Recensions

Les secrets de la Maison-Blanche : l’impact des fuites d’informations confidentielles sur la politique étrangère des États-Unis, de Karine Prémont, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2012, 311 p.[Notice]

  • Stéphane Lefebvre

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L’ouvrage de Karine Prémont tombe assurément à point. Au moment où le soldat de première classe Bradley Manning est en prison pour avoir remis sans permission à WikiLeaks des milliers de documents sur les tractations diplomatiques et les opérations militaires américaines et, un peu plus tard, lors des révélations d’Edward Snowden sur les programmes de surveillance et de cueillette de données de la National Security Agency, l’auteure nous offre un cadre d’analyse pour aider tout un chacun à déterminer avec plus de précision et de rigueur l’impact réel de fuites non autorisées d’informations confidentielles sur la politique étrangère des États-Unis. Les fuites d’informations confidentielles dans les médias étant très nombreuses aux États-Unis, l’auteure a porté son regard uniquement sur les fuites engendrées par des personnes à l’emploi du gouvernement des États-Unis. Elle a ainsi choisi, à partir d’un éventail de 42 fuites très connues, neuf d’entre elles, chacune rencontrant trois critères précis : 1) « la source de la fuite doit être connue avec une certaine précision » ; 2) « la fuite doit avoir généré une documentation quantitativement et qualitativement intéressante » ; et 3) « le cas étudié doit permettre de retracer les étapes du processus décisionnel qui a précédé et suivi les fuites » (p. 8). Il y a donc une seule fuite par présidence, allant de la stratégie de John F. Kennedy au Viêtnam (Kennedy, 1961) à la fuite slam dunk sur l’Irak (George W. Bush, 2004). Pour évaluer l’influence de ces fuites, l’auteure met en évidence les facteurs internes et externes de la prise de décision au moment de la fuite. La cohésion de l’équipe présidentielle et le leadership du président sont les facteurs internes identifiés, tandis que la position de la Maison-Blanche et la réaction des médias sont les facteurs externes identifiés. Une fois ces facteurs bien compris, il s’agit de déterminer si « une fuite a eu une conséquence directe ou indirecte sur la politique étrangère des États-Unis » (p. 22). Une conséquence directe signifie qu’une fuite a modifié la prise de décisions, par exemple en forçant la prise en compte de nouvelles options. Une conséquence indirecte, par contre, n’a eu d’effets que sur certains des acteurs (par exemple la promotion ou le congédiement de conseillers du président), les mécanismes de prise de décisions eux-mêmes, ou encore l’opinion publique, les médias ou le Congrès. En guise de conclusion, Prémont note avec justesse qu’en matière de politique étrangère les fuites d’informations confidentielles non autorisées ont peu souvent l’influence que les politiciens ou les membres des médias leur attribuent. En fait, plus le leadership du président est solide et ses conseillers compétents, moins les fuites auront de chance de modifier des décisions concernant la politique étrangère. L’analyse des neuf fuites non autorisées indique d’ailleurs que seules deux d’entre elles ont eu des conséquences directes sur la politique étrangère des États-Unis : celle des Family Jewels (secrets d’opérations douteuses de la Central Intelligence Agency), sous la présidence de Gerald Ford en 1974, et celle de la brigade soviétique à Cuba, sous la présidence de Jimmy Carter en 1979. Ces deux présidents avaient en commun une équipe décisionnelle peu cohésive, un leadership personnel faible, une Maison-Blanche avec une position peu claire et une couverture médiatique négative. Trois autres fuites non autorisées ont eu des conséquences indirectes sur la politique étrangère des États-Unis – sous la présidence de Lyndon Johnson (les 44 bataillons du général Westmoreland en 1968), de Richard Nixon (les Pentagon Papers de 1971) et de Ronald Reagan (le minage des ports du Nicaragua en 1983). Les facteurs internes et externes des fuites les accablant, elles …