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Longtemps considéré comme une vitrine démocratique en Afrique francophone avec les mandats successifs du président Alpha O. Konaré[1] (1992-2002) et du « consensualiste[2] » Amadou T. Touré[3] (2002-2012), le Mali (Thiriot,1999 : 348-377, 2002 ; Bertrand, 1992 : 9-23) s’est posé comme une « Success story » de démocratie multipartite, mais cet « exceptionnel environnement socio-politique » (Baudais et Chauzal 2006 : 68) au sein duquel tous les partis politiques étaient invités à prendre part au management des affaires de l’État (Camara, 2011 : 79) a volé en éclats avec le coup d’État du 22 mars 2012 et la création, par le capitaine Amadou Haya Sanogo, du CNRDRE[4]. Parallèlement aux turbulences socio-politiques qui prévalaient dans la capitale institutionnelle, Bamako, le Nord du pays a été le théâtre de nombreux conflits, notamment la menace de partition de la République de l’Azawad, les actes terroristes d’AQMI, les revendications diverses du MNLA[5], du MUJAO[6] et d’Ansar-dine. Cette partition de facto du Mali fit ainsi le lit des analyses négatives et hâtives, terreau des scénarios bellicistes qui s’inscrivaient en faux contre les dynamiques initiées par le gouvernement malien, dont l’optique était d’organiser les élections présidentielles de juillet et août 2013[7]. Toutefois, ces élections réussies ne peuvent occulter les problèmes structurels du Mali, entre autres, la « question touarègue », la porosité des frontières, la présence des groupes terroristes au Nord du pays et les dynamiques de développement. Il n’est donc pas superfétatoire d’avoir d’autres lunettes analytiques qui s’inscrivent dans une dynamique de reconstruction et de développement de ce pays aux acteurs multiples. La vertu première de l’action publique internationale du codéveloppement est sans conteste la modalité idoine de son étude qui oscille entre la mise en sens et la mise en action. Or, quel qu’ait été le bien-fondé scientifique et institutionnel de ces approches, force est de reconnaître que leurs extensions de compétence encourent une critique particulièrement grave portant sur la mise en œuvre de cette action publique, dans la mesure où elles ne peuvent être complètes si elles excluent des acteurs non-institutionnels. Notre réflexion est un effort pour comprendre la nature, les modalités et les fonctionnalités des interactions entre des acteurs de développement multiples, aux registres différents (local, régional, national, transnational, supranational, international, public-privé) en tant qu’ils participent à la mise en œuvre multi-niveaux et asymétrique du codéveloppement franco-malien.

I. Une nouvelle rationalité politique :Continuum ou changement ?

Pour beaucoup d’auteurs[8], le codéveloppement ne serait qu’une nouvelle dénomination d’un terme lié à la vulgate du développement et s’inscrirait dans les débats classiques sur le développement.

A. Continuum des anciennes pratiques de développement …

Une interrogation demeure toutefois à savoir si le codéveloppement n’est qu’une nouvelle version des thèses développementalistes[9] et de la dépendance[10]. Cette conception idéal-typique met en exergue les inégalités de développement entre le Nord et le Sud. Le Nord serait ainsi « un système dans lequel un noyau donne les impulsions, draine des richesses des périphéries qu’il capitalise à son profit, exerce une surveillance politique et économique sur les auréoles[11]» (R. Brunet et O. Dolfius, 1990). Ces « dynamiques du dehors » influencent les mécanismes de modernisation de ces sociétés dont les règles du jeu sont définies en dehors d’elles. Cette dépendance des sociétés périphériques africaines vis-à-vis de celles du centre se manifeste par une asymétrie non seulement politique mais économique des échanges. La dépendance politique de ces sociétés africaines va de pair avec leur assujettissement à « un type complexe d’impérialisme[12] » (Badie, 1994) qui dérive de leur situation périphérique dans un système dirigé par des économies centrales[13]. Il convient toutefois de ne pas occulter la perspective du développement, qui est relative au changement induit par des acteurs multiples et asymétriques.

B. … ou changement induit par des nouveaux acteurs ?

A priori, les interrogations soulevées par le terme codéveloppement semblent légitimes et susceptibles d’engager plusieurs analyses. Objet d’une médiatisation accrue tant pour sa substance que pour les pratiques qu’il suscite, ce terme interpelle de multiples acteurs. L’émergence sur l’agenda politique du codéveloppement en France est en effet intervenue dans un contexte de crise sociale, avec la régularisation des « Sans-papiers [14] » au lendemain de l’évacuation de l’église Saint-Bernard à Paris, jusque-là occupée par des groupes issus de l’immigration africaine en situation irrégulière[15]. Ce terme est apparu dans le discours public (français) en 1997 et a été plusieurs fois repris par les gouvernements successifs, avec des corrélats changeants[16] car, chaque fois que l’on est en présence d’un processus de formulation d’une politique publique, on peut, de fait, identifier un mécanisme de fabrication d’images, d’idées et de valeurs qui vont constituer une vision du monde pour les parties prenantes (Engueleguele, 2002 : 238). Lors de son déplacement au Mali en décembre 2006, Brigitte Girardin définissait le codéveloppement comme « toute action d’aide au développement à laquelle participent des migrants vivants en France[17]. » Ce discours plaide en faveur d’une rhétorique apparemment consensuelle dont le curseur n’a cessé d’osciller entre la maîtrise des flux migratoires et la promotion du développement des pays pourvoyeurs de migrants.

Le codéveloppement révèle la relation ambivalente entre deux termes aux apparences antinomiques que sont les migrations et le développement ; autrement dit, comment passe-t-on d’une migration révélatrice d’un sous-développement à une migration facteur de développement ? (Gonin, 2003) Appréhender cette équation revient ainsi, pour Wihtol de Wenden (2004), à s’interroger sur le fait de savoir si la migration et le développement se génèrent l’un et l’autre, et si l’équation a priori contre-intuitive, « plus il y a de migration, plus il y a de développement » (en termes de transferts monétaires, culturels, voire démocratiques), et « plus il y a de développement, plus il y a de migrations » (car les déséquilibres socio-économiques génèrent l’exode rural et les nouvelles mobilités) se vérifie. Ce terme « implique, de par sa définition même, une participation active de la société civile, qui est d’ailleurs le plus souvent, à l’initiative des projets […] ; l’objectif étant ainsi de favoriser des échanges, des bonnes pratiques, et de promouvoir des synergies entre les différents intervenants qui mettent en œuvre des projets de codéveloppement[18] ». Ce terme ne prend réellement sa consistance que dans les actions concrètes menées sur le terrain. Il reste que la réflexion sur le codéveloppement ne saurait être complète sans une analyse approfondie de ses dynamiques par « le bas ».

II. Une nouvelle rationalité politique : interactions entre l’approche élitiste du « haut » et les modes populaires d’action du « bas »

Le second axe de cet article consiste à expliquer la dynamique opératoire des acteurs multi-niveaux qui partagent une « raison pour agir ». À cet égard, il en résulte immanquablement un déplacement de perspective induit par l’implication et l’interaction d’une synergie d’acteurs asymétriques et aux desseins convergents. S’il va de soi que cette intelligibilité novatrice de l’action publique s’inscrit à rebours des visions habituelles du développement, il importe de souligner qu’elle s’emploie à dégager un trait notable, celui relatif à l’interaction entre le « haut » et le « bas ». La spécificité de cette interrelation réside dans le consensus, dans l’articulation de dynamiques socio-politiques centripètes, creuset de processus catalyseurs. Cette imbrication d’acteurs multiples permet non seulement de revisiter les dynamiques du « bas », mais surtout de mettre en valeur les ressources multiples du capital social de la migration.

A. Analyse du capital de la migration : les Remittances et les investissements des migrants

Très récemment pris en compte dans l’analyse scientifique, les transferts financiers des migrants, ou Remittances, ont un impact sur le développement local des régions de départ. Appréhendés comme des bénéfices matériels de la situation migratoire, les Remittances ne sont pas aisément quantifiables à cause de la diversité des situations migratoires qui se vérifient dans le caractère formel ou informel des transactions financières. De manière générale, les mécanismes des transferts sont moins étudiés que les expéditeurs et les récepteurs. Avant d’analyser la création de nouveaux instruments de transferts financiers, il convient au préalable d’analyser les pratiques usuelles, tant formelles qu’informelles.

La multiplicité des transferts existants offre un éventail de possibilités susceptibles de satisfaire les besoins des migrants. De manière générale, on distingue deux types de transferts que les migrants choisissent en fonction de leur situation administrative sur le territoire dans lequel ils se trouvent : les transferts formels et les transferts informels. Les raisons qui incitent les migrants à utiliser les modes de transferts extra-bancaires sont de plusieurs ordres, au premier rang desquels nous citons les écarts de cours entre le marché parallèle et le marché officiel susceptibles de jouer un rôle majeur. La seconde raison évoquée par les migrants est fondée sur l’accessibilité des guichets au sein d’un réseau national bancaire concerné. La faiblesse des couvertures nationales bancaires est comblée de plus en plus dans certains pays avec des alliances entre les sociétés de transferts rapides, les banques et les établissements de micro-finance. Une variable importante de cette dynamique relative aux transferts informels concerne les migrants en situation irrégulière. La quantification difficile de ce sous-groupe rend malaisée la constitution d’un échantillonnage précis et fiable de ces transactions financières. Le problème spécifique que l’on rencontre avec les transferts liés aux investissements collectifs est qu’ils portent sur des sommes importantes que les migrants s’engagent néanmoins à confier à un individu, sans garantie autre que la pression sociale de la communauté. Selon un rapport de la Banque africaine de développement, le transfert par « valise », assuré par les porteurs, représenterait 70% de l’informel. Les porteurs transporteraient ainsi un montant minimum de 10 000 euros en espèces et le montant des frais de commissions, associé à la marge bénéficiaire couvrirait ainsi les frais de voyage[19]. Le tableau suivant présente une classification des différents types de transferts financiers des migrants, sur la base des données du FSP-Codéveloppement Mali élaborées en 2004.

Tableau I

Systèmes de transferts

Coût

Avantages

Inconvénients

Informels

Valise

Variable

Simple

Lent, peu sûr

Fax

Cher mais non apparent

Cher, permet à l'expéditeur d'être sûr de l'emploi de ses fonds

En nature

Cher mais non apparent

Cher, permet à l'expéditeur d'être sûr de l'emploi de ses fond

Réseaux limités ou déplacement du bénédiciaire

Formels

Banques françaises

Élevés : 15 à 20 euros du côté français et tout autant du côté malien

Relative rapidité si bénéficiaire et expéditeur ont des comptes dans les banques correspondantes

Réseaux limités, détention de comptes bancaires obligatoire

Western Union

18% à 14% en fontion des montants

Rapidité, réseaux étendus grâce aux multiples partenaires

Coûts élevés

Poste mandats

peu élevé

Bons réseaux

Lents, peu sûrs

Banques maliennes

8 à 10 euros

Accessibles aux migrants

Réseau limité

Tableau I : systèmes de transferts financiers des migrants maliens[20]

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B. Les mécanismes des transferts financiers de l’épargne des migrants maliens

Les différents types de transferts de l’épargne des migrants se regroupent en deux catégories, elles- mêmes subdivisées  en sous-catégories.

Les transferts  informels : une quantification malaisée

Ces mécanismes de transferts sont utilisés par les migrants pour des raisons diverses, au rang desquelles, la situation irrégulière sur le territoire d’accueil, la méfiance envers les systèmes bancaire, les écarts de change, les habitudes enracinées et le coût moindre du transfert assuré par les amis ou les parents. Nous avons choisi de faire une analyse de deux sous-catégories de transferts informels : la « valise » et le « fax ».

Le transfert par « valise »

La confiance et la proximité sont les maîtres mots de ce type de transferts : l’argent en numéraire est confié par le migrant, ou une association de migrants, à une personne de confiance qui doit retourner dans le pays d’origine. Ce moyen de transfert est simple, peu rapide et moins sûr à cause de tous les aléas inhérents au voyage et aux éventualités de détournement. Ce type de transferts offre des garanties réelles lorsqu’il s’agit d’un intermédiaire proche, car la pression sociale garantit le respect des termes du contrat. Ce type de transferts ne peut cependant pas répondre à des besoins urgents et ne permet pas une quantification précise des flux financiers d’un pays à l’autre tout autant que la définition précise des contours de ce marché. L’autre mode de transfert informel que nous avons choisi d’étudier est connu sous la dénomination de transfert par « fax ».

Le transfert par « fax »

Ce type de transferts fonctionne grâce à un binôme de personnes liées par une relation de confiance : l’une d’entre elles reçoit les fonds en espèces du migrant en France ainsi que les indications précises sur le bénéficiaire en Afrique. Il communique ensuite par fax ou par téléphone ces indications à l’autre membre du binôme au Mali ou au Sénégal, ce dernier se chargeant de délivrer les espèces ou la marchandise au bénéficiaire désigné. Ce mode de transfert est rapide car les fonds sont disponibles en temps réel, la seule exigence pour le bénéficiaire est son déplacement auprès du pourvoyeur de fonds qui peut être un commerçant ou une association villageoise. L’étude sur la valorisation de l’épargne des migrants maliens en France (2004) permet de mettre en lumière le pourcentage des montants transférés par « fax », dont les coûts de transferts sont de 10% à 3%, avec une dégressivité en fonction du montant : de 100 000 Francs CFA à un million de francs CFA. Au Mali, le système qui était initialement assuré par quelques commerçants à Bamako et à Kayes s’étend de plus en plus dans les villages. Face à la faible couverture bancaire des pays du Sud, aux coûts des transferts bancaires des sociétés privées et à l’insécurité des transferts informels, des mécanismes de transferts semi-formels se sont créés qui sont à cheval entre le formel et l’informel.

Les transferts semi-formels : un entre-deux compensatoire

Face à l’inadéquation des services formels de transferts par rapport aux réalités locales de non-bancarisation de la majorité des populations et aux coûts pratiqués par les sociétés de transferts, des systèmes de compensation entre des associés dans le pays d’accueil et d’origine ont progressivement été mis en place. Les problèmes de délai ne se posent plus avec ces structures semi-formelles qui offrent aux migrants des coûts de transferts inférieurs à ceux pratiqués par des sociétés de transferts classiques. Les Groupements d’Intérêt Economique (G.I.E) sont, en la matière, emblématiques. Ces G.I.E fonctionnent sur le « double-espace[21] » et offrent des prestations relatives aux transferts des capitaux des migrants et à la livraison de produits de consommation (Dieng, 2000). Les G.I.E proposent également un service de conseils et d’appui gratuit aux migrants confrontés à des difficultés administratives et aux porteurs de projets. Cette gratuité de l’activité de conseils est un avantage réel de la structure par rapport aux traditionnelles institutions financières. Le système de paiement à terme selon un échéancier préétabli est très attrayant pour les migrants et leurs familles dans le pays d’origine. Il n’y a pas de transferts réguliers de fonds, seulement des livraisons de matériel deux fois par an et les deux structures fonctionnent ensuite par simple compensation, ce qui permet la rapidité des transactions et assure le fonctionnement par compensation.

Les transferts formels : une lisibilité financière relative

Nous établissons une distinction entre les sociétés internationales spécialisées dans le transfert financier et les transferts réalisés par certaines banques africaines domiciliées en France.

Les réseaux spécialisés : Western Union

La société Western Union est une entreprise financière spécialisée dans le transfert financier et dont le siège social est à Greenwood Village, dans le Colorado. En 1989, elle commença à offrir ses services en dehors de l’Amérique du Nord. En 1993, Western Union introduisait son service« Money in Minutes », permettant ainsi de rendre les fonds disponibles immédiatement après leur expédition. La procédure est simple : l’expéditeur donne en numéraire à l’agence Western Union le montant à transférer ainsi que les frais, l’agence procède au transfert électronique et donne à l’expéditeur un code ou MTCN (le Money Transfer Control Number). Ce dernier communique ainsi au bénéficiaire le numéro de code ; il n’aura plus qu’à effectuer le retrait. En 2006, la compagnie comptait plus de 270 000 points de présence (via des partenaires) dans plus de 200 pays et territoires. La principale caractéristique de ce mode de transfert est sa rapidité. Comme pour le transfert par fax, il est réalisé en temps réel et la seule contrainte du bénéficiaire est son déplacement au point de retrait des fonds. Au Mali, Western Union a eu à passer de nombreux accords avec les banques et la poste. Son réseau de points de retrait est plus vaste que celui d’une banque, malgré le fait qu’il soit limité aux villes administratives et aux principales régions de cercle. Cependant, le coût des transferts est considéré très élevé par les migrants : de 4% à 18% selon les montants transférés. Longtemps considérés comme des mécanismes de transferts sécurisants, de nombreuses suspicions de détournement d’argent émergent de certains pays en Afrique. Au Sénégal, le système a subi une défaillance, car de l’argent envoyé au Sénégal par des migrants a été retiré par des tierces personnes qui connaissaient les mots de passe et les codes secrets des bénéficiaires[22].

Tableau II

Modes de transfert

Coût

Durée

Condition seuil d'accès

Western Union

29,00 euros

10 minutes

Migrant titulaire d'une pièce d'identité

Money Gram

23,00 euros

10 minutes

Migrant titulaire d'une pièce d'identité

1 transfert bancaire

10,00 euros

2 jours

Migrant et bénéficiaire bancarisés

1 transfert espèce

20,00 euros

2 jours

Migrant bancarisé

Mandat postal ordinaire

10,60 euros

3 à 5 jours

Migrant titulaire d'une pièce d'identité

Mandat postal express

16,70 euros

12 heures

Migrant titulaire d'une pièce d'identité

Tableau II : Comparaison des performances des principaux systèmes de transferts pour un montant moyen de 300 euros au départ de la France[23]

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C. Les transferts financiers au service du développement

Dans sa version originelle, le codéveloppement s’appuie sur le constat de la forte mobilisation des migrants sahéliens en faveur de leur pays d’origine. L’une des missions de l’ancien MIIINDS consistait à « mobiliser les instruments permettant aux migrants d’agir en faveur de leur pays d’origine[24] ». Au Mali, une partie du territoire voit son développement tributaire de ces relations avec sa diaspora ; l’économie de ce pays pauvre est fortement dépendante des transferts de fonds des migrants et les dynamiques de développement reposent en grande partie sur les associations de ressortissants installés à l’étranger, en étroite relation avec les associations de développement local. L’importance des transferts de fonds et des expériences locales ou régionales des migrants, acteurs du développement, montrent que la migration est un facteur d’accompagnement parmi d’autres, un instrument du développement et du désenclavement d’un pays ou d’une région donnée.

Évaluation de l’engagement des migrants dans le secteur social

Les représentations en termes de solidarité s’illustrent par des croyances sociales sur les projets de développement susceptibles d’améliorer les conditions de vie des populations locales. Le constat général est que les investissements des associations migrantes sont surtout axées sur les secteurs de développement rural, à savoir, la santé, l’éducation, les projets hydrauliques. Comme le souligne Goulven Le Bahers et Lisa Gauvrit (2004)[25], les investissements hydrauliques initiés dès les années 1970 sont les plus nombreux. L’étude menée par ces deux auteures démontre que le secteur éducatif est l’un des secteurs prioritaires d’investissement actuel en termes d’investissement financier. Les associations de migrants jouent un rôle important dans l’initiative et la réalisation d’infrastructures scolaires. La majorité des projets éducatifs ont été initiés par les migrants. Dans le reste des cas, ce sont les villageois et les élus communaux qui sont à l’origine des projets. Même si un nombre significatif d’écoles sont désormais réalisées par les communes, comme le stipule la loi (malienne), les collectivités locales restent encore minoritairement maîtres d’ouvrages face aux migrants et aux populations. La gestion d’un projet d’école fait intervenir des acteurs divers, aux responsabilités multiples[26].

Le tableau suivant récapitule le détail du budget par rubrique et le plan de financement des réalisations[27].

Tableau III

Montant total du projet en F CFA

Désignation

Bénéficiaires

Migrants

FSP

Total

Salles de classe et blocs sanitaires

5 266 000

3 330 152

9 191 176

17 787 328

Bâtiment de direction

3 062 762

3 062 762

Logement des enseignants

3 366 409

12 381 281

15 747 690

Clôture de l'école

4 654 789

4 654 789

voyage de suivi et frais divers

1 300 894

1 300 894

Mobilier scolaire

983 954

983 954

TOTAL GÉNÉRAL

5 266 000

8 981 409

29 290 008

43 357 417

Ratio

12,10%

20,63%

67,28%

100,00%

Tableau III : Budget et plan de financement de l’école de Bambila [28]

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Les projets dans le secteur de la santé constituent, avec les projets hydrauliques et éducatifs, l’essentiel des investissements des migrants dans le développement local de leur région. Au Mali, la réalisation d’infrastructures de santé communautaire ne débuta qu’au début des années 1990. Dans ce pays, les services de santé primaires sont soumis à une gestion participative de la part des communautés. Avec la mise en œuvre de la décentralisation et des nouveaux programmes de santé, la commune joue un rôle non négligeable dans le système de santé. Il convient, au préalable, d’éclaircir le mode de fonctionnement d’un centre de santé programmé ainsi que les rôles des acteurs, afin de mieux analyser l’intervention des associations de migrants dans ce domaine. Le CSCOM (Centre de Santé Communautaire) est l’infrastructure de base qui comprend un dispensaire, une maternité et une pharmacie. Chaque CSCOM correspond à une aire de santé, dont la taille doit permettre une fréquentation suffisante pour assurer les coûts de fonctionnement (environ un CSCOM pour 5 000 habitants[29].

CONCLUSION GÉNÉRALE

En matière de migration internationale, le pessimisme l’a emporté, à tout le moins est-il manifestement dans l’air du temps. Il est assez frappant de constater à quel point les discours (politiques) sont de plus en plus enclins à faire de l’autre le bouc-émissaire et l’exutoire permettant de biaiser la réalité. Or, l’on ne saurait passer sous silence les bénéfices liés à l’optimisation de la migration, aussi bien dans le territoire de départ que dans celui d’accueil. Analyser le codéveloppement revient à mettre en lumière la complexité d’un terme qui a fait irruption sur la scène internationale des migrations et du développement. Cette question a été longtemps négligée, comme le confirme le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, lors du Forum Mondial sur la migration et le développement : « Pendant de nombreuses années, les États Membres de l’Organisation des Nations Unies ont eu des difficultés à discuter du problème délicat des migrations sur la scène internationale. Ce sujet n’a donc jamais été prioritaire à l’ordre du jour de l’ONU – et ce, jusqu’au Dialogue de haut niveau qui a eu lieu en septembre dernier au siège de l’Organisation à New York » ; ce nouveau processus au niveau mondial consacre ainsi « une ère nouvelle », « une ère de la mobilité[30] » dont la dynamique, pour le ministre français Brice Hortefeux, consistait à « encourager le développement des pays d’origine en prenant en compte, mieux que par le passé, la question des flux migratoires[31] ». Pour Ban Ki-Moon, « Les États Membres de l’organisation des Nations Unies ont eu des difficultés à discuter du problème délicat des migrations sur la scène internationale […]. Nous devons saisir l’occasion pour commencer à transformer en une possibilité ce qui, trop souvent, est perçu comme une menace. Nous sommes dans l’obligation de comprendre les implications du phénomène des migrations, d’apprendre les uns des autres et d’édifier les partenariats qui mettront les migrations au service du développement […] Ce que nous constatons ensemble en réunissant ce forum, est que nous vivons dans une ère nouvelle – une ère de mobilité […] et nous ne pouvons arrêter cette force de la nature humaine ». Ainsi, pour le secrétaire général des Nations Unies, les dynamiques migratoires concernent tous les pays tant au départ qu’à l’arrivée.

Sous un autre angle de vue, ce n’est pas le moindre des mérites d’ouvrir la voie à l’expression d’acteurs multi-niveaux et asymétriques qui partagent une « raison pour agir ». À cet égard, il en résulte immanquablement un déplacement de perspective induit par l’implication et l’interaction d’une synergie d’acteurs (internationaux, supranationaux, nationaux, régionaux et locaux) aux desseins convergents. Cette analyse permet surtout de faire le constat d’une nette déconstruction des États comme acteurs unitaires contraints de composer avec de multiples acteurs. S’il va de soi que cette intelligibilité novatrice de l’action publique s’inscrit à rebours des visions habituelles du développement, car elle intègre le volet migratoire comme composante de la politique institutionnelle de développement, il importe de souligner que cette perspective conclusive s’emploie à dégager deux traits notables : l’interaction entre les approches élitiste par le « haut » et populaire par le « bas » et l’apologie du capital social de la migration par l’optimisation des pratiques de développement.

N’y a-t-il pas quelque risque à transposer ainsi les pratiques sociales de codéveloppement dans le champ de la coopération internationale en raison de la participation des migrants aux projets de développement ? La question disparaît naturellement dès lors que ces acteurs directs et indirects en tirent une série d’avantages liés à leur statut de médiateurs. Seule une amplitude conceptuelle suffisante est de nature à concevoir l’instrumentalisation de l’espace de relégation auquel étaient assignés les migrants et leur investissement dans les dynamiques transnationales de développement.