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Les mouvements sociaux face au commerce éthique : une tentative de régulation démocratique du travail, Par Thierry Brugvin, Paris : Éditions Lavoisier, 2007, 402 p., ISBN 978-2-746217-90-4.[Notice]

  • Corinne Gendron

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  • Corinne Gendron
    UQAM

L'ouvrage que nous propose Thierry Brugvin analyse un sujet brûlant d'actualité : la mise en oeuvre d'une régulation privée par des acteurs non-étatiques. Issu d'une thèse de doctorat, le manuscrit se veut à la fois une version allégée et plus complète où l'auteur se prête à une analyse systématique sur le plan conceptuel mais aussi à travers une riche étude de terrain. Les préoccupations à l'origine de cette analyse s'attachent à l'effectivité déficiente des normes internationales du travail, à laquelle de nouveaux mécanismes de régulation prétendent pallier : codes de conduite et labels. Brugvin formule l'hypothèse suivante, qui servira de fil conducteur à l'ensemble de l'ouvrage : les mouvements sociaux transnationaux cherchent à renforcer, à court terme, la régulation des normes sociales et sa légitimité, au risque d'une privatisation excessive nuisant à sa démocratisation et à l'amélioration de la protection des droits des travailleurs. En vue d'explorer cette hypothèse forte et originale, l'auteur va mobiliser un appareillage conceptuel complexe et déployer une vaste étude de terrain. Dans une première partie consacrée à l'action de la société civile dans la régulation internationale du travail, il commence par retracer l'historique des mouvements sociaux transnationaux en se penchant tout particulièrement sur le cas de la Clean Clothes Campain et du collectif de l'Éthique sur l'étiquette. Le chapitre deux, de facture théorique, explore le concept de société civile et celui de gouvernance, pour en comprendre les implications néolibérales au chapitre de la conception de la régulation sociale. Dans la seconde partie de son ouvrage, Brugvin entre dans le vif de son analyse concernant les modalités d'une régulation portée par les mouvements sociaux. En les resituant dans le contexte de l'échec des projets de clauses sociales, il analyse de façon minutieuse la forme des divers mécanismes (codes, labels, certifications) pour mettre en relief les enjeux de légitimité, mais aussi la fiabilité d'une régulation essentiellement privée. Enfin, il montre comment ces mécanismes sont porteurs d'innovation et de dialogue mais aussi de tensions pour les mouvements sociaux dans leurs rapports avec les institutions internationales telles que l'OMC, l'ONU ou l'OIT. La troisième partie de l'ouvrage est consacrée à l'étude de terrain : Brugvin y présente tout d'abord les résultats d'une analyse des processus de vérification de l'application des normes du travail, pour se pencher ensuite de façon synthétique sur la mise en oeuvre des normes dans seize entreprises indiennes, et déboucher enfin sur la pratique de la vérification privée « indépendante ». Il ressort de ces analyses que l'inspection du travail menée par les autorités s'avère généralement insuffisante; par ailleurs et contrairement aux prétentions des entreprises transnationales, les codes de conduite ne sont guère appliqués, et c'est davantage la crainte du boycott qui induit des comportements responsables chez les sous-traitants indiens indépendamment de l'assujettissement à ces codes. Enfin, en dehors de l'acteur public, l'auteur estime que les conditions d'une vérification véritablement indépendante peuvent s'avérer difficiles à réunir, à tel point qu'il vaut mieux considérer les outils privés de contrôle comme une mesure intermédiaire en attendant l'instauration d'une régulation publique. Au terme de son ouvrage, Brugvin conclut « qu'aucune des entreprises examinées dans notre corpus, en Inde, n'est parvenue actuellement à mettre en oeuvre l'ensemble des sept normes fondamentales du travail, ni même à appliquer son propre code de conduite ». On peut par conséquent douter de l'effectivité d'une régulation privée sensée pallier aux défaillances d'application des normes internationales publiques du travail. C'est ce qui fait dire à l'auteur que « l'essor des codes de conduite se situe, à la croisée des chemins, entre régulation et dérégulation. Si les politiques de dérégulation l'emportent, les codes …