In memoriamNicole-Claude Mathieu[Notice]

  • Estelle Lebel et
  • Jules Falquet

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  • Estelle Lebel
    Directrice de la revue

  • Jules Falquet
    Université Paris Diderot Paris 7

C’est avec émotion que nous nous joignons à la revue Nouvelle Questions féministes (vol. 33, n° 1, 2014) pour publier le texte qui suit à la mémoire de Nicole-Claude Mathieu dont l’apport à la pensée féministe est considérable. Du premier volume de la revue Recherches féministes en 1988 au plus récent, des textes ont fait référence à son travail. En 1996, Nicole-Claude Mathieu a reçu un doctorat honorifique en sciences sociales (anthropologie) de l’Université Laval. Nicole-Claude Mathieu vient de nous quitter le 9 mars 2014. Une théoricienne fondamentale disparaît, et avec elle une militante décidée et une pédagogue généreuse. Mais Nicole-Claude Mathieu n’est pas morte : sa jument noire caracole encore parmi nous. Sa jument noire? Plus exactement, elle nous laisse toute une manade sauvage, qui emporte nos pensés et leur donne de l’audace depuis plus de 40 ans. Ces fières créatures sont avant tout le produit d’un mouvement, de luttes et de réflexions portées par des femmes très variées dans le monde entier, non occidental et occidental comme elle insistait pour l’écrire. Dans cet élan collectif et multiple, Mathieu a posé noir sur blanc, texte après texte, un certain nombre de propositions fortes. Dans Identité sexuelle, sexuée, de sexe? […] (1989), Mathieu met en évidence trois modes de conceptualisation des rapports entre sexe et genre dans différentes cultures et des groupes sociaux non occidentaux et occidentaux (p. 231) : Dans Dérive du genre/stabilité des sexes (1994), Mathieu s’intéresse plus spécifiquement aux transgressions de genre dans le monde occidental (où beaucoup de « cultures » adhèrent au mode I précédemment analysé, le plus naturaliste), à travers l’exemple de Madonna et une lecture des travaux de 1990 et de 1993 de Butler. Mathieu rapporte « une enquête (Rowley 1994) [réalisée] en Angleterre auprès de jeunes filles blanches, de 14 à 16 ans, se définissant comme hétérosexuelles, et [de] classe ouvrière […] Leur discours est d’une lucidité que devraient leur envier bien des universitaires, quant à l’asymétrie des relations entre les sexes et l’impossibilité concrète pour ces filles de prendre Madonna pour « modèle » dans leur vie quotidienne » (p. 60). Mathieu réaffirme ici que le corps compte, que l’anatomie est politique et que les corps marqués comme femelles sont systématiquement situés au plus bas de l’échelle des genres. Avec Une maison sans fille est une maison morte (coédité avec Martine Gestin 2007), Mathieu offre le premier ouvrage d’ethnologie comparée en français prenant pour variable de base l’uxorilocalité, dans quatorze sociétés à filiation soit matrilinéaire, soit indifférenciée. Loin de constituer des matriarcats – notion extrêmement vague dont Mathieu a montré qu’elle oscillait entre fantasme masculin d’un « revanchisme » féminin et argument exotisant d’agences de tourisme –, elles sont cependant moins inégalitaires sur le plan des sexes que certaines des cultures occidentales qui les regardent avec condescendance. L’ouvrage permet de mieux cerner les mécanismes par lesquels une classe de sexe (ici, les femmes) peut se donner davantage de pouvoir en organisant (autrement) l’alliance, la filiation et la résidence, tout autant que le système symbolique et matériel de la transmission, dans le cadre plus favorable de la matrilinéarité et de l’uxorilocalité. Ainsi, la population kavalan (Taïwan) était absolument convaincue jusque dans les années 40 que c’était la déesse qui plaçait la graine des enfants dans le ventre des femmes puis la faisait grandir en l’arrosant. Surtout, dans leurs mythes d’origine, le meurtre du père n’est pas, comme l’affirmait Maurice Godelier en 1996, le pilier de l’exogamie qui fonde le lien social, mais « la négation de la transmission du pouvoir et des objets matériels ou des richesses entre un père et ses …

Parties annexes