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Il s’agit d’un ouvrage collectif auquel ont contribué une quinzaine d’auteures, toutes des chercheures universitaires, les unes bien établies, les autres en début de carrière, toutes juristes du travail et s’intéressant à la femme au travail. Elles sont rattachées à des établissements universitaires d’Australie, du Canada, des États-Unis, des Pays-Bas, du Québec, du Royaume-Uni et de la Suède, ce qui confère un caractère international et comparatif à l’ensemble de l’oeuvre.

Le fil conducteur de l’ouvrage réside dans l’intérêt porté à la relation entre le travail précaire et le genre. Les auteures cherchent à évaluer dans quelle mesure le développement rapide du travail précaire remet en cause les normes traditionnelles du droit du travail et les modes conventionnels de régulation. Elles situent leurs observations dans le contexte de la nouvelle économie, à savoir celle de la mondialisation, du déplacement des emplois de l’industrie manufacturière vers le secteur tertiaire, de l’expansion des systèmes et des technologies de l’information et de leur impact sur la flexibilité du marché du travail et des relations du travail. Pour les auteures, ce contexte nouveau a engendré une érosion de la relation de travail traditionnelle et l’accroissement des emplois précaires – instables et faiblement rémunérés, les femmes y occupant une place disproportionnée.

En première partie, servant d’introduction, les directrices de la publication, Judy Fudge et Rosemary Owens, posent la question du défi que représentent, pour les normes juridiques, l’emploi précaire et les femmes dans le contexte de la nouvelle économie.

La partie suivante s’intéresse, en trois chapitres, aux normes et aux discours supranationaux concernant le travail précaire. Dans cette section, Kerry Rittich (Canada) fait une large place aux études et rapports du BIT, notamment, Une mondialisation juste : créer des opportunités pour tous (2004) et L’heure de l’égalité au travail (2003). Leah Vosko (Canada) jette un regard critique sur la question du genre et du travail précaire à la lumière des instruments contenus dans le Code international du travail. Le dernier chapitre de cette section, rédigé par Diamond Ashiagbor (Angleterre), est consacré aux réponses proposées par l’Union européenne au phénomène du travail précaire aussi bien au plan de la réglementation du travail atypique qu’à celui des politiques favorisant ce type d’emploi.

Suit une section de trois chapitres également, portant sur le temps de travail et le travail précaire abordant tour à tour la question du temps de loisir des femmes : « Ont-elles du temps pour rêver ? », la flexibilité, le temps consacré à la famille et la réglementation du temps de travail (Joanne Conaghan, Angleterre), celle de la nécessité d’une réduction du temps de travail aux États-Unis (Vicki Schultz et Allison Hoffman), enfin celle de la relation entre le genre et les interruptions temporaires ou définitives de l’emploi (Claire Kilpatrick, Angleterre).

Dans la quatrième partie de l’ouvrage, comportant elle aussi trois chapitres, les auteures s’interrogent sur la question de savoir si la protection des travailleuses précaires est une question de statut. Elles le font à partir d’exemples tirés de trois systèmes juridiques. Sandra Fredman traite du caractère précaire des normes applicables au travail précaire au Royaume Uni. Judy Fudge aborde la question du travail indépendant chez les femmes (self-employment) et des limites de la protection apportée aussi bien par les instruments internationaux de l’OIT que par la législation canadienne du travail. Stéphanie Bernstein part de l’exemple québécois des travailleuses qui gardent des enfants ou qui prennent soin, dans leur domicile, de personnes non autonomes. Ces travailleuses, des femmes pour la plupart, qui s’étaient vu reconnaître le statut de salariées et le droit à la négociation collective, ont vu leur statut transformé par voie législative en celui de travailleuses indépendantes. L’auteure élargit ensuite le débat à l’ensemble du travail de garde et de soins à domicile, qu’il s’agisse du domicile de la travailleuse ou de celui de la personne qui reçoit les soins.

Des lois désuètes pour de nouveaux types de travailleuses : ainsi pourrait-on traduire le titre de l’avant-dernière partie de l’ouvrage : « Old Laws/New Workers ». Dans un premier temps, Katherine V.W. Stone traite du nouveau visage de la discrimination. Elle montre comment, aux États-Unis, les transformations dans la relation de travail ont rendu inadéquates les dispositions légales relatives à la discrimination. Puis, Jenny Julén Voltinius fait une analyse critique de la norme du travailleur traditionnel (standard), en Suède, dans une perspective fondée sur le genre. Elle entend montrer comment la norme de l’emploi permanent à temps complet n’est pas neutre du point de vue du genre et qu’elle a un impact sur l’emploi atypique, notamment sur le contrat à durée déterminée. Rosemary Hunter s’intéresse aux facteurs qui ont contribué, en interagissant les uns sur les autres, à « produire » en Australie les multiples formes du travail précaire, de l’emploi occasionnel aux agences de location de personnel en passant par le travail à temps partiel. Elle montre comment, dans chaque cas, le cadre législatif encourage le développement de l’emploi précaire.

La dernière partie de l’ouvrage pose, en deux chapitres, le défi de la flexibilité. Sous le titre de « Flexibilité et sécurité, temps de travail, et politiques de conciliation travail-famille », Susanne D. Burry donne l’exemple particulier des Pays-Bas et explique, notamment, comment le travail à temps partiel donne lieu à une ségrégation selon le genre tout comme dans les autres pays de l’UE. Enfin, Rosemary Owens (Australie) s’attaque à la question de la flexibilité dans un monde de travail précaire. Elle discute des conditions qui ont conduit à la recherche d’une plus grande flexibilité par la prolifération des emplois atypiques, notamment en Australie. Elle procède à l’examen critique de trois stratégies qui ont été mises de l’avant comme susceptibles d’apporter quelques éléments de solution à la question de la précarité d’emploi chez les femmes

Il s’agit d’un ouvrage dense, riche, extrêmement bien documenté, qu’on ne peut cependant pas s’empêcher de qualifier d’engagé, ce qui n’enlève rien à la qualité ni à la rigueur du propos. Les auteures, dépassant l’approche strictement descriptive, n’hésitent jamais à adopter une démarche critique, tantôt face à certaines études, tantôt face aux insuffisances de la législation. À ce titre, elles font doublement oeuvre utile.

Les auteures réfèrent à de nombreux textes de lois et citent une abondante jurisprudence dont les références ont été regroupées par pays au début de l’ouvrage, ce qui en facilite la consultation. L’ensemble des études réunies dans cet ouvrage a également permis la constitution d’une imposante bibliographie rapportée de façon consolidée à la fin.

Le caractère international et comparé de l’ouvrage permet de saisir l’universalité des questions débattues de même que la complémentarité des approches dans leur diversité tant au plan juridique qu’à celui de la recherche.

Il n’y a pas de doute que ce livre constitue un référent de premier ordre pour quiconque, chercheur, étudiant, praticien, s’intéresse à l’incidence du genre sur les situations de travail, en particulier sur celles qui sont vécues par les femmes, mais aussi à la question des emplois atypiques en général.