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Performants… et licenciés – Enquête sur la banalisation des licenciements, Par Mélanie Guyonvarc’h (2017) Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 263 pages. ISBN 978-2-7535-5385-9[Notice]

  • Josée Côté

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  • Josée Côté
    Candidate au doctorat, École de relations industrielles, Université de Montréal

Les licenciements collectifs n’affectent plus seulement les travailleurs précaires et faiblement qualifiés des secteurs économiques en décroissance. Ils touchent, de nos jours, les travailleurs qualifiés les plus favorisés oeuvrant dans des secteurs prometteurs, voire des cadres. Le vécu de ces travailleurs dits « Performants… et licenciés » est au coeur de l’ouvrage de Mélanie Guyonvarc’h. L’auteure ne se limite pas à l’étude de l’expérience personnelle de ces licenciements. Elle analyse les causes structurelles et collectives de ces derniers, passant en revue les pratiques des entreprises, ainsi que les contextes économiques et légaux qui les soutiennent. D’entrée de jeu, Guyonvarc’h fait l’hypothèse d’une banalisation des licenciements, l’observant dans le discours managérial, la sphère politico-légale et, même parfois, chez les salariés. Ce discours, empreint d’une forte euphémisation minimisant les aspects négatifs des licenciements, les dépeint comme une nécessité économique contre laquelle il n’existe aucun remède, si ce n’est l’adaptation perpétuelle. Les licenciements sont devenus des événements ordinaires de la gestion des entreprises où l’on survalorise la mobilité professionnelle et l’on considère l’individu comme maître de sa carrière. Or, l’enquête démontre « [qu’]il n’y a pas de banalisation du point de vue des salariés », même chez les plus « performants » (p. 236). Si le discours est, aujourd’hui, bien ancré chez les dirigeants d’entreprise, les financiers, les responsables des ressources humaines, les firmes de reclassements, les représentants du personnel et parmi un certain nombre de salariés, l’expérience du licenciement demeure une épreuve qui laisse des traces. Qui plus est, l’omniprésence de la menace de licenciement altère et recompose même le rapport au travail, qui est dorénavant vécu sous la forme d’une « adhésion sans attache » à l’entreprise, à l’image d’un « velcro » performant. Passant du micro au macro à partir d’une approche sociologique critique et d’enquêtes ethnographiques, l’auteure nous présente les résultats de ses analyses de deux cas d’entreprises françaises issus de « secteurs d’avenir » et qui procèdent à des licenciements massifs de travailleurs (des cadres, des chercheurs, des techniciens spécialisés), autrefois épargnés par de telles vagues de licenciements — et c’est là, toute l’originalité de son ouvrage. L’auteure scrute une grande entreprise pharmaceutique considérée comme le premier groupe pharmaceutique français en 2003 avec 15,6 milliards d’euros de vente mondiale; et une firme de conseil en management et informatique, leader mondial établi dans 34 pays avec 7 milliards de chiffre d’affaires en 2003. Dans les deux cas, les restructurations sont envisagées au sein d’entreprise en bonne santé financière, portent sur des sites rentables, des activités valorisées et du personnel qualifié. Ces restructurations « offensives », qui visent à améliorer la compétitivité et la profitabilité, seraient typiques d’une partie croissante des restructurations actuelles, par opposition aux restructurations « défensives » d’antan qui visaient à sauver une entreprise en péril. Par l’étude détaillée de l’évolution du droit en matière de licenciement en France sur une période de trente ans (1986-2016) dans la première partie de l’ouvrage, l’auteure retrace la libéralisation progressive du cadre juridique des licenciements, en parallèle avec un mouvement croissant de flexibilité de l’emploi (chapitre 1). De même, au niveau européen, plusieurs dispositions promeuvent un droit social minimal et s’orientent vers une stratégie de « flexicurité ». Différentes initiatives vont dans le sens d’une procédure renforcée d’information-consultation des instances représentatives du personnel dans le but de favoriser l’anticipation des risques associés aux licenciements collectifs et de développer l’accompagnement des transitions. Bref, les lois et les politiques publiques de l’emploi se seraient adaptées aux stratégies des entreprises capitalistes. Guyonvarc’h s’attarde, ensuite, aux positions des représentants des employeurs et des salariés (chapitre 2). La position plutôt homogène des organisations d’employeurs (MEDEF) …