Recensions

De la convivialité. Dialogues sur la société conviviale à venir, d’Alain Caillé, Marc Humbert, Serge Latouche et Patrick Viveret, Paris, La Découverte, 2011, 191 p.[Notice]

  • Étienne Schmitt

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Cet ouvrage collectif est né d’une rencontre franco-japonaise à Tokyo le 11 juillet 2010, laquelle interpellait les conférenciers sur la possibilité d’une société conviviale avancée. Avec quatre chapitres et deux annexes qui complètent la démonstration, Alain Caillé, Marc Humbert, Serge Latouche et Patrick Viveret introduisent une idéologie nouvelle : le convivialisme. Ce présent ouvrage préfigure ainsi Pour un manifeste du convivialisme d’Alain Caillé, publié au cours de la même année aux éditions Le Bord de l’eau. Toutefois, ce premier livre n’est nullement un brouillon du second, mais plutôt une bouture qui ambitionne de répondre à des questions précises. Sous la forme d’un dialogue entre le convivialisme à ses balbutiements avec d’autres théories, notamment celles formées dans le sillage des forums sociaux comme le bien-vivre (buen vivir) ou la décroissance, les auteurs livrent une analyse des plus pertinentes de la société actuelle. Mais qu’est-ce que le « convivialisme » auquel ils se réfèrent ? L’espoir des auteurs placé dans une société conviviale avancée provient d’un constat. La collusion entre la démocratie représentative et le capitalisme dans son observance néolibérale crée une « insoutenable démesure » (p. 25), comme l’énonce Patrick Viveret. Politique, elle établit des rapports de pouvoir qui n’ont rien à envier au totalitarisme. Économique, elle produit artificiellement de la rareté au prix d’une surexploitation des ressources naturelles et humaines. La modernité occidentale réside ainsi « dans un double processus de domination […] et de chosification » (p. 35). Si Viveret rejoint par endroit la théorie de la décroissance, ce dernier estime qu’elle est « une provocation utile pour déconstruire l’ancien monde, mais cela ne suffit pas pour en construire un nouveau » (p. 39). Serge Latouche complète et précise cette démonstration, donnant un aperçu du nouveau monde souhaité par Viveret. En plus de la démesure, l’économiste estime que le néolibéralisme colonise notre système de valeurs avec une « idéologie du bonheur quantifié » (p. 44). Le meilleur exemple de cette pratique est la course effrénée au produit intérieur brut (PIB). Cependant, cet indicateur présente des failles insidieuses. Latouche rappelle qu’il exclut les transactions hors marché et qu’il n’introduit pas les externalités négatives. La croissance prônée et promue par les économies occidentales repose ici sur le déni des solidarités effectives et sur l’altération ou la perte du patrimoine naturel. Le PIB est donc une chimère qui augure notre propre destruction. Sur ce constat, l’auteur estime qu’il faille opérer une « redéfinition du bonheur comme ‘abondance frugale dans une société solidaire’ [laquelle] correspond à la rupture créée par le projet de la décroissance » (p. 60). Aussi est-il nécessaire de lutter contre l’esprit du capitalisme qui marchandise artificiellement le travail, la terre et la monnaie. Selon l’économiste, cette lutte passe par des « entreprises mixtes où l’esprit du don et la recherche de la justice tempèrent l’âpreté du marché » (p. 65). En héritier de Marcel Mauss, Alain Caillé plaide également pour l’esprit du don. Il reproche aux idéologies traditionnelles – libéralisme, communisme, socialisme, voire anarchisme – d’être « autant de modalités d’une philosophie politique utilitariste tenant la croissance indéfinie de la prospérité matérielle pour l’alpha et l’oméga » (p. 20). Il en va de même de solutions plus contemporaines, telles que les théories de la justice ou les théories de la reconnaissance inspirées des travaux de John Rawls. Également, le sociologue attaque la théorie de la décroissance qu’il juge, malgré elle, sacrificielle. La critique de ces théories est sévère, d’autant plus qu’elle semble bien lapidaire. Donnons toutefois le bénéfice du doute à Caillé, lequel souligne que ces mêmes théories ne se préoccupent pas de la disparition …