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Je ne suis jamais en retard, avec Lise Roy. Salle Jean-Claude-Germain, Montréal (Canada), 2014.

Photographie de Caroline Laberge.

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Dans cet article, je tracerai d’abord un bref survol du contexte ayant entouré la naissance de la pratique théâtrale professionnelle au Québec pour ensuite aborder de manière succincte certains grands mouvements de réflexion et d’expérimentation ayant concouru à transformer la pratique du jeu dans les pays industrialisés au XXe siècle. Par la suite, je mettrai en dialogue certaines de mes observations avec des résultats préliminaires obtenus lors de mon projet de recherche entamé en 2017. Dans la section Contexte de recherche, je présente et détaille la question principale de mon investigation en m’appuyant tout particulièrement sur le cas de certaines écoles de théâtre basées à Stockholm. Dans la suivante, Demain, je fais état de questionnements issus de ma pratique de comédienne et liés aux différentes activités de jeu telles que je les ai vécues récemment, que ce soit à la scène ou devant la caméra. Finalement, dans la section Projections, j’expose certains des enjeux clés qui traverseront inévitablement l’enseignement du jeu d’acteur·trice au XXIe siècle.

Prologue

Au fil des années, la formation de l’acteur·trice est devenue pour la comédienne et l’enseignante que je suis un objet de réflexion important, dont les enjeux influencent autant ma pratique d’interprète que celle de professeure. Le projet de recherche que j’ai mis en place lors de mon entrée en poste à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) m’a menée de Stockholm à New York, en passant par Montréal. Dans une première étape d’investigation, j’ai conduit vingt-cinq entrevues avec des directions d’écoles, des professeur·es et des élèves engagé·es dans la formation de théâtre (j’aurai l’occasion de développer cette démarche un peu plus loin). Enseigner l’art du jeu, réfléchir à la présence scénique dans une postmodernité autant économique qu’esthétique, s’interroger sur l’identité et le dévoilement public de l’artiste en scène, bref jeter un regard sur ce qu’est devenu et surtout sur ce que va devenir l’art de l’interprète au théâtre, c’est forcément questionner les pratiques de ce métier qui se doit, en digne témoin de son temps, d’être en adéquation avec les mouvances sociétales. Cet état des lieux concerne les élèves ainsi que les professeur·es et, plus globalement, les artistes des arts de la scène.

Hier

Au Québec, la profession de théâtre prend son envol avec les Compagnons de Saint-Laurent, troupe fondée par le père Émile Legault en 1937; elle fut la première compagnie à présenter des pièces de théâtre puisant d’abord dans un répertoire religieux, puis au cours de ses quinze années d’existence, favorisant les auteurs français tels que Edmond Rostand, Jean Giraudoux ou Georges Feydeau. Au moment où, ici, nous étions à peine initié·es aux traditions théâtrales européennes, ailleurs l’histoire du théâtre nous rappelle que des directeur·trices, des acteur·trices, des auteur·trices ou des scénographes, comme Jean Vilar, Jerzy Grotowski, Bertolt Brecht ou Edward Gordon Craig, bousculaient ces mêmes traditions. C’est donc dire qu’au Québec, entre notre initiation et notre apprentissage du théâtre tel que pratiqué à l’ère moderne et le déferlement de ses contestations, il s’est écoulé pas plus de cinquante ans, un temps excessivement court si l’on compare avec des traditions parfois ancestrales comme le théâtre d’ombres ou le théâtre épique grec.

Dans les années soixante, le vent de contestation sociale et politique qui souffle sur les sociétés industrialisées engendre des mouvements de protestation menés en grande partie par de jeunes universitaires et des artistes, que ce soit à Paris avec son mois de grèves étudiantes appelé Mai 68 ou à Berkeley avec ses rassemblements contre la guerre du Vietnam; cette jeunesse réclame que les anciens « dogmes » laissent place à des façons inédites de faire, de penser, de dire. Coïncidant avec les aspirations d’un théâtre spécifiquement québécois, le regroupement appelé « Jeune théâtre » rassemble alors de jeunes créateur·trices qui revendiquent la participation collégiale, le partage des tâches et l’improvisation collective comme nouveaux modes de gestion et de création théâtrale[1]. Ayant suivi ma formation de comédienne au Conservatoire d’art dramatique de Montréal dans les années soixante-dix, j’y ai appris les rudiments classiques de la formation dispensés par la tradition française. Or, au même moment, les « agitations » de la rue nées de manifestations pour la loi 101 (défendant l’existence d’un cadre législatif pour la protection de la langue française au Québec) ou de marches féministes ont fait en sorte que mon entrée, et celle de mes pairs, dans la profession de théâtre exigeait maintenant des structures d’action autres. Ces dernières devaient désormais favoriser des modes de travail et de création basés sur des valeurs contestant l’« ancien régime » et ses comportements autoritaires, souvent réfractaires aux explorations modernes.

Aujourd’hui

L’art de l’interprète, que ce soit à la scène ou devant une caméra, est, me semble-t-il, à un carrefour signifiant, passant de la grande tradition « stanislavskienne » à une posture que j’appellerais « hors personnage » et jouant parfois même de ces deux approches souvent aux antipodes l’une de l’autre particulièrement quand il s’agit pour l’interprète d’en faire le cheminement intérieur. Depuis plus de quarante ans, je travaille en tant que comédienne soit au théâtre, à la télévision ou au cinéma, et ces dernières années, je me suis retrouvée au coeur d’une remise en question profonde quant à ma façon de créer, d’interpréter et de vivre ma présence sur scène.

La remise en cause de l’approche stanislavskienne (préconisant essentiellement un travail de reconstruction des motivations intérieures qui met à jour les intentions et les actions d’un personnage) fait partie des grands courants de transformation qu’a vécus le théâtre au siècle dernier. Des penseur·euses et des créateur·trices comme Brecht, Grotowski ou Barba ont rejeté cette incontournable nécessité d’une approche psychologique lors du processus de construction d’un personnage. En fait, c’est la notion même du personnage « construit » qui est ici remise en cause, car ces auteur·trices revendiquent la présence authentique et personnelle de l’acteur·trice comme le « lieu » central de la représentation.

Posture d’actrice 1 : Auditions ou Me, Myself and I, avec Dominique Quesnel et Lise Roy. Salle de répétitions du Théâtre de Quat’Sous, Montréal (Canada), 2005.

Photographie de Marc-André Goulet.

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Posture d’actrice 2 : Capture d’écran du moniteur du réalisateur Raphaël Ouellet, prise sur le plateau de télévision de la série Nouvelle adresse, Montréal (Canada), 2014.

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En 2018, lors d’une conférence donnée à l’École supérieure de théâtre (ÉST) de l’UQAM, Enrico Pitozzi, professeur au département des arts du spectacle de l’Université de Bologne en Italie, avançait qu’aujourd’hui, contrairement au XIXe siècle, la présence de l’acteur·trice n’a plus pour but de « représenter » un personnage, puisque son corps devient « le seul élément de l’oeuvre d’art portant sur lui les signes de la représentation[2] ». Le XXe siècle a ainsi été foisonnant en matière de contestations et de mutations des métiers des arts de la scène par le biais d’artistes majeur·es qui ont réfléchi et proposé une pratique théâtrale contestant ses formes traditionnelles d’expression, connues depuis des décennies. Ce sont dans des écoles, des ateliers ou des laboratoires que les héritier·ières de ces grandes figures du renouvellement théâtral ont approfondi et exploré les avancées théoriques et pratiques grâce à des professeur·es, metteur·es en scène ou artistes des arts de la scène : Lee Strasberg, Mickael Tchekhov, Stella Adler, Sanford Meisner, Jean-Pierre Ronfard en Amérique du Nord; Jerzy Grotowski, Peter Brook ou Thomas Ostermeier en Europe. Certains des lieux d’exploration créés par ces artistes sont passés à l’histoire : l’Actors Studio à New York, l’Odin Teatret d’Eugenio Barba au Danemark, le laboratoire de Grotowski en Pologne ou le théâtre de la Schaubühne à Berlin continuent encore aujourd’hui à inspirer et à former de nouvelles générations d’artistes de la scène. D’ailleurs, des troupes de théâtre et des metteur·es en scène ont poursuivi ces recherches en faisant éclater les traditions de la représentation théâtrale par des spectacles provocants et innovants, qu’on pense à la compagnie américaine du Living Theatre des années soixante ou alors aux metteurs en scène Romeo Castellucci et Ivo van Hove avec leurs récentes productions théâtrales.

À travers ces démarches, ces essais, ces explorations, absolument tout du théâtre a été remis en cause : la notion du personnage, la présence de l’acteur·trice, le quatrième mur, la relation acteur·trice-spectateur·trice, le lieu de la représentation, la façon de concevoir et d’appréhender le rapport avec l’oeuvre écrite. Bref, nous avons interrogé l’ensemble des possibilités de l’acte théâtral lui-même, et ceci, dans le but avoué d’en retrouver l’essence et la pertinence profondes, délestées des impératifs économiques ou commerciaux issus, entre autres, d’une mondialisation galopante. L’objet de recherche le plus porteur de toutes ces aventures de remises en question est, à mon avis, l’acteur·trice : celui ou celle qui se doit avant tout d’être créateur·trice de sa propre présence en scène.

Contexte de recherche

En 2016, à mon entrée en poste comme professeure régulière à l’ÉST, il m’a semblé opportun de questionner les programmes de formation en place dans les écoles de théâtre pour évaluer si nous étions dans une période de stagnation ou, au contraire, en plein coeur de mutations importantes. Car si depuis quarante ans, ma pratique de comédienne me place aux premières loges de l’expérience du jeu, c’est l’enseignement de l’interprétation qui m’aura permis de poser un regard distancié et réflexif sur le développement du métier d’interprète et sur les bases nécessaires à acquérir pour l’exercer en ces temps nouveaux pour les arts de la scène.

Les questions principales de mon investigation étaient les suivantes : aujourd’hui, les établissements de formation de l’acteur·trice, dont la réputation n’est plus à faire, se voient-ils en conservateurs des traditions, en précurseurs des nouvelles tendances, ou alors à la fois conservateurs et précurseurs? Cette formation est-elle comparable à d’autres, que l’on étudie à Stockholm, à New York ou à Montréal? Compte tenu des bouleversements irrémédiables enclenchés par l’arrivée massive des réseaux sociaux et de l’Internet comme moyens de communication et de création, les cursus offerts dans les écoles de formation théâtrale sont-ils ou non en phase avec les impératifs du métier tel que pratiqué aujourd’hui? Finalement, nos écoles de théâtre et leurs programmes de formation sont-ils quelque peu dépassés par les enjeux actuels issus des évolutions politiques, économiques et même spirituelles que traversent actuellement les sociétés appartenant à la modernité mise en place au XXe siècle? Ou alors sont-ils suffisamment attentifs à tout ce qui se déroule autour de nous pour intégrer les nombreuses mutations de la pratique des arts qui apparaissent à une vitesse stupéfiante?

Étant donné la place privilégiée qu’occupe l’ÉST dans le paysage des écoles de théâtre en Amérique du Nord du fait de son cursus d’études et considérant que peu de recherches consacrées aux problématiques de la formation de l’interprète aient été publiées depuis le début des années 2000, il m’apparaissait important d’apporter une contribution au développement des connaissances sur l’art de l’acteur·trice et de sa formation. Seul programme d’études supérieures francophone avec une maîtrise en recherche-création, l’ÉST a depuis ses débuts affiché sa volonté de maintenir un enseignement en phase avec les différents courants esthétiques et dramaturgiques de la pratique; conséquemment, son apport dans le domaine de la théorie de la pratique de l’acteur·trice constitue un patrimoine important qui mérite d’être actualisé.

J’ai voulu ainsi interroger des éléments pédagogiques spécifiques qui sous-tendent la formation de l’acteur·trice d’aujourd’hui et les conséquences d’une telle formation appliquée aux productions publiques de la pratique théâtrale et cinématographique. La pratique actuelle de l’acteur·trice est, on le voit au quotidien, au coeur d’une transformation radicale, en particulier à la vue des développements liés aux arts de la scène et aux nouvelles technologies de création et de diffusion. En effet, les plateformes de production se multiplient, les publics se diversifient, les outils technologiques envahissent les scènes et les plateaux, les écritures postdramatiques obligent à de nouvelles postures de création. Bref, le travail de l’acteur·trice est en plein repositionnement : « Où en sommes-nous avec le jeu aujourd’hui? Jouons-nous comme il y a 40 ans, au moment de la mise à niveau de notre modernité théâtrale? La formation et la pratique du jeu ont-elles changé? » (Turp, 2016.) En 2017, j’ai donc amorcé une première étape de recherche basée sur une investigation des programmes de formation de certaines écoles de théâtre de renom situées dans trois villes de trois pays différents : la Swedish Academy of Dramatic Art (SADA) et Calle Flyrage à Stockholm, Juilliard et la Tisch School of the Arts à New York, l’École nationale de théâtre (ÉNT) et l’École supérieure de théâtre à Montréal. Par le biais d’échanges préliminaires, d’entrevues menées en présence ou en téléconférence et d’une compilation de données tirées des programmes d’études mis en ligne par ces établissements, j’ai pu dresser un certain portrait des formations d’acteur·trices qu’ils proposaient. Bien que l’ensemble des données recueillies n’ait pas encore été colligé, une première lecture des entrevues nous permet tout de même d’apercevoir d’évidentes similarités au sujet des principes de base et des visions pédagogiques qui entourent la formation de l’acteur·trice dispensée actuellement. En termes de méthodologie, les collectes de données ont été réalisées au moyen d’une recherche exploratoire et qualitative, puis grâce aux fonds octroyés par le programme de subvention Nouvelles orientationsde recherche et de recherche-création de la Faculté des arts de l’UQAM; ce programme vise à aider les chercheur·euses en émergence, mais aussi ceux et celles qui sont déjà établi·es, à élaborer des axes inédits de recherche ou de recherche-création. Dans ce cas-ci, la subvention de sept mille dollars a pu soutenir les travaux préliminaires à mon projet de recherche, soit l’étaiement des éléments thématiques, méthodologiques, théoriques ou collaboratifs, et elle a assuré la rémunération d’un assistant. En plus de passer en revue la littérature produite par les établissements de formation et diffusée sur différentes plateformes, celui-ci a collaboré à confectionner des outils de collectes de données ainsi qu’une grille d’analyse. Parallèlement, j’ai procédé à vingt-cinq entrevues individuelles semi-dirigées avec des personnes rattachées aux établissements choisis pour cette recherche, soit en moyenne quatre entrevues par école. À chacune des écoles, j’ai interviewé la personne en poste à la direction ainsi que deux professeur·es et deux élèves (avec parité femme / homme) choisi·es au motif de leur intérêt à participer à une telle recherche; il n’y a qu’à Juilliard où il nous a été impossible de rencontrer des élèves, la direction n’étant pas encline à les « déranger » en cours de session. Pour réaliser ces entrevues, je me suis déplacée à Stockholm et à New York en 2017, pour trois séjours d’environ une semaine.

Le choix des lieux à investiguer s’est constitué à partir d’intérêts poursuivis dans mon enseignement. Depuis plusieurs années, mon travail de professeure d’interprétation à l’ÉST s’appuie principalement sur le théâtre scandinave du XIXe siècle (Strindberg, Ibsen); ses auteur·trices sont de manière redoutable toujours pertinent·es quand il s’agit d’aborder avec mes étudiant·es le travail de l’intime, c’est-à-dire la rencontre de l’interprète avec son monde intérieur, territoire qu’il·elle aura à explorer toute sa vie d’artiste et sur lequel se construira sa présence scénique. Dès lors, de voir comment aujourd’hui des institutions théâtrales suédoises transmettent les notions de jeu aux aspirant·es acteur·trices du XXIe siècle m’apparaissait particulièrement intéressant, ces institutions dont les auteur·trices phares de la dramaturgie de la nordicité du XIXe siècle restent toujours un terreau inspirant pour enseigner les rudiments du jeu dans toutes les écoles visitées.

Par ailleurs, les États-Unis, reconnus pour leurs institutions telles que l’Actors Studio ou les grands plateaux de cinéma hollywoodien, abritent de nombreuses écoles privées et universitaires de formation théâtrale. En effet, l’influence artistique américaine est, encore maintenant, incontournable à tous les niveaux de l’art de l’acteur·trice. Il m’a donc semblé pertinent d’aller regarder du côté de leurs écoles de théâtre. J’ai choisi de me pencher sur deux institutions en particulier : Juilliard, située à New York et considérée comme l’établissement de formation des arts de la scène le plus prestigieux aux États-Unis (et parfois même au monde), et la Tisch School of the Arts de la New York University (NYU), dont le programme de théâtre jouit lui aussi d’une grande réputation.

Pour compléter ce triangle et intégrer cette recherche à mon environnement de pratique professionnelle, j’ai voulu visiter des écoles situées à Montréal, métropole culturelle québécoise, recoupant ainsi, toutes proportions gardées, des données de démographie et de rayonnement culturel comparables si ce n’est à celles de New York, du moins à celles de Stockholm. Des entrevues ont donc pris place à l’ÉST de l’UQAM et à la section française de l’ÉNT. Bien évidemment, d’autres institutions d’importance, que ce soit en Allemagne, en France ou en Grande-Bretagne, auraient mérité notre attention, mais compte tenu des moyens financiers à ma disposition, j’ai préféré restreindre mon champ d’exploration tout en maintenant une diversité des cultures théâtrales investiguées.

Toutes les écoles visitées offrent des programmes qui s’appuient sur les grands axes de la formation de l’acteur·trice tels que mis en place lors de la création des premiers conservatoires en Europe. Pour les écoles de théâtre situées dans un cadre universitaire, s’y ajoute la recherche-création avec ses cursus d’études de 2e et 3e cycles. Toutes les personnes interviewées, sans exception, ont fait état de l’absolue nécessité pour un·e apprenti·e acteur·trice d’être initié·e aux bases mêmes de la présence scénique et à la maîtrise de son instrument, c’est-à-dire sa voix, son corps, sa sensibilité, son imaginaire. Il·elle doit donc pouvoir se développer en tant qu’interprète à partir de la maîtrise de techniques vocales, corporelles et d’interprétation. Dans toutes les écoles, les cours de voix présentent des notions de diction, de grammaire, de pose de voix, d’éloquence, de respiration, de lecture, de chant; les cours de mouvement se penchent, entre autres, sur la posture, l’ancrage, le déploiement spatial et sur les différentes approches corporelles comme le mime, la danse ou le combat scénique. Le jeu comme tel est abordé en fonction de nombreux répertoires qui recoupent les auteur·trices de la grande tradition théâtrale (Tchekhov, Shakespeare, Molière) et qui incluent plus récemment le théâtre postmoderne avec des auteur·trices contemporain·es comme Martin Crimp ou Caryl Churchill, dramaturges britanniques.

Il ressort de mes premières investigations que les écoles de théâtre persistent et signent en continuant de proposer une formation de l’acteur·trice basée sur l’initiation aux diverses techniques que d’aucuns pourraient trouver terriblement traditionnelles, pour ne pas dire dépassées. Mais tous et toutes les formateur·trices rencontré·es, ici ou ailleurs, ont insisté sur ce point : il est incontournable pour la pratique du métier que l’interprète apprivoise son instrument, et ce, à partir de techniques éprouvées. En partageant certaines de mes conclusions avec des collègues des départements de danse et de musique, j’ai pu vérifier que, là aussi, les fondements pédagogiques d’une pratique artistique continuent de s’appuyer sur des rudiments de base. Les élèves doivent pouvoir intégrer et assimiler les techniques et les apprentissages traditionnels avant d’aller à la rencontre de leur propre univers de création, celui-ci impliquant nécessairement une compréhension et une maîtrise de ces outils qui permettent créativité et virtuosité.

Pour mieux saisir les enjeux pratiques de la formation de l’acteur·trice dans une quotidienneté d’apprentissages, j’aimerais ici donner un bref résumé des informations colligées à Stockholm, où des similarités avec le Québec (une langue distincte, un vaste pays d’espaces naturels avec une population urbaine concentrée dans le sud et un rayonnement artistique complexe dû aux contingences géographiques) m’ont aidée à mettre en lumière des positions pédagogiques comparables malgré des différences historiques et culturelles importantes; ceci suggère qu’au-delà des frontières apparaissent des programmes d’études poursuivant des visions de formation pas si éloignées les unes des autres, et en ce sens, cela rejoint ainsi l’idée que la pratique de cet art ancien qu’est le théâtre atteint encore l’universel même dans ses manifestations contemporaines les plus diverses.

Stockholm

En 1787, Gustave III, roi de Suède, fonde une école de théâtre, le Théâtre dramatique royal, mieux connue sous le nom de Dramaten, devenue aujourd’hui le théâtre national de Suède situé à Stockholm. Si, au XXe siècle, le théâtre psychologique s’est irrémédiablement implanté dans ce pays, c’est sans conteste grâce à la production de la pièce d’Eugène O’Neill, Long Day’s Journeyinto Night, offerte en cadeau aux Suédois·es par l’auteur lui-même et créée en 1956 au Dramaten. Cette production marquera à jamais les esprits et imposera avec force un style de jeu dit naturaliste, duquel le théâtre postmoderne des dernières années en Suède s’est radicalement éloigné. Au même moment naissaient à Montréal l’ÉNT en 1969 et l’UQAM en 1959, avec ses différentes écoles, dont l’ÉST, ainsi que nos premiers théâtres professionnels programmant essentiellement un répertoire français et américain.

Bien que les quelques entrevues conduites avec des gens de la SADA ne puissent dresser un portrait exhaustif de la réalité de l’enseignement du théâtre dispensé en Suède, elles peuvent tout de même offrir des observations intéressantes sur les mouvances actuelles de la formation en théâtre. En Suède, les études supérieures sont gratuites et les écoles reçoivent de généreuses subventions pour des projets spécifiques, du moins jusqu’à présent. Mais, comme en Amérique, la montée des partis politiques de droite en Europe coïncide avec des coupures et des baisses substantielles des budgets de la culture qui se font sentir même en Suède, aux dires du directeur de la SADA rencontré en 2017. La naissance de la SADA est en fait le résultat d’une alliance avec le National Academy of Mime and Acting, l’University College of Film, Radio, Television and Theater, la School of Dance and Circus et l’University College of Opera. Ces entités forment depuis 2014 la Stockholm University of the Arts (Uniarts). Ce regroupement a mis en place une structure permettant de recevoir des subventions conséquentes pour la recherche-création. Depuis l’été 2016, l’Uniarts offre un programme d’études de 3e cycle aux acteur·trices ayant complété une formation équivalente au baccalauréat, ce qui n’est pas sans rappeler le programme d’études de 2e et 3e cycles offert à l’ÉST, seule université francophone d’Amérique du Nord à avoir ce type de programme. Présentement, la SADA accueille environ soixante personnes par année et propose près de vingt-deux cursus d’études en film, théâtre, jeu et radio. Le programme de formation de l’ÉST, quant à lui, octroie un diplôme à près de soixante personnes inscrites dans quatre profils spécifiques (enseignement de l’art dramatique, études théâtrales, scénographie et jeu), et cela, sans compter la douzaine de personnes formées à l’art marionnettique au sein d’un DESS en théâtre de marionnettes. À la SADA comme à l’ÉST, l’accent est mis sur le travail de l’interprète de théâtre, ces écoles considérant que la compréhension et la maîtrise de l’acte théâtral sont la base incontournable du métier d’acteur·trice. Suivant ce mouvement, il en résulte aujourd’hui qu’à la SADA, bien que l’acteur·trice s’initie à l’interprétation naturaliste, l’attention est avant tout mise sur son corps, sur le développement de son propre imaginaire et sur ses multiples possibilités de langage scénique. À cet égard, le mime en Suède est considéré comme un art à part entière dont l’actualité et la pertinence ne font aucun doute.

Si l’on se penche sur le programme du baccalauréat en art dramatique à l’ÉST, on y retrouve là aussi une intention délibérée de développer le travail corporel dans ses composantes théâtrales. Au Québec, dans les années soixante-dix, sous l’influence d’artistes d’ici ayant suivi des formations de mime, de clown, de commedia dell’arte, de kathakali ou de masque, que ce soit en Europe ou en Asie, les étudiant·es des écoles de théâtre en quête de nouveaux « langages » pour exister sur scène ont eu la chance d’être initié·es à ces différentes pratiques artistiques. Aujourd’hui, bien que certaines de ces disciplines ne fassent plus l’objet de cours inscrits au 1er cycle, on sent chez les jeunes un réel engouement pour toutes les approches qui leur permettent d’entrer dans une corporalité dégagée des codes habituels et qui les poussent à s’investir dans des « écritures physiques » fortes souvent influencées par les grands mouvements de la danse contemporaine d’ici ou d’ailleurs.

Mais lorsqu’on scrute les programmes proposés par les écoles, on peut se demander pourquoi tel ou tel cours et pas un autre, pourquoi telle ou telle approche et pas une autre. À la SADA comme à l’ÉST (et comme dans l’ensemble des écoles visitées), les cursus suivent effectivement des axes d’apprentissage comparables, mais les intentions pédagogiques et les visions des directions quant aux formations spécifiques offertes aux élèves sont inspirées en grande partie par les intérêts mêmes des formateur·trices. En effet, ce qui apparaît clairement dans la première étape d’investigation de mon projet de recherche, c’est que les grilles de cours sont développées à partir d’un champ d’action ou de recherche spécifique à un·e professeur·e ayant été initié·e à une discipline artistique en particulier, ou l’ayant suivie ou pratiquée. C’est ainsi qu’au cours des années, les programmes de formation théâtrale, bien qu’ils comportent toujours ce que l’on identifie comme les bases incontournables de la pratique de l’acteur·trice, se développent constamment autour des pratiques et des champs d’intérêt du corps professoral qui, dans le cas de la SADA et de celui de l’ÉST, regroupent théoricien·nes et praticien·nes. C’est donc dire que l’embauche de professeur∙es et de chargé·es de cours assoient les traditions du métier tout en pluralisant les approches; dans ce sens, chaque école trouve ici sa couleur et sa spécificité par la diversité des enseignements de son corps professoral.

La direction actuelle de la SADA est très sensible à l’évolution de la société sous l’influence des réseaux sociaux et reconnaît que la jeunesse d’aujourd’hui n’est pas nécessairement portée et inspirée par les mêmes intérêts ou passions que celle des générations précédentes quant aux manières d’envisager l’exercice du métier de comédien·ne. Les étudiant·es actuel·les sont beaucoup plus ouvert·es à toute tendance exploratoire ou innovatrice et envisagent facilement de se former ici pour aller poursuivre leur formation ailleurs, et puis aller travailler quelque temps dans un autre pays pour finalement revenir chez eux et elles avec leurs propres projets de création. En cela, que ce soit pour les jeunes du Suède ou pour ceux du Québec, l’attrait de l’ailleurs est impératif en ces temps de frontières virtuelles beaucoup plus poreuses. Cette jeunesse semble vouloir explorer un « maintenant » réactualisé comme nouvelle posture de jeu, l’acteur·trice se déplaçant et se déployant au coeur d’écritures scéniques constamment renouvelées. Ici et ailleurs, soit, mais toujours dans l’espace-temps assumé d’un présent.

Demain

Après avoir revisité les grands mouvements de pensées et de transformations qui ont parcouru la pratique du théâtre au XXe siècle, je me demande si le XXIe siècle en sera un de mutations tout aussi percutantes. À voir l’arrivée massive des nouveaux codes de communication, sans parler des crises sanitaires planétaires affectant particulièrement les arts vivants, nul doute que le théâtre sera à nouveau secoué dans ses pratiques quotidiennes et donc dans son enseignement et ses apprentissages. Dans l’ouvrage collectif Les nouvelles formations de l’interprète :théâtre, danse, cirque, marionnettes, on y lit que, bien que les premières écoles d’art dramatique soient apparues au XVIIIe siècle, c’est au XXe siècle que « triomphe l’idée que la formation de l’acteur doit sortir de la routine du métier, d’un milieu marqué par des clichés […]. S’ouvr[e] alors la perspective d’engager […] un processus d’apprentissage utile, en développant ses propres aptitudes créatrices… » (Gourdon et Barba, 2004 : 29).

L’acte d’enseigner tel que je le conçois est un acte de transmission idéologique, puisqu’il se vit au coeur même d’une société. Ce qui est appris, exploré ou discuté dans une classe de théâtre s’appuie et fait référence de manière implicite aux notions d’un vivre-ensemble admises et partagées par l’ensemble de la communauté, d’où l’importance pour les écoles de théâtre et leurs programmes de formation d’être en adéquation avec les mouvances sociétales actuelles.

La pratique de l’acteur·trice est actuellement ébranlée, me semble-t-il, moins dans sa fonction sociale qui, dans son essence, reste celle d’incarner et de représenter des figures de l’humanité ou d’être le vecteur d’une narration partagée, que dans sa façon même d’exister sur scène. Cette présence réclame de nouveaux codes de création et de représentation, ceux-ci exigés en grande partie par les nouvelles dramaturgies ou par des écritures et des intentions de mise en scène contestant les codes du XXe siècle, ou alors par des pandémies planétaires mettant en veille l’élément fondamental du théâtre, soit le contact de l’acteur·trice avec son public. S’il veut être de son temps, l’enseignement du jeu se doit de témoigner de ces approches, de ces réalités, de ces désirs qui envisagent et projettent un théâtre au plus près de la personne, qu’elle soit actrice ou spectatrice.

Au cours des dernières années, le portrait des productions théâtrales, du moins ici au Québec, s’est transformé surtout dans ses modalités de représentation; les publics et les créateur·trices sont maintenant intéressé·es ou ému·es non plus par des démonstrations, des clichés ou des caricatures d’êtres humains, mais bien par une authenticité reliée au plus près de l’acteur·trice, qui se veut ici projection intime de la personne qui est sur scène. Notre sensibilité de société a peut-être bien été influencée en cela par l’arrivée de la caméra avec son objectif se rapprochant de plus en plus de la personne et nous la faisant voir désormais en gros plan; c’est ainsi que notre regard de spectateur·trice a évolué vers un désir de l’intimité, de la vérité, celle qui est unique à chacun·e. Peut-on considérer ces nouveaux codes de représentation comme porteurs d’autres valeurs et comme instigateurs de processus d’apprentissage inédits? Aujourd’hui, quand un·e acteur·trice entre en scène, « qui » se retrouve devant les spectateur·trices? Un personnage, un·e interprète, la personne elle-même? Est-il nécessaire d’en connaître le genre, la classe sociale, l’appartenance ethnique ou religieuse? Quelle est la véritable identité de cette personne qui oeuvre devant le public? Et la question mérite-t-elle d’être posée ou non?

Posture d’actrice 3 : Le royaume des animaux, avec Lise Roy. Théâtre de Quat’Sous, Montréal (Canada), 2016.

Photographie d’Angelo Barsetti.

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Posture d’actrice 4 : Golgotha Picnic, avec Lise Roy, Sylvie Drapeau, Samuel Côté et Dominique Quesnel. Usine C, Montréal (Canada), 2018.

Photographie de Maxime Robert-Lachaîne.

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Dans le livre The Game (2019), l’écrivain Alessandro Baricco nous présente les motivations parfois inconscientes qui ont mené à la découverte des mécanismes du Web et des réseaux sociaux tels que nous les vivons aujourd’hui, tout en soulignant à quel point les intentions profondes de ses inventeur·euses ont contribué à la naissance de ces innovations spectaculaires. Qu’il s’agisse d’abolir les limites et les intermédiaires ou de souhaiter que toute circulation d’informations ou de produits de consommation devienne facile, rapide et directe, il est évident que la mobilité et la fluidité se devaient d’être au coeur de ces inventions technologiques. Et si l’on y regarde bien, on reconnaît ces mêmes tendances dans la vie de beaucoup de jeunes aujourd’hui : une volonté que tout soit interchangeable, que les frontières disparaissent en même temps que l’obligation de s’y rapporter, et surtout un refus que les diktats sociaux imposent des rôles prédéterminés. Homme ou femme, riche ou pauvre, croyant·e ou non, peu importe; il suffit de vivre, de créer et nommer ses désirs de vie dans une immédiateté décomplexée. Mais les mots d’ordre que sont mobilité et fluidité sont-ils un point de vue conséquent pour qui aborde le théâtre, la narration, la fiction, la création de personnages? Comment apprendre et maîtriser un art dans ces nouvelles conditions d’horizontalité et dimensions restreintes lorsque la profondeur de compréhension et le travail de création demandent un tout autre rythme que celui d’une quotidienneté de plus en plus effrénée, et surtout, une présence à l’autre qu’aucun écran de ce monde ne saurait donner?

Projections

À savoir si la formation des interprètes en jeu, et conséquemment celle des apprenti·es professeur·es en enseignement de l’art dramatique, s’appuie toujours sur les grands axes des enseignements programmés dans les écoles de théâtre depuis près de cent ans, on peut avancer que d’après les résultats préliminaires de ma recherche, la majorité des écoles sont effectivement toujours gardiennes des traditions. Mais, en même temps, les intervenant·es interrogé·es ont évoqué le tournant irrémédiable que prend actuellement la pratique des arts vivants depuis l’apparition et surtout l’intégration au quotidien des technologies de communication et l’impact des réseaux sociaux dans les modes de création et de diffusion. Les écoles de théâtre se tiennent de toute évidence entre traditions et mutations et, si je prends appui sur ma pratique de comédienne, l’un des aspects percutants de ces mutations concerne l’interprète dans sa posture à la fois scénique et dramaturgique. Dans son ouvrage très documenté, Acting in Real Time (2012), Paul Binnerts, metteur en scène et pédagogue, nous fait voyager de la naissance du théâtre jusqu’aux grands courants esthétiques et dramaturgiques de notre époque pour constater comment l’acteur·trice-interprète du XXIe siècle peut maintenant devenir l’acteur·trice postmoderne. Celui-ci, celle-ci entre désormais dans le « Acting in real time » qui le·la propulse dans sa posture véritable : l’acteur·trice se doit d’être présent·e en tant que lui-même, elle-même. La pièce et le personnage sont relégués à une illusion et dans cette réalité postmoderne, ils sont « véritablement joués » plutôt que « joués pour vrai ». « Maintenant » est le seul temps de l’acteur·trice en jeu, et le théâtre incarne alors l’espace public dans lequel spectateur·trices et acteur·trices sont sur un pied d’égalité, en contact direct les un·es avec les autres dans un hic et nunc clairement identifié. Et ce n’est que dans cette « transparence » actualisée et avouée que spectateur·trices et acteur·trices peuvent partager l’essence profonde du théâtre.

Considérant que le théâtre, tantôt provocateur, tantôt prémonitoire, est à l’avant-poste de son époque, qu’il en est parfois le miroir, les écoles qui enseignent cet art n’ont d’autre choix que d’être en adéquation avec leur temps. Si la présence même de l’interprète est l’un des enjeux principaux actuels, il m’apparaît essentiel que les établissements de formation tentent de réfléchir et d’appréhender cette notion de la présence, de « qui » s’avance sur scène au moment de la représentation, car il est vrai qu’aujourd’hui, les jeunes auteur·trices ou metteur·es en scène revendiquent un présent totalement actualisé, brisent (encore une fois dans l’histoire du théâtre) le quatrième mur et abolissent même la construction d’un personnage entrevu ici comme une supercherie. On veut du vrai, on veut du vrai monde, du vrai monde qui joue sans jouer. Mais qu’en est-il de cette vérité, de cette authenticité en ces temps de réseaux sociaux où tout est divulgué, partagé, copié et surtout, terriblement formaté?

En ce début de XXIe siècle, il me semble essentiel de persévérer dans nos questionnements et dans nos explorations de la formation des interprètes en jeu et de celle des professeur·es en art dramatique afin de maintenir le théâtre dans sa fonction d’art vivant; cette formation (qui, d’après les premières constations de notre investigation, peut être comparable, que l’on étudie à Stockholm, à New York ou à Montréal) doit continuer de préciser les particularités de ses missions pédagogiques. Certaines interrogations qui étaient au coeur des réflexions entamées par des artistes d’hier sont toujours contemporaines : les écoles de théâtre forment-elles des interprètes polyvalent·es, des acteur·trices-créateur·trices ou des citoyen·nes du monde? Ou tout cela à la fois? Dans un contexte socio-économique où les politiques en vigueur défendent avant tout la performance et le rendement, dans un univers où les informations, vies privées ou vidéos créatives se disputent les mentions « j’aime » et les abonné·es par milliers, comment préparer adéquatement de jeunes artistes aux arts vivants sans cesse bousculés par des réactions démultipliées et publiques? Dans le cadre d’un entretien réalisé à l’ÉST, Christian Lapointe, metteur en scène, comédien et professeur, dit ceci à propos des réseaux sociaux :

[P]lus que jamais on est en représentation de nous-même dans le réel[…]. Tout le travail qu’ils [les jeunes] mettent à se représenter et à se construire une identité en ligne, c’est un travail qui les éloigne peut-être de leur nature profonde et qui les déconnecte de leur entièreté […]. Notre tâche en tant que professeurs […], c’est […] d’amener les jeunes interprètes à être branchés sur des essences profondes[3].

Différentes productions du profil Jeu de l’École supérieure de théâtre de l’Université du Québec à Montréal (Canada).

Photographies de Patrice Tremblay.

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Les grands courants de l’histoire du théâtre nous apprennent que la formation artistique qui prépare les artistes de demain a des impacts qui dépassent de loin les seuls murs de l’école, et il semble que pour actualiser cette formation dans nos visions pédagogiques, la « voie royale » soit aujourd’hui celle des passerelles, des traversées, des permutations. S’il y a vingt ans on souhaitait de l’interdisciplinarité, aujourd’hui, c’est le mot « transdisciplinarité » qui fait consensus. Faire en sorte que les dialogues et les échanges sur les programmes disponibles interrogent tout autant le passé dans ses traditions que le futur dans ses mutations annoncées reste une approche qui rallie la majorité des professeur·es rencontré·es. Le taux de satisfaction des élèves à l’égard de leur formation note aussi l’importance accrue des mouvances artistiques proposées dans leurs cursus. Les réseaux sociaux font désormais partie intrinsèque des modes de communication; les futur·es interprètes des arts vivants sont désormais bousculé·es par les nouvelles postures de jeu postmoderne et les professeur·es doivent inévitablement envisager l’enseignement du jeu à la fois dans ses questionnements sociétaux, dans ses nouvelles approches esthétiques et dans ses visions d’actes citoyens. Toujours dans l’ouvrage Les nouvelles formations de l’interprète, Isabelle Ginot conclut le chapitre dévolu à la danse par ces mots : « On rêvera donc d’une école où, loin de la discipline et du disciplinaire, du quantitatif et de ses “acquisitions”, on penserait l’espace de la formation comme un dispositif d’ouverture de possibles » (Ginot, 2005 : 196).

Épilogue

Que représente l’acte théâtral en ces temps de frénésie où il faut à tout prix se montrer sur la place publique? Est-ce toujours un miroir de la société ou est-ce que celui-ci s’est retourné sur lui-même pour ne faire voir que la personne qui entre sur scène? Jouer est-il encore le travail d’un·e artiste maîtrisant des savoirs uniques et précis, ou est-il voué à une authenticité débarrassée de tous codes anciens? Au plus profond de sa présence au monde, qui montera désormais sur scène, moi ou le personnage? Et s’il est maintenant question que ce ne soit que moi, de quel moi s’agit-il? Si j’observe mon travail d’enseignante et ma pratique de comédienne, je dois admettre que, plus que jamais, tout est à reconsidérer, autant le « comment » que le « pourquoi ». Toutes ces questions méritent une attention, et l’actrice que je suis tente de les intégrer dans ses récents projets de jeu, mais c’est véritablement l’enseignante qui peut embrasser l’ampleur du champ d’investigation que le XXIe siècle vient d’ouvrir et ainsi y apporter une contribution personnelle que j’espère pertinente et inspirante. C’est donc avec curiosité, écoute et réflexion que la professeure en interprétation envisage les temps à venir.