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Introduction

En Algérie, les premières expériences explicites de l’enseignement hybride font leur apparition en contexte universitaire au cours de la pandémie de COVID-19.En considérant que cette intégration était imposée de façon urgente et constituait davantage « une contrainte qu’un véritable choix » (Paquelin, 2020), le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique a encouragé les enseignants-chercheurs et enseignantes chercheuses à s’adapter aux nouvelles exigences du mode hybride afin d’alléger le temps consacré aux enseignements en présentiel et, par là, à assurer « la continuité des apprentissages » (Villiot-Leclercq, 2020). Ainsi, dans un tel contexte de mutations, on pourrait croire qu’une véritable transformation des pratiques enseignantes a pu s’installer. Or, force est de constater que certaines pratiques mises en place ne relèvent pas réellement du mode d’enseignement hybride, mais qu’elles reposent plutôt sur une transposition « passive » des cours, ordinairement offerts en présentiel. Autrement dit, ce sont des pratiques qui s’apparentent davantage à une « mise à distance » qu’à un « enseignement à distance » (Louvet et Basile, 2023) et que l’on qualifie souvent d’« artisanales » ou de « bricolages enseignants » (Baltazart et Chagnoux, 2017; Caron, 2021; Villiot-Leclercq, 2020).

Dans ce paysage, où la transmission passive des connaissances, prônée par le modèle de l’enseignement transmissif, continue à s’imposer comme une pratique de référence au supérieur algérien, il s’avère important de repenser les pratiques d’enseignement universitaire en s’intéressant à l’implication des innovations pédagogiques dans l’apprentissage. Dès lors, ne conviendrait-il pas d’aligner l’appétence scientifique aux pratiques hybrides, particulièrement « inversées »?

1. Problématique

Remettre en question l’enseignement transmissif, en l’occurrence « magistral », en pédagogie universitaire, n’est pas nouveau en soi. Au cours des deux précédentes décennies, des chercheurs et chercheuses avaient déjà soulevé l’inefficacité du cours magistral (Altet, 1994; Bruter, 2008; Leroux, 1997), postulant qu’il paraît inadapté aux besoins des nouveaux profils étudiants qui semblent, selon Romainville (2008, p. 10), « assez éloignés du profil des “ héritiers ” avec lesquels l’enseignement supérieur avait l’habitude de travailler quand il était encore une formation de l’élite ». Par ailleurs, si l’on considère les postulats d’Altet (1994, p. 39), l’échec à l’université et particulièrement en premier cycle serait un corollaire à l’enseignement magistral transmissif.

Face à ces critiques, alimentées notamment par les mutations socio-économiques, là où les attentes de la société du savoir et de l’économie de la connaissance ne cessent de s’accroître (Romainville, 2008), il devient nécessaire d’ouvrir de nouvelles pistes réflexives en pédagogie universitaire et, entre autres, de repenser « les pratiques-routinisées » (Paquelin, 2020, p. 11). En fait, ce changement de paradigme est souvent perçu comme un corollaire à l’émergence du numérique-parce que, là où conventionnellement l’enseignement était limité dans le modèle transmissif à un cadre spatio-temporel bien précis, l’accès aux savoirs est désormais rendu flexible en dehors des établissements universitaires grâce aux potentialités du numérique. Une telle flexibilité spatio-temporelle laisse apparaître de nouveaux dispositifs de formation, à l’instar de la classe inversée qui fait actuellement « figure d’innovation pédagogique de référence » (Trémion, 2019, p. 11).

D’ailleurs, cette qualification lui est attribuée du fait qu’elle rompt avec les méthodes traditionnelles taxées de passivité depuis fort longtemps. Une telle passivité s’incarne dans un modèle d’enseignement linéaire qui définit le rôle de l’enseignant ou de l’enseignante en tant que « sage sur l’estrade » et unique dépositaire du savoir (Eid et al., 2019, p. 31). En revanche, l’enseignant ou l’enseignante devient en classe inversée un tuteur ou une tutrice pour la personne apprenante qui, à son tour, se trouve au centre même de l’enseignement/apprentissage. En réalité, nous stipulons que ce changement de postures n’est qu’une conséquence indirecte de l’impulsion et de la démocratisation de l’usage des outils numériques qui ont bouleversé la fonction de chaque partenaire didactique.

En s’inscrivant dans cette perspective prometteuse, on pourrait penser qu’il suffit d’annoncer « innovation! » pour conclure « amélioration! ». Or, en matière d’efficacité toujours remise en cause, la classe inversée devrait d’emblée pouvoir se justifier face aux exigences qui lui incombent sur le plan tant pédagogique, par rapport aux pratiques existantes au supérieur, que numérique, qui cristallise des affirmations, souvent exhaustives, telles que la fameuse expression « on apprend mieux avec le numérique » (Amadieu et Tricot, 2014).

Ainsi, à l’instar de toute pratique innovante, la quête d’une éventuelle efficacité de l’enseignement inversé est de plus en plus discutée en revue de la littérature scientifique. De ce fait, au-delà de la nouvelle dimension organisationnelle des enseignements introduite par le dispositif inversé, c’est la qualité des apprentissages, la conception du matériel pédagogique et les perceptions des acteurs didactiques qui semblent être davantage remises en question.

Dans le cadre de notre étude, nous portons notre intérêt, à la fois, sur la conception d’un dispositif de classe inversée en cours de français langue étrangère (FLE) et sur son évaluation par les personnes apprenantes en contexte universitaire algérien. Plus explicitement, il s’agit, d’une part, de mettre en évidence une conception d’un dispositif inversé, conçu pour l’apprentissage d’une langue étrangère, et surtout adapté aux besoins langagiers des personnes apprenantes. D’autre part, il est question de comprendre la manière dont ces dernières perçoivent les différentes dimensions du dispositif proposé. À ce propos, l’ensemble des dimensions à évaluer font référence aux travaux conçus dans le cadre du projet Hy-Sup (Peraya et Peltier, 2012) selon lequel tout dispositif de formation médiatisé, quel que soit le ratio entre présentiel et distanciel, constitue un dispositif hybride dont les composantes varient en cinq dimensions : articulation présence/distance, médiatisation, médiation, accompagnement et ouverture. (Peltier et Séguin, 2021).

Notre réflexion s’inscrit dans une approche critique des usages et tend à développer les interrogations qui suivent :

  • Comment concevoir un dispositif inversé à partir des besoins langagiers en cours de FLE?

  • Quelles sont les perceptions des personnes apprenantes vis-à-vis des séquences hybrides proposées et comment évaluent-elles les différentes dimensions du dispositif de formation hybride inversé mis à leur disposition, et ce, selon les critères du projet Hy-Sup?

Pour apporter quelques éléments de réponse à ces questionnements, nous avons expérimenté la classe inversée auprès des étudiantes et étudiants inscrits en première année de licence au Département de français langue étrangère. Nous avons proposé une séquence d’apprentissage inversée portant sur la compréhension/production des discours argumentatifs, en partant de l’analyse des besoins linguistiques et communicatifs ainsi que des difficultés que les étudiants et étudiantes affrontent souvent en premier cycle universitaire. Cette analyse des besoins s’est basée sur les résultats d’un test de niveau élaboré selon les échelles du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) et réalisé auprès des étudiants et étudiantes en amont de la formation.

En ce qui a trait à l’évaluation du dispositif, en référence aux travaux postulant que la satisfaction de la personne apprenante est le premier niveau pour évaluer l’efficacité de la formation (Goldstein et Ford, 2002; Yennek, 2015), nous avons soumis aux étudiants et étudiantes un questionnaire de satisfaction élaboré selon une échelle de type Likert et suivi de quelques questions ouvertes. L’objectif était de cerner leurs perceptions à l’égard de l’expérience vécue en classe inversée.

Nous présentons, tout d’abord et de façon concise, le cadre de référence théorique sur lequel nous nous sommes appuyées pour la conception de la formation, notamment celle de la classe inversée et du projet européen Hy-Sup. Nous procédons, en deuxième temps, à la description du protocole expérimental et à la conception du matériel hybride pour qu’enfin, nous analysions les résultats obtenus à la suite du questionnaire de satisfaction.

2. Cadre théorique

2.1. La classe inversée comme une approche innovante au supérieur algérien

D’entrée de jeu, parle-t-on d’une classe inversée ou de classes inversées? A priori, bien que le qualificatif « inversée » fasse initialement référence à une seule conception de base qui renvoie à la fameuse expression « tout ce qui est traditionnellement fait en classe, l’est à la maison, tandis que ce qui est fait à la maison, l’est en classe » (Guilbault et Viau-Guay, 2017), il n’en reste pas moins que nous assistons aujourd’hui à un éventail varié de pratiques qui échappent à la définition de base de la classe inversée. À titre illustratif, on parle récemment des « classes renversées » (Cailliez, 2017) ou encore des « classes inversées en mode entièrement virtuel » (Tardif et Rivard, 2021).

Face à cette évolution incessante des typologies dans la littérature, nous situons la classe inversée, dans le cadre de notre étude, sur un continuum de dispositifs de formation hybride, notamment, en nous référant aux travaux pionniers (Lebrun, 2016; Lebrun et Lecoq, 2015) qui intègrent la classe inversée dans la philosophie propre à l’hybridation. Ainsi, dans cette logique d’hybridation, le dispositif inversé doit pouvoir, d’une part, veiller à maintenir l’articulation des enseignements selon une révision simultanée du cadre spatial et temporel des apprentissages qui se font traditionnellement en présentiel et de ceux qui sont distanciés. D’autre part, il doit pouvoir inscrire l’apprentissage dans une perspective, à la fois, constructiviste et socioconstructiviste. Dans ce sens, nous nous appuyons sur les propos de Lebrun et Lecoq selon lesquels « cette approche hybride des classes inversées (entre théorie et pratique, entre présence et distance, entre savoirs et compétences) nous paraît être un bon agencement de différentes techniques de formation, de différents courants pédagogiques (constructivisme, socioconstructivisme, etc.) ». (Lebrun et Lecoq, 2015, p. 20).

Donc, en partant de ces postulats résultant des travaux effectués par Bruner (1979), Piaget (1970) et Vygotsky (1934/1986), il est illustré que la finalité de l’apprentissage inversé est de considérer l’apprenant ou l’apprenante comme auteur actif de son apprentissage, d’où l’implication des pédagogies actives. Autrement dit, pour les constructivistes, la personne apprenante peut façonner ses propres expériences de l’apprentissage inversé tout en s’engageant à exploiter les ressources transmises à distance en toute autonomie. Quant aux socioconstructivistes, ils mettent en évidence l’importance de créer des situations d’apprentissage collaboratives qui permettent à la personne apprenante de construire, de façon collaborative, des connaissances en classe inversée. Il revient à retenir qu’« inverser serait redonner au présentiel son potentiel d’apprentissage et de co-apprentissage » (Lebrun, 2015, p. 43).

Dans un autre ordre d’idées, si l’on considère, comme Marcel Lebrun (2015), que les classes inversées « évacuent, si on peut dire, la partie transmissive voire l’appropriation des savoirs cristallisés, hors de la classe pour redonner à cette dernière son potentiel d’apprentissage », on parvient à déceler, par voie de répercussion, l’opposition de l’enseignement inversé aux pratiques traditionnelles, centrées sur la transmission passive des savoirs.

Cela étant dit, en pédagogie universitaire « inversée », la partie transmissive, correspondant aux savoirs exposés en présentiel (en l’occurrence les cours magistraux), sera externalisée hors de l’amphithéâtre. Il convient de noter à ce propos que les cours magistraux étaient perçus, pendant longtemps, comme des « monologues appositifs », des « discours qui informent sans réelle communication avec l’auditoire » (Altet, 1994, p. 37) ou encore comme des « discours oralographiques » mettant face à face « un enseignant orateur et des étudiants scripteurs » (Parpette, 2002, p. 1). Le présentiel, par ailleurs, consacré aux séances de TD, sera par conséquent un espace d’interactions, de mise en application et de collaboration.

2.2. Évaluation des dispositifs hybrides en cinq dimensions : cas de la classe inversée

Face au manque d’assise conceptuelle en ce qui concerne l’évaluation des dispositifs hybrides, les travaux proposés par le collectif Hy-Sup (Deschryver et Charlier 2012) semblent les plus aboutis, du moins en revue de la littérature francophone.

Le mérite de ce travail innovant est d’avoir impulsé une nouvelle dynamique au champ de la recherche de l’ingénierie des dispositifs de formation hybride. Cette dynamique s’intéresse particulièrement à leurs différents types, aux effets spécifiques qu’ils produisent sur les acteurs didactiques (personnes enseignantes et apprenantes) ainsi qu’aux facteurs organisationnels qui régissent leur généralisation. Une telle perspective s’opère essentiellement sur trois axes majeurs : heuristique, épistémique et praxéologique (Jézégou, 2014, p. 141).

En premier lieu, l’avancée heuristique s’incarne dans un besoin scientifique permanent incitant à la découverte dans la recherche et dans la pratique. Il s’agit donc de mener de nouvelles pistes réflexives sur le fonctionnement des dispositifs hybrides en leur fournissant des assises conceptuelles qui contribuent à leur intelligibilité (Jézégou, 2014, p. 141). En effet, cela nous amène à nous interroger sur l’apport épistémique du collectif Hy-Sup en littérature scientifique dont les recherches portant sur les dispositifs hybrides semblent assez éparses. Ainsi, cette seconde portée « épistémique » fournit aux dispositifs hybrides un cadre d’identification sémantique lié aux différentes notions introduites par le collectif, telles que médiation, médiatisation, flexibilité, accompagnement, etc. (Jézégou, 2014, p. 141).

Outre cela, la valeur épistémique ajoutée du projet Hy-Sup dans la description de tels dispositifs est qu’il met en exergue une typologie de cinq dimensions tout en y intégrant les détails sur les caractéristiques de chacune d’entre elles. Cette nouvelle perspective s’inspire des travaux effectués précédemment par Charlier et al. en 2006 pour qui :

Un dispositif de formation hybride se caractérise par la présence dans un dispositif de formation de dimensions innovantes liées à la mise à distance. Le dispositif hybride, parce qu’il suppose l’utilisation d’un environnement technopédagogique, repose sur des formes complexes de médiatisation et de médiation.

p. 481

Suivant la même logique d’idées, le projet de recherche Hy-Sup développe cette réflexion autour d’un modèle résultant d’un ancrage théorique et d’une validation empirique axé sur cinq dimensions servant à décrire et à analyser tout dispositif hybride : (1) la mise à distance et les modalités d’articulation des phases présentielles et distantes, (2) l’accompagnement humain, les formes particulières de (3) médiatisation, et de (4) médiation liées à l’utilisation d’un environnement technopédagogique, (5) le degré d’ouverture du dispositif (Lebrun, 2016, p. 78).

Ces cinq dimensions sont schématisées à la figure 1.

Figure 1

Les cinq dimensions d’évaluation d’un dispositif de classe inversée

Les cinq dimensions d’évaluation d’un dispositif de classe inversée

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Outre l’implication épistémique du projet Hy-Sup dans l’évolution conceptuelle des dispositifs hybrides, l’on ne peut négliger le fait que ce travail est aussi animé par une intention praxéologique dans la mesure où il tend à produire un ensemble de « connaissances validées empiriquement pour favoriser le développement de savoirs professionnels et/ou la transformation des pratiques » (Jézégou, 2014, p. 142).

3. Cadre d’action : conception et mise en pratique du dispositif hybride inversé

3.1 Personnes participantes

Pour la formation inversée, nous avons sollicité 63 étudiants et étudiantes de la première année de licence LMD au Département de langue et littérature françaises à l’Université Badji Mokhtar (Algérie). Parmi cet ensemble ayant participé à la formation hybride en cours de l’écrit, 60 étudiantes et étudiants sont parvenus à répondre aux questionnaires de satisfaction anonymes mis en ligne à l’aide de Google Forms.

3.2 Scénarisation du contenu de la séquence argumentative « inversée » en fonction des besoins langagiers des personnes apprenantes

La scénarisation d’un contenu pédagogique en fonction des besoins langagiers des personnes apprenantes est difficile à réaliser en cours magistraux parce que la transmission passive des savoirs limite les possibilités de différencier les pratiques enseignantes, ce qui ne fait que renforcer l’hétérogénéité des personnes apprenantes. Selon Perrenoud (1996), différencier en classe exige, dans un premier temps, de rompre avec la pédagogie frontale qui propose un contenu d’apprentissage standardisé et, dans un deuxième temps, de passer aux dispositifs didactiques qui placent les personnes apprenantes dans des situations adaptées à leur rythme d’apprentissage. Dans le cas de notre dispositif de formation inversé, puisque le rapport aux savoirs est transformé par la nouvelle articulation spatio-temporelle, la différenciation pédagogique se trouve optimalisée, car elle concerne à la fois l’amont et l’aval de la formation offerte.

Avant d’implanter notre dispositif inversé en cours de l’écrit, il est donc nécessaire de partir des besoins langagiers des étudiants et étudiantes pour que la scénarisation du contenu pédagogique soit en concordance avec leurs niveaux. Ce faisant, la séquence d’enseignement que nous proposons, en tant qu’inventaire des savoirs et savoir-faire langagiers, tient compte de la dimension communicative, comme le prône le CECRL en offrant une description détaillée des compétences à communiquer langagièrement tant en compréhension qu’en production de l’écrit. Cette compétence communicative se décompose, selon le CECRL (Conseil de l’Europe, 2001, p. 86) en trois versants : linguistique, sociolinguistique et pragmatique (fonctionnel et discursif).

En prenant en compte cette échelle de compétences, nous situons le texte argumentatif dans une démarche d’enseignement basée sur la méthode de la classe inversée. Pour ce faire, le point de départ de la conception de la séquence argumentative consiste à définir les objectifs de cet enseignement en fonction des résultats que fournit le test de niveau.

Au reste, l’évaluation diagnostique, disposée en amont de la formation, attribue un niveau élémentaire (A2) à 70 % des personnes apprenantes, conformément aux niveaux décrits par le CECRL. Ce constat rappelle les résultats de plusieurs travaux de recherche effectués en contexte universitaire algérien (voir, par exemple, Ammouden et Ammouden, 2010; Kherra, 2011; Sebane, 2011) qui attestent que la plupart des étudiantes et étudiants arrivés en première année universitaire, après avoir suivi un enseignement secondaire fortement arabisé, disposent d’un niveau (A2) en FLE. Les résultats du test de niveau sont présentés dans le tableau 1.

Tableau 1

Niveau global des personnes apprenantes selon l’échelle du CECRL

Niveau global des personnes apprenantes selon l’échelle du CECRL

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À l’issue de ce diagnostic, l’analyse des besoins langagiers aboutit à la fixation des objectifs présentés à la figure 2.

Figure 2

Objectifs de la séquence argumentative proposée selon les besoins langagiers des personnes apprenantes

Objectifs de la séquence argumentative proposée selon les besoins langagiers des personnes apprenantes

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3.3 Conception du dispositif d’apprentissage selon la démarche MISA

Dans le but de structurer le processus d’inversion de notre classe, nous nous sommes engagées dans une démarche d’ingénierie pédagogique inspirée de la méthode MISA (méthode d’ingénierie des systèmes d’apprentissage) qui décrit le processus couvrant toute activité de conception d’un système d’apprentissage. Selon cette démarche développée par Paquette (2002), la conception de notre dispositif d’apprentissage peut s’effectuer sur la base de quatre axes distincts : un axe des connaissances et des compétences, un axe pédagogique, un axe de médiation et enfin un axe de diffusion. Les opérations incluses dans chaque axe sont schématisées à la figure 3.

Figure 3

Conception du dispositif selon la démarche MISA

Conception du dispositif selon la démarche MISA

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La prise en compte de ces éléments itératifs dans la conception de notre dispositif d’apprentissage nous a permis d’emprunter un itinéraire adapté non seulement à la méthode de classe inversée, mais aussi aux objectifs de la séquence didactique que nous avons fixés préalablement selon les besoins langagiers des personnes apprenantes. Nous synthétisons les décisions prises pour chacun de ces quatre ensembles ci-dessous :

  • L’axe de connaissances et de compétences inclut les contenus théoriques sur le genre argumentatif;

  • L’axe pédagogique définit la progression des apprentissages, les scénarios et les activités pédagogiques à offrir aux étudiants et étudiantes en présence et à distance;

  • L’axe de médiation prévoit de définir le matériel et les ressources médiatiques à exploiter compte tenu du contenu pédagogique déjà élaboré. À ce propos, les capsules vidéo enrichies de compléments multimédias (tests éclair, documents numérisés, etc.) sont au centre du processus médiatique;

  • L’axe de diffusion porte sur le choix des ressources de diffusion à exploiter dans notre classe inversée, telles que Moodle, Facebook, Messenger et Zoom.

3.4 Articulation des apprentissages en classe inversée

Puisque la classe inversée fait partie des dispositifs hybrides, notre scénario pédagogique propose dans un premier temps d’externaliser la partie transmissive relevant des connaissances théoriques sur genre argumentatif à distance. Dans un deuxième temps, les personnes apprenantes s’en servent en présentiel pour analyser et produire des discours argumentatifs lors des travaux dirigés, ce qui relève des savoir-faire communicatifs. Concrètement, la mise en place de notre dispositif d’apprentissage était effectuée en cinq séances, chacune scindée en cours à distance (temps 1) et en présentiel (temps 2) à raison de 1 h 50, tel que présenté à la figure 4.

Figure 4

Déroulement de l’expérience hybride

Déroulement de l’expérience hybride

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Pour la formation à distance, la mission des personnes apprenantes était d’exploiter les ressources numériques mises à leur disposition, qu’il s’agisse de documents numérisés ou de capsules vidéo diffusées. Ces dernières servent à transférer les savoirs langagiers écrits à distance, afin que les personnes apprenantes puissent en tirer profit, prendre des notes et comprendre le contenu théorique. Outre cela, pour que l’enseignante soit au courant des passages éventuellement incompréhensibles, les personnes apprenantes étaient appelées à répondre à des tests éclair en ligne afin de procéder à une remédiation ultérieure en classe.

En présentiel, un enseignement d’environ deux heures (1h50) par séance est consacré aux activités de compréhension et de production de textes argumentatifs (travaux dirigés).

4. Évaluation du dispositif hybride inversé

4.1 Le questionnaire de satisfaction comme outil d’investigation

L’objectif de cette recherche est de parvenir à évaluer, du point de vue des étudiants et étudiantes, l’implantation d’un dispositif de classe inversée en cours de FLE. Pour ce faire, nous avons soumis un questionnaire en français composé d’un ensemble d’items à valeur positive et dont les réponses s’étalent sur une échelle de Likert en 4 points. Les résultats obtenus ont été par la suite soumis à des analyses statistiques réalisées à l’aide du logiciel SPSS version 23. Les données étaient traitées de manière quantitative et qualitative. Pour des raisons pratiques, le traitement des items s’est fait à travers des regroupements effectués par le logiciel SPSS dont chacun fait référence à l’une des dimensions citées ci-dessous. Cela étant dit, d’une part, ce traitement offre une vue globale de la satisfaction quant à chacune des dimensions et, d’autre part, il assure une meilleure lisibilité des résultats. Nous présentons au tableau 2 les items qui s’inspirent des dimensions conçues dans le cadre du projet Hy-Sup.

Pour apporter quelques clarifications quant aux perceptions fournies par les personnes apprenantes, certains items sont suivis d’une question ouverte.

Tableau 2

Dimensions à évaluer dans le dispositif hybride inversé`

Dimensions à évaluer dans le dispositif hybride inversé`

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4.2 Analyse et interprétation des résultats

Nous présentons dans le tableau 3 les résultats du questionnaire de satisfaction selon les six regroupements.

Tableau 3

Résultats du questionnaire

Résultats du questionnaire

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Articulation présence distance

L’analyse du premier regroupement des items, portant sur la perception des étudiants et étudiantes à l’égard de l’articulation présence/distance des différentes activités qui, rappelons-le, reste centrale dans la description des dispositifs hybrides, montre que 87 % de ceux-ci se situent entre les degrés de satisfaction « d’accord » et « tout à fait d’accord » quant à cette dimension hybride. Ils estiment ainsi, que cette articulation des cours en classe inversée est globalement pertinente étant donné qu’elle répond à leurs objectifs d’apprentissage.

Nous assistons, par conséquent, à leur participation active dans les activités proposées en présentiel et à distance, ce qui leur permet d’améliorer leurs compétences en compréhension/production de l’écrit. En vue d’expliquer cette perception positive, les personnes participantes fournissent quelques explications (réponses à la question ouverte 2) en faveur de leur implication active en cours inversé :

Ces activités sont comme un entraînement sur des questions qui peuvent venir au micro et examens.

E1

Quand je regarde les cours à distance, j’essaie de faire des activités sur internet car je connais les axes du cours avant de venir en classe. Je fais des rédactions et je me corrige. Et puis en classe, l’enseignante nous propose des activités multiples que je trouve abordable car j’ai déjà étudie à la maison.

E2

Parce qu’on a le cours déjà donc on prépare mieux notre activité. Aussi, je peux m’absenter des cours en classe quant cela est nécessaire car j’ai déjà mes leçons.

E3

À partir des réponses obtenues, nous constatons que le dispositif mis en place leur donne la possibilité de se préparer à l’évaluation sommative (examens) et de s’entraîner en amont à travers les activités proposées (E1). Ces activités, ne se limiteront pas à celles qui sont élaborées par l’enseignant ou l’enseignante, mais s’étendent à celles qui sont accessibles sur la toile du fait que l’externalisation des cours en amont rend visibles les axes sur lesquels se base le contenu de la formation. En prenant en considération la diversité des ressources sur Internet, les personnes apprenantes peuvent, conséquemment, effectuer des recherches parallèles pour enrichir leurs connaissances conformément aux contenus théoriques transmis à distance, ce qui relève de l’auto-apprentissage.

Or, au moment où les classes inversées sont censées être réductrices de l’absentéisme en raison de l’allègement du temps présentiel qu’elles permettent, un apprenant (E3) estime que cette alternance des cours en présence et à distance lui donne la possibilité de s’absenter, étant donné que la partie théorique est transmise en amont. D’ailleurs, cette constante est l’un des reproches que l’on peut faire à cet enseignement, car « si la présence en classe est influencée par l’accès virtuel aux différentes ressources pédagogiques, on ne peut manquer d’y voir un certain plaidoyer contre la classe inversée » (Guilbault et Viau‑Guay, 2017).

Accompagnement humain

On ne peut aborder les dispositifs hybrides sans évoquer le changement de posture de l’enseignant-tuteur ou de l’enseignante-tutrice qui se trouve face à deux environnements spatio-temporels différents. À ce sujet, les résultats révèlent que 70 % des personnes répondantes se situent entre les degrés de satisfaction « d’accord » et « tout à fait d’accord », ce qui témoigne d’une perception positive de l’accompagnement humain. Du côté de l’enseignant ou de l’enseignante, son accompagnement à distance, synchrone et asynchrone, est satisfaisant et sa disponibilité à distance est assurée. Du côté des étudiantes et étudiants, le dispositif de la classe inversée favorise le travail collaboratif à distance entre eux, ce qui nous amène à une autre forme d’accompagnement, comme le confirment les extraits ci-dessous :

Quand l’enseignante postule la capsule vidéo, on discute sur notre groupe Messenger et on essaie d’expliquer et de comprendre ensemble le cours.

E1

On discute un peu sur notre groupe Messenger et on explique le travail demandée.

E2

Toujours dans la même dimension, nous avons voulu savoir quels types d’accompagnement conviendraient le mieux aux personnes apprenantes dans le dispositif proposé à distance. Pour ce faire, trois types d’accompagnement à distance relevant du tutorat transversal à distance et élaborés dans le cadre d’un projet doctoral (Micholet, 2018) leur ont été proposés. Les résultats obtenus montrent que 44.4% d’entre elles estiment que l’enseignante ou l’enseignant doit les informer préalablement des différentes étapes du déroulement du cours, ce qui relève du tutorat asynchrone proactif servant à anticiper les besoins des personnes apprenantes. Également, 50 % des étudiants et étudiantes déclarent que l’enseignant ou l’enseignante doit répondre à leurs interrogations à distance (en commentaires, par messagerie instantanée ou par courrier électronique), ce qui relève du tutorat asynchrone réactif dont l’objectif est de répondre aux demandes et interrogations étudiantes. Et finalement, 38.9% d’entre eux exigent que l’enseignant ou l’enseignante organise régulièrement des séances à distance pour échanger et interagir, ce qui relève du tutorat synchrone servant à prolonger les échanges maintenus en présentiel. Bien entendu, tous ces types de communication tutorale en ligne doivent être pris en considération par l’enseignant-tuteur ou l’enseignante-tutrice pour le bon déroulement des cours hybrides et cela ne serait possible qu’en fournissant les outils nécessaires pour garantir le processus de médiation.

Médiatisation

Une bonne portion des personnes apprenantes (soit 71 %) se déclarent satisfaites de l’usage des outils technopédagogiques à distance (capsules vidéo, tests éclair, etc.). Aussi, selon la même population, la plateforme de mise en ligne (Facebook) et les moyens de communication et de collaboration synchrone (webinaire, visioconférence) ou asynchrone (courriel, messagerie, YouTube) sont performants. Cependant, il apparaît que l’accès aux matériels technopédagogiques pose problème à 29 % des personnes apprenantes qui ne sont pas satisfaites du processus de médiatisation. À ce sujet, il convient de souligner que les facteurs entravant ce processus et, par là, l’accessibilité aux ressources technopédagogiques mises en ligne sont majoritairement liés à une connexion Internet instable et/ou au manque de moyens techniques (ordinateur personnel, tablette, etc.) chez les personnes apprenantes, ce qui met en difficulté l’accomplissement des travaux à distance.

Médiation des savoirs

La médiation se rapporte aux effets de l’activité médiatisée (à l’aide des outils technopédagogiques) sur les personnes apprenantes. Autrement dit, elle s’interroge sur l’appropriation des savoirs médiatisés ainsi que les pratiques et postures constatées à la suite de la médiatisation (Peltier et Séguin, 2021). À ce sujet, 77 % des personnes apprenantes se montrent satisfaites du processus de médiation des savoirs dans la mesure où le dispositif de la classe inversée les incite à la découverte et à l’appropriation des connaissances tant en compréhension qu’en production écrites. Les gestes de médiation dans le dispositif inversé impliquent donc de s’approprier des connaissances médiatisées, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une « transformation du savoir en informations » (Gardiès et Fabre, 2015, p. 13). Afin d’expliquer comment cette appropriation se manifeste, nous exposons quelques extraits issus des réponses des étudiants et étudiantes :

Toujours après que je regarde la capsule, je cherche sur internet des activités et des cours sur le thème pour enrichir mes connaissances. Aussi, j’essaie de reformuler le cours avec mes mots pour préparer l’examen.

E1

Je me sens plus motivé à faire mes activités car j’ai une idée déjà sur le cours. Pas comme avant car le temps en classe ne suffit pas pour comprendre tout le cours.

E2

C’est bien de faire des cours à la maison et en classe. Je fais plus d’efforts pour améliorer ma compréhension et le prof ne va pas vite comme auparavant car le temps ne suffit pas en classe.

E3

D’emblée, nous pouvons déceler dans les réponses des personnes apprenantes une opposition implicite entre l’enseignement transmissif et l’enseignement inversé. Si le premier affronte plusieurs défis qui entravent l’appropriation des connaissances, à savoir l’insuffisance du temps en présentiel (E2 et E3), ce qui fait que l’enseignant ou l’enseignante accélère le rythme du cours pour aboutir à ses objectifs d’apprentissage (E3), le second amène les étudiants et étudiantes à faire d’autres recherches pour enrichir leurs connaissances à distance, voire à procéder à des activités cognitives plus complexes comme la reformulation (E1). Un autre élément indicateur de l’appropriation des connaissances se traduit par l’engagement des étudiants dans les tâches de compréhension/production de l’écrit proposées, que ce soit en présentiel ou à distance. Cette appropriation des savoirs consiste, selon les étudiants et étudiantes, à regarder les capsules vidéo, à comprendre le cours, à prendre des notes, à répondre aux tests éclair de compréhension, à commenter et à annoter les documents médiatisés.

Degré d’ouverture du dispositif

La dernière dimension du projet Hy-Sup correspond à l’ouverture du dispositif hybride, en l’occurrence, le degré de liberté quant aux choix des méthodes, des activités et des outils à utiliser par les personnes apprenantes. À ce propos, 74 % des étudiantes et étudiants ont évalué cette dimension positivement. Ils s’estiment ainsi satisfaits du degré d’ouverture du dispositif en matière de flexibilité, d’organisation des cours en présence et à distance et de la possibilité d’adaptation du cours à leurs rythmes d’apprentissage. Voici quelques extraits des réponses qu’ils ont fournies :

Je peux regarder le cours à n’importe qu’elle moment. Car les capsules vidéo sont envoyés des jours avant le cours en présence donc je peut regarder le cours à l’aise.

E1

Faire les activités à l’aise peu importe le lieu ou le temps... On est pas limité ou sanctionné comme auparavant en classe.

E2

Je ne suis pas limité dans le temps pour regarder le cours.

E3

Les personnes apprenantes considèrent ainsi que le fait de pouvoir regarder les cours au moment qui leur convient et lors duquel elles se sentent mieux disposées est l’une des possibilités les plus tangibles qu’offre la classe inversée étant donné que les capsules vidéo sont transmises quelques jours avant le cours en présentiel.

5. Discussion des résultats

Pour faire le bilan de notre expérience à partir de laquelle les étudiants et étudiantes se prononcent positivement quant aux différentes dimensions du dispositif hybride, conçu et adapté selon leurs besoins langagiers en cours de l’écrit, nous revenons sur certains aspects intervenant dans cette expérience hybride.

Sur le plan de la conception, le dispositif de classe inversée a mis à la disposition de l’enseignant ou de l’enseignante un nombre important d’options et de choix lui permettant de varier les modalités d’apprentissage en présence et à distance par rapport au modèle transmissif qui, pour sa part, semble limité en matière de scénarisation pédagogique. En effet, ce changement de modalité du travail doit, selon Peltier et Séguin (2021), s’accompagner d’une modification pédagogique profonde afin de favoriser l’engagement des personnes apprenantes s’inscrivant dans une expérience hybride riche et satisfaisante. À ce stade, il est important de souligner les retombées positives des outils numériques sur la conception de la classe inversée, car outre leur implication dans l’externalisation des connaissances en dehors de la salle de classe, ces derniers ont permis de développer l’engagement des personnes apprenantes dans les tâches qui leur sont assignées. Toutefois, un tel usage ne garantit en aucun cas l’appropriation des connaissances transmises à distance (Jereb et Šmitek, 2006), d’où l’importance accordée à la dimension de l’accompagnement humain dans la conception des dispositifs hybrides.

En effet, notre formule pédagogique expérimentée en cours de l’écrit est en accord avec de nombreuses recherches (Coiro, 2003; Legros et Crinon, 2002; Tricot, 2007) qui mettent en évidence les effets des outils numériques dans le développement des compétences scripturales étudiantes. D’ailleurs, Marin et Legros (2008, p. 133) précisent leur rôle facilitateur dans les activités de compréhension et de production écrites dans la mesure où ils permettent « de concevoir et de valider des aides et des systèmes d’aides à tous les niveaux et à toutes les phases de l’activité de lecture, de compréhension et de production ».

Sur le plan de l’évaluation du dispositif, les retours du questionnaire ont globalement attesté un degré de satisfaction élevé, que ce soit sur le plan de l’articulation présence/distance de l’apprentissage, de l’accompagnement humain, des processus de médiatisation et de médiation ou encore de la flexibilité du dispositif.

Dès lors, cette perception positive s’explique, à l’opposé du modèle transmissif, par la possibilité de rétroaction et la disponibilité des ressources à n’importe quel moment. C’est ainsi que la rétroaction est assurée en présence à travers l’interaction en face-à-face personne enseignante/personne apprenante. À distance, la rétroaction fonctionne dans les deux sens. Pour ce qui est de la personne apprenante, elle peut revoir le cours plusieurs fois à distance, mettre l’enseignant ou l’enseignante en mode « pause », découper le cours en segments plus courts pour apprendre à son rythme, poser des questions au moyen des outils synchrones où asynchrones accessibles, répondre aux tests éclair de compréhension en ligne, etc. Quant à la personne enseignante, l’environnement médiatisé de l’apprentissage lui permet la réception des interrogations, soucis et travaux d’évaluation des personnes apprenantes, ce qui nous amène à une rétroaction immédiate. Ces éléments favorisent le processus de médiation et créent de nouveaux styles d’apprentissage individualisés où chaque personne apprenante peut procéder à son propre rythme grâce à la flexibilité du dispositif de formation (York, 2008).

Comme pour des études précédentes, même si la classe inversée semble un environnement satisfaisant pour la plupart des personnes apprenantes, quelques divergences d’appréciation négatives ne manquent pas d’être formulées. Selon une recension d’écrits scientifiques effectuée par Guilbault et Viau‑Guay (2017), ce constat est partagé par plusieurs autrices et auteurs qui ont observé une forte insatisfaction chez plus de 10 % des personnes répondantes en classe inversée. Or, ils n’y notent pas les aspects possiblement en cause. Dans notre expérimentation de classe inversée, la prise en compte des dimensions du projet Hy-Sup constitue, à cet égard, un atout incontestable pour mieux expliquer le ressenti étudiant. Il s’est ainsi avéré que ce sont les aspects relatifs à l’accompagnement humain et à la médiatisation qui sont davantage source d’insatisfaction. En fait, le premier aspect exige des enseignants et enseignantes un changement de posture et un passage du paradigme de la transmission passive au paradigme de l’enseignement actif (Cailliez, 2017) pour une meilleure adaptation aux exigences de l’articulation spatio-temporelle en classe inversée. Le deuxième aspect, quant à lui, met en question la prédisposition des acteurs didactiques (établissement, personne enseignante et personne apprenante) à la médiatisation des savoirs en classe inversée, car une telle opération nécessite, selon Peraya (2008), un investissement communicationnel, sémiotique et matériel.

Pour conclure…

Il ressort de ce travail consacré à la conception/évaluation d’un dispositif de classe inversée, et que nous inscrivons dans une perspective évolutive des « formations inversées », qu’une scénarisation des contenus pédagogiques, adaptée aux besoins linguistiques et communicatifs du public cible, est satisfaisante pour la plupart des personnes apprenantes. Cette adaptation part d’une réflexion, largement partagée, selon laquelle toute personne enseignante doit « adapter l’offre d’enseignement à la demande d’apprentissage » (Richterich, 1985, p. 27).

Toutefois, comme nulle innovation n’est exempte de limites et après la conception de notre dispositif hybride, il apparaît que la classe inversée est une pratique énergivore qui requiert une charge de travail conséquente, ce qui constitue un tournant important du point de vue tant étudiant qu’enseignant. Du côté des personnes apprenantes, elles fournissent un effort considérable en amont lors de la préparation des cours, du visionnage et revisionnage des capsules vidéo, de la prise de notes et du bilan synthétique pour ensuite procéder à la mise en application en présentiel. Du côté de la personne enseignante, elle doit scénariser son contenu d’apprentissage et confectionner son matériel technopédagogique en présence et à distance, ce qui représente un double travail par rapport à un cours magistral similaire. De plus, une fois le dispositif construit, elle doit le faire évoluer continuellement selon les besoins des personnes apprenantes. Enfin, du côté de l’établissement, des recommandations concernant la formation professionnelle des enseignants et enseignantes sur les modalités de formation en classe inversée se posent. De telles recommandations ne font qu’engendrer de nouvelles pressions et exigences qui vont au-delà d’assurer un équipement technopédagogique adéquat à ce type d’enseignement. Pour cela, les formateurs et formatrices en FLE peuvent procéder, avant d’offrir toute formation hybride, à des analyses de pratiques hybrides enseignantes en classe. Cette analyse préalable offre un cadre descriptif tangible quant aux données relatives aux connaissances des acteurs pédagogiques sur l’hybridation ainsi qu’à leur prédisposition matérielle à maintenir le bon déroulement de cette modalité d’enseignement. En ce qui concerne l’élaboration du contenu de la formation, il serait intéressant de mettre à profit le versant épistémique que fournit le projet Hy-Sup sur les dispositifs de formation hybride, d’autant plus que peu de travaux ont été consacrés à leur description dans la littérature scientifique. Néanmoins, une formation continue est fortement recommandée auprès des enseignants et enseignantes de FLE afin d’adapter le contenu aux évolutions incessantes des dispositifs de classes inversées. Nous estimons que cette étude peut soutenir la réflexion sur la planification et la conception d’un référentiel de formation professionnelle consacré aux modalités de l’enseignement inversé en classe de FLE dans des recherches ultérieures.