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Témoigner : l’expérience du tournage de Ziva Postec. La monteuse derrière le film Shoah[Record]

  • Catherine Hébert

En collaboration avec Annie Jean

Ziva Postec a passé six ans de sa vie à écouter et à monter les témoignages recueillis par le réalisateur Claude Lanzmann pour son film Shoah (1985). Sur sa table de montage, elle a vu défiler quelque 350 heures de rushes, soit des centaines de bobines 16mm. Pendant six ans, elle a pris le train à la Gare du Nord de Paris pour se rendre dans sa salle de montage au laboratoire LTC à Saint-Cloud. Elle a emprunté le même trajet, aller et retour, matin et soir. Elle l’a fait en dépit de la dureté des témoignages qui s’enchaînaient, des moments de découragement, et des tempêtes qu’il a fallu traverser avec un réalisateur hanté par son film. Avec le documentaire que je lui ai consacré, Ziva Postec. La monteuse derrière le film Shoah, j’ai voulu rendre compte de son travail de dentellière, brillant et acharné. Deux grandes questions orientaient ce projet de film et devaient éclairer sa réalisation : Comment Ziva avait-elle vécu cette expérience de montage colossale ? Qu’est-ce qui avait motivé son dévouement total à cette oeuvre-fleuve ? Pour le savoir, je devais nécessairement explorer un territoire se situant au-delà du montage de Shoah. Car on ne passe pas six ans à monter un film sans la présence d’une motivation à toute épreuve, profondément ancrée dans une histoire personnelle. J’avais eu accès au vécu de Ziva grâce à l’historien Rémy Besson, qui allait devenir notre complice tout au long de la construction de ce film. Dans sa thèse de doctorat portant sur le film Shoah (de laquelle il a tiré un livre), un chapitre entier était consacré spécifiquement au montage. Pour l’écrire, Rémy avait rencontré Ziva à plusieurs reprises. Sa connaissance approfondie des 350 heures de rushes du tournage de Shoah allait aussi s’avérer précieuse, et nourrir des discussions fructueuses pendant les cinq années qu’a duré la production du film, soutenue vaillamment par Christine Falco. En allant à la rencontre de Ziva à Tel-Aviv-Jaffa, je savais que la parole que j’allais recueillir ne serait pas un bloc monolithique. La mémoire autobiographique, constituée d’une collection de souvenirs, comporte des zones d’ombre et de lumière. Récits tronqués, images isolées, et évocations limpides ou estompées composeraient le témoignage protéiforme de toute une vie. Premier jour de tournage. Premier clap. Ziva est nerveuse. Moi aussi. Ce film ne s’inscrit pas en continuité avec ceux que j’ai réalisés précédemment. Cette fois, pas de personnages qui poursuivent une quête ni de scènes qui évoluent librement devant la caméra. Aujourd’hui, il y a Ziva, 76 ans, qui s’assoit pour nous raconter toute sa vie. Vaste programme. Voilà des mois que je prépare ce tournage. J’ai un plan, souple, mais qui doit donner une direction à son témoignage. Pour ne pas m’y perdre, j’ai prévu d’aborder chronologiquement les différentes époques de sa vie. Je compte d’abord m’intéresser à son enfance en Israël, où elle vit dans le silence absolu de ses parents, restés muets sur leur passé, sur la guerre et sur la famille exterminée en Europe. Puis son départ pour Paris où elle passe 25 ans, en plein âge d’or du cinéma. Pendant ce quart de siècle, elle multiplie les collaborations avec les Ariane Mnouchkine, Jean-Pierre Melville, Alain Renais et Orson Welles. C’est à Paris qu’elle rencontre celui qui deviendra son mari, le metteur en scène Robert Postec. Beaucoup plus tard survient la rencontre avec Claude Lanzmann, et le montage de Shoah, où Ziva se donne pour mission de restituer à la mémoire collective l’histoire de l’extermination des juifs (une extermination qu’elle n’a pas connue directement, mais qui est l’héritage occulté de sa famille). La …

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