PrésentationRemarques liminaires sur les dérives et évolutions du droit pénal[Record]

  • Julie Desrosiers and
  • Pierre Rainville

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  • Julie Desrosiers
    Professeure,
    Faculté de droit,
    Université Laval.

  • Pierre Rainville
    Professeur,
    Faculté de droit,
    Université Laval.

Résolument ouverte, notre invitation à s’interroger sur les dérives et évolutions du droit pénal a permis l’expression de réflexions juridiques aussi inspirées qu’inspirantes. Le matériel que nous rassemblons ici est riche, et il nous est impossible, il va sans dire, d’en faire la synthèse dans les quelques pages qui suivent. Là n’est pas notre objectif, d’ailleurs. Au mieux souhaitons-nous lier certains textes entre eux pour qu’émergent des thèmes d’analyse communs ; à défaut tablons-nous sur notre enthousiasme pour susciter l’intérêt du lecteur. Parmi les thèmes que nous suggérions, celui de l’éclatement du droit pénal et de la multiplication des ordres normatifs a nourri plusieurs réflexions. Quoique l’État continue à jouer un rôle prédominant dans la production des règles de droit de nature répressive, le champ du pénal n’est pas à l’abri des mouvances postmodernes : ici comme ailleurs, les sources du droit se multiplient et la norme juridique se fragmente. De nombreux acteurs sociaux revendiquent désormais l’utilisation du pouvoir répressif au nom du bien commun, voire au nom de la préservation des droits fondamentaux de l’humanité. L’autorité de l’État, autrefois seul et incontestable législateur, est ébranlée de l’intérieur comme de l’extérieur. La production et la gestion interne du droit pénal échappent au monopole étatique de plusieurs manières : des acteurs nouveaux se frayent une place entre l’État et l’accusé, forçant la prise en considération d’intérêts particuliers ; des groupes instrumentalisent la norme criminelle à des fins politiques plus particulières que collectives ; certains pans législatifs sont opérationnalisés par des agences spécialisées (l’Autorité des marchés financiers, par exemple). À ces phénomènes, que nous pourrions lier à une certaine politisation du droit pénal, s’ajoute celui de l’internationalisation qui restreint encore davantage l’autonomie autrefois totale du législateur national. Bref, l’État n’est plus le seul à dicter les règles du jeu pénal. Nous nous questionnions sur la prolifération normative réglementaire et émettions des craintes à l’égard de son potentiel répressif, dans un contexte de souplesse procédurale étranger à la rigidité du processus criminel, caractérisé par le respect rigoureux des droits des personnes accusées. Anne-Marie Boisvert, Hélène Dumont et Alexandre Stylios ont pris la balle au bond en déconstruisant, de manière beaucoup plus fondamentale, la distinction communément admise entre le droit pénal réglementaire et le droit criminel. De nos jours encore, soulignent-ils, « l’organisation d’une loterie sans autorisation provinciale, la possession de bombes fétides ou le fait de dire la bonne aventure contre rémunération constituent des crimes dans le vrai sens du mot, alors que le fait de provoquer intentionnellement une catastrophe environnementale ou le fait d’influencer le cours ou la valeur d’un titre par des pratiques déloyales, abusives ou frauduleuses constituent des infractions réglementaires » (p. 477-478). Cette imagerie juridique est d’autant plus forte qu’elle se déploie sur un argumentaire solide, les auteurs critiquant chacune des différences « de principe » qui opposeraient infractions réglementaires et criminelles. Au-delà de ces cloisonnements artificiels, écrivent-ils, « c’est l’effet de la loi en regard des droits individuels qui devrait fonder l’analyse […] Plus une loi de nature pénale portera atteinte aux droits des individus de par la sévérité de sa peine, plus les garanties procédurales devraient être étendues » (p. 488-489). En cela, ces auteurs nous replongent au coeur du projet juridique contemporain en nous rappelant l’impérieuse nécessité, dans un contexte d’éclatement normatif, de se concentrer sur les droits fondamentaux des citoyens. À défaut, ces derniers risquent de souffrir d’un « excès de justice ». Pareille démarche intellectuelle s’incarne nécessairement dans une expérience humaine et appelle à une lecture transversale du droit, dans toutes ses manifestations. Partir de l’expérience du justiciable pour échapper aux limites de …

Appendices