Introduction. Parole queer et musiques contemporaines : vivre et créer hors de la norme[Record]

  • Éric Champagne and
  • Martine Rhéaume

Ce n’est que depuis quelques décennies que les questions lgbtq+ font l’objet d’études et de réflexions soutenues. Comment aborder ces réalités qui sont extrêmement larges et diversifiées ? Un dossier thématique comme celui-ci ne peut évidemment pas couvrir l’ensemble des enjeux du domaine, d’autant plus que le volet des queer studies qui se penche sur la création musicale contemporaine est assez peu diffusé et approfondi dans le monde francophone. Nous avons opté ici pour des portraits de l’état de la parole et de l’identité queer dans le contexte des musiques de création, de la table de travail d’un.e compositeur.trice jusqu’au regard posé par l’analyste, en passant par les réalités du terrain. Prenons un pas de recul pour considérer l’origine du mouvement. Dans les milieux anglophones des années 1980, la réappropriation subversive de l’insulte « queer » en un cri de ralliement, de revendication et d’identité retourne le doigt accusateur de 180 degrés. Nous divergeons de la norme ? Soit. Mais le problème, c’est la norme en tant que telle : hétérosexuelle, monogame, blanche, cis, etc. Le discours porté par les divers mouvements gays, lesbiens et transgenres des années 1960 et 1970, relié de près aux luttes pour les droits civiques, trouvait alors une expression forte de l’axe principal à la base de la discorde : la norme. Aujourd’hui, ce sont les questions subtiles entourant l’impact d’un discours identitaire queer en musique contemporaine que nous sommes amené.e.s à mettre en lumière. Quelle est la place de la prise de parole d’un.e compositeur.trice gay, lesbienne ou transgenre en musique contemporaine ? Qu’en est-il de l’expression (ou absence d’expression) de l’identité sexuelle et de l’identité de genre dans la création musicale ? Dans un milieu qu’il est possible de considérer comme « hétéronormatif », quel est l’impact des gender studies sur la compréhension du style et des motivations des créateurs.trices sonores ? Plus largement, la prise de parole des compositeurs.trices sur les questions lgbtq+ est-elle de l’ordre du discours ou de l’esthétique ? Cette question d’une esthétique homosexuelle avait été brièvement évoquée dans les pages de Circuit, en 1991. Dans une entrevue portant sur l’oeuvre de Claude Vivier, György Ligeti déclarait alors : Ligeti tient ici un discours bien ancré dans son époque. L’application des théories issues des gender studies au travail musicologique d’alors cherchait non seulement à définir une esthétique dite « homosexuelle » (et qui, semble-t-il, pouvait être « choisie »), mais allait même jusqu’à « genrer » les productions musicales historiques pour en développer de nouveaux angles d’analyse. C’est ainsi qu’on en est venu à confronter le très viril Beethoven au très efféminé Schubert. C’est d’ailleurs à l’aide de ce cas de figure que Nicholas Cook s’attacha à synthétiser, non sans une touche d’ironie, la pensée de Susan McClary – pionnière des gender studies en musicologie – dans le chapitre « La musique et le genre » de son ouvrage Musique, une brève introduction. Les choses ont passablement évolué en trente ans, comme tout portrait d’une identité en mouvance. Sans prétendre avoir atteint une sorte de vérité définitive sur le sujet, le tout récent article « Le sexe comme champ d’investigation », de la théoricienne de la musique Danielle Sofer, propose de dresser un bilan en nous invitant à « réévaluer les outils et techniques d’analyse de la musique contemporaine ». L’autrice y expose néanmoins une analyse à la fois personnelle et remarquablement fouillée des enjeux historiques rattachés à la notion de genre en analyse musicale. Ce texte est ici présenté dans une version abrégée, traduite en français. Au Québec et au Canada, les postures …

Appendices