Dans le Prolongement de sa pensée

La « guerre du saumon » des années 1970-1980Entrevue avec Pierre Lepage[Notice]

  • Gérald McKenzie et
  • Thierry Vincent

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  • Gérald McKenzie

  • transcription
    Thierry Vincent

Cette entrevue a été réalisée et enregistrée par Gérald McKenzie. Thierry Vincent a fait une transcription littérale de l’enregistrement puis a proposé une version faisant quelques concessions à l’écrit et à la lisibilité du texte. Pierre Lepage et Gérald McKenzie ont ensuite revu, modifié et, dans le cas de Pierre Lepage, augmenté cette version.

La Commission des droits de la personne (aujourd’hui Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) est un organisme public qui relève de l’Assemblée nationale du Québec. Elle a pour mandat de veiller au respect des droits énoncés dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et exerce des pouvoirs judiciaires notamment dans les domaines de la discrimination et de l’exploitation. Quant à la Ligue des droits et libertés, mentionnée à plusieurs reprises dans cette entrevue, il s’agit d’un organisme indépendant qui a pour objectif de promouvoir les droits reconnus dans la Charte internationale des droits de l’Homme et de dénoncer leur violation. Durant les années dont il est question ici, Pierre Lepage faisait partie de la première, et Gérald McKenzie de la seconde. [NDLR]

Dans ce texte, nous avons conservé la graphie « Restigouche » utilisée au moment des événements de la « guerre du saumon ». Aujourd’hui, on utiliserait plutôt les toponymes « Listuguj » pour la communauté et « Ristigouche » pour la rivière. [NDLR]

Gérald McKenzie — Pierre, tu connais bien Rémi Savard et tu as suivi de près les événements autour de la « guerre du saumon ». Pourrais-tu nous en rappeler les principaux éléments et nous expliquer en quoi ils étaient au coeur des relations entre les Québécois et les Amérindiens ? Pierre Lepage — Au départ, je ne connaissais pas Rémi Savard. J’ai étudié l’anthropologie à l’Université Laval alors que Rémi, lui, était à l’Université de Montréal. Je n’étais pas non plus spécialisé sur les cultures autochtones. Comme étudiant en anthropologie j’ai fait mon « terrain », au début des années 1970, dans des communautés « blanches » de la Moyenne-Côte-Nord. C’est cependant durant cette période que s’est éveillée chez moi la passion pour les relations interethniques. Comme j’habitais dans le petit village de Rivière-Saint-Jean, je me rendais régulièrement à Mingan pour y rencontrer Serge Bouchard, l’anthropologue, et Georges Mestokosho qui travaillait avec lui comme interprète. Nous discutions souvent de l’entraide qui existait autrefois entre Innus et non-Innus et de la rupture dans les relations à partir des années 1950. C’est aussi durant cette période que je me suis intéressé à l’histoire des droits de pêche sur les rivières à saumon, ma thèse de maîtrise portant sur l’histoire économique de la Moyenne-Côte-Nord. À l’époque il n’y avait pas que les Innus qui pêchaient dans la clandestinité. Les non-autochtones des petits villages nord-côtiers le faisaient également. C’est curieusement à la Commission des droits de la personne du Québec, où j’ai été embauché en 1976, que j’ai connu Rémi. Jean-Paul Nolet, Abénaquis d’origine et personnalité bien connue de la radio française de Radio-Canada, y avait été nommé commissaire, et un comité d’experts avait été mis sur pied afin de guider la Commission dans ses interventions sur les questions autochtones. Rémi Savard, le juriste Henri Brun et l’archéologue Serge-André Crête faisaient partie de ces experts externes auxquels avait fait appel la Commission. J’ai donc d’abord côtoyé Rémi dans le cadre des travaux de ce comité et je dois dire que sa contribution a été majeure puisqu’il en a résulté une déclaration publique tout à fait d’avant-garde pour l’époque de la part d’une Commission des droits de la personne. Quand je suis arrivé à la Commission, c’était la « guerre du saumon », c'est-à-dire que nous entrions dans une période de conflits sur les rivières à saumon de la Côte-Nord et de la Gaspésie. Je dis souvent à la blague que partout où il y avait de la chicane, moi, j’étais là. J’ai même fini par me demander si c’était pas moi qui « partait la chicane » ! [rires] Par exemple, je me suis retrouvé à Restigouche la journée même du raid policier de la Sûreté du Québec en 1981, avec Rémi Savard et d’autres personnes qui travaillaient, soit à la Ligue des droits et libertés, soit au Mouvement québécois pour combattre le racisme. Si ma mémoire est bonne, j’avais reçu un appel de la Commission des droits de la personne du Nouveau-Brunswick, m’indiquant que des abus auraient été commis par les forces de l’ordre lors de l’opération policière à Restigouche. C’est ce qui avait convaincu la Commission de me déléguer sur place à titre d’observateur. De son côté, la Ligue des droits et libertés avait créé son Comité d’appui aux nations autochtones et Rémi y collaborait. Lorsque nous sommes arrivés à Restigouche le soir même du raid policier, la communauté micmaque était en commotion. Le matin, avant midi, cinq cents policiers et agents de conservation de la Faune avaient investi la communauté et suspendu les pouvoirs du Conseil de bande. G.M. …

Parties annexes