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Les peurs au travail, Dirigé par Alain Max Guénette et Sophie Le Garrec (2016) Collection Le travail en débats, Série Colloques et Congrès, Toulouse : Éditions Octares, 226 pages. ISBN : 978-2-36630-053-6[Notice]

  • Johanne Dompierre

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  • Johanne Dompierre
    Professeure, Département des relations industrielles, Université Laval

Le volume Les peurs au travail résulte du travail d’un collectif d’auteurs sous la direction de Guénette et Le Garrec. Reconnaissant qu’en vertu de certaines conditions (qualité et reconnaissance), le travail possède des propriétés bénéfiques, les auteurs s’interrogent sur la présence de la peur en tant que symptôme et en tant que stratégie organisationnelle. Ce questionnement sur la peur se fonde sur des analyses dites plurielles et multidisciplinaires, se référant à la fois à une perspective structurelle et à une perspective individuelle. Ces peurs sont multiples : « peur de l’Autre. Peur de ne pas trouver de travail. Peur de perdre son travail. Peur de mal faire. Peur de son supérieur ou de ses collègues. Peur d’être jugé. Peur de demain. » (p. 2). Les 12 textes sont regroupés sous trois thèmes : 1- définitions et enjeux épistémologiques; 2- peurs en tant que levier organisationnel et structurel; 3- individus et variabilité des peurs endogènes. Les trois chapitres de la première partie portent sur les définitions et enjeux épistémologiques. Dans le premier chapitre, Voirol, se référant à Hegel, définit la peur comme : « une expérience d’instabilité ou d’incertitude dans une situation de reconnaissance troublée » (p. 14). Tout au cours de sa vie, l’être humain cherche à être vu, à exister, à être reconnu par les personnes importantes de son environnement, incluant son milieu de travail. C’est ce besoin d’être reconnu qui engendre la peur de ne pas être reconnu. Par ailleurs, afin de s’adapter aux conditions changeantes du marché, des organisations ont privilégié des formes de management « flexibles » qualifiées de « management de la peur » par Dejours (1998). Ces formes de management génèrent de l’instabilité [cognitive, pratique et sensible], du doute, de l’incertitude, « le non savoir et l’ignorance de ce qui peut advenir » (p. 18). Voirol identifie trois composantes communes à la peur et à la reconnaissance qui correspondent à trois types de rapport : rapport employé-employeur, rapport employé-univers de travail, rapport employé-objet. Dans son chapitre, Schultheis décrit le passage du contrat « basé sur un engagement réciproque à long terme » (contrat de statut) entre l’employeur et ses employés à un contrat de « co-responsabilité en termes de formation et d’employabilité » (contrat d’objectifs), en même temps qu’une intensification du travail et un contexte de précarisation. Ce nouveau contrat implique un changement majeur au niveau des attentes envers les employés, plus précisément, l’employeur s’attend à ce qu’un employé se comporte comme un « entrepreneur de lui-même ». Dans ce contexte, certains seront gagnants, tandis que d’autres seront perdants. À partir d’une recherche menée sur deux ans, Voirol a pu établir un profil pour les perdants dont les caractéristiques s’avèrent de nature sociodémographique (genre, âge, scolarité, région géographique) et liées à leur état de santé psychique ou physique. Dans son chapitre, Martuccelli trace un bref historique des sources de la peur. Concernant la peur contemporaine, celle-ci résulterait, d’une part, de « l’épuisement des capacités de contrôle effectif des événements », et, d’autre part, de « l’incapacité à tracer de véritables limites factuelles et indépassables » (p. 40). Dans la deuxième partie du volume, les quatre chapitres abordent « les peurs comme levier organisationnel et structurel ». Dans leur chapitre, Barel et Frémaux traitent de la peur ressentie chez les managers et de la dynamique manipulatoire de leurs comportements défensifs [leadership toxique] envers le personnel sous l’angle de l’organisation du travail. Parmi ces comportements défensifs, ils identifient la séduction, la paradoxalité, le formalisme (la forme au détriment du fond), l’irresponsabilité (l’absence de réciprocité de la part des gestionnaires) et l’inversion (la perception de malveillance …