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L’économie sociale

L’emploi dans l’ESS : bilan 2014

Depuis une dizaine d’années, l’association Recherches et Solidarités suit l’évolution de l’emploi dans l’économie sociale. Elle a publié en juin son bilan pour l’année 2014[1], dont voici les principaux enseignements : « L’économie sociale, entendue sous le seul angle juridique, représente en 2014 200 000 établissements, 2 383 000 salariés et une masse salariale de près de 55 milliards d’euros, dont 13,3 % relevant du régime agricole. 

Avec 2,38 millions de salariés, l’économie sociale (associations, coopératives, mutuelles et fondations) a représenté un emploi privé sur huit en 2014 (12,7 %). Cet ensemble est principalement porté par le secteur associatif (83 % des établissements, 77 % des emplois et 69 % de la masse salariale), sa colonne vertébrale.

« En 2010, l’ensemble du secteur enregistrait encore une progression de 2 % du nombre de salariés quand le secteur privé affichait un repli de 0,7 %. Cette croissance continue depuis dix années a été interrompue en 2011 (+ 0,1 %), au moment où le secteur privé enregistrait une hausse de 1,1 %. Les années 2012 (+ 0,3 %) et 2013 (+ 0,3 %) ont été marquées par une légère reprise de l’emploi d’économie sociale, quand le secteur privé, hors économie sociale, accusait une nouvelle baisse.

« Au cours de l’année 2014, le nombre de salariés d’économie sociale a de nouveau progressé, un peu plus fortement (+ 0,9 %). Le secteur des fondations et celui des mutuelles connaissent les plus fortes évolutions. De son côté, le reste du secteur privé amorce une légère hausse (+ 0,3 %). De ce fait, la part qu’occupe l’emploi de l’économie sociale au sein de l’emploi privé est passée de 12,6 % à 12,7 %.

« Autour de cette moyenne nationale, Limousin, Basse-Normandie, Poitou-Charentes, Bretagne, Languedoc-Roussillon, Auvergne et Franche-Comté sont de l’ordre de 16 %, voire nettement au-dessus. L’Ile-de-France est à 8,7 %. Ce ratio dépend tout autant du dynamisme de l’économie sociale que du dynamisme – ou de l’atonie – du secteur économique en général, dans chacune des régions. »

Publication de plusieurs décrets relatifs à la loi ESS

L’été dernier a vu la publication de plusieurs décrets relatifs à la loi portant sur l’économie sociale et solidaire (ESS) de juillet 2014. Le 5 août était publié celui concernant la composition du dossier de demande d’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale » (Esus). Un décret du 18 août est venu fixer le « seuil déclenchant le recours à un commissaire aux apports pour les opérations de restructuration des associations et des fondations ». Le 19 août, un nouveau décret précisait les missions du Haut Conseil à la vie associative (HCVA) et modifiait certaines règles de son fonctionnement interne. Mentionnons enfin un décret paru le 1er septembre, portant sur les dispositifs locaux d’accompagnement (DLA). Ces derniers avaient été créés après la fin des emplois jeunes, en 2003, pour soutenir l’emploi dans les petites structures associatives. Il en existe aujourd’hui 106 départementaux et 24 régionaux. Comme le rappelle le site Localtis, « depuis leur création, ces organismes à but non lucratif ont accompagné pas moins de 43 000 structures (associations, structures d’insertion, etc.) et permis de consolider pas moins de 562 000 emplois. La loi ESS consacre ainsi leur rôle de soutien à un secteur en croissance mais fragile. […] Attendu par les acteurs du secteur, le décret du 1er septembre vient tout d’abord préciser cette mission dont la finalité est “la création, la consolidation, le développement de l’emploi et l’amélioration de la qualité de l’emploi, par le renforcement du modèle économique de la structure accompagnée, au service de son projet et du développement du territoire” ». L’action des DLA est comprise comme « complémentaire » de celle des « réseaux et fédérations associatifs et coopé- ratifs, les chambres régionales de l’écono-mie sociale et solidaire, les organismes professionnels, interprofessionnels ou multi- professionnels. Ce qui, au passage, est une forme de reconnaissance de l’action de ces derniers ».

Un guide pour rapprocher le monde universitaire et celui de l’ESS

La Conférence des présidents d’université (CPU) et le Crédit coopératif ont conçu ensemble le guide Université et économie sociale et solidaire [2], qui vise à permettre aux acteurs de l’ESS (entreprises, mouvements, collectivités territoriales…) de connaître les filières d’enseignement de l’ESS et à ceux de l’enseignement supérieur (universitaires, étudiants, associations universitaires) de tisser des liens avec les structures de l’ESS, afin de développer des synergies. Au-delà de la liste exhaustive des formations, ce qui représente déjà une mine d’informations fort précieuse, ce document de plus d’une centaine de pages brosse un large panorama de cette économie, en couvrant des thèmes comme « l’ancrage de l’ESS dans les territoires » ou encore sa « dimension internationale ». Il insiste également sur les interactions qui existent déjà entre le monde universitaire et celui de l’ESS, en faisant le point sur « l’engagement associatif dans les campus universitaires ».

Saluons au passage le dernier-né des masters ESS : celui que propose l’université Paris–VIII Vincennes-Saint-Denis depuis la rentrée de septembre.

Une brochure du ministère pour « tout comprendre de la loi ESS »

Le ministère de l’Economie a publié une brochure de seize pages [3] de présentation de la loi ESS de 2014, vantée comme « une avancée considérable pour la reconnaissance et la promotion de l’économie sociale et solidaire dans notre pays ». Après un éditorial de la nouvelle secrétaire d’Etat à l’ESS, Martine Pinville, et une présentation succincte des différentes familles de l’ESS, la brochure décline les cinq objectifs de la loi suivants :

  • reconnaître l’ESS comme un mode d’entreprendre spécifique ;

  • consolider le réseau, la gouvernance et les outils de financement des acteurs de l’ESS ;

  • redonner du pouvoir d’agir aux salariés ;

  • provoquer un choc coopératif ;

  • renforcer les politiques de développement local durable.

Les coopératives

La présidente de l’ACI quitte son poste

Pauline Green, présidente de l’Alliance coopé- rative internationale (ACI) depuis 2009, et dont le second mandat courait jusqu’en 2017, a annoncé au début de l’été dernier sa retraite anticipée. Coop FR, représentant le mouvement coopératif français et membre de l’ACI, a annoncé la nouvelle, interprétée comme une conséquence des difficultés financières de Co-operative Groupe, découlant de la déroute de Co-operative Bank : « Principal bailleur de fonds de la mission [de Pauline Green] depuis 2009, le mouvement coopératif britannique met en effet fin au financement de son poste à la fin de l’année 2015. »

Le comité des élections de l’ACI s’est réuni en septembre et a retenu quatre candidats désormais en lice pour l’élection à la présidence. Il s’agit de Jean-Louis Bancel (France), Eudes de Freitas Aquino (Brésil), Ariel Guarco (Argentine) et Monique Leroux (Canada). L’élection aura lieu le 13 novembre prochain, à l’issue de l’assemblée générale de l’ACI à Antalya, en Turquie, où les candidats auront l’occasion de s’exprimer sur leur projet.

Eleveurs en crise

L’été dernier aura vu la cristallisation de la crise des éleveurs autour de la question des prix du porc. Jusque-là, le cours du porc sur le marché français était fixé deux fois par semaine lors du marché de Plérin, en Bretagne, première région productrice. Il était déterminé selon l’offre et la demande (par enchères dégressives) et faisait ensuite référence pour l’ensemble du pays. Le 13 août dernier, le marché de Plérin était annulé : deux acheteurs majeurs, la coopérative Cooperl et la société Bigard-Socopa, avaient annoncé leur retrait sous prétexte d’un cours trop élevé.

Comme le rappelle Le Monde, le prix du porc avait baissé depuis 2012 à cause d’« une baisse de la consommation, une augmentation de la production européenne (notamment en Espagne et en Allemagne), l’embargo sanitaire russe sur la viande de porc européenne décrété en février 2014 ». Face à cette chute libreles prix étaient tombés à 1,20 euro le kilo (€/kg) pour un coût de production estimé à 1,55 €/kg, le ministère de l’Agriculture était intervenu en juin dernier pour encadrer des négociations entre les acteurs de la filière. Depuis, les prix étaient remontés à 1,40 €/kg. La Cooperl a alors estimé ne plus pouvoir suivre. La coopérative a expliqué devoir tenir compte des prix du marché au niveau européen, car elle exporte 35 % de sa production. Or, les plus gros producteurs, l’Allemagne et l’Espagne en tête, vendent moins cher. Au cours actuel, la Cooperl estime perdre 35 centimes par kilo sur les ventes à l’export. Mais comment expliquer de telles différences entre les pays ?

Coop de France, représentant les coopératives agricoles de France, s’est exprimée sur la question par la voix de son président, Philippe Mangin, dans une interview à La France agricole : « La crise se résume à une crise des charges à Paris et une crise des prix à Bruxelles. Les exploitations françaises sont asphyxiées sous les charges en tout genre. […] Depuis des années, la réglementation contraignante décourage la modernisation et l’agrandissement des élevages. Sans fixer un objectif de taille, chaque producteur doit avoir des perspectives de croissance pour avoir envie de moderniser ses bâtiments. L’agrandissement d’un atelier donne une meilleure maîtrise des problèmes environnementaux, des perspectives de méthanisation. Il faut une taille minimum ou pouvoir regrouper les ateliers d’un même village. […] Il n’y a que Bruxelles qui peut prendre des mesures de rééquilibrage des marchés avec le relèvement des prix d’intervention, le stockage. L’embargo russe résulte de la décision des chefs d’Etat. On ne la conteste pas, mais pourquoi ne pas indemniser les agriculteurs qui en font les frais ? » Dans la même interview, Philippe Mangin plaide également pour favoriser « la gamme medium » – car « on ne mange pas des produits de haute qualité tous les jours » –, ainsi que pour l’étiquetage obligatoire de l’origine des produits.

A peu près à l’exact opposé de cette analyse, la Confédération paysanne conteste quant à elle « l’idée trop souvent répandue que l’avenir est aux grands élevages. […] Même avec un coût de revient inférieur de quelques centimes, les éleveurs allemands, espagnols ou danois souffrent et sont lourdement endettés ». Elle défend les cinq axes suivants : « travailler à une méthode de fixation des prix permettant une couverture des coûts de production ; réorienter les productions au plus près de la consommation ; mettre en place une stratégie de développement de la qualité des viandes ; mettre en place une stratégie de substitution aux importations (1,59 milliard d’euros de viande de porc importée en France) ; et, enfin, mettre en place des mesures de prévention des crises qui permettent un ajustement de l’offre à la demande ».

Le 24 septembre, sous la pression, l’Union des groupements de producteurs de viande de Bretagne (UGPVB) a annoncé qu’elle renonçait au prix de 1,40 €/kg, afin de sauver un marché de Plérin qui menaçait de se vider de tous ses acheteurs.

Coopérative intégrale

Depuis six ans, la Catalogne est le théâtre d’une expérience coopérative ambitieuse, qui commence à essaimer : la coopérative intégrale. Son but : construire une alternative globale au système économique et social actuel. Le magazine en ligne Bastamag raconte l’aventure : « Si le projet est d’envergure, l’idée d’une coopérative intégrale est relativement simple : créer un vaste réseau d’initiatives, de projets concrets et d’entreprises solidaires qui reprendraient l’ensemble des éléments basiques d’une économie, à savoir la production, la consommation, le financement…

« En articulant coopératives, monnaies sociales, auto-emploi et action collective, le but est de mettre en place un ensemble de relations économiques et humaines qui permettraient de répondre à l’ensemble des besoins individuels et collectifs hors des règles du marché et hors du contrôle de l’Etat. Ainsi, l’idée de coopérative intégrale fait référence au souhait de rendre les alternatives applicables dans toutes les dimensions de la vie et, à long terme, de construire une alternative globale contre-hégémonique. »

Concrètement, la coopérative intégrale n’a pas d’existence juridique propre, mais joue un rôle de coordination entre des « noyaux d’autogestion locaux » qui regroupent des projets dans tous les domaines (production, éducation, santé, etc.). Au fur et à mesure de son développement, elle a suscité la création d’entités de support pour les projets de base : les « coopératives-outils. Celles-ci donnent une couverture légale à toute une série d’activités et permettent en quelque sorte de protéger l’autogestion devant la loi. Par exemple, une de ces coopératives-outils cherche à acquérir des bâtiments (dons, achats à prix moindre que le marché, location…) afin d’en faire des projets sociaux ou pour lutter contre les expropriations bancaires. Une autre, CASX1, la coopé- rative d’autofinancement social en réseau, prête de l’argent sans intérêt ».

En France, il existe déjà une coopérative intégrale toulousaine, et des projets ou des réflexions sont en cours en Ile-de-France et à Nantes notamment.

Les associations

Une nouvelle carte pour les régions

Le 16 juillet dernier, la loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, a été définitivement adoptée. Le site Loi1901.com revient sur les termes de la loi et souligne ses apports sur l’agencement des territoires :

  • des communes préservées comme collectivités locales de proximité ;

  • des intercommunalités qui montent en puissance pour améliorer l’offre de services au public ;

  • des départements centrés sur la solidarité sociale et territoriale ;

  • des régions renforcées pour l’aménagement du territoire, le développement économique et la mobilité.

L’association liste également les articles qui influent sur l’ESS, et particulièrement :

  • la suppression de la clause de compétence générale des départements en limitant leur compétence « aux domaines expressément prévus par la loi », à savoir les compétences en matière de solidarité sociale et territoriale (article 24) ;

  • la création d’un schéma élaboré par l’Etat et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, permettant une meilleure accessibilité des services publics dans le département (article 25) ;

  • la mise en place des « maisons de services au public » (article 26), qui pourront relever de l’Etat, d’EPCI à fiscalité propre ou d’organismes de droit privé ;

  • la clause de compétences partagées pour la culture, le sport et le tourisme (article 28) ;

  • la création d’un guichet unique pour les aides et les subventions (article 29).

Le journal Les Echos, de son côté, remarque que la réforme territoriale intervient après que les décrets de la loi ESS de juillet 2014 concer- nant les conditions de fusion pour les associations et les fondations ont été publiés et voit là une opportunité à saisir pour les nombreuses structures qui pourraient avoir intérêt à se rapprocher, dans le cadre du passage de vingt-deux à treize régions.

Simplification de la vie associative

Une ordonnance parue le 24 juillet dernier au Journal officiel vise à simplifier un certain nombre de démarches pour les associations et les fondations dans le cadre de quatre types de procédures :

  • la création d’une association ou d’une fondation (guichet unique au niveau départemental) ;

  • la gestion associative courante, dont les demandes d’agréments et de subventions (formulaire unique de demande de subvention) ;

  • le financement privé des associations (dispositions sur l’appel public à générosité) ;

  • les obligations comptables des associations cultuelles (notamment la suppression de l’obligation de tenir un état des recettes et des dépenses ainsi qu’un compte financier).

Le site du ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, dont dépend la vie associative, qui présente la mesure, annonce également que « ces premières mesures de simplification seront complétées, dès 2016, par la mise en place de nouveaux services en ligne appliquant le principe “Dites-le-nous une fois”. Ainsi, les informations transmises par les associations aux administrations ne seront plus redemandées à partir du moment où celles-ci ont été mises à jour par l’association. Les demandes de subvention, la publication des comptes au JO, la déclaration de salariés à l’Urssaf (Union de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale), etc., seront ainsi simplifiées ».

Bilan annuel sur la vie associative

L’association Ressources et Solidarités publie la treizième édition de La France associative en mouvement [4], qui présente un bilan annuel sur les créations d’associations, l’emploi et l’opinion des responsables associatifs.

Le cru 2015 fait ressortir les éléments suivants :

  • « Un sursaut de créations d’associations pour la troisième année consécutive, qui pourrait témoigner d’un élan de solidarités et d’une recherche de liens sociaux, dans une période tendue » (65 000 créations en 2011-2012 contre 75 000 en 2014-2015).

  • « Un bilan de l’emploi associatif en progression de 0,8 % (sources Acoss [Agence centrale des organismes de Sécurité sociale] Urssaf et MSA [Mutualité sociale agricole]), avec des situations inégales selon les secteurs et selon les régions. Bilan prolongé par une approche inédite des exonérations de cotisations sociales et une analyse des déclarations préalables à l’embauche. »

  • « Le moral des responsables associatifs mesuré à partir des résultats de la huitième enquête semestrielle de Recherches et Solidarités, menée du 19 mai au 5 juin 2015, auprès d’un panel représentatif de 1 537 dirigeants. »

  • « Leur point de vue sur les relations entre les associations et les nouvelles équipes municipales en place depuis mars 2014. »

Un peu de prospective

La Fonda – laboratoire d’idées du monde associatif – propose une note d’analyse prospective sur « L’avenir des modèles socio-économiques des associations » [5]. La note commence par dresser les cinq principales tendances du secteur :

  • évolution de la nature des financements publics, c’est-à-dire baisse des subventions et hausse de la commande publique ;

  • développement des logiques d’alliances, de fusions, de regroupements et de mutualisations ;

  • porosité des frontières entre l’économique et le social, avec le développement de modèles économiques alternatifs et de nouveaux outils de financements ;

  • montée de la paupérisation et de la précarité subie, entraînant une augmentation de la demande sociale et une capacité de réponse des associations inversement proportionnelle ;

  • évolution des ressources et des richesses humaines au sein des associations, se traduisant par le maintien de forts taux d’engagement, la modification de la structure du bénévolat et une professionnalisation accrue. 

Après la présentation de données sur les financements publics et l’hybridation des moyens, la note envisage quatre scénarios futurs :

  • le « chacun pour soi » que traduirait le recentrage des associations sur des logiques de prestation de services ;

  • l’appui exclusif sur la subvention publique, qui a l’avantage de pérenniser les structures, au risque d’une « instrumentalisation » de leurs missions et de leurs objectifs par l’Etat ;

  • la coopération entre structures, notamment par la mutualisation de moyens et les partenariats avec d’autres types d’acteurs, faisant par là même évoluer les formes de bénévolat et de gouvernance et encourageant la professionnalisation ;

  • le modèle du social business, conjuguant utilité sociale et recherche de rentabilité.

Pour finir, les auteurs posent les enjeux sous forme de quatre questions : comment réaliser des alliances entre acteurs ? Des hybridations financières ? Comment garantir l’indépendance des associations ? Enfin, comment faire reconnaître leur savoir-faire et leurs valeurs ?

Marie Graingeot

Les mutuelles

Les annonces faites au congrès de la FNMF par François Hollande et Marisol Touraine

En juin 2015, le 41e congrès de la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF) a réuni quelque 2 000 responsables mutualistes à Nantes. Ces congrès triennaux ont lieu depuis 1 883. Au xixe siècle, en phase d’organisation du mouvement, ils permettaient aux présidents des sociétés de secours mutuels d’échanger leurs expériences et d’ajuster leurs pratiques en matière de cotisations et de prestations. Au xxe siècle, avec la montée en puissance de la FNMF, fondée en 1902, et la mise en place de systèmes de santé publics, ils sont devenus un espace de débats entre le niveau fédéral et celui des sociétés de base. Désormais, la marge de manoeuvre des organismes tendant à se rétrécir sous le feu croisé des règlements européens et nationaux, l’intervention du chef de l’Etat et celle du ministre de la Santé sont particulièrement attendues. Elles sont traditionnellement ponctuées d’annonces de nouvelles mesures, accueillies avec plus ou moins de satisfaction par le public.

D’une part, les acteurs mutualistes préféreraient que leurs propositions soient entendues plutôt que d’avoir à se positionner a posteriori sur des décisions prises sans concertation suffisante dans une logique purement gestionnaire. D’autre part, même lorsque les intentions politiques peuvent apparaître généreuses, leur contenu témoigne trop souvent d’une absence de vision générale et long-termiste. Quant à leur mise en oeuvre sur le terrain, elle se heurte à bien des contraintes, notamment juridiques.

Aussi l’annonce faite par Marisol Touraine d’un nouveau Code de la mutualité en 2017 a-t-elle reçu un accueil favorable, car elle répondait à une demande de la FNMF. De fait, certaines dispositions de l’actuel cadre juridique, datant de 2001, entrent progressivement en obsolescence au fil des évolutions législatives. A titre d’exemple, l’Accord national interprofessionnel (ANI) a entraîné depuis janvier 2013 un essor de la prévoyance collective, qui remet en question l’adhésion individuelle, pratique historique des mutuelles ; ou bien l’entrée en vigueur en janvier 2016 de Solvabilité II, et son flot de nouvelles obligations prudentielles, qui rend nécessaire cette rénovation juridique.

En revanche, la généralisation aux retraités de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS), annoncée par François Hollande pour 2017, a suscité les critiques de la FNMF, qui rappelle que, les mesures ciblées ne bénéficiant qu’à certaines catégories, elles engendrent automatiquement de nouvelles exclusions : quid des chômeurs, des jeunes et de nombre de citoyens qui doivent renoncer aux soins, faute de pouvoir cotiser à une complémentaire santé ? Sans relâche, la FNMF plaide pour une extension de la complémentaire santé à l’ensemble de la population et pour la fin de la surenchère inflationniste des actes médicaux.

Des partenariats défensifs

Si la généralisation du tiers payant ne peut qu’être saluée par la Mutualité française, celle-ci s’inquiète des conditions de son accomplissement, qui ont été décidées au terme d’un tête-à-tête entre la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) et les représentants des médecins. Sur la base de ce constat, une association réunissant la FNMF, la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA) et le Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP) a été créée, dont l’objectif est d’« organiser la coopération entre les différents acteurs […] pour permettre la mise en place du dispositif partagé de dispense d’avance de frais ». Il s’agit surtout, pour ces cofinanceurs du système de santé, de s’imposer dans le dialogue Cnam-médecins.

Il n’en reste pas moins que l’apparition de ce front technique alliant des opérateurs concurrents et théoriquement incompatibles est un peu déconcertante. Les pouvoirs publics, à force de chercher à instrumentaliser les organismes privés sur un mode dirigiste, plutôt que de développer la Sécurité sociale, en arrivent ainsi à susciter des partenariats défensifs… potentiellement contre-nature.

Assistons-nous à un nouveau tournant du débat sur l’assurance maladie complémentaire, qui ne serait plus dominé par la confrontation entre finalités de profit et choix de la solidarité, mais par la coalition des organismes privés contre les tentatives hégémoniques de l’Etat ? La menace d’une colonisation de l’identité mutualiste par des logiques commerciales, en cours depuis le début des années 80, doit-elle aujourd’hui être considérée comme un problème dépassé ?

Un recentrage doctrinal des question-nements relatifs à la protection sociale, trop souvent orientés vers la recherche d’économies, aiderait chacun à se replacer dans son champ de compétences initial et à rendre l’ensemble du système plus lisible pour les assurés.

A l’issue du congrès de Nantes, la Mutualité française s’est engagée pour une « rénovation du contrat social » dont l’enjeu est « d’étendre les règles de solidarité au-delà des régimes obligatoires ». Pour cela, les mutuelles s’attacheront à développer des services de proximité adaptés aux besoins de leurs adhérents, pour lesquels elles seront un « compagnon de vie solidaire », en somme un rôle qui est leur raison d’être.

Patricia Toucas-Truyen