VariaLecture

À quoi rêvent les algorithmes ? Le dernier ouvrage de Dominique CardonDominique Cardon, À quoi rêvent les algorithmes ? Nos vies à l'heure des big data. Le Seuil, 2015[Notice]

  • Peppe Cavallari

Pour ceux qui suivent les pistes de la recherche menée depuis plusieurs années autour des enjeux sociaux-politiques de la technologie par Dominique Cardon, ce dernier ouvrage était très attendu et marque l’achèvement temporaire d’une réflexion visant à déchiffrer la logique des algorithmes (en interprétant les rêves) qui s’annonçait dans les travaux précédents. En 2010, dans La démocratie Internet, le sociologue s’intéressait en effet à la politique des algorithmes, affirmant que Les algorithmes qui permettent de hiérarchiser les informations enferment des principes de classement et des visions du monde. Ils structurent très profondément la manière dont les internautes voient les informations et se représentent le monde numérique dans lequel ils se promènent, sans toujours soupçonner le travail souterrain qu’exercent les algorithmes sur leur itinéraire . Deux ans plus tard, l’enquête se faisait plus exhaustive et plus pointue, se focalisant sur le PageRank, l’algorithme de Google, dans un article devenu depuis une référence incontournable, où Cardon se demande à quoi rêve Google, le rêve étant déjà, tout comme dans le titre de l’ouvrage dont il est question ici, la représentation intime et secrète du monde que l’on désire et que l’on peut créer. « Le PageRank est une machine morale – écrivait Cardon. Il enferme un système de valeurs, donnant la prééminence à ceux qui ont été jugés méritants par les autres, et déployant une volonté : faire du web un espace où l’échange des mérites n’est ni freiné ni déformé ». Dans cet article, Cardon décortiquait les composantes théoriques à la base de la création de l’algorithme qui avait fait le succès de Google et qui pourtant était déjà en crise. En effet, le principe d’autorité à la base de la hiérarchisation des informations commençait à être ébranlé par une série de principes (popularité, affinité et efficacité) issus des pratiques sociales et commerciales des internautes. C’est pourquoi les ingénieurs de Google apportent sans cesse des modifications à l’algorithme. Ils en personnalisent ainsi les résultats, afin d’échapper à toute tentative d’en exploiter le fonctionnement pour gagner en visibilité – répondant par la même occasion aux exigences pressantes des juridictions nationales et des industries culturelles. « Au principe d’autorité qui a fait la force du PageRank – concluait Cardon – Google substitue de plus en plus un principe d’efficacité qui renvoie de manière toujours plus appropriée vers l’internaute les choix que l’algorithme a appris de ses comportements ». En outre, la stratégie industrielle de Google peut, selon le sociologue, « entrer en conflit avec la logique de la neutralité du moteur de recherche et contribue à rendre de plus en plus fragile, de plus en plus rhétorique, la revendication de neutralité de la recherche naturelle ». Trois ans plus tard, Cardon insiste encore sur l’importance des algorithmes au sein de notre société : comprendre la logique et le fonctionnement d’un algorithme permet de comprendre la façon dont peut se former le jugement que nous portons sur les choses et par conséquent le facteur qui a orienté notre comportement. Le but déclaré du dernier livre de Cardon est, toujours selon la métaphore freudienne, d’« allonger les algorithmes sur le divan », en ouvrant la boîte noire des calculs pour éclaircir les enjeux culturels impliqués dans le développement du calcul algorithmique, et de s’émanciper ainsi du sentiment d’incompétence qui nous soumet à leurs effets. Il est temps en effet de développer une instruction de base capable de devenir une véritable culture statistique qui ne soit pas réservée aux spécialistes, puisqu’« il n’est plus beaucoup de gestes quotidiens, d’achats, de déplacement, de décisions personnelles ou professionnelles qui ne soient orientées par une …

Parties annexes