Recensions

L’Arrêt. Comment le COVID a ébranlé l’économie mondiale, d’Adam Tooze, Paris, Les Belles Lettres, 2022, 394 p.[Notice]

  • Jean-Guy Prévost

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Il n’est pas besoin de présenter longuement Adam Tooze. Historien, on lui doit notamment Le salaire de la destruction (Les Belles Lettres 2012), sans doute l’étude la plus approfondie des finances et de l’économie du IIIe Reich, et Le Déluge, 1916-1931 : Un nouvel ordre (aussi aux Belles Lettres 2016), qui analyse l’émergence des États-Unis comme puissance mondiale au lendemain de la Première Guerre mondiale. Mais c’est avec Crashed. How a Decade of Financial Crises Changed the World (Viking 2018), une histoire « à chaud » ou presque de la crise de 2008 et de ses suites, que Tooze s’est imposé comme intellectuel public et analyste économique. Dans cet ouvrage, il insistait sur la capacité des banquiers de la Réserve fédérale américaine à recourir à des moyens inédits pour stabiliser l’économie mondiale, comme la politique d’assouplissement quantitatif ou le rachat des actifs en difficulté. Cette capacité à se réinventer a été plus longue à venir chez leurs homologues européens (il a fallu attendre 2012 pour que le nouveau président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, prononce son fameux « whatever it takes »), et l’ouvrage se terminait sur un monde incertain marqué par les événements d’Ukraine en 2014, la crise grecque de 2015 et la montée apparemment irrésistible de la puissance chinoise dans l’économie mondiale. Si Crashed relevait de l’histoire du présent, L’Arrêt tient, pour sa part, de l’histoire de l’instant : si l’on ne tient pas compte des récapitulations nécessaires à la compréhension du récit, la période couverte est celle qui va de l’apparition du virus à Wuhan fin 2019 jusqu’au printemps 2021, et le livre est mis en vente le 7 septembre de la même année. Une telle entreprise comporte par définition des limites. D’abord, elle doit s’appuyer surtout sur des informations journalistiques parcellaires, ainsi que sur des données et estimations statistiques susceptibles d’être rapidement révisées. C’est le cas par exemple de celles sur les prévisions de croissance de la Chine (et d’autres pays), revues significativement à la baisse depuis. Pour nous qui écrivons en décembre 2022, il est évidemment facile et injuste de relever les faits ou les événements que l’auteur ne pouvait prévoir : les mutations que connaîtrait le virus et la durée de la pandémie, l’accroissement des tensions avec la Russie générées par l’invasion de l’Ukraine, le retour d’un niveau d’inflation élevé. Dans le blogue très riche qu’il tient avec assiduité (https://adamtooze.com/category/blog/), Tooze aborde ces sujets et d’autres, et il est en mesure de réviser ses jugements antérieurs. On peut toutefois se demander si certains des jugements qui paraissent a posteriori discutables – et certains l’étaient au moment même de la rédaction – ne sont pas à ce point consubstantiels à la structure argumentative de l’ouvrage qu’ils fragilisent cette dernière. Ainsi, la réaction rapide – après quelques cafouillages initiaux – et radicale du gouvernement chinois donne-t-elle l’impression que « le virus (a) déjà été contenu » dans ce pays en avril 2020 (p. 17). On pouvait en douter déjà, compte tenu du scepticisme avec lequel on devrait accueillir les informations provenant de ce pays, même s’il n’était pas clair à l’époque que la politique de COVID-zéro adoptée par la Chine (et par d’autres pays) n’était pas une réponse adéquate à la circulation des variants à venir. De la même façon, le vaccin chinois est décrit comme « sûr et fiable » (p. 265). Mais les données sur les tests soumises par la Chine en vue d’obtenir l’homologation de ses produits lui ont valu tout juste la note de passage de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : si l’innocuité semblait au …