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Introduction

Les attitudes et les perceptions des professionnels du milieu culturel face aux approches d’amélioration continue constituent un champ d’études de premier intérêt, principalement du fait qu’elles y sont peu valorisées. En effet, d’un recours relativement répandu dans les entreprises de services (notamment dans le secteur bancaire, le secteur des assurances, les centres d’appels, la comptabilité, la restauration et le domaine hôtelier), elles sont mises en application par un nombre restreint d’entreprises culturelles.

Nous faisons état dans un récent article des résultats de nos travaux de recherche qui visaient à documenter spécifiquement les attitudes et perceptions des professionnels des bibliothèques face aux approches d’amélioration continue, notamment l’approche Lean (Labbé, Forget & Luckerhoff 2017). Nous y soulignons par exemple que « l’implantation éventuelle d’une approche d’amélioration continue dans le contexte actuel des bibliothèques publiques québécoises devrait prendre en considération les attitudes et les perceptions des professionnels du milieu face au changement en général et face aux approches d’amélioration continue de façon plus spécifique » (Labbé, Forget & Luckerhoff 2017, 23).

S’est dégagé de cette enquête menée auprès des professionnels du milieu des bibliothèques québécoises le constat voulant que, s’il y avait une adéquation naturelle entre les visées de ces approches et la mission générale des bibliothèques, notamment parce qu’elles font de l’usager le centre de toutes les préoccupations, les attitudes et perceptions de ces derniers étaient relativement prudentes, voire négatives, face à celles-ci, et que cet état de fait émanait fort probablement d’une méconnaissance de ces approches.

Problématique

Or, ces attitudes et perceptions relativement négatives envers les approches d’amélioration continue semblaient entrer en contradiction avec des résultats obtenus dans le cadre de la mise en application d’approches d’amélioration continue au sein de bibliothèques ailleurs dans le monde. En effet, si nous ne retrouvons que de très rares cas documentés de mise en application de ces approches au sein de bibliothèques, ceux qui ont fait l’objet d’études et d’analyses rapportent des expériences résolument positives. L’intégration d’une approche de type Lean à certains processus d’une bibliothèque, notamment la rotation des inventaires des collections empruntées (Kress 2007), la réservation en ligne (Tuai 2006) et le traitement des nouveaux documents (Alexander & Williams 2003), s’est avérée fort positive.

Nous évoquions d’ailleurs dans l’article mentionné plus tôt que

[c]es succès s’expliquent par de nombreux facteurs. Parmi ceux-ci, Murphy (2009) évoque notamment l’importance du soutien de la direction, d’un investissement suffisant en ressources humaines et financières et d’un arrimage de l’initiative aux stratégies de l’organisation visée. Il souligne, par ailleurs, que la formation du personnel, dont la collaboration est indispensable à une approche d’amélioration continue, nécessite des investissements importants en temps et en argent.

Murphy 2009, 22

Ainsi, les résultats émanant de la combinaison de nos recherches sur les attitudes et perceptions des professionnels du milieu des bibliothèques face aux approches d’amélioration continue et des mises en application de telles approches au sein de bibliothèques ailleurs dans le monde nous ont incités à documenter l’expérience d’une mise en application d’une approche d’amélioration continue au sein d’une bibliothèque québécoise.

Objectifs

Ce projet de recherche avait pour objectif de rendre compte d’une expérience concrète d’intégration d’une approche d’amélioration continue de type Lean au sein d’une bibliothèque québécoise. Cet objectif exigeait de documenter l’expérience des individus ayant pris part activement aux différents processus d’intégration de l’approche d’amélioration continue afin d’en identifier les aspects positifs et les moments plus difficiles.

Nous avons pu discuter avec Danielle Chagnon, la directrice générale de la Grande bibliothèque de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), qui a agi à titre de responsable de l’ensemble du processus de mise en application de la méthode Lean Six Sigma (LSS) à certains processus des différentes unités de l’organisation, notamment la Grande bibliothèque, le Centre d’archives de Montréal ainsi que le Centre de conservation. Madame Chagnon a accepté de collaborer afin que nous puissions mener cette recherche auprès des équipes de BAnQ[1].

Méthodologie

Cet objectif a nécessité que notre équipe s’entretienne avec les membres des équipes ayant participé à la mise en application de cette approche aux différents processus de l’organisation. Ces entretiens se rangent en deux catégories : les entretiens individuels et les entretiens de groupe. Tous ont été réalisés aux bureaux de BAnQ, et ce, entre le 1er janvier et le 31 mars 2017. Au total, un entretien individuel et quatre entretiens de groupe ont été effectués. Vingt-cinq participants ont pu témoigner de leur expérience individuelle dans le cadre de ce projet. Tous les entretiens ont été enregistrés numériquement, puis entièrement retranscrits pour l’analyse.

Précisons que les groupes ont été constitués selon la constitution d’origine des équipes Lean, c’est-à-dire que les groupes interviewés étaient formés des individus ayant travaillé ensemble sur l’application de l’approche d’amélioration continue sur un processus donné. Les trois équipes rencontrées avaient fait l’expérience de la mise en application d’une approche d’amélioration continue sur un processus spécifique, nommément 1) le traitement documentaire des livres sonores destinés au Service québécois du livre adapté (SQLA) ; 2) le processus de traitement documentaire des archives privées ; et 3) le classement et la mise en ligne des journaux par le service de numérisation de BAnQ.

Enfin, nous avons procédé à une première lecture flottante des discours des participants de façon à laisser émerger des thématiques. Nous avons ensuite catégorisé ces thématiques en utilisant des codes. Ce codage nous a permis de tenir compte de la variation dans les discours et des ressemblances et contradictions avec les écrits sur l’amélioration continue. Nous avons ensuite procédé à une certaine densification et à des regroupements de codes de façon à créer des catégories plus larges. Éventuellement, notre interprétation des données a tenu compte à la fois des discours des participants et des écrits sur l’amélioration continue, en ayant en tête la préoccupation de rendre compte d’une expérience de mise en application d’une approche d’amélioration continue.

BAnQ[2]

Née de la fusion de la Bibliothèque nationale du Québec avec la Grande bibliothèque du Québec (2002), puis avec les Archives nationales du Québec (2006), BAnQ a pour mission de rassembler, de conserver de manière permanente et de diffuser le patrimoine documentaire québécois publié et tout document qui s’y rattache et qui présente un intérêt culturel, ainsi que tout document relatif au Québec et publié à l’extérieur du Québec.

L’institution a également pour mission d’offrir un accès démocratique au patrimoine documentaire constitué par ses collections, à la culture et au savoir. Elle agit en outre comme catalyseur auprès des institutions documentaires québécoises, contribuant ainsi à l’épanouissement des citoyens. Plus particulièrement, BAnQ poursuit les objectifs suivants : valoriser la lecture, la recherche et l’enrichissement des connaissances ; promouvoir l’édition québécoise ; faciliter l’autoformation continue ; favoriser l’intégration des nouveaux arrivants ; renforcer la coopération et les échanges entre les bibliothèques ; enfin, stimuler la participation québécoise au développement de la bibliothèque virtuelle.

Dans le domaine des archives, BAnQ a pour mission d’encadrer, de soutenir et de conseiller les organismes publics en matière de gestion de leurs documents ; d’assurer la conservation d’archives publiques, d’en faciliter l’accès et d’en favoriser la diffusion ; de promouvoir la conservation et l’accessibilité des archives privées. BAnQ exerce, à cette fin, les attributions prévues à la Loi sur les archives.

L’institution contribue aussi au développement et au rayonnement international de l’expertise et du patrimoine documentaire québécois.

Origines et objectifs de la démarche d’amélioration continue

Le projet de mettre en place une démarche d’amélioration continue au sein de BAnQ commence à prendre forme au moment de l’arrivée en poste de madame Christiane Barbe, en juillet 2014. En effet, dès son arrivée en poste, la nouvelle présidente-directrice générale de l’organisation, dont les valeurs et la formation sont articulées autour des ressources humaines, notamment en matière de qualité de vie, de bien-être et de mobilisation, procède à la réalisation de deux sondages auprès du personnel de l’organisation afin de prendre la mesure de leur bien-être au travail ainsi que d’identifier les pistes d’amélioration de l’organisation.

Si l’incitation à entreprendre une démarche d’amélioration continue à BAnQ émane de la volonté de la haute direction, les besoins d’optimisation des processus s’y faisaient également pressants. En effet, la nécessité d’optimiser les processus était à la fois exprimée par le personnel — notamment dans le cadre du sondage mis en place par la haute direction —, par la direction — qui faisait face à une organisation relativement lourde (fruit de différentes fusions et de sa constitution en silos) —, de même que, plus généralement, par les restrictions budgétaires imposées par le gouvernement de l’époque. Aussi, et peut-être surtout, l’origine de la mise en place d’une telle démarche s’arrime de façon naturelle à la mission de l’organisme, qui est celle des bibliothèques de façon générale, c’est-à-dire la qualité du service aux usagers. D’ailleurs, la directrice générale de la Grande bibliothèque souligne que l’amélioration continue, au sens large, fait partie intégrante de la Déclaration de service aux citoyens de BAnQ ; à cette finalité s’est également associée la volonté de la haute direction d’améliorer l’organisation per se et, par la même occasion, d’améliorer la qualité de vie au travail du personnel.

Le choix de la méthode LSS

Implanter une démarche d’amélioration continue au sein d’une organisation implique le choix d’une approche, d’une méthode. La direction de BAnQ a opté pour la méthode LSS, qui se présente telle

a business improvement methodology that offers an organization a framework and tools to identify, approach, and prioritize quality improvement initiatives to reduce variation and waste […]. Lean Six Sigma represents the amalgamation of Lean Manufacturing and the Six Sigma process improvement philosophies […]. A true companywide deployment of a Lean Six Sigma initiative requires top-down administrative support in selecting and providing both human and financial resources for projects to succeed. Further, the initiative must be well aligned with the organization’s strategy. Processes must exist first for projects to be identified, which also leads to the assumption that the existing process design is fundamentally sound and just needs minor adjustments to be more efficient.

Murphy 2009, 215–224

Ce choix s’est effectué essentiellement sur la base de quatre facteurs, à savoir :

  1. Il s’agit d’une méthode quantitative formelle et rigoureuse ;

  2. Elle a été recommandée[3] et, qui plus est, déjà appliquée en contexte similaire, soit celui d’une bibliothèque universitaire[4] ;

  3. Elle permet, voire sous-tend la mobilisation des employés ;

  4. Elle participe au décloisonnement des services, notamment en contribuant à la formation d’équipes d’intervention multidisciplinaires.

Mentionnons également que BAnQ a mis sur pied un Comité sur l’amélioration continue dont la visée était d’améliorer l’approche et l’implantation des processus Lean.

Avec la reconnaissance de ces quatre facteurs par la haute direction se dégage un discours exprimant la ferme volonté de mobiliser le personnel autour de l’amélioration des processus de l’organisation et, par le fait même, la reconnaissance de l’importance du rôle du personnel directement impliqué dans la réalisation de ces processus. En effet, on mentionne à cet égard dans l’un des entretiens avec la direction :

Vous [c’est-à-dire les membres du personnel] êtes ceux qui font les choses, que vous soyez commis, bibliothécaires, gestionnaires, vous avez un rôle à jouer, un rôle qui est important, et vous avez une voix, ici à BAnQ, donc on veut vous entendre, et on va prendre ça en compte, ce que vous dites, parce que vous êtes ceux qui êtes sur le terrain en train de le faire […]. Et, souvent, on le voit dans le Lean, c’est au commis qui fait la remise en rayon, c’est souvent lui qui va être capable de dire « moi, je peux pas faire ma remise en rayon à cause de cette situation et je pense ça irait mieux si on faisait ça comme de cette façon ». […] Je ne suis pas en train de dire que le gestionnaire ne peut pas le faire non plus, mais le gestionnaire ne voit peut-être pas cela. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas lui qui le fait. Donc l’implication des employés, je trouve que c’est vital, et c’est ce qu’on veut faire à BAnQ.

Mise en place de la démarche d’amélioration continue

La mise en application d’une approche d’amélioration continue, en l’occurrence l’approche LSS, nécessite l’identification des participants qui y prendront part, celle des processus qui en feront l’objet ainsi que la formation des animateurs de ces équipes d’intervention, ceux que l’on nomme les ceintures vertes.

Dans un premier temps, la haute direction a procédé à l’identification de 14 individus qui allaient devenir les ceintures vertes des équipes d’intervention LSS (l’organisation souhaitait allouer deux animateurs par équipe). Il s’agissait d’une formation de cinq jours offerte par le Mouvement québécois de la qualité (MQQ) qui allait permettre aux participants de diriger un projet d’application de la méthode LSS à un processus donné de l’organisation. Précisons également que certains cadres de l’organisation ont également suivi une formation d’une demi-journée, dans l’objectif de mieux comprendre l’approche en question et d’en connaître les principes de base.

L’identification des 14 ceintures vertes s’est effectuée sur la base de leurs connaissances pratiques des processus visés par la démarche d’amélioration, mais également en tenant compte de leur capacité d’analyse :

On a formé surtout les professionnels. Ça a été voulu comme ça, d’ailleurs, parce qu’on aurait pu former des cadres ou des gestionnaires à la méthode au départ. Mais on a choisi d’investir cette formation surtout avec des professionnels parce qu’on se disait que ce sont eux qui sont responsables d’un secteur, ce sont eux qui coordonnent quelque chose, ou souvent, ils sont au coeur de ces processus qui se passent.

L’identification des processus qui allaient faire l’objet du projet d’amélioration s’est déroulée en deux temps. D’abord, la haute direction a invité les directeurs de service à identifier certains processus qui pourraient, selon eux, faire l’objet d’un tel projet. Leurs recommandations ont été analysées en regard des résultats du sondage réalisé par madame Barbe en 2014. Par la suite, une fois la formation des individus désignés comme ceintures vertes complétée, la direction a soumis les processus identifiés à ces derniers ainsi qu’au consultant du MQQ, qui portait quant à lui le titre de ceinture noire et qui supervisait leur travail. Ensemble, ils ont ainsi pu :

  • valider le choix des processus ;

  • les circonscrire avec plus de précision (en effet, des processus trop larges ou trop complexes ne sont pas recommandés dans le cadre de tels projets) ;

  • refuser certains processus, notamment en raison de leur trop grande portée ou complexité, parce qu’ils étaient trop récemment implantés ou encore parce qu’ils allaient être transformés sous peu.

Une fois les processus choisis et recadrés, l’organisation a procédé à l’identification des membres des différentes équipes qui allaient y appliquer la méthode LSS. Sur la suggestion du consultant, des équipes de six à huit personnes ont été formées, auxquelles ont été associées les ceintures vertes. Ces équipes allaient pouvoir entreprendre la mise en oeuvre des opérations d’amélioration continue selon la démarche et la méthodologie de l’approche LSS. Précisons que six processus ont fait l’objet de projet d’amélioration en 2015 et 2016 ; trois d’entre eux sont abordés dans le présent article.

Les grandes étapes de la mise en application de l’approche LSS

Cette section présente les étapes de mise en application de l’approche LSS telle que les trois équipes interviewées l’ont expérimentée. Il importe de préciser ici que les participants ont déclaré avoir adopté une attitude d’égalité et de libre parole dans le cadre des discussions et des travaux associés à cette mise en application. Aussi, les participants ont mentionné que les discussions et les travaux de chaque équipe avaient été animés par un responsable d’équipe, en l’occurrence une ou deux personnes ayant suivi la formation destinée aux ceintures vertes, supervisées tout au long de la démarche par le consultant mentionné plus haut. Mentionnons également que les équipes comptaient à la fois des individus dont les responsabilités au quotidien étaient directement liées au processus analysé ainsi que d’autres dont les responsabilités ne l’étaient pas, ces derniers participant à l’effort de remise en question des différentes tâches du processus, notamment en apportant un regard extérieur.

Phase 1 : Étapes préparatoires

Étape 1

La toute première étape de la mise en application de l’approche LSS s’est traduite par une rencontre visant à expliquer l’approche d’amélioration continue ; il s’agissait d’expliquer ses objectifs, notamment diminuer, voire éliminer les gaspillages, entre autres celui du temps. Ces rencontres, animées par la direction, ont été réalisées au sein des trois équipes qui ont mené chacune un projet d’amélioration.

Étape 2

Il fallait par la suite procéder à la collecte et à l’analyse des données disponibles au sujet du processus analysé. Il s’agissait de le documenter statistiquement et ainsi d’établir le point de départ qui allait permettre de fixer le point d’arrivée, c’est-à-dire l’objectif. À titre d’exemple, dans le cadre de cette étape, il a fallu établir les données quantitatives sur le nombre de jours d’attente des usagers ayant fait la requête d’un document au Service québécois du livre adapté.

Étape 3

La troisième étape s’est centrée sur la définition de l’objectif en question. À cette fin, les équipes se sont questionnées sur la façon de fixer un objectif pertinent et réaliste. Afin d’alimenter ce questionnement, les participants ont été conseillés par le consultant, qui leur a conseillé d’établir un objectif assez ambitieux pour permettre « d’orienter notre mode de pensée, pour nous challenger si on veut, à penser différemment, à penser notre processus différemment ».

Étape 4

Une fois l’objectif fixé, il était devenu nécessaire de situer le processus sur un plan chronologique, c’est-à-dire de le subdiviser en tâches (et ce, dans les moindres détails) et de visualiser chacune en l’identifiant par un autocollant placé sur une séquence temporelle. Cette étape consiste à cartographier le processus. Cette façon de faire permettait en outre aux participants, d’une part, de visualiser la tâche de chacun dans le cadre strict du processus visé et, d’autre part, de s’en faire une idée à la fois globale et détaillée[5].

Phase 2 : Se familiariser avec le processus pas à pas

Une fois le processus cartographié et détaillé de telle sorte que tous les participants en aient une vision claire, était venu le temps de se familiariser pas à pas avec le processus, c’est-à-dire de le mettre en pratique sur le terrain et dans son entièreté afin que chacun puisse se faire une idée de son fonctionnement concret. Chacune des équipes devait alors recréer le processus du début à la fin. Outre la compréhension pratique de ses étapes, cette démarche a aussi permis de mettre en lumière des détails qui avaient échappé à l’exercice de visualisation ; il y a en effet une différence entre la façon dont les différents acteurs décrivent leurs tâches et la façon dont ils les effectuent au quotidien. L’exploration pas-à-pas, qui requiert environ une journée, permet également une meilleure communication entre les différents maillons du processus et une meilleure compréhension du rôle de chacun, ce qui participe en outre au décloisonnement global induit par la méthode LSS.

Phase 3 : Le diagramme d’affinités : identifier les problèmes les plus importants et les solutions

L’élaboration du diagramme d’affinités permet de cibler les problèmes les plus importants et les plus urgents à régler au cours du processus. Elle s’articule sur l’exercice de visualisation décrit plus haut et en réinvestit des éléments. Par exemple, les autocollants rouges employés pour représenter les éléments problématiques sont rassemblés par thèmes et classés selon leur importance, le degré d’importance de chacun étant déterminé par un vote général. Le but de l’opération est de regrouper les problèmes pour en réduire le nombre afin de prioriser les étapes du plan d’action. Chaque problème fait l’objet d’une analyse afin d’identifier les solutions.

Phase 4 : Rédaction du plan d’action

Une fois les grandes étapes du processus complétées et les problèmes identifiés et isolés, il s’agit d’établir le plan d’action par l’entremise duquel se réalisera l’amélioration du processus. Selon les témoignages des participants, sa rédaction s’est généralement faite en équipe, mais cela n’a pas nécessairement été la façon la plus optimale de procéder ; en effet, il est arrivé que la présence de voix divergentes ait ralenti le processus d’écriture. Ainsi, certains participants ont affirmé que ce travail de rédaction s’est parfois accompli par ébauches successives.

Phase 5 : Suivi

Enfin, une fois les étapes de la mise en application de la méthode LSS complétées et les améliorations déterminées, les équipes ont procédé à l’implantation de ces dernières, puis à une sorte d’autopsie du processus afin de mettre en place les mesures de contrôle liées à l’application des solutions. Il s’agissait ici non seulement de faire le bilan du processus de mise en place, mais également d’assurer la bonne mise en application des solutions et des améliorations prescrites.

Succès et difficultés rencontrés lors de la mise en application des étapes

Cette section présente un bilan des expériences positives et négatives rapportées par les participants. En effet, chacune des étapes de la mise en application de l’approche a été porteuse de succès et de moments plus difficiles, par ailleurs très variables d’une équipe à l’autre dans la mesure où la composition des équipes constituait un paramètre important dans la réussite du processus. Toutefois, il est possible de noter certaines convergences dans les témoignages des participants quant aux défis que représente une telle mise en application.

Succès de la mise en oeuvre de la méthode

De l’aveu général, il appert que la motivation et l’implication des participants étaient au beau fixe et que l’aspect humain de l’expérience s’est dans l’ensemble présenté comme une réussite. Ainsi, on relève globalement une bonne implication et une bonne participation des personnes concernées, qui se sont bien approprié l’objectif et la méthode, et ce, de façon transversale. Les participants aussi bien que les dirigeants ont fait montre de bonne volonté, voire d’un certain enthousiasme malgré quelques inévitables réticences, prévisibles et inhérentes à toute entreprise de changement majeur.

En effet, depuis le premier sondage effectué à l’initiative de madame Barbe jusqu’à la mise en application de l’approche d’amélioration continue en passant par la formation des équipes, l’intérêt et l’implication de tous les employés de BAnQ ont été globalement constants. Le sondage a été bien reçu et les équipes spécifiquement formées pour appliquer la méthode LSS ont fait montre de sérieux et de bonne volonté. Cette dernière s’explique généralement par le souci d’inclusion inhérent au processus, qui a permis aux participants de se faire entendre et de se sentir écoutés. La mixité des équipes et, pour certains départements, le soutien actif des dirigeants ont aussi contribué à la cohésion et au bon fonctionnement de la démarche. Au surplus, le fait de travailler avec des personnes provenant d’autres horizons a permis aux participants de mieux comprendre leurs propres rôles et tâches, certains rapportant par exemple qu’une meilleure connaissance du travail des collègues de leur propre équipe les a éclairés sur le sens et l’importance de leurs propres tâches. De cette compréhension a découlé une meilleure implication et une plus forte appropriation du processus et de ses objectifs. Cette mixité s’est ainsi révélée à la fois efficace et instructive.

Le choix des participants s’est avéré globalement un succès, malgré quelques hésitations et remaniements observés dans certaines équipes. Cela dit, le recadrage du choix des membres dans certaines équipes a contribué à la réussite globale du processus sur le plan humain.

De cette bonne volonté a également pu découler, selon les participants, une certaine facilité à identifier les problèmes et les améliorations possibles. Les participants rapportent ainsi que, lors des réunions, du fait de leur implication et de leur connaissance des processus, les gens parvenaient bien à identifier les insuffisances des processus actuels.

On rapporte également un encadrement généralement efficace de la part des acteurs extérieurs — par exemple le consultant portant le titre de ceinture noire —, ce qui a assuré une meilleure fluidité du processus. De la même manière, le soutien de la direction, qui a été capable de prendre en main les enjeux de la mise en application d’une approche d’amélioration continue, est aussi considéré comme un facteur de motivation crucial dans certains départements, comme le rapporte une participante :

Mais par contre, ce que je trouve super intéressant, c’est que la direction est impliquée. [La directrice] est très impliquée dans le processus, et elle communique beaucoup. Pour moi c’est un gage de réussite parce qu’elle est prête à vivre avec le fait que toutes les choses ne vont pas être livrées à temps. […] Je trouve qu’elle a une bonne approche, elle est vraiment impliquée, et investie, et je trouve que ce sont des gages de réussite.

Difficultés rencontrées lors de l’implémentation de la méthode

En ce qui concerne les difficultés et obstacles rencontrés, ils peuvent être partagés en plusieurs catégories selon leur source. Les participants déclarent à ce sujet :

  • l’inadéquation entre la méthode LSS et certaines réalités de l’organisation ;

  • le manque de communication global à l’interne concernant l’implémentation de la méthode ;

  • une planification parfois maladroite ;

  • une certaine incompréhension des participants, et ce, malgré la bonne volonté générale ;

  • enfin, des difficultés d’ordre logistique.

La méthode LSS étant issue du secteur industriel, certains de ses aspects ont été considérés comme difficilement adaptables aux réalités de l’organisation visée dans le cadre de ce projet, notamment du fait que l’efficacité et les résultats d’un processus ne s’y expriment pas nécessairement en des termes mesurables et quantifiables : « Là où c’était très difficile, c’était justement de trouver des choses quantifiables. Parce que comme on l’a dit, ce ne sont pas des tâches automatiques, donc… on avait un peu de difficulté à figurer comment le Lean pourrait s’appliquer, justement à des tâches non automatiques. » Ainsi, les statistiques nécessaires au déploiement de la méthode étaient, pour la majorité des équipes, peu, voire difficilement adaptées. En effet, les participants ont déclaré à cet égard que le temps d’exécution de certaines tâches était difficilement quantifiable, notamment en raison de leur nature variable et qualitative. De fait, certains ont en outre évoqué une certaine inadéquation entre la méthode et certaines tâches impliquant une intervention humaine de type qualitative. À titre d’exemple, on a mentionné l’évaluation d’un fonds d’archives : la nature et l’ampleur du fonds d’archives influent grandement sur le temps à consacrer pour en faire l’évaluation.

Ainsi, de nombreux participants rapportent l’impression que certaines étapes de la méthode déployée ont été « forcées » et ont, pour cette raison, constitué des moments difficiles lors de leur mise en application, cette dernière ayant alors été perçue comme un cadre trop rigide :

Je suis contente qu’il y ait une étude sur le sujet […] pour l’adaptation [du Lean aux réalités du milieu des bibliothèques], parce qu’il y a un besoin. Je trouve que, souvent, on s’est retrouvés à forcer des choses dans un moule… Dans le moule qui est le Lean. […] Tu sais, lors de la formation, je ne sais pas si vous ça vous a frappés, les exemples [qu’on nous présentait], c’était toujours une chaîne industrielle […] C’est problématique quand on arrive dans un service ou dans le milieu culturel, tout ça.

Par ailleurs, certains participants relèvent des faux pas dans le choix des processus à améliorer. Selon eux, les personnes responsables de choisir ces processus ne connaissaient pas suffisamment la méthode LSS pour bien l’adapter au contexte. Les dirigeants n’avaient pas forcément reçu une formation adéquate avant de procéder à ce choix, ce qui a entraîné certains tâtonnements et remaniements (remaniements observés dans certaines équipes), comme nous l’avons brièvement évoqué plus haut.

Aussi, la constitution des équipes a posé problème dans certains cas, car les participants choisis au départ n’étaient pas nécessairement les plus qualifiés (connaissances approfondies du processus), tandis que certaines personnes clés (personnes ayant un rôle important dans le processus) du processus n’avaient pas été sélectionnées. De la même manière, des participants identifient le manque de communication et de préparation global autour du projet d’amélioration continue comme une difficulté majeure à laquelle sont imputables beaucoup d’autres difficultés. En effet, selon eux, le personnel n’ayant pas participé au projet n’a que très peu été informé au sujet du déploiement de l’approche LSS, ce qui a créé un clivage entre les personnes impliquées et les autres, tout en générant des craintes ou un certain désintérêt.

Les participants rapportent également un manque de préparation ou d’information préalables et se sont sentis catapultés au milieu du processus, et ce, malgré la formation donnée aux ceintures vertes. Certains rapportent ainsi s’être sentis un peu « perdus » dans l’enchaînement des étapes. En outre, le consultant externe, bien que détenteur d’un rôle indispensable et utile, était responsable d’un nombre trop important d’équipes et se souvenait parfois difficilement de certains éléments.

Sur le plan de la logistique, la mise en place de la méthode LSS est évoquée par les participants comme un processus chronophage et exigeant. Ceux qui devaient parallèlement effectuer leurs tâches habituelles sont difficilement arrivés à dégager du temps pour se consacrer pleinement à l’approche d’amélioration continue proposée. Dans certains cas, le manque de temps a contribué à allonger la mise en place du processus, au point de nuire à la fluidité de l’opération. Ainsi, au sein de l’une des équipes, le processus s’est étiré sur plusieurs mois, ce qui a représenté un facteur de fatigue et d’irritation pour les participants :

Oui, je pense pour beaucoup de personnes dans l’équipe. […] Les gens ont pas fait leur tour pour parler, pour se faire entendre. Quand c’était le temps de faire la cartographie, par exemple, il y a des gens qui ne devaient intervenir qu’à la toute fin. […] Puis il y a peut-être un mois qui s’est écoulé entre la première partie et la deuxième partie. Ça a été un irritant pour nous et pour l’équipe.

De la même manière, libérer les employés des équipes LSS afin qu’ils puissent prendre part aux réunions nécessaires a constitué une décision importante au sein de toutes les équipes :

Alors il faut vraiment que tu libères les personnes. Mais dans un contexte organisationnel où on a trop de projets pour le personnel qu’on a, c’est pas facile, au niveau gestion, de libérer les temps qu’il faut pour qu’ils puissent le faire vraiment adéquatement, puis qu’ils aillent en profondeur. […] C’est l’élément sensible.

Les résultats obtenus

Cette section détaille les résultats obtenus de la mise en application des solutions proposées suite à la tenue des ateliers LSS. La mise en place des améliorations préconisées pour les trois projets d’amélioration analysés par nos soins n’était pas complétée au moment de la réalisation des entretiens avec les participants.

L’une des équipes rapporte une amélioration notable d’un processus visé, dont la réalisation serait passée de quelques mois à quelques jours. Toutefois, plusieurs équipes indiquent que le déploiement véritable des solutions est relativement faible, c’est-à-dire que plusieurs tardent à être mises en application. Selon les participants, ce retard tiendrait à plusieurs raisons : le manque de temps, la présence de facteurs externes déterminants dans l’amélioration du processus et un certain désengagement des gestionnaires une fois les plans d’action remis. On mentionne à cet égard que les personnes ayant le pouvoir de lancer la mise en application des solutions ne sont pas nécessairement celles qui vivent le processus au quotidien ; aussi leur attention a-t-elle pu se voir accaparée par d’autres dossiers. En outre, les solutions préconisées nécessitent parfois l’intervention d’acteurs externes ou engendrent des coûts qui découragent leur application aux yeux des gestionnaires.

Ainsi, un an après le dépôt du plan d’action par l’une des équipes engagées dans le processus, on rapporte un niveau assez faible de mise en place des solutions. On précise par exemple que les dirigeants en théorie chargés de la mise en application des solutions n’ont pas nécessairement participé au déploiement de l’approche d’amélioration continue et tardent parfois à lancer les opérations, ce qui engendre de la frustration chez les professionnels de terrain. Selon les participants, ces derniers seraient les plus aptes à superviser la mise en place des solutions :

Le plan d’action proposé par l’équipe a été transmis à tous les gestionnaires impliqués, dans toutes les directions. Puis, on leur a demandé : « Est-ce que c’est faisable, est-ce que c’est à court terme, moyen terme, est-ce qu’on peut aller de l’avant avec ça ? » Et là on nous disait : « Ça coûte pas mal cher, ça. On peut peut-être pas le faire tout de suite. » Et là on essayait d’identifier les actions qui allaient vraiment les donner le plus de résultats.

Perceptions de l’approche LSS

Perceptions négatives

Dans le cadre de l’expérience menée à BAnQ, les participants allèguent que les perceptions de l’approche se sont avérées, au départ, relativement négatives ; cette situation pourrait être la conséquence d’une méconnaissance et d’une incompréhension de la méthode, qui s’est alors vue associée aux restrictions budgétaires et aux suppressions de postes : « Il y a aussi le fait que les gens connaissaient pas le Lean, ça, ça peut avoir joué aussi, ça. Ça sert-tu vraiment de quoi, c’est une perte de temps, c’est un comité bidon. » Comme le résume une participante, le manque d’information, l’incompréhension et l’insécurité nourrissaient des perceptions négatives :

Parce que, quand on veut implanter un Lean, les personnes, ça les insécurise beaucoup parce qu’ils se disent qu’on n’a pas le temps de faire ça (on a d’ailleurs pris une ressource extérieure). Donc une ceinture noire qui vient nous aider à implanter le Lean. Donc ça nous insécurise, quelqu’un de l’externe qui vient nous aider. On est capable de faire ça nous-mêmes dans notre service, on n’a pas besoin d’avoir quelqu’un de l’externe. Donc il y a un côté insécurisant.

On note toutefois qu’une saine communication peut modifier de telles attitudes. En effet, une participante rapporte le cas d’une de ses collègues, d’abord sceptique face à la méthode LSS, qui en est devenue une fervente promotrice après avoir fait l’expérience d’un processus.

Perceptions positives

Les participants à la démarche évoquent également des perceptions fort positives. Celles-ci émanent de la possibilité de faire entendre leur voix et de contribuer activement à la résolution de certains problèmes. Cela fait également écho au fait que l’écoute et l’implication des employés ont été d’importants facteurs dans la réussite des projets d’amélioration continue. En effet, une participante l’a souligné, les employés étaient ravis de pouvoir prendre part activement à une initiative visant à améliorer leur travail quotidien et l’expérience des usagers : « Une chose que j’ai remarquée, aussi, mais ça, c’est d’un point de vue complètement externe, et je ne sais pas comment ça se passe dans le quotidien, mais je pense que tout le monde était content de participer à une initiative qui les touche. Ça leur donnait une voix. »

Améliorations possibles

En conclusion des entretiens, nous avons demandé aux participants de nous livrer ce qu’ils feraient différemment lors d’un projet ultérieur d’amélioration continue. Les changements majeurs proposés en vue d’une seconde application avaient principalement trait à la communication et à l’organisation interne, c’est-à-dire deux éléments ayant déjà été mentionnés en tant que sources de la plupart des difficultés et réticences rencontrées lors du déploiement de la méthode.

Ainsi, une meilleure communication en amont autour de celle-ci, de ses objectifs et du calendrier d’application serait indispensable. De cette meilleure communication devrait découler le déploiement d’une logistique mieux rodée : par exemple, l’arrimage des tâches liées au projet d’amélioration continue aux tâches préexistantes des participants devrait être plus harmonieux. À cet égard, on évoque la sensibilisation de tout le personnel, de la direction aux employés, aux objectifs et aux étapes de la méthode.

Découlant directement du besoin de communication, une formation adéquate destinée à tous les membres du personnel est préconisée. Il s’agit non seulement de bien former les participants qui prendront part à la démarche, mais également les dirigeants et décideurs associés au département où est déployée la démarche, et ce, même s’ils ne sont pas directement impliqués. On indique à cet égard qu’une direction bien informée sera plus à même de soutenir le processus sans y faire indirectement obstruction en ne libérant pas les personnes sous sa responsabilité, comme cela a été relevé. De fait, de nombreux participants relèvent qu’il est indispensable de libérer les participants de leurs tâches quotidiennes afin de favoriser l’implantation d’une démarche d’amélioration continue. Sur le plan logistique, rapprocher les séances et les rencontres de l’équipe du projet d’amélioration est également identifié comme un facteur important afin d’éviter la dispersion et le désengagement.

Aussi, les participants rapportent que l’identification des processus qui feront l’objet d’un projet d’amélioration continue devrait être faite par les individus qui ont effectivement été formés à l’approche LSS, de telle sorte que les processus en cause soient effectivement valides. Ainsi, on évoque l’importance de former les individus et de les impliquer dans l’identification des processus à améliorer.

Afin de veiller au bon déroulement de chaque étape des projets d’amélioration continue et de conserver l’implication des membres, les participants recommandent l’intervention d’un superviseur connaissant bien la méthode afin d’assurer la cohérence de tout le processus. En effet, selon les participants, la mise en application des recommandations issues des plans d’action constitue une étape cruciale qu’il convient de ne pas négliger. Afin d’y veiller, les participants recommandent de mettre en place un comité de suivi, ainsi que de donner un plus grand pouvoir décisionnel aux employés directement impliqués :

Mais de systématiser les plans d’action parce que dans le comité, l’un des mandats du comité c’est de suivre les plans d’action. […] Par exemple : tu as fait un plan d’action. Tu fais une ou deux actions, puis après, devant tout ce qu’il y a faire, tu te dis, je n’ai pas le temps de faire tout ça ! C’est pour cette raison qu’on [les membres du comité] s’est donné comme mandat d’aller voir dans chacun des processus pour nous assurer d’obtenir des résultats et que les suivis soient effectués.

Par ailleurs, dans le cadre du choix des participants à la démarche, afin de lutter contre les résistances, il a été conseillé d’impliquer les personnes réticentes et de former de petites équipes afin d’assurer une meilleure cohésion : « Mais c’est vrai que la ceinture noire nous a recommandé d’embarquer les résistants. Parce que, à partir du moment où ils comprennent, ils ne sont plus résistants. Donc on les a pas laissés de côté, on les a inclus. »

Enfin, pour implanter l’amélioration continue avec succès, les participants conviennent qu’il faut se donner les moyens et être prêts à mobiliser toutes les ressources nécessaires : « Ça te prend des ressources. […] Si quelqu’un veut s’embarquer là-dedans, il faut qu’il sache qu’il faut investir du temps. »

Avantages collatéraux

Outre les résultats obtenus, les participants soulignent que la mise en application de la méthode LSS a eu d’autres effets positifs sur les façons de procéder des divers départements impliqués et de leur personnel. Le déploiement d’une telle approche a apporté des avantages collatéraux, notamment en contribuant au décloisonnement général des équipes, qui avaient auparavant tendance à travailler en silos. En lien avec ce décloisonnement, l’on a observé une meilleure communication entre les acteurs concernés, une amélioration de la compréhension globale des processus et des tâches et une fluidité accrue dans l’accomplissement des tâches. Les participants affichent ainsi une plus grande autonomie dans leur travail depuis la mise en place de l’approche d’amélioration continue ; cela est dû à une meilleure compréhension des processus et de leur utilité.

Le projet d’amélioration continue a aussi conduit à une bonification des pratiques en ce qui a trait à la documentation des processus. Sans le cadre du déploiement de la méthode, les participants ont décrit dans le détail et partagé les procédures de leurs départements :

Tous nos dossiers étaient dans le même dossier. Toutes les équipes avaient créé leurs dossiers dans un dossier Lean, puis on est tous allés voir ce que les autres faisaient. On s’est tous aidés. « Oh, tu as fait ça de cette façon ? » Puis on en discutait, alors je pense que tout le monde est allé voir les dossiers de tout le monde. En tout cas moi je l’ai fait, je sais que d’autres collègues l’ont fait. On regardait. Ah ! ils ont fait ça comme ça, on est sur la bonne voie, nous aussi on a fait ça, puis on s’est refilé des PowerPoint, des choses comme ça. Alors, il y a vraiment eu un échange… Oui, et ça a fait gagner du temps quand même. Ça aussi, c’est de l’optimisation, je trouve, de se prêter du matériel, ou des fois c’est les mêmes choses qu’on dit, on est pas obligé de tout refaire, tout le monde fois huit !

Ainsi, le déploiement de la méthode LSS a permis de mettre en lumière certaines lourdeurs et redondances, et de préparer le terrain pour une fluidification générale des procédures, même hors du cadre spécifique des ateliers.

Conclusion

Dans le cadre de ce projet, nous souhaitions rendre compte d’une expérience concrète d’intégration d’une approche d’amélioration continue de type Lean au sein d’une bibliothèque québécoise, en l’occurrence certaines unités de l’organisation de BAnQ, notamment la Grande Bibliothèque.

Force est d’admettre que l’expérience globale du déploiement de la méthode LSS au sein de cette organisation s’est avérée un succès et que celui-ci n’est pas sans lien avec les facteurs y contribuant, tels qu’identifiés par Murphy (2009) : le soutien de la direction, un investissement suffisant en ressources humaines et financières et la formation du personnel. En effet, des améliorations notables ont pu être constatées et l’expérience a été globalement bien accueillie par les membres du personnel. Outre les résultats escomptés, l’expérience a aussi eu pour conséquence additionnelle de fluidifier les façons de faire en décloisonnant les équipes et en améliorant la communication.

Si les résultats sont généralement positifs, le déploiement de la démarche aura connu quelques difficultés, principalement liées à la communication et à la formation du personnel et de la direction. Cela fait d’ailleurs écho à nos premiers travaux sur le sujet, dans lesquels nous proposions que

les attitudes et perceptions des professionnels [du milieu des bibliothèques] demeurent prudentes, voire relativement négatives. La culture organisationnelle pourrait participer à cette réserve, de même que la méconnaissance des approches d’amélioration continue. Il serait d’ailleurs fort avisé, pour toute bibliothèque envisageant l’intégration d’une approche d’amélioration continue, de prévoir une formation approfondie du personnel et de la direction en la matière.

Labbé, Forget & Luckerhoff 2017, 31

Ainsi, la communication autour de la mise en application de la méthode n’a pas toujours été optimale, ce qui a entraîné malentendus, ralentissements et méfiance. Par ailleurs, ce ne sont pas toutes les personnes impliquées qui ont été formées et sensibilisées.

D’un point de vue logistique, le processus et la mise en application des solutions ont eu tendance à s’étirer en raison du manque de temps de certains participants, ainsi que du fait que les responsables des plans d’action étaient des gestionnaires extérieurs aux projets. Ces difficultés semblent moins liées à l’approche elle-même qu’à la façon dont elle a été implantée. Les réserves exprimées quant à la méthode elle-même ont d’ailleurs trait à la prise de mesures dans le cadre de l’évaluation des processus et de la fixation des objectifs. En effet, la nature quantitative de cette démarche semble s’appliquer plus difficilement à certains processus, notamment ceux mobilisant le jugement humain ou qui sont en eux-mêmes de nature variable. Pour la suite des choses, il serait vraisemblablement indiqué de développer une procédure détaillée, destinée spécifiquement aux professionnels du milieu des bibliothèques. Une telle procédure pourrait notamment inclure des stratégies de communication et de formation du personnel adaptées.

Aussi, il serait très à propos d’analyser plus amplement les difficultés rencontrées en matière de prise de mesures. Cette approche de la méthode LSS pourrait possiblement faire l’objet d’une adaptation aux contextes et réalités du milieu des bibliothèques et, plus largement, du secteur culturel.

Enfin, il serait également intéressant de mener une recherche auprès des spécialistes de la méthode LSS afin de mieux comprendre les spécificités du Lean management et de son acclimatation dans une institution culturelle.