Compte renduBook review

Laurent Jullier, Qu’est-ce qu’un bon film ?, Paris, La Dispute, 2002, 250 p.[Record]

  • Yves Laberge

Sur la base d’une question apparemment toute simple : « Qu’est-ce qu’un bon film ? », Laurent Jullier élabore une réflexion étoffée et rigoureuse sur les critères d’appréciation en matière de films, tout en s’inscrivant dans la continuité des recherches les plus stimulantes des dix dernières années consacrées à la culture savante, la formation du goût, les préférences des auditoires, les types de succès et, plus généralement, sur l’offre culturelle . Par le passé, les travaux qui s’intéressaient aux critères d’appréciation des oeuvres d’art — travaux issus de diverses disciplines : la philosophie esthétique, la sociologie de l’art, l’histoire littéraire — abordaient rarement le domaine spécifique du cinéma dans leur examen de la qualité des oeuvres, tableaux, livres, etc. L’ouvrage de Jullier comble une lacune et ouvre plusieurs avenues pour la réflexion. En réalité, la question initiale visant à déterminer ce qu’est un « bon film » appartient virtuellement à tous les types d’auditoires, amateurs ou spécialisés, jeunes ou aguerris. On peut d’ailleurs considérer que, au final, chaque spectateur se forge sa propre opinion en voyant un film ; le recours aux avis des critiques professionnels répondrait à une simple nécessité pratique, au besoin d’être éclairé sur certains points précis : sur le contenu de tel film, sur les circonstances de son tournage, sur les acteurs figurant au générique ou, tout bonnement, sur les salles où l’on peut le voir. Or, depuis une dizaine d’années, les sources où l’on peut trouver des critiques de films ont considérablement augmenté, la critique n’étant plus cantonnée dans les quotidiens et dans la presse spécialisée. De plus, avec l’avènement d’Internet, chacun peut désormais devenir un « critique » et voir ses textes diffusés dans l’espace public, sur les sites des marchands de vidéocassettes et de DVD comme Amazon, ou sur certains forums de discussion virtuels (p. 76). Désormais, les commentaires critiques des « spécialistes » côtoient ceux de tout un chacun, sans aucune distinction. Selon la formule de Jean-Marc Leveratto, reprise par Jullier, le spectateur ordinaire peut devenir momentanément un « expert » en matière de cinéma (p. 62). D’ailleurs, on sait que beaucoup de chroniqueurs de cinéma n’ont pas reçu de formation préalable en histoire du cinéma : souvent, le fait d’avoir vu beaucoup de films semble justifier qu’ils exercent cette profession. Qui plus est, les critiques les plus chaleureuses servent désormais à faire la promotion des films ; les superlatifs éloquents qu’emploient certains chroniqueurs non spécialistes sont souvent repris sur les affiches de films et sur les boîtiers de DVD, où l’on peut lire, avec mention de la source, les sanctions les plus élogieuses : « un chef-d’oeuvre », « un pur divertissement », etc. Mais doit-on regretter l’époque du critique influent, qui sanctionnait définitivement une oeuvre ou, au contraire, se réjouir de la démocratisation des avis, du fait que désormais une opinion en vaille une autre ? Décidément, l’univers de la critique de cinéma méritait un examen attentif . Au tout début de son livre, Jullier précise que son intention est de réfléchir sur les manières dont les critiques de films sont formulées, justifiées et validées. Ainsi, l’auteur ne prétend pas rédiger un guide pratique répertoriant les critiques les plus pertinentes, et ne cherche pas plus à déterminer celui qui a raison dans les débats critiques et les polémiques autour de tel ou tel film. Ces aspects sont néanmoins évoqués afin de comprendre et d’examiner comment la critique se fait et se fonde. De nos jours, chacun peut critiquer le film qu’il a vu et faire circuler son avis, comme chacun peut commenter un procès diffusé en direct à la télévision …

Appendices