Recensions

Totalitarisme fasciste, de Marie-Anne Matard-Bonucci, Paris, CNRS [Centre national de la recherche scientifique] Éditions, 2018, 320 p.[Notice]

  • Michel-Philippe Robitaille

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Depuis quelques années, l’historiographie du fascisme italien connaît un renouveau. Laissant derrière eux les thèses polémiques et les conflits moraux sur la signification historique de la dictature de Mussolini qui occupaient les historiens jusqu’au tournant du millénaire, les chercheurs ont entrepris de mettre en lumière la mécanique précise du régime fasciste et son évolution dans le temps. S’appuyant sur les archives mises sur pied par le spécialiste du fascisme Renzo De Felice, les historiens contemporains n’hésitent pas à remettre en cause certaines des principales thèses de ce grand historien italien, dont plusieurs avaient donné lieu à des polémiques importantes lors de leur publication. Contrairement aux adversaires auxquels De Felice dut faire face dans une série de batailles médiatiques, des années 1970 à sa mort en 1996, et qui l’accusaient de vouloir réhabiliter le fascisme, ceux qui contestent ses thèses aujourd’hui s’attaquent à leur validité empirique et non aux intentions de leur auteur. Dans sa célèbre Intervista sul fascismo (Laterza, 1975), De Felice rejette l’idée d’assimiler le fascisme, le nazisme et le stalinisme sous la bannière du totalitarisme, jugeant que le régime italien n’a pas atteint le même niveau de pénétration et de contrôle de la société que les deux autres. D’Emilio Gentile (La voie italienne au totalitarisme : le parti et l’État sous le régime fasciste, Éd. du Rocher, 2004) à Jean-Yves Dormagen (Logiques du Fascisme. L’État totalitaire en Italie, Fayard, 2008), plusieurs chercheurs ont contesté son évaluation. Ils ont mis au jour certains des mécanismes par lesquels Mussolini et le Parti national fasciste ont placé les institutions de l’État italien sous leur emprise. C’est dans le sillon de ces travaux que s’inscrit l’ouvrage de Marie-Anne Matard-Bonucci. En faisant une relecture de l’histoire culturelle du fascisme, l’historienne propose de mettre au centre de sa problématique la violence qui lui est inhérente et la dynamique totalitaire qui en caractérise la trajectoire. Dans la deuxième partie, intitulée « Culture et société au pas romain », Matard-Bonucci explore une série de thématiques qui témoignent de la portée de la pénétration idéologique du fascisme dans la société italienne, ses limites et la conflictualité qui entoure le projet totalitaire. Au chapitre 4, elle explore « Les sables mouvants de la pensée fasciste ». Entrant en dialogue avec la littérature en histoire des idées, elle montre que la pensée fasciste est à la fois changeante et articulée autour d’un noyau stable. Celui-ci se résumerait à la figure du dictateur Mussolini, d’une conception de l’homme nouveau endurci par une accoutumance à la violence, engendrant un renouveau de l’honneur national italien. Les trois chapitres suivants explorent la diplomatie culturelle de l’Italie fasciste visant les Italiens expatriés, une tentative avortée de réforme linguistique, et l’humour sous le régime de Mussolini. Ce survol des enjeux de l’histoire culturelle du fascisme expose une frontière floue entre le consensus fasciste et l’expression d’une résistance dans les gestes de la vie quotidienne. De plus, il révèle les efforts déployés par le régime pour instaurer des pratiques nouvelles inspirées par son idéologie dans toutes les sphères de la vie. En somme, quel que soit le succès obtenu, Matard-Bonucci argue que le totalitarisme constitue le coeur du projet fasciste de Mussolini. Dans la troisième partie, l’auteure s’attaque à la question du racisme fasciste, trop souvent minimisé par la comparaison avec l’Allemagne nazie. S’appuyant sur la littérature récente, elle affirme que ce n’est pas pour faciliter l’alliance avec l’Allemagne que Mussolini a mis de l’avant des politiques de ségrégation et de persécution visant spécifiquement les Juifs de la péninsule en 1938. Après deux chapitres sur l’antisémitisme qui répondent aux interrogations concernant …