Abstracts
Résumé
Dans le présent article, l’auteur cherche à approfondir la « sociologie du cinéma » amorcée par Pierre Sorlin en posant les jalons d’une sociologie du film capable d’intégrer les apports de l’analyse de film. En s’appuyant sur les acquis des travaux d’histoire du cinéma, sur la réflexion patiente des historiens d’art et, aussi, sur deux études de cas portant sur l’oeuvre de Hitchcock et celle de Godard, il trace les contours théoriques d’une sociologie du film. Elle commence avec une définition originale du film, considéré comme un processus qui traverse des états différents tout au long de son histoire. Cette définition suppose un ensemble de concepts que l’auteur s’attache à présenter, avec l’espoir d’en réduire le nombre et de les adapter aux différentes pratiques de recherches. On appelle institution cinématographique le lieu où les films sont fabriqués suivant des directives caractéristiques : les directives définissent les genres et les formats des projets de film entrepris. Les cinéastes, pour réaliser ces directives, utilisent des modèles énonciatifs qui relèvent de leur compétence. Ainsi, chaque film peut être mesuré par rapport aux habitudes et conventions que ces modèles impliquent. En ce sens, il constitue une image ou une paraphrase de son institution : il en figure la logique propre. L’interprétation du film achevé procède de l’une ou l’autre logique du lieu où il est présenté. On appelle institutions d’interprétation de tels lieux. Un film y est interprété suivant le savoir culturel des publics qui, à partir de leur conception du monde et à partir du contexte de fabrication du film, lui appliquent les modèles interprétatifs qu’ils jugent appropriés. Ce qu’on appelle « le sens » d’un film est donc exactement le résultat d’un processus interprétatif particulier, et la sociologie du film doit nécessairement tenir compte du fait qu’un film possède en général plusieurs significations, chacune d’elles résultant de la rencontre entre le film et un public spécifique.
Abstract
In this article, the author develops Pierre Sorlin’s idea of a “sociology of the cinema” by laying down the basis for a sociology of the film which could incorporate the contributions of film analysis. Using what we know from histories of the cinema and the patient work of film historians, in addition to two case studies, on Hitchcock and Godard, he sketches the theoretical framework for a sociology of the film. This sociology begins with an original definition of film, seen as a process which takes various forms throughout its history. This definition presupposes a range of concepts which the author introduces in the hope of reducing their number and adapting them to different research practices. The site of film production is known as the cinematic institution, where films are made according to typical directives; these directives define the genre and format of the films being produced. In order to carry out these directives, filmmakers use models of enunciation within their own field of activity. In this way, any film can be measured against the customs and conventions involved in these models. In this sense, the film is an image or paraphrase of its institution: it gives form to its internal logic. Interpretation of the completed film is carried out according to a particular logic of the place where it is shown. Such places are known as interpretative institutions. There, a film is interpreted according to the cultural knowledge of audiences who, using their conception of the means by which and context in which the film was produced, apply the interpretative models they deem appropriate. What we call a film’s “meaning” is thus the exact result of a specific interpretative process, and a sociology of the film must take into account the fact that a film usually has several meanings, each one the result of an encounter between a film and its specific audience.
Appendices
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