IntroductionLe rapatriement ou la décolonisation des modes d’être en relation[Notice]

  • Carole Delamour

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Dans le rapport Rapatriement et réconciliation : prochaines étapes pour créer une nouvelle réalité, Jodi Simkin, directrice des affaires culturelles et du patrimoine de la Nation Klahoose, affirme que les Premières Nations du Canada conçoivent la réconciliation à travers le retour de leurs ancêtres et de leurs biens culturels : « Tant que cela n’aura pas été accompli de bonne foi dans tous les secteurs, une réconciliation véritable, significative et durable demeurera insaisissable » (Simkin 2020 : 4). Alors qu’une des étymologies du terme « rapatriement » réfère à « l’action de se réconcilier », cette acception est d’autant plus heuristique dans le contexte canadien actuel où, quelques mois après la commémoration de la première Journée nationale de la vérité et de la réconciliation (le 30 septembre 2021), soulever certains des enjeux relatifs au rapatriement des collections autochtones s’avère plus que jamais indispensable. Ces revendications nous permettent en effet de saisir, avec une focale resserrée, l’ampleur des défis et des limites systémiques auxquelles les communautés doivent encore se conformer pour revendiquer le retour de leurs ancêtres et de leurs patrimoines culturels. Elles illustrent enfin de façon plus générale qu’une véritable réconciliation ne peut pas avoir lieu sans entamer des actions concrètes visant la décolonisation des systèmes de pensée et de fonctionnement des institutions, ainsi que les dynamiques relationnelles dont elles sont nourries et qui en découlent. Ce numéro propose d’examiner le rapatriement comme un espace interculturel qui participe à la négociation et à la décolonisation des modes d’être en relation. Au-delà des cadres normatifs – juridiques et politiques – qui régissent les démarches de rapatriement, les articles qui composent ce numéro mettent en avant la manière dont ces processus peuvent se révéler être des interstices relationnels et réflexifs qui catalysent des forces – parfois contradictoires, mais innovantes – au sein des pratiques communautaires, scientifiques et muséales. Ces études mettent en perspective la constitution des démarches et les mécanismes à travers lesquels elles participent au renouvellement des modes d’êtres relationnels – entre Autochtones et non-Autochtones, au sein des communautés et en dehors, ainsi qu’avec les objets, les savoirs associés, les territoires et les êtres non-humains. Revenir sur ces processus interroge et éclaire les dynamiques de négociations, les rôles et les limites des différents acteurs, l’établissement de leurs relations ou encore la manière dont leurs interactions influent sur la résolution des démarches de rapatriement. Pour mieux saisir certains des enjeux sous-jacents aux dynamiques relationnelles abordées tout au long des articles, nous proposons d’introduire une partie du cadre – tout particulièrement nord-américain et plus spécifiquement canadien – qui façonne la légitimation des positions de chacun à travers l’échange, parfois la confrontation, puis la négociation de régimes de savoirs, de valeurs, d’ontologies et de pratiques différentes. Les processus de rapatriement des collections autochtones sont multifactoriels et varient selon les contextes socio-historiques, culturels, politiques ou légaux dans lesquels ils prennent place. Ils interpellent, en effet, une pluralité d’enjeux – éthiques, identitaires, ontologiques, économiques et juridiques – auprès d’acteurs ayant des intérêts, des motivations et des réalités parfois très différents. Appréhender la complexité de ces modalités nécessite donc d’interroger la plurivocalité des approches, notamment pour saisir les fondements culturels et sociaux à l’origine et issus des démarches, des plus globaux – en ce qui a trait aux actions menées sur la scène internationale – aux plus locaux – en ce qui relève des attentes et des volontés, qu’elles soient le fait de communautés autochtones ou d’institutions culturelles (Jacknis 1996 ; Mauzé 1999 ; Kramer 2004 ; Conaty 2004 ; Galinier 2004 ; Dubuc 2007 ; Gagné 2012 ; Krmpotich 2014 ; Jérôme 2014 ; Matthews …

Parties annexes