Nouvelles pratiques citoyennes ! Le qualificatif « citoyen » fait désormais partie des buzz words dont l’abus sémantique n’a d’égal que l’abondance de l’usage. En effet, les chercheurs et les intervenants n’hésitent pas à qualifier de citoyennes toutes pratiques, types d’institution ou expériences qui impliquent une forme quelconque de participation des citoyens, et ce, peu importe le type et le degré de participation, le rôle accordé aux citoyens, et sans égard à leur statut. La citoyenneté traverse ainsi les disciplines et les sphères d’activité telles que les services sociaux, l’environnement, l’aménagement du territoire, les luttes pour l’altermondialisme et contre le néolibéralisme, etc. Sont évoquées tour à tour les notions de citoyenneté mondiale, de citoyenneté locale, voire urbaine, et de citoyenneté à couches multiples. Serions-nous en voie de dénaturer la citoyenneté, de la vider de sa substance ? Ou, ces différentes déclinaisons de la citoyenneté témoignent-elles d’une volonté de plus en plus partagée, et souvent non dite, de reconnaître les limites de la citoyenneté telle qu’elle s’est développée relativement à l’État-nation pour mieux la redéfinir ? Ce dossier n’a surtout pas la prétention de couvrir l’ensemble des pratiques d’intervention impliquant toutes ces acceptions de la citoyenneté, mais de réfléchir sur quelques pratiques qui s’inscrivent dans ce qui est appelé la démocratie participative. De façon générale, celle-ci se distingue de la démocratie représentative et délégative par le fait que les citoyens et les citoyennes sont remis au coeur de processus décisionnels orientant le devenir de la société. Ce choix est justifié par la surenchère actuelle du recours aux pratiques qualifiées de citoyennes dans un contexte où se côtoient cynisme et nihilisme tant à l’égard du pouvoir réel des individus et des collectivités à influencer les décisions qu’à celui de leur confiance envers les représentants politiques. Comme on le constate, la représentation des intérêts des individus et des collectivités qui passe par la délégation de leur pouvoir à des élus au sein de nos institutions politiques actuelles a fini par créer un fossé tel que l’acte même de représentation perd son sens. Sans rejeter la démocratie représentative, il importe de réfléchir au renouvellement de la démocratie qui passe, à notre avis, par la démocratie participative et la démocratie délibérative. Cela soulève des questions théoriques, pratiques et politiques fondamentales en ce qui regarde l’établissement de conditions égalitaires dans l’appropriation collective des actes sociaux et politiques. La dimension démocratique de la participation des individus au vivre-ensemble ne va pas de soi. C’est pourquoi les articles de ce dossier tentent d’explorer les enjeux associés aux pratiques citoyennes s’inscrivant dans un processus de démocratie participative. Ainsi, les modalités d’application de ce type de démocratie seront étudiées dans ces articles à travers une diversité de contextes notamment ceux du Québec, de la France et du Brésil : le développement économique et politique urbain (Bherer ; Latendresse), l’action communautaire et associative (Patsias), la participation civique des jeunes (Cicchelli), un partenariat d’organismes publics et communautaires oeuvrant auprès des jeunes de la rue (Parazelli et Colombo), des institutions publiques d’interventions sociales (Prades) et d’une entreprise de transports publics (Moreau). La définition classique de la citoyenneté, la plus courante dans la littérature, se décline en termes de droits et obligations accordés par l’État. Elle pose le rapport entre l’État et la nation, celle-ci étant considérée comme la communauté politique première (Nootens, 2004). Or, peu de chercheurs se rappellent, à l’instar d’Isin (2006), que la citoyenneté remonte à la cité-État, bien avant l’émergence de l’État-nation. Le simple fait d’habiter la ville, souligne-t-il, accordait les « droits de la ville » au citoyen. Toutefois, l’hégémonie de l’État-nation, comme modèle de gestion territorialisée du politique, …
Parties annexes
Médiagraphie
- Bacqué, M.-M. et Y. Sintomer (2001). « Gestion de proximité et démocratie participative », Les Annales de la recherche urbaine, no 90, 148-155.
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- Castells, R. (1999). Le pouvoir de l’identité, Paris, Fayard.
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- Labelle, M. et F. Rocher (sous la direction de) (2004). Contestation transnationale, diversité et citoyenneté dans l’espace québécois, Québec, Presses de l’Université du Québec.
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- Mendel, G. (2003). Pourquoi la démocratie est en panne ? Construire la démocratie participative, Paris, La Découverte.
- Mendel, G. et J. L. Prades (2002). Les méthodes de l’intervention psychosociologique, Paris, La Découverte, coll. « Repères ».
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