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Travail et citoyenneté : quel avenir ?, Sous la direction de Michel Coutu et Gregor Murray, Québec : Presses de l’Université Laval, 2010, 475 p., ISBN : 978-2-7637-8771-8.[Notice]

  • Marie-Josée Legault

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  • Marie-Josée Legault
    Téluq-UQAM

D’emblée, les directeurs de cet ouvrage collectif constatent la désuétude du concept de citoyenneté industrielle qui a connu son âge d’or à la fin des années 60 et au début des années 70, non sans le situer dans le cadre théorique et d’action de la citoyenneté, pour bien marquer que la désuétude d’une application particulière n’entraîne pas pour autant celle du cadre général. Cela leur permet de mieux poser ensuite la question fondatrice de l’ouvrage, celle de la pertinence contemporaine de la réflexion sur la citoyenneté au travail. Ils esquissent l’évolution historique de la citoyenneté civile à la citoyenneté politique, sociale et à la citoyenneté industrielle : représentation des intérêts collectifs des travailleurs, accréditation syndicale et négociation collective ont, à ce moment, en Amérique du Nord, jeté les bases d’une démocratie locale qui conférait aux travailleurs syndiqués une meilleure protection contre l’arbitraire et les risques économiques, mais aussi un droit de participation à la régulation locale et sociale du travail et à la formulation de politiques publiques. En 1967, au Canada, Harry Arthurs (qui contribue à l’ouvrage) a particulièrement loué les mérites de ce pluralisme industriel au sein duquel syndicats et patrons élaborent la loi des parties (convention collective), encadrés juridiquement par l’État. Il salue l’émergence d’une citoyenneté propre aux travailleurs dont la portée dépasse celle de la citoyenneté sociale, car plus que des droits protecteurs, les travailleurs syndiqués gagnent un statut dans la régulation du travail. À la même époque, en Europe, Marshall (1964) déplore qu’elle demeure réservée aux seuls travailleurs syndiqués et fasse plus d’exclus que d’inclus, tout en suppléant à l’État dans la sphère des droits sociaux. À terme, l’État devrait prendre en charge la protection universelle de ces droits. Selon Arthurs, la citoyenneté au travail passait par la généralisation de la syndicalisation, ce qui n’est pas à l’ordre du jour en Amérique du Nord ni en Europe, bien au contraire! À ce chapitre, le mea culpa d’Arthurs, très pessimiste, ne contamine pas l’ouvrage mais force les auteurs à fournir un effort d’autant plus exigeant pour « parvenir à une vision plus articulée et plus englobante des tendances récentes observées dans nos milieux de travail » (p. 453) démontrant qu’un nouveau concept de citoyenneté au travail émerge et qu’il est pertinent. C’est là l’objectif de l’ouvrage et il est réussi. Nous avons ici un ouvrage auquel les directeurs ont vraiment donné une cohérence interne plutôt que de se limiter à colliger des collaborations thématiques. Par ses différentes contributions, l’ou-vrage fait le double constat de la désuétude du concept de citoyenneté industrielle et de la détérioration de la citoyenneté au travail, issues d’une conjoncture qu’on peut résumer par la libéralisation des échanges commerciaux, la dérégulation du système financier (ou sa nouvelle régulation ?) et des conditions de la concurrence, l’érosion de la légitimité de l’État social, de ses fondements, de ses visées et des politiques sociales qui en découlent, au profit de la responsabilité individuelle, de la réduction de l’intervention de l’État, du transfert du risque vers les individus et de l’affaiblissement de l’encadrement juridique de l’emploi. Défait par une crise à la fois financière, budgétaire et idéologique, l’État social dé-légitimé détient de toutes façons un pouvoir de gouvernance limité par les ententes internationales et par l’essor d’entreprises transnationales à qui la mobilité confère un certain pouvoir de revendication. Tout cela contribue à affaiblir l’acteur syndical en nombre, en part de l’emploi et en pouvoir de négociation. La figure dominante n’est plus l’emploi industriel continu à temps complet, pour un seul employeur et sur le site de son entreprise. La préoccupation pour la précarité et les statuts …