Recensions

La lutte, pas la guerre : écrits pacifistes radicaux (1918), de Ernst Bloch, traduit par Lucien Pelletier, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2019, 120 p.[Notice]

  • Nichola Gendreau Richer

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  • Nichola Gendreau Richer
    École d’études politiques, Université d’Ottawa
    ngend101@uottawa.ca

Pendant la Première Guerre mondiale, un nombre important d’intellectuels allemands ont été contraints à l’exil partout en Europe. Pour plusieurs, ce déracinement n’a pas signifié la fin de leur engagement intellectuel, mais plutôt l’inverse. À l’âge de trente et un ans, le philosophe Ernst Bloch a quitté l’Allemagne pour se réfugier en Suisse par peur d’être contraint au service militaire. En exil, il a ressenti un fort besoin d’exprimer ses convictions politiques concernant la guerre. Il a entretenu une étroite collaboration avec le journal pacifiste et démocrate Freie Zeitung. Dans l’ouvrage La lutte, pas la guerre : écrits pacifistes radicaux, traduit et présenté par Lucien Pelletier, spécialiste de la pensée de Bloch, figurent trois textes importants de cette période. Ceux-ci sont d’une grande valeur, car ils nous permettent à la fois de mieux comprendre les positions politiques de Bloch en 1918 et certaines propositions théoriques complexes développées dans l’ouvrage L’esprit de l’utopie, écrit durant la même période. Ce dernier a été le premier grand livre de Bloch. Il a eu une influence majeure sur les auteurs de la première génération de l’École de Francfort, dont Theodor W. Adorno et Walter Benjamin. La substance de La lutte, pas la guerre peut être présentée en trois parties. La première explore les positions politiques de Bloch pendant la Première Guerre mondiale. La deuxième présente la réflexion théorique et critique de l’auteur concernant la pensée de Karl Marx. La dernière expose les grandes lignes de la conception blochienne du socialisme à cette époque. Beaucoup de socialistes ont été surpris et mécontents de voir le Parti social-démocrate allemand, à la fondation duquel Karl Marx a participé, se ranger avec la bourgeoisie nationale allemande en appuyant la Première Guerre mondiale. Cette décision a grandement ébranlé la Deuxième Internationale socialiste. Certains membres importants, dont Lénine, n’ont pas cru à la nouvelle lorsqu’ils l’ont apprise. Pour plusieurs, en décidant d’appuyer la guerre, le parti social-démocrate a trahi la classe ouvrière. Les intellectuels socialistes ont donc entrepris un débat important sur leurs positions face à la Grande Guerre. L’une des positions privilégiées par nombre d’entre eux, dont Bloch, a été le défaitisme révolutionnaire. Défaitisme, puisqu’ils souhaitaient que l’Allemagne perde contre l’Entente. Révolutionnaire, car ils espéraient que le système politique autoritaire prussien soit remplacé par une forme de démocratie populaire. Bloch écrit dans le premier texte du recueil : « Mais ce que nous souhaitons, c’est qu’on en finisse avec les seigneurs et les hobereaux, qu’on dise “assez” à vos impitoyables oppresseurs, ceux qui ont causé cette guerre, l’ont alimentée, la prolongent ; nous souhaitons qu’ils débarrassent le plancher, qu’ils quittent cette scène sur laquelle ils vous ont entraînés à votre insu pour que vous y fassiez le sacrifice de votre vie à des idéaux de violence tout ce qu’il y a de plus délirants et d’étrangers au peuple. » (p. 15) Bloch affirme ainsi que la soumission de l’Allemagne contre les forces de l’Entente ne mènerait pas à la déroute du peuple allemand, mais plutôt à celle des exploiteurs. D’ailleurs, il distingue cette position de celle des pacifistes attentistes qui souhaitaient la paix tout en désirant un retour à l’ordre d’avant-guerre. Le pacifisme de Bloch était radical, il souhaitait que les puissances de l’Entente menées par le président américain Woodrow Wilson brisent le militarisme prussien pour permettre au peuple de s’organiser démocratiquement. Pour Bloch, les forces de l’Entente ne faisaient pas la guerre à l’Allemagne, elles luttaient plutôt contre le pouvoir politique antidémocratique allemand. Il établissait ainsi une distinction entre la guerre et la lutte. Il écrit : « Ce n’est pas la guerre qui …