont présentées dans le tableau 6.

Tableau 6

Principales stratégies mises en oeuvre pour développer l’activité des plateformes

Principales stratégies mises en oeuvre pour développer l’activité des plateformes

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Les plateformes implantées localement ont tout naturellement utilisé, dans leur stratégie de développement, le marché régional comme premier marché. Avec le temps, elles constatent que ce dernier n’est pas assez vaste pour pérenniser leur modèle économique, ce qui les oblige à étendre leur marché de différentes façons. Certaines choisissent de diversifier leurs activités en complétant leur offre de financement, d’autres cherchent à reproduire leur modèle économique sur une autre région ou optent pour une stratégie de communication nationale. De même que l’ont montré Attuel-Mendès, Bonescu et Sila (2018), les plateformes tendent à devenir plus généralistes et à développer leur audience sur des territoires plus vastes.

Dans un premier temps, Finple a orienté son développement géographique au niveau régional, mais souhaite, dans un second temps, étendre son activité sur un territoire plus important. Selon Aude Vinet, « nous présentons beaucoup de projets régionaux parce que nous avons un territoire dynamique et un vivier d’investisseurs régionaux. Notre stratégie est de devenir la plateforme référente sur le Grand Ouest avec un bureau à terme sur Paris ». Pour accroître ses parts de marché et, par là même, assurer sa pérennité, Finple a diversifié son activité (obligations) et cherche à se déployer sur les régions voisines. Cependant, en ce qui concerne l’activité equity, l’exercice n’est pas simple dans la mesure où, dans la phase post-investissement, Finple est présente dans les instances de direction pour représenter les investisseurs actionnaires. Avec cette approche, la proximité territoriale devient déterminante, mais peut aussi limiter le volume d’activité nécessaire pour assurer la rentabilité de la plateforme.

Dans son activité, Kengo ne s’appuie que sur son territoire régional. Pour assurer son développement, elle a reproduit le schéma breton sur une autre région, la région aquitaine, en appliquant le même principe de proximité géographique entre les porteurs de projet et l’essentiel des contributeurs. Elle recourt à des partenariats locaux pour communiquer sur les projets et utilise également ceux-ci pour se faire connaître auprès des porteurs de projet (Le Télégramme, Sud-Ouest et différents réseaux ou labels comme Bretagne Active, Marque Bretagne, etc.).

Stéphane Bunouf de MyOptions indique « qu’en premier lieu, ce sont les entreprises de notre territoire que l’on finance. Au premier chef, on est conscient que les efforts de communication physique comme digitale doivent être ciblés sur notre territoire, mais la Bretagne n’est en aucun cas une frontière ». Aujourd’hui, la plateforme souhaite s’étendre à tout le territoire national, en témoigne son changement de dénomination en mars 2018 d’Options.bzh en MyOptions. « En tant que breton on a le défaut de nos qualités. Il se passe plein de choses ici, mais il ne faudrait pas que cela nous empêche de voir ce qui se passe ailleurs. Certes, on est basé ici, mais, par contre, le message est très clair : le credo c’est l’innovation, pas un territoire ou un autre. »

Actuellement, l’essentiel des projets de We Do Good proviennent de prescripteurs locaux, comme des experts-comptables, des chargés d’affaires en banque et des conseillers en création d’entreprise, ce qui contribue à situer localement l’activité. Selon Susan Nunes « on a commencé par l’Ouest, parce qu’on travaille beaucoup avec des acteurs locaux et on tient à être un acteur local engagé, mais la plateforme est ouverte à des projets qui viennent de partout ». Ce positionnement de proximité géographique répond à une logique d’utilisation du territoire comme premier marché, avant d’envisager, souvent par nécessité, un développement plus large. En effet, l’objectif d’étendre ses activités sur tout le territoire national répond au besoin d’assurer la pérennité de la structure. Susana Nunes précise : « la plateforme ne se veut pas régionale, car elle est déjà sur une niche au niveau du mode de financement. Elle ne propose que les royalties, elle ne peut donc pas en plus afficher une spécificité régionale ».

Inversement, les plateformes, dont le marché initial couvre l’ensemble du territoire national, s’aperçoivent qu’un relais ou une présence en local s’avère nécessaire pour développer leur volume d’affaires (Tudigo, Credit.fr, Unilend et Sowefund).

Les projets présentés sur la plateforme Tudigo émanent pour l’essentiel de partenariats avec plusieurs chambres de commerce et d’industrie, des réseaux d’accompagnement et de financement, par exemple l’Adie, Initiative France, France Active et des réseaux bancaires. Alice Lauriot précise que « depuis le début, on s’est construit via un réseau de partenaires. On travaille en prescriptions croisées avec des organismes d’accompagnement et de financement des entreprises ». Yves Le Mercier mentionne que « la CCI du Morbihan est partenaire depuis fin 2015 de Tudigo via la plateforme Bulb in Bretagne, qui intègre aussi la CCI des Côtes-d’Armor. L’avantage de la CCI est la proximité qui rend possible la rencontre physique avec le porteur de projet ». Dans son développement, Tudigo envisage d’ouvrir des agences locales pour soutenir et renforcer la dynamique territoriale de son activité. Son modèle repose sur un maillage du territoire, assez proche du modèle de la franchise. Aujourd’hui, elle dispose de bureaux à Paris, Bordeaux et Lyon.

Thomas de Bourayne de Credit.fr, précise qu’une présence en local devient nécessaire pour se faire connaître du plus grand nombre d’entreprises. Pour lui, « la dimension régionale est intéressante. On considère que le marché est naissant. Il s’est déjà multiplié par deux ou trois et offre la possibilité de couvrir tout le territoire français. On prévoit l’embauche d’un commercial sur la région Bretagne cette année. On veut commencer à mettre des personnes en région pour faire connaître la plateforme auprès du tissu économique local. À moyen terme, on aura, en fonction de nos possibilités, du trade off entre direct et sur place, des personnes dans chaque région pour évangéliser et faire connaître Credit.fr auprès des entreprises et des intermédiaires, comme les experts-comptables, courtiers, chambres de commerce et chambres des métiers ».

Pour Nicolas Lesur d’Unilend, l’idée n’est pas de mailler le territoire avec des agences en local, mais d’avoir recours à des canaux de distribution ou des partenaires sur place qui seront utilisés comme apporteurs d’affaires, à l’image de ce que fait Tudigo. « C’est extrêmement compliqué d’accéder aux chefs d’entreprise. Paradoxalement, on est beaucoup plus connu des prêteurs que des emprunteurs. On est présent sur Internet, mais notre stratégie c’est d’aller vers des canaux de distribution physiques, auprès d’interlocuteurs de chefs d’entreprise. »

Afin d’assurer et de favoriser sa croissance, Sowefund se déplace sur toute la France avec son fundtruck (camion du financement qui organise des concours), qui permet d’accroître la visibilité du financement par crowdequity des start-up. Il offre la possibilité aux entrepreneurs, comme aux membres de la plateforme, de rencontrer ceux qui peuvent les aider et les soutenir. George Viglietti spécifie que « nous partons en région pour promouvoir l’entrepreneuriat et accroître la visibilité des jeunes entreprises. Cela permet aussi de côtoyer tous les membres de l’écosystème : investisseurs, entrepreneurs à succès, représentants locaux, médias, etc. ».

En définitive, au-delà de la proximité géographique, les plateformes cherchent à développer une proximité relationnelle (Talbot, 2015), en s’associant à des réseaux locaux et en créant des partenariats, dont l’enjeu est de générer un volume d’affaires plus important. Cette stratégie se situe dans une forme d’entre-deux territorial : ni trop distant, pour pouvoir entrer en contact plus facilement avec les futurs porteurs de projet et contributeurs, ni trop proche, car cela génère des coûts organisationnels supplémentaires. Quoi qu’il en soit, les intermédiaires locaux jouent un rôle crucial dans la mise en oeuvre de la stratégie et la réussite des plateformes.

3.3.3. L’importance de la localisation des contributeurs pour les plateformes

En fonction du mode de financement, une implantation géographiquement proche des contributeurs revêt plus ou moins d’importance (Tableau 7).

Tableau 7

Importance de la proximité géographique des contributeurs

Importance de la proximité géographique des contributeurs

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Pour les plateformes régionales Finple et Kengo, la proximité géographique est déterminante, mais pour des raisons différentes. Pour Finple, des investisseurs dits spécialisés, les insiders (investisseurs engagés initiés), participent aux processus de sélection et d’accompagnement pré- et post-investissement des projets. Ces insiders font partie du tissu économique local et cherchent à l’entretenir et le développer par leurs actions. Quant à Kengo, la proximité géographique s’explique par la nature même du financement, le don, pour lequel les contributeurs se sentent impliqués dans la construction de la vie économique locale.

Finple réunit une communauté d’insiders ayant une forte capacité d’investissement et/ou un niveau élevé d’expertise dans divers domaines d’activités économiques et/ou financiers. Ils jouent un rôle important dans l’évaluation des projets. Que ce soit en phase d’investissement ou de post-investissement, Finple essaie pour chaque projet sélectionné de faire en sorte que ce dernier soit accompagné par un insider. Charles Royer souligne qu’ils « soutiennent les projets en donnant de leur temps sur leur territoire, en partageant leur réseau, leurs compétences, leurs savoir-faire avec des jeunes entrepreneurs. Les insiders représentent la pierre angulaire de notre modèle ». Pour chaque entreprise financée en equity, la plateforme, accompagnée d’un insider, siège à son comité stratégique et la suit jusqu’à la fin de sa prise de participation. Comme Charles Royer le mentionne, « nous n’avons pas de limite territoriale, mais aller financer un projet dans une nouvelle région n’est pas évident. Un nouveau territoire demande de sourcer, d’attirer des projets de qualité, d’un côté, et tisser un réseau d’investisseurs de l’autre, afin de pouvoir bien financer les projets dans un premier temps et de bien les accompagner par la suite. Les investisseurs préfèrent mettre en valeur leur territoire.Il est très important de rencontrer et de recruter des investisseurs pour nous accompagner sur le financement et l’accompagnement des projets ».

Quant à Serge Appriou de Kengo, il précise que la territorialité de la plateforme s’appuie entre autres sur la proximité relationnelle et géographique des contributeurs avec la plateforme et les porteurs de projet. Ce sont des consommateurs qui, par leur contribution, se veulent acteurs engagés de la vie économique locale. « Nous avons une audience qualifiée, c’est-à-dire que sur les 63 000 personnes abonnées à notre page Facebook, 90 % sont en Bretagne et nous ne travaillons que là-dessus. » Il insiste sur l’importance de cette audience qualifiée qui les distingue des autres plateformes nationales, comme Ulule, par exemple. « Cette plateforme est généraliste, avec plus d’un million de contributeurs. Pour un projet qui a une ambition nationale, la mécanique de cette plateforme est la plus profitable. À l’inverse, pour nos projets, la majeure partie d’entre eux n’auraient jamais trouvé leur financement sur ce type de plateforme. Ils auraient été cachés parmi tous les autres projets. » Autrement dit, tout se passe comme si la plateforme jouait un rôle d’activateur de proximités entre les porteurs de projet et les contributeurs sur un même territoire.

À l’inverse, les autres plateformes de notre échantillon, qu’elles soient régionales ou nationales, ne fondent pas leur implantation sur leur proximité géographique avec les contributeurs. Comme le rendement est bien souvent la principale motivation des contributeurs, le sentiment d’appartenance à une région et/ou la proximité géographique entre les parties prenantes jouent donc peu dans leur sélection des projets. De ce fait, cela permet aux plateformes de se constituer un vivier de contributeurs sur tout le territoire national et ainsi de leur proposer des projets de tout horizon géographique.

Sowefund est aujourd’hui connue et reconnue par les porteurs de projet et différents partenaires qui accompagnent les start-up. Désormais, le plus important pour Sowefund est de développer son sourcing d’investisseurs actifs. Pour attirer des investisseurs, Georges Viglietti explique que « notre stratégie s’appuie sur plusieurs piliers. Le premier et le plus simple aujourd’hui pour trouver des investisseurs, c’est la recommandation. Cela passe par des partenariats avec des gens qui ont une communauté d’investisseurs. Il s’agit, par exemple, de réseaux, de clubs, d’anciens d’une école, de médias. Le deuxième pilier s’appuie sur un outil d’accompagnement des investisseurs dans leur choix d’investissement. Cet accompagnement se fera avec un produit de type intelligence artificielle, qui nous permettra d’être un nouveau fonds virtuel. Le troisième pilier, c’est notre fundtruck qui fonctionne très bien depuis deux ans et qui apporte beaucoup de crédibilité auprès des investisseurs ».

Pour Credit.fr et Unilend, les contributeurs sont indifféremment répartis sur le territoire national et leur motivation est majoritairement le rendement. Nicolas Lesur précise que pour « ledon ou l’equity, il y a une dimension affective et relationnelle initiale forte avec le porteur de projet. Ce n’est pas tant la géographie qui compte, mais la proximité personnelle. Sur le prêt, c’est très différent. On est sur des logiques qui sont moins liées à de fortes relations. Les gens ne se connaissent pas au départ entre ceux qui prêtent et ceux qui empruntent ». Thomas de Bourayne ajoute « qu’une enquête sur nos prêteurs montre qu’à 35 % c’est le rendement qui est leur première motivation, suivi de la volonté de soutenir des entreprises et de donner du sens à leur épargne à 33 ». Pour les contributeurs en crowdlending, le caractère non déterminant de l’attachement au territoire est un avantage puisque, comme le souligne Thomas de Bourayne, « les contributeurs ont bien compris que plus leur portefeuille sera diversifié et plus ce sera rentable. Dans le prêt, la dimension régionale des contributeurs est marginale. Nos prêteurs prêtent sur tous les dossiers ». De plus, Nicolas Lesur mentionne « qu’on ne perçoit pas, aujourd’hui, d’appétit de la part des prêteurs pour financer des projets de telle ou telle région. Quand bien même ce serait le cas, on n’est pas à un stade du marché où cela serait souhaitable. Il n’y a pas assez de projets dans chaque région pour que les prêteurs qui veulent le faire trouvent suffisamment de projets pour diversifier leur portefeuille ».

Les contributeurs des plateformes régionales de MyOptions et de We Do Good sont, à l’instar de ceux de Credit.fr ou d’Unilend, plutôt à la recherche d’un rendement. De plus, ces plateformes ont besoin de renforcer leur vivier de contributeurs pour valider leur modèle économique. Stéphane Bunouf précise que « ce qui va faire la différence entre le succès d’une plateforme par rapport à une autre, demain, ce n’est pas le nombre de projets affichés, mais la puissance de feu que vous représentez en nombre de financeurs. Et là, je jette directement un pavé dans la mare sur le côté régional. C’est bien la raison pour laquelle on n’a surtout pas voulu et on ne veut pas être la plateforme des Bretons pour les Bretons ». Chez We Do Good, comme le souligne Susana Nunes, « la moitié des contributeurs sont locaux par rapport aux porteurs de projet et l’autre moitié des financeurs ayant l’habitude d’investir dans d’autres types de placement et recherchant le rendement ». Ces deux plateformes ne veulent en aucun cas être estampillées régionales. Cependant, un développement national n’exclut pas d’aller à la rencontre des contributeurs locaux dans un premier temps. En effet, ces plateformes ont besoin de communiquer auprès des contributeurs pour se faire connaître du plus grand nombre, ce que confirme Stéphane Bunouf en allant à leur rencontre. « Tout le monde dit que le digital c’est bien, mais en réalité, si on veut sortir du fameux premier cercle de contributeurs et même à l’intérieur de celui-ci, il faut animer, rencontrer physiquement des gens pour leur dire qu’on existe. Voilà le travail qui reste à faire. »

4. Discussion

Tout d’abord, nous constatons une prédominance des plateformes bretonnes pour les projets financés par les fonds propres. Cette proximité géographique entre le porteur de projet, la plateforme et les investisseurs se justifie par la recherche d’un accompagnement pré et postfinancement et, dans une moindre mesure, par le fait que certains investisseurs souhaitent soutenir l’activité locale. Pour le don, dont les projets sont financés quasiment moitié-moitié par des plateformes régionales et non régionales, les contributeurs doivent se sentir concernés par le projet. Ce sont des acteurs engagés soit par rapport à des personnes (soutien à des relations), soit de la vie économique locale. La dimension relationnelle est ainsi privilégiée. Au regard de la littérature, ces résultats rejoignent les conclusions, entre autres, de Dejean (2019), Giudici, Guerini et Rossi-Lamastra (2018), Cuénoud (2015) sur le lien entre les parties prenantes du crowdfunding et l’importance du territoire. Pour le prêt et les royalties, la problématique est différente. Aucune proximité, qu’elle soit géographique ou relationnelle, n’est privilégiée à l’origine, car le projet peut se gérer à distance et les contributeurs sont avant tout à la recherche d’un rendement financier. Finalement, c’est surtout la proximité électronique entre les différentes parties prenantes qui prime.

À l’exception de Kengo, même si les plateformes bretonnes étudiées ont utilisé le territoire régional comme premier marché, elles ne cherchent pas à ne financer que l’économie régionale. Quant aux plateformes parisiennes de notre échantillon, celles-ci ont fait le choix d’une localisation plus centrale pour bénéficier d’un rayonnement national. Quel que soit le lieu d’implantation, les plateformes régionales cherchent à évoluer vers des audiences nationales pour développer leur volume d’affaires. À l’inverse, les plateformes parisiennes cherchent à disposer de points d’ancrage territoriaux, pour se faire connaître des entreprises et des contributeurs locaux par l’intermédiaire de partenaires et prescripteurs locaux, d’agences locales ou de commerciaux.

Notre contribution permet d’affirmer que ces stratégies de déploiement du régional vers le national ou du national vers le régional sont nécessaires, voire indispensables, pour assurer la pérennité du modèle économique des plateformes. Nous proposons, pour y répondre, une classification des plateformes en quatre catégories (Tableau 8) permettant de caractériser leur stratégie vis-à-vis du territoire et mettre en évidence les proximités mobilisées. Cette taxonomie ne cherche pas à catégoriser les plateformes en fonction de leur mode de financement (Onnée et Renault, 2014 ; Frydrych et al., 2014 ; Calmé, Onnée et Zoukoua, 2016a ; Renault, 2018). En revanche, bien qu’elle repose sur les différents modes de financement, elle classe les plateformes selon le lien entre leur modèle d’affaires et le territoire. De plus, nous mettons en évidence la principale proximité mobilisée dans la relation globale, toutes parties prenantes confondues, et pas seulement en ne considérant que la relation contributeurs et porteur de projet, comme c’est souvent le cas dans la littérature (Renault, 2018).

Tableau 8

Catégorisation des plateformes

Catégorisation des plateformes

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Il ressort de notre classification que les plateformes régionales à ambitions territoriales élargies cherchent aujourd’hui à étendre leurs activités en couvrant tout le territoire national (porteurs de projet, contributeurs) et/ou en diversifiant leur offre de financement. Même implantées en région, elles cherchent à être plus visibles hors des frontières de celle-ci.

Les plateformes nationales sans contrainte de territoire, donc sans frontière à l’origine, cherchent pour se développer des relais en région, ce qui conduit à une régionalisation de la plateforme dans son fonctionnement (ouverture d’agences locales, commerciaux, partenaires et prescripteurs locaux).

La plateforme nationale à fonctionnement régional est une plateforme, qui bien qu’implantée sur Paris, utilise des relais locaux pour financer des projets à fort ancrage local. Aujourd’hui, pour se développer, elle met en place une stratégie de maillage du territoire national comme on peut le concevoir dans le système de la franchise avec l’ouverture d’agences locales.

La plateforme régionale à fonctionnement régional est un modèle de plateforme conçu exclusivement pour le financement de projets en région. De plus, ses liens avec les partenaires locaux la contraignent à une activité qui reste pour l’essentiel régionale. Pour assurer sa pérennité, elle cherche à dupliquer son modèle économique sur d’autres régions.

En matière de proximité, nous observons qu’elles sont toutes mobilisées à des degrés divers et dépendent principalement du mode de financement. Pour les fonds propres, la proximité géographique domine. L’accompagnement pré- et post-investissement du porteur de projet rend cette proximité nécessaire avec des échanges en face à face fréquents. Quant au don, c’est plus un sentiment d’appartenance à une communauté qui explique une forte proximité relationnelle. Enfin, pour le prêt et les royalties, la proximité est essentiellement électronique dans la mesure où la logique de marché prévaut.

Dans un premier temps, dans leur fonctionnement, les plateformes s’appuient sur une proximité dominante (Tableau 8) afin d’accéder à un premier marché. Cependant, pour assurer leur pérennité et se développer, elles mettent en oeuvre des stratégies de déploiement d’activités et/ou géographiques les conduisant à recourir à un mix de proximités, leur permettant de renforcer leurs liens avec les territoires et les parties prenantes, quelles qu’elles soient. Pour les plateformes régionales à ambitions territoriales élargies, il s’agit de développer des relations hors du territoire en mixant les proximités géographique et relationnelle (Finple) ou électronique et géographique (MyOptions et We Do Good). Au-delà de leur proximité dominante, les plateformes nationales sans contrainte de territoire cherchent aujourd’hui à renforcer leur proximité relationnelle en développant notamment des partenariats en région. Les deux dernières configurations modèles, à savoir les plateformes nationales à fonctionnement régional et les plateformes régionales à fonctionnement régional, cherchent à se développer en combinant une proximité relationnelle forte avec une plus grande proximité géographique. Au final, une seule proximité ne peut pas à elle seule caractériser le modèle d’affaires. Dans leur développement, elles doivent en solliciter d’autres. Par ailleurs, notre classification met en évidence deux types de stratégie d’évolution possibles pour les plateformes. Celles à audience nationale, implantées en région parisienne, souhaitent développer des points d’ancrage en région pour être plus visibles des porteurs de projet et des contributeurs. En revanche, les plateformes bretonnes cherchent à sortir des frontières du territoire pour trouver de nouveaux débouchés.

Les technologies numériques ont créé les conditions favorables au développement du crowdfunding. Cependant, il semble que la digitalisation de ces opérations s’avère insuffisante et que le développement de ces activités sous-entend, à un moment ou à un autre, une mise en relation entre les différentes parties prenantes. En effet, bien que la mise en ligne du projet sur la plateforme lui offre sans conteste une vitrine, une rencontre entre les parties prenantes paraît essentielle pour augmenter le nombre de contributeurs, de porteurs de projet et le volume d’affaires des plateformes. Le home bias, invoqué par Lin et Viswanathan (2016) pour expliquer les choix des investisseurs, est donc confirmé. Dans leur stratégie, les plateformes ont donc tout intérêt à axer leur développement autour du concept de la « phygitalisation », qui consiste à bénéficier d’une présence physique tout en profitant des avantages du numérique. Ainsi, pour répondre à notre questionnement, l’ancrage territorial régional des plateformes est important pour le don et les fonds propres, mais, quel que soit le type de financement, toutes s’accordent à dire qu’un territoire limité, y compris à une région, ne suffit pas à assurer un volume d’affaires satisfaisant et pérenne. Les stratégies de diversification par les activités et la couverture de territoires plus vastes mises en place par toutes les plateformes montrent bien cet impératif.

Conclusion

Les projets financés par le prêt se concentrent dans les deux grandes métropoles, Nantes et Rennes, et sur la côte sud du territoire. Ceux financés par le don sont dispersés géographiquement sur tout le territoire d’étude. Les projets financés par les fonds propres, essentiellement localisés sur les métropoles rennaise et nantaise, le sont à 76 % par une plateforme bretonne, traduisant ainsi une proximité géographique entre les différentes parties prenantes. En revanche, la part du financement local par le prêt, 15 %, démontre que cette proximité n’est pas essentielle pour ce type de financement. Ces plateformes sont plus dépendantes de la proximité électronique que de la région comme zone de chalandise (Schwienbacher et Larralde, 2012).

Concernant le besoin d’un ancrage territorial régional, il a été observé que malgré des outils développés et utilisés par les plateformes pour sélectionner les projets (algorithmes puissants), ces dernières ont besoin de se rapprocher des parties prenantes (porteurs de projet, contributeurs, intermédiaires) pour accroître leur crédibilité et réduire l’incertitude, à savoir l’asymétrie d’information, comme l’ont montré Agrawal, Catalini et Goldfarb (2011, 2015). Pour cela, les plateformes ont tout intérêt à solliciter des acteurs en région, qui ont une bonne connaissance du tissu économique local, améliorant ainsi la sélection des projets et permettant d’éviter, autant que faire se peut, le risque de défaut. Cela représenterait un signal fort vis-à-vis des contributeurs, qui tout en respectant leurs motivations, auront une confiance accrue dans la plateforme et une propension plus importante à renouveler ces opérations, les fidélisant ainsi.

La région comme zone de chalandise s’avère insuffisante pour assurer la pérennité des plateformes. Compte tenu de la fragilité de leur modèle économique, elles ont besoin d’ouvrir le marché des porteurs de projet, d’alimenter le vivier des contributeurs actifs et souvent de se diversifier en proposant plusieurs types de financement. À partir de ce constat, nous justifions les deux stratégies de développement des plateformes : du national vers le régional et du régional vers le national.

L’étude nous a également permis de proposer quatre configurations modèles : (1) des plateformes régionales à ambitions territoriales élargies, (2) des plateformes nationales à fonctionnement régional, (3) des plateformes nationales sans contrainte de territoire, (4) des plateformes régionales à fonctionnement régional. Celles-ci montrent que les liens entre les plateformes et le territoire sont fonction de leur modèle d’affaires, avec des proximités observées qui restent dépendantes des modes de financement. Cependant, et quand bien même la proximité électronique est latente par l’appartenance des plateformes à l’économie numérique, nous constatons que dans leur développement elles cherchent à renforcer, d’une manière ou d’une autre, une proximité géographique et/ou relationnelle entre les parties prenantes. Nos travaux montrent donc que le crowdfunding renforce et/ou révèle des dynamiques proximistes. Dans un premier temps pour accéder à un premier marché, les proximités mobilisées ne sont pas toutes identiques et dépendent en grande partie du mode de financement proposé par la plateforme (proximité géographique pour l’equity, proximité électronique pour le prêt et les royalties, proximité relationnelle pour le don). Toutefois, pour assurer leur pérennité et se développer, les plateformes s’acheminent vers un mix de proximités liées à leur stratégie de déploiement.

Ces travaux ont porté sur un seul territoire régional, qui n’est pas forcément représentatif de toutes les régions. Ils ont nécessité la collecte d’informations aussi bien sur les plateformes que les projets d’entreprise à un instant donné. Or, il s’avère qu’entre la collecte et l’analyse de nos informations, le nombre des plateformes et des entreprises a évolué. Enfin, le crowdfunding implique trois parties prenantes, les plateformes, les porteurs de projet et les contributeurs. Nous n’avons pas collecté d’informations sur ces derniers. L’étude des proximités avec les contributeurs a été mise en évidence par le discours des responsables de plateforme interrogés.

Pour pallier ces limites et comme perspectives de recherche, il serait intéressant d’étudier les liens entre les plateformes et le territoire sur d’autres régions spécifiques ayant des identités fortes, comme l’Alsace ou la Corse. Compte tenu du caractère évolutif des plateformes et des entreprises, une étude longitudinale sur nos configurations modèles permettrait de mesurer leur évolution. Enfin, il serait intéressant d’étudier plus spécifiquement les comportements et les motivations des contributeurs en lien avec les plateformes et les porteurs de projet.