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Introduction

Les alliances asymétriques sont généralement définies comme des opérations de coopération entre des entreprises de tailles différentes, notamment entre des PME et des firmes multinationales (Mouline, 2005 ; Hourquet, Masclef et Métais, 2005). De plus en plus fréquentes, ces alliances permettent à chacun des partenaires de faire face aux évolutions rapides et aux turbulences de l’environnement. Parallèlement à l’essor de tels accords, les recherches académiques sur le sujet se sont multipliées (Cheriet, Roy et Rastoin, 2008 ; Assens et Cherbib, 2010 ; Mouline, 2005 ; O’Dwyer et O’Flynn, 2005 ; Chrysostome, Beamish, Hebert et Rosson, 2005 ; Meier et Missonier, 2009 ; Chtourou et Laviolette, 2005 ; Sawers, Pretorius et Oerlemans, 2008 ; Pérez, Florin et Whitelock, 2012). Toutefois malgré les avantages que procurent ces alliances, elles se caractérisent par un niveau d’incertitude important en ce qui concerne la réalisation des objectifs des partenaires (Das et Teng, 2000). Cette incertitude porte également sur la difficulté à prévoir le comportement de l’autre à cause de l’asymétrie d’information et du risque d’opportunisme existant. Il est en effet généralement admis que les alliances stratégiques entre PME et FMN sont à hauts risques, surtout pour le plus petit partenaire. Alvarez et Barney (2001) soulignent par exemple que dans le cadre des alliances asymétriques, 80 % des petites entreprises se sentent exploitées par leurs partenaires grandes entreprises.

Par ailleurs, dans ce contexte d’asymétries, le développement de la confiance, définie en général comme facteur clé de succès des alliances stratégiques, se retrouve être une tâche ardue. En effet, pour de nombreux auteurs la confiance constitue un moyen de réduction des conflits et désaccords entre les parties, un moyen d’amélioration de l’efficacité organisationnelle et un prédicteur important d’une négociation réussie (Rousseau, Sitkin, Burt et Camerer, 1998 ; Cullen, Johnson et Sakano, 2000 ; Blomqvist, 1999 ; Zaheer, McEvily et Perrone, 1998). Globalement, la confiance réduit la complexité et l’incertitude, assurant de ce fait un bon relationnel entre les partenaires. Par conséquent, l’existence de différences organisationnelles et culturelles entre les partenaires d’une alliance peut rendre difficile la construction de la confiance entre eux (Delerue et Simon, 2005). En outre, il est généralement admis que dans le cadre d’une alliance asymétrique les grandes entreprises ont tendance à adopter des comportements opportunistes par rapport à leurs partenaires, les PME (Veugelers et Kesteloot, 1996). Si les similarités interentreprises favorisent le développement de la confiance entre les parties prenantes d’une alliance, qu’en est-il dans le cas des alliances asymétriques ? La confiance peut-elle se développer dans les alliances asymétriques ? Comment le peut-elle ? Il devient important de comprendre de manière précise les facteurs pouvant influencer, favoriser ou empêcher le développement de la confiance dans le cas des alliances asymétriques.

En effet, en dépit du grand nombre de recherches sur la thématique de la confiance en management, une certaine confusion persiste dans la définition de sa nature, de ses différentes dimensions et de ses antécédents, notamment dans le cadre des relations d’alliances en général et des alliances asymétriques en particulier. Ces dernières offrent donc un terrain privilégié d’analyse de la confiance entre les partenaires et de ses antécédents.

Cet article examine les conséquences des asymétries entre les partenaires d’une alliance asymétrique sur le développement de la confiance entre eux. Nous posons la question suivante : quels sont les effets des asymétries entre les partenaires sur le développement de la confiance dans une alliance asymétrique ? À notre connaissance, peu d’auteurs se sont intéressés à la relation entre variables d’asymétrie et développement de la confiance entre les partenaires d’une alliance. Les résultats contrastés de ceux qui abordent cette question justifient l’intérêt de poursuivre les recherches dans ce domaine. En effet, tandis que certains auteurs soulignent l’existence d’une relation négative entre les asymétries, les partenaires et la confiance (Jemison et Sitkin, 1986 ; Ring et Van de Ven, 1994 ; Costa e Silva, Bradley et Sousa, 2012), d’autres concluent à une relation positive (Johanson et Mattsson, 1987 ; Johnson, Cullen, Sakano et Takenouchi, 1996) ou à l’absence de relation (Delerue et Simon, 2005).

Pour répondre à notre question de recherche, une étude empirique qualitative a été menée au niveau de dix PME françaises entretenant des alliances asymétriques avec des firmes multinationales dans l’industrie aéronautique. Nous présenterons dans une première partie, sur la base de la littérature, les différentes relations pouvant exister entre asymétries et confiance en définissant au préalable les principales formes d’asymétries entre PME et multinationales, et le concept de confiance interorganisationnelle. Dans une seconde partie, nous présenterons la méthodologie de recherche adoptée, les résultats ainsi que leur discussion.

1. Alliances asymétriques et confiance : revue de littérature et construction de nos hypothèses

1.1. Les principales caractéristiques des alliances asymétriques

Dans l’industrie aéronautique, on observe de nombreuses relations d’alliances asymétriques engageant des PME innovantes et des grandes entreprises. Ces accords de collaboration prennent souvent la forme de relations commerciales, d’accords de R&D, et de projets de production d’un produit commun (Dussauge et Garrette, 1995).

Si l’asymétrie de taille est évidente entre les partenaires d’une alliance asymétrique, il n’existe aucun consensus en ce qui concerne les autres caractéristiques de ces relations partenariales.

On peut compter nombre d’autres critères pour définir l’asymétrie entre les partenaires d’une alliance : le taux de croissance, la clientèle et la prise de décision (Cheriet et Dikmen, 2014) ; le degré d’urgence ; les enjeux stratégiques (Assens et Cherbib, 2010) ; la spécificité des actifs échangés ; les capacités d’absorption et d’apprentissage (Inkpen et Beamish, 1997) ; la capacité d’innovation (Alvarez et Barney, 2001) ; le pouvoir de négociation (Tinlot et Mothe, 2005), etc. Indéniablement les alliances asymétriques mettent en relation des entreprises aux profils stratégiques et organisationnels spécifiques. Dans le cadre d’une étude des effets des asymétries entre les partenaires d’une coentreprise sur la performance, Harrigan (1988) soulignait qu’au-delà de la différence de taille et de l’origine nationale ou géographique, l’expérience dans les coopérations, l’homogénéité culturelle en termes de culture d’entreprise ainsi que la différence dans la taille des actifs engagés devaient être considérées dans la définition des alliances asymétriques. Pour Chtourou et Laviolette (2005), une alliance peut être qualifiée d’asymétrique dès lors qu’elle est conclue entre des entreprises fortement différentes, notamment lorsqu’il existe entre elles un différentiel fort en termes de portefeuille de ressources et de position concurrentielle. Hourquet, Masclef et Métais (2005), à leur tour, définissent les alliances asymétriques comme des partenariats entre partenaires sensiblement différents sur un certain nombre de dimensions, à savoir les ressources et les capitaux disponibles, les outils de production et les usines, les canaux de distribution, l’intensité concurrentielle et l’organisation. Dans la même veine, Pérez, Florin et Whitelock (2012) soulignent l’importance de la différence de taille entre les partenaires dans la définition de l’asymétrie. Ils ajoutent qu’une alliance est également asymétrique lorsque les entreprises partenaires diffèrent considérablement en termes de dotations en ressources financières et humaines, de réputation, d’industrie, de technologies et de stratégies.

Il ressort globalement de la littérature que l’asymétrie entre les partenaires d’une alliance ne peut être totalement appréhendée à partir de la seule variable taille. Il est nécessaire d’adopter une approche multidimensionnelle des asymétries entre les partenaires pour une appréhension plus complète du phénomène. En tenant compte des caractéristiques distinguant globalement les PME des grandes FMN, nous conceptualisons les alliances asymétriques en considérant simultanément les asymétries de taille, de ressources, de compétences et de culture organisationnelle. Le choix de ces variables, au-delà du fait qu’un choix s’impose parmi la multitude de critères d’asymétrie existants, est lié au fait que ce sont les critères d’asymétries les plus récurrents dans la littérature. En outre, ces asymétries entre les partenaires sont reconnues comme des facteurs pouvant affecter la gestion des relations d’alliance et plus précisément le relationnel entre les différentes parties prenantes (Delerue et Simon, 2005). Dans une optique ressources par exemple, l’existence de complémentarité, de par l’interdépendance qu’elle développe entre les partenaires, favorise le développement de la confiance entre eux (Johnson etal., 1996). Dans l’autre sens et dans une perspective par les coûts de transaction, les asymétries seraient source de conflits potentiels et par conséquent ne favoriseraient pas le développement de la confiance entre les partenaires (Beamish et Jung, 2005).

Tableau 1

Synthèse des variables d’asymétries entre les partenaires

Synthèse des variables d’asymétries entre les partenaires

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1.2. Le développement de la confiance dans les alliances asymétriques

Notre travail s’intéresse à la confiance interorganisationnelle, puisqu’il étudie le développement de la confiance dans une situation d’alliance asymétrique. La confiance interorganisationnelle décrit la mesure dans laquelle les membres d’une organisation font collectivement confiance à une organisation partenaire. Elle est conceptualisée dans la plupart des études comme un concept multidimensionnel ; toutefois le contenu, le rôle et le nombre de dimensions ne sont pas universellement acceptés. Ces derniers sont fonction des différents horizons théoriques et empiriques choisis (Seppänen, Blomqvist et Sundqvist, 2007).

Das et Teng (1998, p. 494) définissent la confiance comme « des attentes positives quant aux motivations de l’autre par rapport à soi-même dans des situations impliquant des risques ». Le risque signifie qu’une partie subirait des conséquences potentiellement négatives, à savoir des pertes et des préjudices (risque de transfert non désiré de compétences), liés au manque de fiabilité de l’autre partie (Inkpen et Currall, 1998). Il traduit également la possibilité que les différences entre les partenaires déstabilisent la relation de partenariat, on parle de risque relationnel (Cheriet et Dikmen, 2014). Ce risque est particulièrement important dans le cas d’alliances entre PME et FMN.

À son tour, Brulhart (2005, p. 174-175) définit la confiance comme « la conviction partagée par les parties qu’en situation d’incertitude ou face à des circonstances imprévues, aucun des partenaires n’adoptera un comportement opportuniste pour exploiter les faiblesses de l’autre, et chacun agira en fonction de règles de comportement jugées acceptables ». Il existe ainsi une relation étroite entre la confiance et l’existence de risques. D’une part, le risque est une condition nécessaire d’apparition de la confiance. Le risque est inévitable dans toute opération transactionnelle impliquant des échanges. D’autre part, la confiance permet de rendre le comportement des partenaires prévisible en réduisant l’incertitude, l’opportunisme et donc le niveau de risques. Dans le cadre de cet article, la confiance est d’une part perçue comme l’attente que les parties prenantes se conformeront de bonne foi à la réalisation de leurs engagements, seront honnêtes dans les négociations, et ne profiteront pas les uns des autres, même lorsque l’occasion se présente (confiance intentionnelle selon Nooteboom, Berger et Noorderhaven, 1997 ; Hosmer, 1995). D’autre part, elle traduit la capacité des parties prenantes à respecter leurs engagements (Sako, 1997).

Le concept de confiance a été largement mobilisé dans le cadre des relations d’alliances. Ses déterminants et ses effets sur la performance ont été particulièrement étudiés. La confiance est généralement considérée comme étant un facteur de liaison entre les partenaires (Madhok, 1995), une alternative aux relations hiérarchiques (Aulakh, Kotabe et Sahay, 1996 ; Sako, 1997), un moyen de réduction des coûts de transaction (Sako, 1997) et comme un attribut de la performance (Blau, 1964 ; Zaheer, McEvily et Perrone,1998 ; Blomqvist, 1999 ; Dyer et Chu, 2003). Elle permet aussi d’atténuer les conflits et disputes entre les parties, d’améliorer l’efficacité organisationnelle et constitue un prédicteur important d’une négociation réussie (Rousseau et al., 1998). Enfin, selon Morgan et Hunt (1994), la confiance constitue un facteur essentiel pour le développement de partenariats durables dans le sens où elle facilite le dialogue constructif et la résolution de problèmes coopératifs.

Si la littérature a beaucoup discuté de l’intérêt et du rôle de la confiance dans les alliances stratégiques en général, il n’en est pas de même dans le cadre des alliances asymétriques. Comme le soulignent Costa e Silva, Bradley et Sousa (2012), la définition des déterminants de la confiance peut aider les dirigeants à développer des partenariats plus efficaces. Delerue et Simon (2005) rajoutent que la confiance n’est aucunement négligeable dans les relations asymétriques et qu’elle permet de maîtriser les différents risques possibles dans ce type de relations. C’est dans cette perspective que nous étudierons dans le cadre de cette contribution, la relation entre asymétries et confiance, en prenant en compte les trois variables d’asymétries suivantes : l’asymétrie de taille, de ressources, de compétences et de culture organisationnelle.

1.2.1. L’asymétrie de taille et la confiance entre les partenaires

L’analyse de la littérature nous permet de souligner le faible nombre de travaux théoriques et empiriques sur la relation entre asymétrie de taille[1] et développement de la confiance entre les partenaires. Nous constatons par ailleurs, une absence de consensus clair sur les résultats de ces travaux. En effet, si certains auteurs signalent des effets positifs de l’asymétrie de taille sur les issues de l’alliance, d’autres soulignent des effets totalement négatifs. Pour Veugelers et Kesteloot (1996) par exemple, les asymétries de tailles, reflet d’hétérogénéité, peuvent avoir un effet positif sur le niveau des synergies qui peuvent être réalisées au sein des alliances asymétriques. Ainsi ces asymétries constituent souvent un atout non négligeable dans l’établissement d’un partenariat réussi, non seulement en termes de rentabilité d’une alliance, mais aussi et surtout, en termes d’opportunité pour chaque partenaire de développer sa propre R&D et production. Dans la même veine, d’autres auteurs soulignent que les asymétries de taille aboutissent le plus souvent à un règlement plus facile des conflits et divergences (Cheriet et Dikmen, 2014) ainsi qu’à une meilleure efficacité de la relation (Yeheskel, Zeira, Shenkar et Newburry, 2001).

Toutefois, il convient de souligner que le postulat dominant de ces recherches est que l’asymétrie de taille influence négativement les résultats de la relation et par conséquent le développement de la confiance entre les partenaires (Sarkar, Echambadi, Cavusgil et Aulakh, 2001 ; Delerue et Simon, 2005 ; Bierly III et Gallagher 2007 ; Cheriet et Dikmen, 2008, 2014). Pour Bierly III et Gallagher (2007), « L’entreprise aura plus de confiance dans sa capacité à prédire le comportement de l’entreprise partenaire et à comprendre ses régimes routiniers si elles sont similaires. De la même façon, deux entreprises qui sont de tailles similaires sont plus enclines à se faire confiance, car il y a moins de risque que la grande entreprise utilise son pouvoir pour tirer profit du plus petit partenaire » (p. 141). Selon ces auteurs, lorsque les profils des entreprises partenaires sont similaires, ces dernières ont tendance à être plus coopératives et moins susceptibles d’afficher des comportements opportunistes. En effet, on admet généralement que l’asymétrie de taille induit un déséquilibre dans le contrôle et le pouvoir de négociation en faveur de la grande multinationale ; il est alors attendu une relation négative entre cette asymétrie et la confiance interentreprises. Plus précisément, le rapport de force établi par le grand groupe à l’égard de son partenaire plus petit ne favorise pas le développement de la confiance (Cheriet et Dikmen, 2008, 2014).

Partant de là, nous posons l’hypothèse H1 suivante :

H1 : l’asymétrie de taille entre les partenaires d’une alliance asymétrique ne favorise pas le développement de la confiance entre ces partenaires.

1.2.2. La complémentarité des ressources comme antécédent nécessaire à la confiance

La complémentarité dans une alliance stratégique suppose que chaque entreprise partenaire apporte à l’alliance des forces et des ressources uniques prisées par l’autre (Dymsza, 1988). L’une peut par exemple contribuer en connaissance du marché tandis que l’autre peut apporter son expertise technique (Johnson et al., 1996). De ce fait, on peut dire que la complémentarité est une caractéristique des alliances asymétriques engageant des entreprises aux ressources et compétences fondamentalement différentes et spécifiques dans leurs apports.

En outre, pour Harrigan (1985), la complémentarité se traduit, en termes stratégiques, en ce que les valeurs accordées par chaque partenaire aux contributions en ressources et compétences de l’autre sont sensiblement équivalentes. Cette équivalence crée une situation d’interdépendance entre les partenaires : les entreprises comptent les unes sur les autres pour des résultats améliorés qu’elles sont incapables d’obtenir seules. Cette situation favorise l’émergence d’une volonté de collaboration et réduit le niveau de tensions coopératives-compétitives pouvant nuire au développement d’un bon relationnel. La complémentarité réduit de fait la probabilité de mesures prises dans le seul intérêt personnel et renforce la confiance entre les partenaires (Deitz, Tokman, Richey et Morgan, 2010 ; Johnson etal., 1996 ; Morgan et Hunt, 1994 ; Rousseau etal., 2011 ; Sarkar etal., 2001). Au contraire, l’absence d’interdépendance entre les partenaires est à l’origine de l’instabilité et de l’échec des alliances stratégiques (Dymsza, 1988). Selon Lin (2007) ou encore Pérez, Florin et Whitelock (2012), les différences d’implication de ressources par les partenaires d’une alliance peuvent affecter négativement le résultat de la relation en raison du déséquilibre de pouvoir entre les parties. Dans cette situation, l’entreprise avec le plus de ressources ou ayant la ressource la plus importante aux yeux de l’autre aura tendance à contrôler le fonctionnement de l’alliance ; ce qui aura une incidence sur la qualité des interactions entre les partenaires.

En considérant le postulat dominant dans la littérature, nous posons l’hypothèse H2 suivante :

H2 : la complémentarité des ressources et compétences apportées par les partenaires d’une alliance asymétrique favorise le développement de la confiance entre ces partenaires.

1.2.3. Relation entre asymétrie de culture organisationnelle et confiance

L’analyse de la littérature suggère que la plupart des auteurs ont abordé la relation entre culture organisationnelle et confiance du point de vue de la similarité entre les partenaires. Selon Johnson etal. (1996), la similarité entre les partenaires traduit la mesure dans laquelle ils se ressemblent sur des dimensions pertinentes du succès de l’alliance. Jemison et Sitkin (1986), utilisent quant à eux le concept de similitude pour décrire la correspondance entre les organisations en termes de culture organisationnelle, de politiques de ressources humaines et de processus administratifs. Ces auteurs s’accordent pour dire que l’existence de similitudes entre les partenaires d’une alliance stratégique favorise le développement de la confiance entre eux. En revanche, l’absence de similitudes tend à créer de la complexité à travers diverses inadaptations sociales et opérationnelles entraînant une perte de temps et des coûts de coordination plus élevés (Ring et Van de Ven, 1994).

Ceci suppose qu’une certaine similarité entre les organisations en termes de culture organisationnelle, de politiques de ressources humaines et de processus administratifs favorise l’adéquation entre les organisations et accroît leur capacité à travailler les unes avec les autres (Costa e Silva, Bradley et Sousa, 2012). Dans le même ordre d’idées, Bierly III et Gallagher (2007) soutiennent qu’une compréhension tacite est plus facile lorsque les partenaires ont des cultures, des systèmes de contrôle, des pratiques comptables et des ressources humaines similaires. La similarité aide les gestionnaires des entreprises partenaires à se comprendre, y compris de manière tacite et à se sentir plus à l’aise avec les opérations des uns et des autres. En outre, la compréhension et la familiarité font partie des différents facteurs favorisant le développement de la confiance. De ce fait, une entreprise aura plus d’assurance dans sa capacité à prédire le comportement de son partenaire et à comprendre ses régimes routiniers s’ils sont plus similaires aux siens.

Doz (1988) avait déjà suggéré une relation positive entre similitudes entre les partenaires d’une alliance internationale et la confiance. Pour cet auteur la similitude se traduit par une affinité qu’il qualifie de convergence. Cette dernière facilite la compréhension mutuelle et combat les tendances concurrentielles, les conflits stratégiques et les agendas cachés préjudiciables à la relation commune.

Globalement, la plupart des auteurs ayant abordé cette question sont d’accord pour dire que l’asymétrie de culture organisationnelle influe négativement le développement de la confiance entre les partenaires. À l’exception notable près de Christoffersen (2013) qui ne détermine aucune relation entre ces deux variables. Selon cet auteur, cette absence de relation est due au fait que les problèmes de distance de cultures organisationnelles concernent les différences dans les pratiques et les comportements. De telles différences peuvent potentiellement causer des problèmes pratiques de coordination et de coopération plutôt que la méfiance et des conflits découlant surtout des différences dans les valeurs et les croyances profondément enracinées dans la culture nationale.

Finalement, on peut déduire qu’en situation de similarité dans les cultures organisationnelles des partenaires d’une alliance, la confiance se développe. A contrario, toute dissimilarité dans les cultures organisationnelles des partenaires peut affecter la qualité du partenariat et la confiance entre les partenaires.

Dans cette contribution, l’asymétrie de culture organisationnelle fait référence à toute dissimilitude en termes de processus organisationnels et de gestion d’une part, et de normes et valeurs d’autre part (Sarkar etal., 2001 ; Blomqvist, 1999 ; Lavie, Haunschild et Khanna, 2012). Sur la base des éléments précédents, nous suggérons que :

H3 : l’asymétrie de culture organisationnelle entre les partenaires d’une alliance asymétrique ne favorise pas le développement de la confiance entre ces partenaires.

2. Méthodologie de recherche, interprétation des résultats et discussions

Après un bref aperçu de notre méthodologie de recherche (2.1.), nous présentons et discutons les résultats liés à nos hypothèses (2.2. à 2.4.).

2.1. Méthodologie de notre recherche

Les hypothèses H1, H2 et H3 ont été testées à partir de données collectées auprès de dix PME françaises impliquées dans des alliances stratégiques[2] avec des firmes multinationales de l’industrie aéronautique (Tableau 3). Le choix de l’industrie aéronautique et des PME comme objets d’étude se justifient par les raisons suivantes.

L’industrie aéronautique est un secteur de haute technologie extrêmement dynamique se traduisant par des restructurations continuelles et des investissements colossaux en recherche et développement. On y observe de ce fait, un nombre important d’alliances entre PME innovantes et grands donneurs d’ordre industriels. En effet, les PME innovantes jouent un rôle de plus en plus important dans la chaîne de valeur des géants du secteur, Airbus, Boeing ou, entre autres, Safran. Ces derniers ayant des modèles d’organisation intégrés font appel aux PME et ETI, sous-traitantes pour la plupart, pour la fabrication et le suivi de leurs composants et produits. Par ailleurs, il convient de préciser que comme pour la plupart des entreprises sous-traitantes ou répondant à des appels d’offres dans le secteur, toutes les PME considérées dans cette étude bénéficient de certifications qualité exigées par les grandes multinationales partenaires (certification qualité EN 9100). On compte également pour certaines de ces PME étudiées, des certifications de la part de leurs donneurs d’ordres pour des procédés spéciaux sur pièces critiques.

Enfin, le choix des PME comme objet d’étude se justifie par la quasi-absence de recherches théoriques et empiriques analysant la performance des alliances stratégiques dans la perspective des PME.

Nous adoptons dans le cadre de cette contribution une méthodologie qualitative tout en nous appuyant sur une perspective hypothético-déductive. Cette approche n’est pas courante, mais est tout à fait légitime. D’une part, comme l’ont fait valoir Symon et Cassel (1998), on peut dans une méthodologie qualitative, adopter soit la déduction (un principe général, s’il est vrai, doit bien être vérifié dans un cas particulier), soit l’induction ou une combinaison des deux approches. D’autre part, l’industrie aéronautique est un secteur sensible avec une culture importante du secret. Il est de ce fait beaucoup plus facile d’obtenir des réponses par entretien approfondi en face à face, comme nous le faisons, plutôt que par questionnaire postal envoyé à un grand nombre de destinataires.

L’étude de cas multiple (Yin, 1984 ; Miles et Huberman, 2003) a été mobilisée comme méthode qualitative d’accès au réel. Ce choix est guidé par nos objectifs de compréhension et d’explication de la relation entre asymétries et confiance. Dans cette perspective, nous avons mené pour chaque PME de notre échantillon un entretien semi-directif enregistré d’une durée moyenne d’une heure et demie. Chaque personne interrogée est impliquée de très près dans la conduite des relations d’alliances de son entreprise. Les questions principales constituant notre trame d’entretien visaient à caractériser une ou plusieurs alliances engagées par la PME considérée avec une multinationale, à préciser l’existence et l’importance de la confiance entre les partenaires, et à identifier les facteurs pouvant influencer les relations avec les multinationales. Les différences de taille, de culture organisationnelle ou d’apports en ressources étaient soit abordées spontanément soit suggérées, et leur incidence sur la confiance et la qualité de la relation systématiquement considérée.

Le tableau 2 opérationnalise les variables utilisées pour analyser les constructions définies dans cet article.

Tableau 2

Modèle d’évaluation

Modèle d’évaluation

NB : nous n’effectuons pas de mesure de ces variables dans le sens où nous ne sommes pas dans une démarche d’explication statistique caractéristique d’une étude quantitative.

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Les données collectées par entretiens ont été complétées par diverses sources d’information sur chacun des cas étudiés (données publiques, études réalisées par des organismes agréés, articles de presse reconnue dans le domaine).

Le traitement de chacun de nos entretiens a été effectué suivant la technique du codage thématique selon des items identifiés dans le modèle théorique et dans les retranscriptions de nos interviews (King, 1998). Nous avons réalisé successivement des analyses intracas et des analyses intercas comme préconisé par Miles et Huberman (2003). L’objectif par la première démarche est d’organiser et réduire de façon pertinente les données collectées, et d’identifier les possibilités et leur diversité. L’analyse intercas nous a ensuite permis de comparer et d’appréhender les similitudes et les différences observées entre les dix cas d’alliances asymétriques étudiés.

Tableau 3

Identification des entreprises interrogées

Identification des entreprises interrogées

DG : directeur général ; PDG : président-directeur général.

NB : nous considérons dans ce tableau les effectifs des FMN partenaires en France et pour des raisons d’anonymat nous proposons une valeur seuil pour ces effectifs.

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Étudions sur cette base chacune de nos hypothèses.

2.2. Incidence de la taille sur le développement de la confiance

L’hypothèse H1, rappelons-le, est formulée comme suit :

H1 : l’asymétrie de taille entre les partenaires d’une alliance asymétrique ne favorise pas le développement de la confiance entre ces partenaires.

Suite à l’analyse individuelle des cas étudiés, nous les avons regroupés en deux sous- ensembles, ceux pour lesquels l’asymétrie de taille influence négativement la confiance (Groupe 1, Tableau 4-A), et ceux pour lesquels il n’en est rien (Groupe 2, Tableau 4-B).

Tableau 4-a

Relation entre l’asymétrie de taille et la confiance

Relation entre l’asymétrie de taille et la confiance

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Pour le premier groupe (5 des 10 cas étudiés, dont le cas 9 à double réponse, Tableau 4-A), l’asymétrie de taille influence négativement le développement de la confiance entre une PME et ses partenaires, les firmes multinationales. Sur la base des affirmations des répondants, les raisons suivantes peuvent être dégagées :

  • le manque de crédibilité de la PME : de par sa taille impliquant des ressources moins importantes et une structure organisationnelle plus simple, la PME se présente comme une organisation à risque et manque de crédibilité aux yeux des multinationales partenaires. Ce point est par exemple illustré par les commentaires du répondant dans le cas 3 (Tableau 4-A). La perception par la PME de ce manque de crédibilité ne favorise pas le développement de la confiance ;

  • le rapport de force entre les partenaires : compte tenu de leurs tailles importantes, les multinationales ont tendance à établir un rapport de force par rapport à leurs partenaires, les PME. Ce rapport de force se traduit par une certaine directivité des multinationales à l’égard de leurs partenaires, les PME et par l’établissement d’un contrat le plus souvent à leur avantage. Le comportement des multinationales est alors perçu par les PME comme opportuniste et comme un manque de considération, comme l’a affirmé le directeur général de la PME du cas 2 (Tableau 4-A).

Tableau 4-b

Relation entre l’asymétrie de taille et la confiance

Relation entre l’asymétrie de taille et la confiance

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En ce qui concerne le deuxième groupe (6 des 10 cas étudiés, dont le cas 9 à double réponse, Tableau 4-B), l’asymétrie de taille n’a d’impact négatif ni sur la confiance entre les partenaires ni sur son développement. En effet, malgré les difficultés relationnelles découlant de l’asymétrie de taille, la confiance dans les alliances asymétriques peut continuer à se développer. C’est en particulier le cas si d’une part, la PME respecte ses engagements et satisfait les besoins de son grand partenaire (Cas 10), et d’autre part, si les partenaires cherchent à profiter des complémentarités découlant de leurs ressources différentes et comprennent chacun les spécificités de l’organisation de l’autre (Cas 7).

Compte tenu des éléments précédents, l’hypothèse H1 est partiellement corroborée. Une partie de ces résultats est cohérente avec les affirmations de Bierly III et Gallagher (2007) ; Cheriet et Dikmen (2008, 2014) ou de Sarkar etal. (2001). L’asymétrie de taille favorise le risque d’un comportement opportuniste de la grande entreprise utilisant son pouvoir pour tirer profit de son partenaire plus petit et plus faible. En résumé, dans le cadre d’une alliance asymétrique, la perception par les PME du comportement opportuniste des multinationales partenaires réduit la confiance entre elles et la possibilité de son développement. Mais si la PME respecte bien ses engagements et si les deux partenaires ont bien conscience de leur intérêt mutuel à poursuivre durablement la collaboration, alors la confiance mutuelle peut se développer.

2.3. Incidence de la complémentarité des ressources et compétences apportées sur le développement de la confiance

Sur cette question, notre hypothèse H2 est, rappelons-le, formulée comme suit :

H2 : la complémentarité des ressources et compétences apportées par les partenaires d’une alliance asymétrique favorise le développement de la confiance entre ces partenaires.

Reprenons dans le tableau 5 les antécédents de la confiance tels qu’ils ressortent de la codification de nos entretiens.

Tableau 5

La complémentarité comme antécédent de la confiance dans une alliance asymétrique

La complémentarité comme antécédent de la confiance dans une alliance asymétrique

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À la lumière du tableau 5, on peut voir que la complémentarité des ressources et compétences apportées par les partenaires et l’interdépendance qui se crée du fait de cette complémentarité favorisent le développement d’un bon relationnel entre ces partenaires et par extension d’une relation de confiance. Comme le souligne le répondant du cas 5 : « Il est clair que ces relations sont gagnant-gagnant. Les multinationales comptent sur notre capacité de R&D. Et nous, en retour, nous comptons sur eux par rapport à ce que nous n’avons pas : leurs capacités marketing, les ressources… ».

Il apparaît également que la détention d’un savoir-faire spécifique ou d’un produit innovant et de qualité constitue une variable déterminante de l’interdépendance entre les partenaires et par conséquent de la confiance. Dès lors qu’une PME détient un savoir-faire ou une technologie spécifique, elle équilibre la relation d’alliance asymétrique. En effet, comme souligne le répondant du cas 8 : « Nous avons une technologie spécifique qui intéresse nos clients. Cette technologie spécifique nous permet de générer un intérêt auprès de tous ces grands groupes internationaux ». En outre, le PDG de la PME dans le cas 10 précise : « Ces différences de taille et de culture organisationnelle n’influencent pas forcement les résultats de la relation, qui sont positifs. On arrive à avoir des discussions avec nos partenaires parce qu’on a un savoir-faire spécifique ».

On passe de ce fait d’une situation où seule la PME est dépendante à une situation d’interdépendance entre la PME et ses partenaires, les multinationales ; ces dernières reconnaissant l’importance des ressources de la PME. Dans cette situation de besoin mutuel, chaque partenaire va mettre en place les moyens nécessaires à la coopération, pour atteindre ses objectifs individuels et les objectifs communs, en l’occurrence en synergie.

Finalement, nous pouvons souligner l’existence d’une relation positive entre la complémentarité des ressources et compétences apportées par les partenaires d’une alliance asymétrique et le développement de la confiance entre eux. L’hypothèse H2 peut donc être considérée comme corroborée. Ce résultat corrobore les affirmations de nombreux auteurs sur le sujet. Plus la complémentarité entre les partenaires est élevée plus la confiance entre ces derniers sera grande (Morgan et Hunt, 1994 ; Johnson etal., 1996 ; Sarkar etal., 2001 ; Deitz etal., 2010). La situation de dépendance mutuelle et de réciprocité qui découle de la complémentarité des ressources réduit les risques de comportements opportunistes, source de méfiance entre les partenaires. L’attente de résultats plus avantageux par chacune des parties prenantes à l’alliance pousse ces dernières à effectuer des efforts pour surpasser les difficultés relationnelles liées aux alliances asymétriques et pour développer un bon relationnel, source de confiance.

2.4. Incidence de l’asymétrie en termes de culture organisationnelle sur le développement de la confiance

Notre hypothèse H3 est formulée comme suit :

H3 : l’asymétrie de culture organisationnelle entre les partenaires d’une alliance asymétrique ne favorise pas le développement de la confiance entre ces partenaires.

Suite à l’analyse individuelle des cas étudiés, les réponses par rapport à l’hypothèse H3 sont regroupées en deux catégories comme l’indique le tableau 6.

Tableau 6

Relation entre l’asymétrie de culture organisationnelle et la confiance

Relation entre l’asymétrie de culture organisationnelle et la confiance

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Il apparaît d’une part, dans quatre des dix cas étudiés, que l’asymétrie de culture organisationnelle entre les PME et les multinationales est source d’incompréhensions mutuelles qui rendent la relation partenariale plus difficile. Ces difficultés relationnelles découlant de l’asymétrie de culture organisationnelle influencent négativement la confiance entre les partenaires. En témoignent ces quelques commentaires des répondants interrogés :

« À leurs yeux qui ne connaissent que les grands groupes, ça leurs paraît le bazard, ça ne leur paraît pas rigoureux… De notre côté, c’est compliqué d’échanger par rapport à leur organisation… », DG de la PME du cas 1. Ce dernier rajoute ceci : « Je pense que le point essentiel, c’est la relation de confiance, qui fait que si il y a de la confiance… et la confiance, elle s’établit dans le temps et elle ne peut pas s’établir dans des sociétés qui changent de structures et de personnes en permanence ».

DG de la PME du cas 1

« Si votre copain est rigide et vous flexible dans la relation… Eh bien ça se passe mal… Ils sont trop procéduriers, ils ne sont pas réactifs ».

DG de la PME du cas 2

Ce résultat est cohérent avec les affirmations de Doz (1988), Geringer (1988), Dymsza (1988), Bucklin et Sengupta (1993) et Johnson etal. (1996). Lorsque les partenaires d’une alliance stratégique ont des cultures organisationnelles qui se rapprochent (styles, processus de gestion, normes et valeurs similaires), la relation est de meilleure qualité, car les partenaires ont des approches similaires des problèmes et tolèrent plus facilement les approches des uns et des autres. La symétrie de culture organisationnelle facilite la compréhension mutuelle et la familiarité, qui à leur tour favorisent le développement de la confiance entre les partenaires (Bierly III et Gallagher, 2007 ; Costa e Silva, Bradley et Sousa, 2012).

D’autre part, dans six des dix cas étudiés, les difficultés relationnelles découlant de l’asymétrie de culture organisationnelle n’ont aucune influence sur la confiance. Ceci pour les raisons suivantes :

  • le respect des engagements par la PME : « Ils savent qu’on est là et que même si ce n’est pas dans un contrat, on va les aider ; on considère que le client reste roi. On se bat plus pour avoir de la satisfaction du client et du coup, il en découle de bons partenariats », PDG du cas 9 ;

  • la complémentarité des ressources des partenaires : « On est tous conscients qu’on a besoin les uns des autres. Là dessus, il n’y a pas de doute, tout le monde fait des efforts » ; « Si vous avez des gens intelligents qui voient que c’est de la différence et de la complémentarité que la force est tirée, là ça se passe très bien », DG de la PME du cas 7 ;

  • la compréhension mutuelle de l’organisation des partenaires ou acceptation des différences organisationnelles : « On a l’habitude de traiter avec eux… on ne fait que ça… », DG de la PME du cas 6 ;

  • l’adaptation des processus organisationnels de la PME par rapport à ceux des multinationales partenaires : « Aujourd’hui, on est organisé en management par projet, on a des process industriels qui sont les mêmes que les leurs. On a très vite calqué nos procédés sur les leurs », PDG de la PME du cas 9.

Ce résultat ne corrobore pas certaines contributions majeures sur le sujet (Doz, 1988 ; Dymsza, 1988 ; Johnson etal., 1996 ; Bierly III et Gallagher, 2007 ; Costa e Silva, Bradley et Sousa, 2012). En effet, il montre que l’asymétrie de culture organisationnelle n’est pas nécessairement un obstacle à la confiance.

Dans le cadre de cette étude, les problèmes de distance de cultures organisationnelles portent sur des différences dans les pratiques et les comportements des partenaires. Ces différences peuvent potentiellement causer des problèmes pratiques de coordination et de coopération plutôt que de la méfiance (Christoffersen, 2013). Sur la base de nos résultats, nous soutenons que la méfiance découle plutôt des comportements peu conciliants des parties prenantes à la relation d’alliance. Globalement, nos résultats nous conduisent à réfuter partiellement l’hypothèse H3.

Conclusion

Cet article a pour objet d’analyser la relation pouvant exister entre les asymétries, caractéristiques d’une alliance stratégique entre une PME et une firme multinationale, et la confiance entre elles. Dans cette perspective nous sommes partis d’un cadre de recherche élaboré à partir d’une revue de littérature sur les alliances stratégiques en général, les alliances asymétriques en particulier, et la confiance. Les résultats de cette étude sont le fruit d’une analyse qualitative de dix cas d’alliances asymétriques de PME françaises dans l’industrie aéronautique. Ces résultats ont à notre avis d’importantes implications aussi bien managériales que théoriques en particulier en raison du peu d’attention accordé à la question des effets des asymétries entre les partenaires sur la confiance et des résultats contrastés observés dans la littérature.

Généralement, la plupart des auteurs sont d’accord pour dire que l’existence de similitudes entre les partenaires d’une alliance stratégique favorise l’installation de la confiance entre ces derniers. De ce fait, toute asymétrie de taille ou de culture organisationnelle entre les partenaires influencerait négativement le développement de la confiance entre eux. Nous prenons cette affirmation avec prudence. En effet, si une partie de nos résultats la corrobore, l’autre la réfute. C’est d’ailleurs ce qui constitue le principal apport théorique de cette recherche.

Sur le plan managérial, plusieurs propositions peuvent être faites à partir des résultats de cette recherche. Tout d’abord, nos résultats ont des implications pour des questions fondamentales telles que la sélection des partenaires de l’alliance. En effet, l’importance des valeurs partagées dans le développement de la confiance témoigne de l’importance de bien sélectionner ses partenaires avant la mise en place de l’alliance. Le choix de partenaires aux valeurs organisationnelles relativement proches atténue les incompréhensions mutuelles pouvant découler de l’asymétrie de culture organisationnelle.

Ensuite, la symétrie n’est visiblement pas le principal facteur déterminant de la confiance entre les partenaires d’une alliance stratégique. La confiance peut se développer entre des partenaires asymétriques si des dispositions sont prises par ces derniers pour maintenir la coopération. De ce fait, malgré les asymétries de taille et de culture organisationnelle, la confiance peut s’installer entre les PME et leurs partenaires, les multinationales et continuer à se développer. C’est particulièrement le cas si :

  • les PME développent des situations d’interdépendance entre elles et leurs partenaires grands groupes. Pour créer ces interdépendances, les PME doivent détenir une ou des ressources valorisables dont l’importance est reconnue sur le marché (un savoir-faire ou une technologie spécifique, une capacité d’innovation). En effet, le risque relationnel, un antécédent de la défiance entre les partenaires d’une alliance, est accentué si la PME ne détient pas une ressource importante aux yeux de ses partenaires de grande taille ;

  • les PME parviennent à respecter les engagements pris à l’égard des multinationales partenaires (offre de services ou produits uniques et de qualité). Le respect des engagements renforce la crédibilité des PME aux yeux des multinationales partenaires qui leur accordent des références et certifications qualité. Cela favorise par extension l’instauration de la confiance et d’une relation, à terme, plus efficace entre les partenaires ;

  • et enfin si les deux partenaires font l’effort de se comprendre et de s’adapter mutuellement à leurs organisations différentes.

Par ailleurs, nous soutenons que la valorisation de l’expérience précédente d’alliance asymétrique par la PME est un facteur clé de succès important à considérer. En effet, la détention par la PME d’une expérience d’alliances asymétriques est un facteur qui peut renforcer sa crédibilité aux yeux des FMN partenaires et favoriser de fait l’instauration de la confiance et d’une relation à terme plus efficace.

Concernant les multinationales, il ressort de nos résultats que ces dernières doivent dans le cadre de ces partenariats asymétriques sensibiliser leurs services à la spécificité des transactions avec les PME innovantes. Leurs services achats en particulier doivent être moins axés sur les prix et reconnaître la qualité d’innovation des PME, au risque de générer dès le départ des frustrations au niveau de leurs petits partenaires. En outre, la confiance que ces multinationales partenaires peuvent accorder aux PME et le dépassement du principe de précaution qui vise à ne pas prendre de risques sont des facteurs influençant la confiance et l’implication des PME dans la relation d’alliance asymétrique.

Enfin, la permanence des interlocuteurs des PME dans la structure de la multinationale est un facteur à considérer, car il permet de développer un meilleur relationnel entre les partenaires et de cumuler un retour d’expériences plus important. En effet, il a été admis par tous nos répondants que les multinationales ont une organisation caractérisée par une rotation régulière des interlocuteurs.

Notons que toutes ces recommandations définies d’une part pour les PME et d’autre part pour les multinationales peuvent aussi être considérées dans le cadre des alliances stratégiques en général. En effet, les alliances asymétriques sont globalement des alliances stratégiques. Toutefois, il convient de souligner que l’importance de certains facteurs d’influence est plus grande dans le cas des alliances asymétriques engageant des partenaires aux capacités et ressources différentes. La prise en compte de ces facteurs dans le cas des alliances asymétriques apparaît plus comme une nécessité. Plus particulièrement, si pour les alliances stratégiques on est dans une perspective de respect des engagements mutuels, dans le cas des alliances asymétriques le respect des engagements repose plus sur la petite entreprise qui malgré tout reste dépendante de son grand partenaire.

Cela dit, nos résultats et interprétations doivent être pris avec prudence en raison de la méthodologie spécifique utilisée, du caractère monosectoriel de notre analyse (industrie aéronautique en France) et surtout parce que cette analyse a été conduite à partir des perceptions d’une seule partie prenante du partenariat, la PME. Cependant, malgré ces réserves, nos résultats ont à notre avis d’importantes implications pour les dirigeants. Des voies futures de recherche peuvent être proposées sur le plan empirique, notamment par l’extension de cette étude à des échantillons plus importants et à des entreprises d’autres secteurs et des zones géographiques variées.