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Introduction

Accéder à des soins de qualité est essentiel pour promouvoir l’équité en santé (Organisation mondiale de la santé, 2009a). Le manque d’accessibilité représente un enjeu affectant négativement la santé des populations les plus marginalisées (Hyppolite et al., 2019). Parmi celles touchées par ces inégalités d’accès, nous retrouvons les Premières Nations, les personnes issues de la communauté LGBTQ2S+, les personnes immigrées et réfugiées, les personnes faisant partie d’une minorité ethnique, en situation d’itinérance, celles vivant avec des problèmes de santé mentale, ou encore celles qui utilisent des drogues par injection (UDI) (Santé Canada, 2001). Les inégalités d’accès aux services de santé vécues par ces groupes sont modulées par des barrières géographiques, économiques, organisationnelles, socioculturelles et relationnelles (Hyppolite et al., 2019).

Dans le contexte de la crise liée aux surdoses d’opioïdes, les personnes consommant des opioïdes, et notamment celles présentant un trouble lié à cet usage, représentent une population pour qui il est important de favoriser l’accès aux services, notamment en raison des risques importants auxquels ces dernières sont exposées (décès, surdoses, violences, criminalité, infections transmissibles sexuellement et par le sang, etc.). La consommation d’opioïdes aurait été responsable de 4 460 décès au Canada en 2018, soit 11,8 décès pour 100 000 habitants (Comité consultatif spécial sur l’épidémie de surdoses d’opioïdes, 2020). Au Québec, sur la même année, le nombre de décès apparemment liés à cette consommation était de 424 (Comité consultatif spécial sur l’épidémie de surdoses d’opioïdes, 2020). Bien que ce nombre demeure moins important que celui dans d’autres provinces canadiennes, nous observons une augmentation de 26,8 % du nombre moyen de décès attribuables à la consommation d’opioïdes entre les années 2010 et 2014 (Shemilt et al., 2017).

Il reste toutefois difficile de dresser un portrait des personnes consommant des opioïdes, notamment en raison de la variété des profils existants et de l’absence de données fiables. Les données disponibles suggèrent néanmoins que la consommation d’opioïdes est particulièrement prévalente chez les personnes UDI (Leclerc et al., 2019). A fortiori, celles-ci présentent souvent des facteurs de vulnérabilité psychosociale, dont l’instabilité résidentielle, qui les rendent davantage à risque de vivre des méfaits liés à cette consommation (Brisson, 2011 ; Leclerc et al., 2019 ; Poliquin, 2017).

Le traitement pharmacologique par agonistes opioïdes (TAO), avec interventions psychosociales complémentaires, représente une option de choix pour les personnes développant un trouble de l’utilisation des opioïdes (Organisation mondiale de la santé, 2009b ; Taha et al., 2018). Ce traitement a un effet positif contre les méfaits psychosociaux et sur la santé associés à la consommation (Clausen et al., 2008 ; Gowing et al., 2011 ; Kerr et al., 2005 ; Langendam et al., 2001), tout en participant à la réduction du fardeau sanitaire et socioéconomique (Bansback et al., 2018 ; Health Canada, 2002). Néanmoins, l’accessibilité de ce traitement reste à améliorer, notamment au Québec (Champagne et al., 2018 ; Ministère de la Santé et des Services sociaux, s. d.), et pour les personnes en situation de précarité (Gryczynski et al., 2014 ; Kourounis et al., 2016 ; Poliquin et al., 2018 ; Strike et al., 2013).

Afin de réduire les barrières d’accès au TAO rencontrées par les personnes en situation de précarité, des modèles à bas seuil d’exigence ont été développés durant les années 1980 (Strike et al., 2013). Ces derniers ont obtenu des résultats intéressants en matière de rétention des usagers dans les services et de diminution des méfaits reliés à la consommation d’opioïdes (Millson et al., 2007 ; Strike et al., 2013). Le terme de bas seuil d’exigence fait souvent référence à la réduction du nombre et de l’intensité de l’impact des barrières représentées par les critères d’accès et de rétention dans les services (Edland-Gryt et Skatvedt, 2013 ; Islam, Topp, Conigrave et Day, 2013 ; Strike et al., 2013). Néanmoins, l’organisation concrète de ce type de programme n’est pas uniforme, et ce terme est utilisé pour désigner une large gamme de services (Dassieu, 2013 ; Islam, Topp, Conigrave et Day, 2013 ; Strike et al., 2013).

Dans ce contexte, notre objectif a été d’entreprendre un examen critique de la littérature scientifique pour mieux saisir les caractéristiques communes des services à bas seuil d’exigence permettant de rejoindre les personnes en situation de précarité, et plus particulièrement les personnes consommant des opioïdes. Les résultats de cette démarche contribueront à améliorer l’accessibilité, la capacité de rétention et la qualité des services, en plus de soutenir le développement de nouveaux programmes pour les personnes en situation de précarité et consommant des opioïdes. Pour soutenir cette démarche, nous avons réalisé une recension narrative de la littérature répondant à la question suivante : « Quelles sont les caractéristiques des programmes à bas seuil d’exigence permettant de rejoindre les personnes en situation de précarité et en particulier celles présentant une consommation d’opioïdes ? »

Méthodologie

Pour orienter notre démarche et mieux saisir les différentes facettes d’un programme à bas seuil d’exigence, la question de recherche a été déclinée en trois sous-questions :

  • Quelles sont les philosophies d’intervention favorisant la prestation de services à bas seuil d’exigence visant les personnes en situation de précarité, et en particulier celles consommant des opioïdes ?

  • Quels types de services sont offerts dans le cadre de programmes à bas seuil d’exigence destinés aux personnes en situation de précarité, et en particulier à celles consommant des opioïdes ?

  • Comment sont organisés les services à bas seuil d’exigence destinés aux personnes en situation de précarité, et plus particulièrement à celles consommant des opioïdes, et par qui sont-ils offerts ?

Stratégie de recherche

L’équipe de recherche a bénéficié de l’appui d’une personne-ressource avec une expertise en recherche documentaire pour élaborer la stratégie de recherche au sein de la littérature scientifique. Son assistance a notamment porté sur le choix des bases de données, la détermination et la combinaison des termes de recherche. Nous avons ainsi interrogé six bases de données en santé et sciences humaines et sociales : Medline, Cinahl Plus, PubMed, Embase, Érudit, CAIRN. Différentes combinaisons de termes de recherche ont été employées, en relation avec les trois sous-questions présentées ci-haut, en mettant l’accent sur les types de service et les clientèles cibles. Nous avons initialement considéré ces termes en anglais, puis leurs équivalents en français. Le tableau 1 propose un résumé thématique des termes considérés.

Tableau 1

Présentation thématique des termes de recherche

Présentation thématique des termes de recherche

Note. Compte tenu de la variation dans les règles de syntaxe en vigueur au sein des différentes bases de données scientifiques explorées, nous ne présentons pas la totalité des troncatures et déclinaisons qui ont dû être considérées pour chacun des termes de recherche.

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Les références identifiées à ce stade ont permis de constituer une première base de données. Les doublons ont ensuite été supprimés. Plusieurs critères d’inclusion ont été appliqués pour sélectionner les documents à intégrer dans le corpus final : (i) des articles publiés dans des revues scientifiques avec comité de relecture ; (ii) rédigés en langue anglaise ou française ; (iii) avec une date de publication comprise entre les années 2000 et 2019, afin de repérer un maximum d’études sur les initiatives à bas seuil d’exigence ; (iv) traitant de thématiques en lien avec l’offre de service à bas seuil d’exigence ciblant les personnes en situation de précarité et consommant des opioïdes (TAO), services en dépendance et réduction des méfaits reliée à l’usage de substances psychoactives, en santé mentale, soins liés au VIH et au VHC, ou accompagnement des personnes en situation d’itinérance) ; (v) avec un devis expérimental, quasi expérimental, ou rapportant une étude de cohorte observationnelle ou de cas, permettant de rapporter les effets d’un tel programme ou l’expérience des usagers, intervenants et gestionnaires. Les études à devis qualitatif ou mixte étaient tout autant considérées. À partir de ces critères, nous avons procédé à l’examen des titres, résumés et de toutes informations de publication pertinentes (par exemple, le type et la date de publication). Un total de 38 articles a été retenu à ce stade. Pour compléter notre démarche, nous avons choisi d’examiner les références bibliographiques des 38 documents retenus. À la suite de cette étape, neuf autres articles ont été identifiés, répondant aux mêmes critères d’inclusion. La figure 1 ci-après détaille la stratégie de recherche documentaire.

FIGURE 1

Étapes de la démarche de recension

Étapes de la démarche de recension

Note. À ce stade, les références bibliographiques des 38 documents ont été parcourues. En appliquant les mêmes critères d’inclusion, nous avons extrait neuf documents supplémentaires à ajouter au corpus d’analyse.

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Évaluation de la qualité

La qualité des documents composant le corpus (n = 47) a été évaluée à l’aide d’une grille développée par Hawker et al. (2002). Cette grille propose neuf items, pour neuf dimensions à considérer dans un article scientifique, et ce, quel que soit le design de l’étude rapportée (par exemple, un cadre théorique pertinent et une définition claire des objectifs ou hypothèses de recherche ; le caractère approprié de la méthodologie, etc.). La cotation de chaque item se faisait au moyen d’une échelle allant de 4 (Good) à 1 (Very poor). Le score total, somme des scores aux neuf items, variait de 9 à 36. Un score élevé rend compte d’un excellent degré de qualité. L’objectif n’était pas d’exclure des documents considérant ce score, mais plutôt de pondérer et de mieux contextualiser leur apport à l’analyse. Cette démarche a été effectuée par le second auteur (YF), formé à l’utilisation de la grille et supervisé par le premier auteur (VW).

Analyse des données

Nous avons extrait les données pertinentes (lieu de l’étude, population concernée, domaine d’intervention, variables et autres indicateurs pertinents mesurés, méthode et procédure déployée, et principaux résultats selon les thématiques associées à nos trois sous-questions de recherche) à l’aide d’un outil de type « grille de lecture ». Les données brutes obtenues ont fait l’objet d’une analyse thématique pour repérer les points convergents et divergents en lien avec la philosophie d’intervention, les services offerts et l’organisation de ces derniers (Braun et Clarke, 2006 ; Paillé et Mucchielli, 2012). Nous nous sommes appuyés sur une grille de codage, construite à partir des questions de recherche initiales puis raffinée de manière itérative, pour organiser l’information des documents au sein de catégories, permettant une analyse de plus en plus fine. Par exemple, nous avons considéré la thématique de l’offre de soin selon les catégories suivantes : consommation à moindre risque, usages et troubles liés à l’utilisation des opioïdes et d’autres substances ; accompagnement social et besoins de base ; soins de première ligne et spécialisés ; activisme. Cette démarche a été effectuée par VW, appuyé par YF et le dernier auteur (JFA). VW et JFA sont deux chercheurs spécialisés en recherche qualitative en sciences de la santé. YF a bénéficié d’une formation sur la réalisation de l’analyse thématique à l’aide du logiciel Nvivo 12, logiciel utilisé dans cette démarche. Plusieurs moments de partage sur l’analyse en cours ont également été effectués au sein de l’équipe de recherche.

Résultats

Description des documents retenus

Parmi les 1 442 articles repérés, 47 ont été retenus pour analyse. Ces articles rapportent des études réalisées au Canada (n = 20), aux États-Unis (n = 11), en Australie (n = 7), au Royaume-Uni (n = 4), en Nouvelle-Zélande (n = 2), en Norvège (n = 1) et en Finlande (n = 1). Une étude ne spécifie pas l’origine de la population qu’elle décrit. La majorité des études s’intéresse exclusivement aux usagers de substances psychoactives (n = 18). D’autres vont plutôt considérer la présence simultanée de plusieurs problématiques (n = 17). Le tableau 2 propose un récapitulatif des différentes études incluses.

Tableau 2

Documents retenus pour analyse

Documents retenus pour analyse

Tableau 2 (continuation)

Documents retenus pour analyse

Tableau 2 (continuation)

Documents retenus pour analyse

Tableau 2 (continuation)

Documents retenus pour analyse

Tableau 2 (continuation)

Documents retenus pour analyse

Tableau 2 (continuation)

Documents retenus pour analyse

Tableau 2 (continuation)

Documents retenus pour analyse

Tableau 2 (continuation)

Documents retenus pour analyse

Tableau 2 (continuation)

Documents retenus pour analyse

Tableau 2 (continuation)

Documents retenus pour analyse

Tableau 2 (continuation)

Documents retenus pour analyse

Tableau 2 (continuation)

Documents retenus pour analyse

Note. Les scores mesurant la qualité d’un document varient de 9 à 36, avec une valeur élevée indiquant une meilleure qualité scientifique, selon les critères de Hawker, Payne, Kerr, Hardey, et Powell (2002). Les valeurs seuils utilisées dans le cadre de cette étude s’établissaient comme suit : Faible (9-18), Correcte (18-27), ou Bonne (27-36).

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Résultats de l’analyse

Philosophie d’intervention

Approche holistique et considération de la personne

L’intervention à bas seuil d’exigence s’appuie sur une vision holistique de la personne, considérant ses difficultés, ses ressources, ses valeurs, ses objectifs et ses besoins (Millson et al., 2007 ; Strike et al., 2013 ; van Beek, 2007 ; Villeneuve et al., 2006). Les enjeux liés au genre, à l’orientation sexuelle, à l’appartenance culturelle, aux traumatismes vécus, et à tout élément de l’histoire de vie doivent être pris en compte (Damon et al., 2017 ; Gibson et al., 2017 ; Little et Franskoviak, 2010 ; Milne et al., 2015 ; Powers et al., 2017 ; Sorsa et al., 2018). Cette approche exige de reconnaître l’individu comme un être complexe, ne se résumant pas qu’à une seule de ses problématiques (Sorsa et al., 2018). La prise en charge doit se préoccuper simultanément des problématiques somatiques, psychiatriques, psychothérapeutiques, sociales et éducatives, etc. (Damon et al., 2017 ; Edland-Gryt et Skatvedt, 2013 ; Lee et al., 2010 ; Milne et al., 2015).

Promouvoir un environnement sécuritaire

Il apparaît essentiel de proposer un environnement calme, chaleureux, soutenant et respectueux des spécificités individuelles (Anderson et Larke, 2009 ; Evans, 2011 ; Islam, Topp, Conigrave, White et al., 2013 ; Milne et al., 2015 ; Moriarty et al., 2001 ; Norman et al., 2008 ; Sorsa et al., 2018). Promouvoir un tel environnement passe par le fait d’assurer une transparence dans la communication entre intervenants et usagers (Lamanna et al., 2018). Les services décrits dans la littérature se caractérisent ensuite souvent par l’attention apportée au fait de limiter la stigmatisation et la discrimination à l’intérieur des espaces où ont lieu les interventions (van Beek, 2007). Enfin, en plus du relatif anonymat des lieux, la préservation de la confidentialité dans les rencontres est à prioriser (Islam, Topp, Conigrave, White, et al., 2013 ; van Beek, 2007).

Un ancrage dans la réduction des méfaits

Ces services s’intègrent dans une logique de réduction des méfaits (Bardwell et al., 2018 ; Borne et al., 2018 ; Collins et al., 2017 ; Graham et al., 2006 ; Islam, Topp, Conigrave, White et al., 2013 ; Langendam et al., 2001 ; Little et Franskoviak, 2010 ; Mason et al., 2015 ; Millson et al., 2007 ; Milne et al., 2015 ; Moriarty et al., 2001 ; Newman et al., 2013 ; Norman et al., 2008 ; Perreault et al., 2007 ; Powers et al., 2017 ; Stancliff et al., 2012). Dans ce cadre, des interventions visant la réduction et la prévention des méfaits associés aux conduites à risque sont préconisées (par exemple, réduction de la mortalité, amélioration de l’état de santé et des conditions de vie, développement d’un ensemble de compétences psychosociales, réintégration des individus dans leur environnement social, etc.), sans pour autant que l’abstinence de la consommation ne représente un objectif imposé (Evans, 2011 ; van Beek, 2007).

Déconstruire les barrières à l’accès et au maintien en soins

L’intervention à bas seuil d’exigence se caractérise par la volonté de faciliter l’accès aux ressources d’aide (Bardwell et al., 2018 ; Blank et Eisenberg, 2013 ; Carter et al., 2019 ; Christie et al., 2013 ; Damon et al., 2017 ; Milne et al., 2015 ; Schütz et al., 2018 ; Shanley et al., 2003). Plusieurs documents insistent sur le besoin de réduire les obstacles, administratifs ou relatifs à un objectif imposé d’abstinence, intervenant à l’entrée et durant le soin (Evans, 2011 ; Hall et al., 2014 ; Islam, Shanahan et al., 2013 ; Islam, Topp, Conigrave, White, et al., 2013 ; Powers et al., 2017 ; Stancliff et al., 2012). L’intervention doit aussi être pensée comme une manière de créer des liens et de faciliter le contact avec d’autres services (Edland-Gryt et Skatvedt, 2013).

Articuler la prise en charge aux besoins et objectifs de la personne

La littérature souligne la nécessité d’articuler des ressources pour répondre aux besoins des personnes, tout en tenant compte de leurs envies et de leurs objectifs personnels (Hall et al., 2014 ; Lamanna et al., 2018 ; Schütz et al., 2018). Cela peut avoir lieu par l’intégration et la coordination d’équipes interdisciplinaires, aux approches diverses, mais également par l’inclusion de l’entourage, la famille, les pairs, et la personne elle-même, dans la planification de la prise en charge (Chatterjee et al., 2017 ; Dubreucq et al., 2012 ; Gibson et al., 2017 ; Hay et al., 2017 ; Lamanna et al., 2018 ; Lee et al., 2010 ; Mason et al., 2015 ; Millson et al., 2007 ; Milne et al., 2015 ; Newman et al., 2013 ; Norman et al., 2008 ; Sorsa et al., 2018 ; Villeneuve et al., 2006 ; Wood et Austin, 2009). S’inscrire dans cette démarche, c’est reconnaître et appuyer l’expertise et l’expérience des personnes (Bardwell et al., 2018 ; Lamanna et al., 2018). Le processus de planification est itératif, remodelé selon les évolutions dans le contexte de vie, les difficultés et préoccupations des personnes (Sorsa et al., 2018).

Offre de services

Il faut tout d’abord souligner la diversité des interventions à bas seuil d’exigence repérées lors de cette recension. Pour comprendre cette variabilité, il faut se référer au contexte qui accueille les services (par exemple, le réseau public de santé et des services sociaux, un organisme du milieu communautaire), aux objectifs associés, et à la population ciblée. Nous présentons ici les différentes interventions repérées au sein des services à bas seuil d’exigence.

Consommation à moindre risque, troubles liés à l’utilisation des opioïdes et d’autres substances

La littérature met de l’avant l’importance d’offrir un TAO aux personnes présentant un trouble lié à l’utilisation d’opioïdes (Chatterjee et al., 2017 ; Dombrowski et al., 2018 ; Dubreucq et al., 2012 ; Fernandez et al., 2006 ; Gibson et al., 2017 ; Hall et al., 2014 ; Little et Franskoviak, 2010 ; Millson et al., 2007 ; Milne et al., 2015 ; Newman et al., 2013 ; Norman et al., 2008 ; Perreault et al., 2007 ; Stancliff et al., 2012 ; van Beek, 2007 ; Villeneuve et al., 2006). Plus largement, des services assurant la consommation à moindre risque de toutes substances psychoactives sont souvent proposés (Bardwell et al., 2018 ; Collins et al., 2017 ; Evans, 2011 ; Gibson et al., 2017 ; Hall et al., 2014 ; Hay et al., 2017 ; Islam, Shanahan et al., 2013 ; Kimber et al., 2008 ; Langendam et al., 2001 ; Millson et al., 2007 ; Milne et al., 2015 ; Newman et al., 2013 ; Perreault et al., 2007 ; Schütz et al., 2018 ; Shanley et al., 2003 ; Stancliff et al., 2012 ; van Beek, 2007 ; Villeneuve et al., 2006).

Dans ce cadre, les personnes ont accès à du matériel de consommation stérile et des kits de prévention des surdoses. L’accès à des services d’injection supervisée est également noté (Bardwell et al., 2018 ; Collins et al., 2017 ; Kerr et al., 2005). Une évaluation et un accompagnement quant à la consommation de substances, quelle que soit la substance considérée, peuvent être proposés (Norman et al., 2008). Dans le cadre de cette prise en charge, les personnes reçoivent une prescription médicamenteuse appropriée et un counseling adapté (par exemple, gestion des cravings ou de la rechute) (Newman et al., 2013). Enfin, il est nécessaire de pouvoir gérer les situations graves, notamment liées aux intoxications majeures et aux surdoses (Kimber et al., 2008).

Accompagnement social et besoins de base

Ces services sont caractérisés par un soutien concernant l’accès au logement, à la formation, à l’emploi, à la sécurité alimentaire, aux aides sociales, la couverture sociale et maladie ou un support dans les démarches juridiques (Chatterjee et al., 2017 ; Collins et al., 2017 ; Evans, 2011 ; Hall et al., 2014 ; Islam, Shanahan et al., 2013 ; Lamanna et al., 2018 ; Millson et al., 2007 ; Milne et al., 2015 ; Perreault et al., 2007 ; Strike et al., 2013 ; van Beek, 2007 ; Villeneuve et al., 2006). La réponse à un ensemble de besoins dits de base est souvent proposée : le soutien à l’alimentation (par exemple, service de repas, offre de denrées) (Collins et al., 2017 ; Edland-Gryt et Skatvedt, 2013 ; Evans, 2011 ; Lee et al., 2010 ; Sorsa et al., 2018 ; Strike et al., 2013), un hébergement (Collins et al., 2017 ; Dombrowski et al., 2018 ; Edland-Gryt et Skatvedt, 2013 ; Evans, 2011 ; Lee et al., 2010 ; Milne et al., 2015 ; Schütz et al., 2018), pouvoir se laver et disposer de vêtements propres (Collins et al., 2017 ; Edland-Gryt et Skatvedt, 2013 ; Evans, 2011 ; Sorsa et al., 2018 ; Strike et al., 2013), ou accéder à des moyens de télécommunications et à Internet (Edland-Gryt et Skatvedt, 2013 ; Sorsa et al., 2018 ; Strike et al., 2013). Proposer une aide financière d’urgence, sous la forme d’opportunités de travail rémunéré sans qualification, représente aussi une option (Bardwell et al., 2018 ; Penn et al., 2016).

Soins de première ligne et spécialisés

Certains programmes offrent du counseling portant sur la promotion de la santé (Gibson et al., 2017 ; Langendam et al., 2001). D’autres vont proposer des services de laboratoire (par exemple, bilans sanguins, urinaires, sérologiques) (Fernandez et al., 2006 ; Islam, Shanahan et al., 2013 ; Islam, Topp, Conigrave, White, et al., 2013). Par extension, et au besoin, cela s’accompagne d’un suivi médical de première ligne (Collins et al., 2017 ; Evans, 2011 ; Langendam et al., 2001 ; Mason et al., 2015 ; Perreault et al., 2007 ; van Beek, 2007). Plusieurs auteurs soulignent la nécessité d’offrir des soins pour les plaies et les abcès chez les personnes UDI (Islam, Shanahan et al., 2013 ; Islam, Topp, Conigrave, White et al., 2013 ; Kimber et al., 2008 ; van Beek, 2007). Les personnes fréquentant ces services peuvent aussi bénéficier d’un accès facilité à des prescriptions médicamenteuses, incluant la prophylaxie VIH, et à la vaccination (Borne et al., 2018 ; Millson et al., 2007 ; van Beek, 2007).

Des actions de promotion de la santé et de prévention autour des pratiques sexuelles sécuritaires, des enjeux de la grossesse et de la contraception sont retrouvées dans plusieurs services (Moriarty et al., 2001 ; Norman et al., 2008 ; Penn et al., 2016 ; Shanley et al., 2003 ; van Beek, 2007). L’accès à des moyens de contraception et des tests de grossesse est facilité (Gibson et al., 2017). Simultanément, les personnes peuvent bénéficier d’un dépistage, puis d’un suivi, des maladies infectieuses, incluant VIH, VHC, VHB et toute autre infection transmissible sexuellement et par le sang (Borne et al., 2018 ; Brownrigg et al., 2017 ; Collins et al., 2017 ; Dombrowski et al., 2018 ; Gibson et al., 2017 ; Hall et al., 2014 ; Islam, Shanahan et al., 2013 ; Islam, Topp, Conigrave, White et al., 2013 ; Mason et al., 2015 ; Millson et al., 2007 ; Milne et al., 2015 ; Moriarty et al., 2001 ; Newman et al., 2013 ; Norman et al., 2008 ; Shanley et al., 2003 ; Strike et al., 2013 ; van Beek, 2007 ; Villeneuve et al., 2006).

Certains services proposent des soins plus spécialisés. Cela peut inclure les aspects nutritionnels et le suivi du diabète (Gibson et al., 2017 ; Milne et al., 2015), les troubles cardiaques et pulmonaires (Gibson et al., 2017), des soins gynécologiques et obstétricaux (Sorsa et al., 2018), les soins dentaires (Milne et al., 2015), ou encore les soins palliatifs (Newman et al., 2013). D’autres programmes offrent une évaluation détaillée des comorbidités en santé mentale (Anderson et Larke, 2009 ; Kimber et al., 2008), et une prise en charge de ces problématiques (Borne et al., 2018 ; Carter et al., 2019 ; Chatterjee et al., 2017 ; Dubreucq et al., 2012 ; Islam, Topp, Conigrave, White et al., 2013 ; Little et Franskoviak, 2010).

Activisme

Finalement, ces services ont pour intérêt le développement d’une activité militante ou de plaidoyer (advocacy) en direction des autorités administratives, économiques et politiques, ainsi qu’auprès de la communauté (Bardwell et al., 2018 ; Gibson et al., 2017 ; Islam, Topp, Conigrave, White et al., 2013). Les actions à cibler peuvent concerner les thématiques de la pauvreté, de la dépendance, des services de santé ou encore des pratiques policières (Bardwell et al., 2018 ; Gibson et al., 2017 ; Islam, Topp, Conigrave, White et al., 2013). Certains usagers ont ainsi la possibilité de communiquer lors de conférences, de rencontres avec les instances politiques locales, sur la question de la défense des droits des personnes, de la lutte contre la pauvreté, ou encore contre la stigmatisation des personnes faisant usage de substances psychoactives (Bardwell et al., 2018).

Organisation des services

Équipes interdisciplinaires

Plusieurs services reposent sur une large équipe interdisciplinaire : médecins généralistes, infirmières cliniciennes ou praticiennes, intervenants psychosociaux, psychiatres, pairs aidants, en plus des gestionnaires, du personnel administratif et de sécurité (Borne et al., 2018 ; Edland-Gryt et Skatvedt, 2013 ; Graham et al., 2006 ; Little et Franskoviak, 2010 ; Mason et al., 2015 ; Milne et al., 2015 ; Schütz et al., 2018 ; van Beek, 2007). D’autres professionnels spécialisés peuvent aussi être intégrés : nutritionnistes, médecins spécialistes en maladies infectieuses, hépatologues, professionnels en soins dentaires, intervenants spécialisés en toxicomanie, en itinérance, conseillers en orientation, ergothérapeutes, etc. Ceux-ci peuvent être employés sur place à temps plein, ou présents lors de plages horaires ciblées. La composition des équipes varie selon les objectifs d’intervention.

Certains services désignent un intervenant pivot, un case manager, avec qui l’individu aura le plus de contact (Lamanna et al., 2018 ; Powers et al., 2017). En plus d’assurer le suivi de la personne, celui-ci peut être responsable de l’évaluation des besoins et des objectifs individuels, du bon lien thérapeutique entre l’équipe et la personne, et de la réduction des barrières en traitement (Fernandez et al., 2006 ; Lamanna et al., 2018 ; Wood et Austin, 2009). D’autres modèles misent sur la prise en charge des individus par plusieurs membres de l’équipe, voire l’équipe entière, afin de partager la charge (caseload) de suivi (Fernandez et al., 2006 ; Graham et al., 2006). D’autres services appuient les principes de l’intervention intensive dans la communauté (Assertive Community Treatment) où il est recommandé d’avoir un ratio client/intervenant assez bas. Le ratio d’un intervenant pour 10 à 15 clients est proposé (Essock et al., 2006 ; Graham et al., 2006). La communication et le partage d’information entre intervenants revêtent alors une importance capitale (Dombrowski et al., 2018).

Intégration dans un même lieu physique, références et collaborations

Plusieurs organisations centralisent leur offre d’interventions au sein d’un même lieu (Essock et al., 2006 ; Graham et al., 2006 ; Milne et al., 2015 ; van Beek, 2007 ; Wood et Austin, 2009). Néanmoins, compte tenu de la diversité des besoins et des objectifs des personnes, développer des passerelles vers des ressources alliées, et le processus de référencement vers celles-ci, représentent des aspects essentiels à considérer (Borne et al., 2018 ; Brownrigg et al., 2017 ; Dombrowski et al., 2018 ; Essock et al., 2006 ; Hall et al., 2014 ; Islam, Topp, Conigrave, White, et al., 2013 ; Kerr et al., 2005 ; Kimber et al., 2008 ; Lamanna et al., 2018 ; Little et Franskoviak, 2010 ; Millson et al., 2007 ; Norman et al., 2008 ; Shanley et al., 2003 ; Stancliff et al., 2012 ; Strike et al., 2013 ; Villeneuve et al., 2006 ; Wood et Austin, 2009).

Dans certains cas, la ressource à bas seuil d’exigence est située à l’intérieur d’une plus large structure (par exemple, une clinique à l’intérieur d’un plus vaste campus hospitalier) (Dombrowski et al., 2018 ; Moriarty et al., 2001 ; Villeneuve et al., 2006). Cela permet de réagir rapidement et d’adapter facilement le suivi (Essock et al., 2006 ; Gauthier et al., 2018 ; Milne et al., 2015 ; Shanley et al., 2003 ; Wood et Austin, 2009). Ces services misent aussi sur la création de corridors de services intégrant de nombreuses ressources (cliniques sans rendez-vous, lieux de restauration, refuges, groupes de médecine familiale, structures spécialisées et milieux hospitaliers, milieu carcéral, ressources communautaires et milieux de vie, etc.) et le développement de liens avec de nombreux partenaires (groupes de soutien, regroupements activistes, représentants politiques et économiques, services de police, etc.) (Anderson et Larke, 2009 ; Beattie et al., 2016 ; Borne et al., 2018 ; Carter et al., 2019 ; Dombrowski et al., 2018 ; Evans, 2011 ; Kerr et al., 2005 ; Kimber et al., 2008 ; Lamanna et al., 2018 ; Mason et al., 2015 ; Powers et al., 2017 ; Stancliff et al., 2012 ; Wood et Austin, 2009).

Les liens vers les ressources alliées doivent être envisagés en amont des prises en charge et entretenus au fil du temps (Anderson et Larke, 2009 ; Borne et al., 2018 ; Islam, Shanahan et al., 2013 ; Islam, Topp, Conigrave, White et al., 2013). Différentes modalités d’accompagnement peuvent être considérées : prendre rendez-vous pour la personne, l’accompagner physiquement aux ressources, la contacter à intervalles réguliers afin d’assurer le suivi de la référence (Anderson et Larke, 2009 ; Borne et al., 2018 ; Brownrigg et al., 2017 ; Islam, Shanahan et al., 2013 ; Islam, Topp, Conigrave, White et al., 2013). L’apport d’un intervenant pivot s’avère significatif pour arrimer les services aux objectifs et aux besoins individuels (Anderson et Larke, 2009).

Mobilité des équipes

Les services à bas seuil d’exigence se caractérisent par la présence des intervenants dans l’espace communautaire (Borne et al., 2018 ; Lamanna et al., 2018 ; Langendam et al., 2001 ; Little et Franskoviak, 2010 ; Newman et al., 2013 ; Norman et al., 2008 ; van Beek, 2007). Cela se traduit par le fait de chercher les personnes là où elles se trouvent et de les emmener vers la ressource appropriée (Beattie et al., 2016 ; Islam, Topp, Conigrave, White et al., 2013), mais aussi par l’utilisation d’un véhicule automobile équipé pour l’intervention permettant de se rendre dans les différents quartiers d’une ville (Borne et al., 2018 ; Gibson et al., 2017 ; Hall et al., 2014 ; Langendam et al., 2001). Les équipes peuvent être appelées à intervenir dans les structures partenaires pour répondre aux besoins urgents, suivre et orienter les usagers, tout en renforçant les liens entre les services (Anderson et Larke, 2009 ; Carter et al., 2019 ; Chatterjee et al., 2017 ; Powers et al., 2017).

Structure de service adaptée et flexible

Les services à bas seuil d’exigence doivent être facilement accessibles, par exemple par le biais de la marche ou des transports en commun (Evans, 2011 ; Kimber et al., 2008 ; Lamanna et al., 2018 ; Mason et al., 2015 ; Powers et al., 2017 ; Stancliff et al., 2012). En termes de localisation géographique, il apparaît pertinent de cibler les environnements (urbains ou non) où les personnes présentent davantage de difficultés à rejoindre les services (Milne et al., 2015 ; Sorsa et al., 2018). De nombreuses ressources sont conçues pour être ouvertes en continu (Edland-Gryt et Skatvedt, 2013 ; Evans, 2011 ; Gibson et al., 2017 ; Graham et al., 2006). À défaut, les plages horaires sont adaptées au mode de vie des personnes à qui les services s’adressent (Kerr et al., 2005). Les soins sont souvent offerts sans rendez-vous (Brownrigg et al., 2017 ; Dombrowski et al., 2018 ; Gibson et al., 2017 ; Graham et al., 2006 ; Lamanna et al., 2018). Sur le plan administratif, l’accueil n’est pas conditionné par le fait de posséder une preuve d’identité ou des documents d’assurance (Brownrigg et al., 2017 ; Graham et al., 2006), ni même d’être référé (Christie et al., 2013 ; Milne et al., 2015). Certains services sont gratuits, ou à prix très abordables, avec un remboursement rapide des frais engendrés (Graham et al., 2006 ; Langendam et al., 2001).

Ensuite, la consommation de substances psychoactives ne constitue pas un motif d’interruption du soin (Christie et al., 2013 ; Evans, 2011 ; Mason et al., 2015 ; Perreault et al., 2007 ; Strike et al., 2013). Il reste important d’assurer une surveillance dans le cadre du TAO afin d’éviter les usages détournés ou le trafic (Strike et al., 2013). Les équipes doivent s’attendre à être confrontées aux absences ou aux présences irrégulières des personnes utilisant ces services. Aucun aspect du suivi n’est présenté comme étant absolument obligatoire, et le règlement interne, s’il existe, est peu restrictif (Christie et al., 2013). La seule situation où une interruption de suivi est envisagée serait en cas d’agressivité marquée et de violence, quand la sécurité immédiate des autres usagers ou du personnel est menacée. Dans ce cas, il faut explorer les solutions pour éviter la sortie totale du soin (Christie et al., 2013 ; Strike et al., 2013). S’il y avait interruption de la prise en charge, il conviendrait de faciliter le retour vers le soin (Langendam et al., 2001).

Discussion

L’objectif de cette recension était de mieux saisir les caractéristiques des programmes à bas seuil d’exigence rejoignant les personnes en situation de précarité, notamment celles faisant usage des opioïdes. Nos questions de recherche portaient sur la philosophie d’intervention, l’offre de service et l’organisation de ces derniers. Nous allons maintenant revenir sur les différents constats soulignés et leur implication au sein du contexte québécois.

Des adaptations à multiples niveaux pour promouvoir des soins accessibles, globaux et respectueux des personnes

Les données de cette recension démontrent l’importance de pleinement considérer les spécificités de la personne dans la structuration de l’offre de soins. Sur le plan organisationnel, il s’agit de répondre de manière appropriée à la diversité des besoins, des attentes, ou encore des objectifs de la personne. Sur le plan interpersonnel, il est essentiel de bâtir des liens authentiques et respectueux. Certaines modifications de la prise en charge prennent alors une signification toute particulière, comme l’adaptation du langage à utiliser et la prise en considération des traumatismes vécus (trauma-informed care) (Substance Abuse and Mental Health Administration (SAMHSA), 2014). Adapter le langage, tant à l’oral que dans les documents associés aux soins, aux caractéristiques des usagers paraît être une étape importante dans un contexte où la littératie en santé demeure une problématique pour une partie de la population (Bernèche et al., 2012 ; Nanhou et Desrosiers, 2019). Ensuite, la prise en considération des traumatismes permet d’appréhender davantage la personne dans sa globalité, et de s’inscrire dans le respect de son intégrité (Damon et al., 2017 ; Little et Franskoviak, 2010 ; Milne et al., 2015 ; Powers et al., 2017 ; Sorsa et al., 2018).

L’ancrage dans une approche holistique vient également mettre en relief la formation des intervenants. Cette démarche nécessite en effet que ces derniers disposent de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être permettant de proposer un accompagnement interdisciplinaire adéquat. Cet objectif apparaît toutefois encore délicat à atteindre, car il nécessite de faire appel à des domaines d’intervention qui évoluent encore trop en silos, notamment du fait de l’organisation actuelle du réseau de la santé et des services sociaux du Québec. Enfin, promouvoir cette approche holistique revient aussi à redéfinir les cibles de performance considérées au sein de ce réseau. Proposer une prise en charge globale, répondant pleinement aux besoins, aux souhaits et aux objectifs des personnes, s’avère souvent coûteux en temps. Or, cela constituerait un élément en mesure de nuire à l’évaluation de la performance des structures selon les critères actuellement en place.

Enfin, l’individualisation des soins peut être limitée par les normes de pratiques proposées par les organismes régulateurs des professions, notamment médicales et paramédicales. Par exemple, dans le contexte d’un TAO, les conditions de vie d’une personne pourraient nécessiter qu’il lui soit offert des doses à emporter plus tôt que ce qui est habituellement prescrit par ce cadre normatif. Ce conflit entre le jugement clinique des équipes d’intervenants et les normes de pratique vient limiter l’adaptation des soins aux réalités vécues par les personnes, tout en accroissant le ressenti par celles-ci d’un sentiment de contrôle exercé par les professionnels de santé sur leur vie.

Le bas seuil d’exigence, un partenariat centré sur la personne

En lien avec cette conceptualisation holistique de l’accompagnement, la prise en charge s’articule donc autour de la personne. Elle doit notamment miser sur les forces, tout en tenant compte des faiblesses et des objectifs de cette dernière. À cet égard, cette approche vient rappeler les principes de l’approche patient-partenaire mise de l’avant au Québec. Ces derniers portent notamment sur le partage des savoirs entre les intervenants et les usagers pour aboutir à la co-construction d’un accompagnement personnalisé (Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS), 2019 ; Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2018). En parallèle, le fait d’accorder une place importante aux objectifs propres à la personne doit faire réfléchir sur la notion de réussite en traitement. Le succès peut en effet être vu très différemment selon les personnes. Par exemple, en lien avec la consommation de substances psychoactives, certaines viseront l’abstinence, une régulation de leurs conduites de consommation, ou encore une amélioration de leurs conditions de vie, leur santé, etc.

Par extension, l’arrimage entre les objectifs de la personne et les valeurs propres au sein de l’équipe d’intervenants peut être complexe à obtenir. Cela doit pousser à la réflexion quant aux éléments clés faisant partie intégrante de la posture d’accompagnant. De plus, il est envisageable que le rôle de certains intervenants évolue, a fortiori dans le contexte, par exemple, de la crise des surdoses liées aux opioïdes sévissant au Canada. Le médecin passe d’une position de soignant à celle d’accompagnateur de l’usager, dans l’atteinte de ses objectifs et la gestion des risques auxquels il pourra être exposé. En soi, cette évolution dans la posture médicale représente un éloignement vis-à-vis du « paternalisme » médical souvent dénoncé par les personnes (Harris et McElrath, 2012 ; Poliquin et al., 2018).

Intégration, mobilité et travail de proximité

Nous évoquons enfin le caractère fondamental de l’intégration de multiples ressources dans la réponse à offrir aux personnes. Ici, le modèle du one stop shop représente une avenue pertinente, car il implique de regrouper un ensemble varié de ressources au sein d’une même structure, d’un même emplacement géographique, avec de nombreux bénéfices pour les usagers (van Beek, 2007 ; Wood et Austin, 2009). Plus largement, il faut repenser la structure des services au Québec en faveur de l’intégration. L’organisation actuelle est en effet encore trop compartimentée selon des problématiques précises, et ne favorise donc pas le développement de liens de collaboration entre ressources. Pour autant, le déploiement d’un tel modèle à l’échelle du réseau de la santé et des services sociaux s’accompagne de défis. Parmi ceux-ci se pose par exemple celui de pouvoir préserver la capacité des équipes à garder un pouvoir décisionnel minimal considérant leurs spécificités locales.

Il semble également important que ces services puissent être offerts au sein de la communauté, directement là où se trouve leur population cible. Cela contribuera à réduire les barrières à l’accès aux soins. La faisabilité de cette modalité dans un contexte non urbain reste toutefois à évaluer. En effet, une densité de population moins importante, un degré d’équipement en services et ressources plus faible, mais également de plus grandes distances à parcourir, représentent des défis spécifiques qu’il faut prendre en compte. Il reste à concevoir comment proposer une organisation des soins pertinente considérant les spécificités des différentes régions du Québec.

Limites

Ce travail comporte des limites. Tout d’abord, les populations étudiées dans les différentes études ne représentent vraisemblablement pas la diversité des personnes en situation de précarité et faisant usage des opioïdes. Ensuite, si notre démarche emprunte quelques caractéristiques d’une recension systématique (par exemple, l’élaboration d’une stratégie de recherche, l’utilisation de critères d’inclusion), il s’agit avant tout d’une démarche d’analyse narrative assez large sur un sujet donné de la littérature, dans une optique très descriptive qui limite alors sa capacité à couvrir de manière exhaustive toutes les données existantes sur cette thématique.

Conclusion

Cette recension de la littérature constitue un avancement dans la définition précise de ce que sont les services à bas seuil d’exigence. Les caractéristiques des services ici identifiées représentent en effet une base sur laquelle s’appuyer pour réfléchir plus largement à l’amélioration des services sociaux et de santé qui sont destinés aux personnes en situation de précarité et utilisant des substances psychoactives, dont les opioïdes. Qui plus est, en mettant l’accent sur un accueil et un accompagnement fondé sur le non-jugement, la flexibilité, l’autonomisation et l’autodétermination des personnes, les services à bas seuils d’exigence apparaissent comme une transposition concrète de la philosophie de la réduction des méfaits dans le domaine de l’intervention.

Ce travail justifie néanmoins de porter un regard critique sur le terme de bas seuil d’exigence en lui-même. En effet, il serait peut-être intéressant de supprimer ce qualificatif au profit de l’idée d’une plus grande adaptabilité des programmes de soins en santé, quelle que soit leur population cible. Cliver les services entre ceux au format « bas seuil d’exigence » versus des services « réguliers » revient alors à distinguer différentes populations, à créer une nouvelle compartimentation des soins, au risque de stigmatiser certaines personnes encore davantage. Force est de constater que les valeurs et l’organisation des services actuellement dits à bas seuil d’exigence pourraient globalement bénéficier à l’intégralité des services sociaux et de santé, et ce, dans l’intérêt de toutes les personnes en besoin de soins.